Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Qu'aux vertus, à l'aumône, accorde le Seigneur?
Le vieillard ne répond qu'en leur montrant son cœur ;
Mais ce cœur, accablé de ces cruels reproches,
Fort contre le malheur, foible contre ses proches,
Desire le trepas, et le demande au ciel.

Sa priere monta jusques à l'Eternel:

L'ange du Dieu vivant descendit sur la terre.

Le vieillard, se croyant au bout de sa carriere,
Fait appeler son fils, son fils qui, jeune encor,
De l'aimable innocence a gardé le trésor,
Comme un autre Joseph nourri dans l'esclavage,
Et semblable à Joseph de mœurs et de visage,
Possédant sa beauté, sa grace et sa pudeur.
Tobie, en l'embrassant, lui dit avec douceur :
Mon fils, la mort dans peu va te ravir tou pere:
De ton respect pour moi fais hériter ta mere (1);
Celle qui t'a nourri, qui t'a donné le jour,

Pour de şi grands bienfaits ne veut qu'un peu d'amour:
Quel plaisir est plus doux qu'un devoir de tendresse?
Honore le Seigneur, marche dans sa sagesse ;
Que sur-tout l'indigent trouve en toi son appui (2),

(1) Honorem habebis matri tuæ omnibus diebus vitæ ejus memor enim esse debes quæ et quanta pericula passa sit propter te in utero suo.

(2) Panem tuum cum esurientibus comede, et de

[ocr errors]

Partage tes habits et ton pain avec lui ;

Reçois entre tes bras l'orphelin qui t'implore;
Riche, donne beaucoup; et, pauvre, donne encore:
-Ce précepte, mon fils, contient toute la loi.
Je dois, en ce moment, confier à ta foi
Qu'à Gabelus jadis, sur sa simple promesse,
Je laissai dix talents, mon unique richesse:
Va toi-même à Ragès pour les redemander.
Vers ce lointain pays quelqu'un peut te guider;
Cherche dans nos tribus un conducteur fidele
Dont nous reconnoîtrons et la peine et le zele.

Il dit. Son fils le quitte et court vers sa tribu.
Devant lui se présente un jeune homme inconnu
Dont la taille, les traits, la grace plus qu'humaine

Dès le premier abord et l'attire et l'enchaîne ;

Ses yeux doux et brillants, sa touchante beauté,
Son front où la noblesse est jointe à la bonté,
Tout plaît, tout charme en lui par un pouvoir suprême.
C'étoit l'ange du ciel, envoyé par Dieu mème,
Qui venoit de Tobie assurer le bonheur.

L'ange s'offre à servir de guide au voyageur:

vestimentis tuis nudos tege. Si multum tibi fuerit, abundanter tribue si exiguum tibi fuerit, etiam exiguum libenter impertiri stude.

Il le suit chez son pere, et le vieillard en larmes
Ne lui déguise point ses soupçons, ses alarmes;
Long-temps il l'interroge ; et lui tendant les bras :
De mes craintes, dit-il, ne vons offensez pas;
Vieux, souffrant, et privé de la clarté céleste,
Mon enfant de la vie est tout ce qui me reste:
La frayeur est permise à qui n'a plus qu'un bien.
De mon dernier trésor je vous fais le gardien.
Ah! vous me le rendrez: mon ame satisfaite
Eprouve, en vous parlant, une douceur secrete;
Je ne sais quelle voix me dit au fond du cœur
Que vous serez conduits par l'ange du Seigneur.
O mon fils, pour adieu reçois ce doux présage.
Le jeune homme l'embrasse et s'apprête au voyage;
Il presse en gémissant sa mere sur son sein.

Bientôt, guidé par l'ange, il se met en chemin :
Mais trois fois il s'arrête, et trois fois renouvelle
Ses adieux et ses cris; 'alors le chien fidele (1),
Seul ami demeuré dans la triste maison,
Court et du voyageur devient le compagnon.

Ils marchent tout le jour dans ces plaines fécondes Où le Tigre en courroux précipite ses ondes.

(1) Profectus est Tobias, et canis secutus est eum,

etc.

Arrêté sur ses bords pour prendre du repos,
Tobie, en se lavant dans ces rapides eaux,

Découvre un monstre affreux dont la gueule béante
Lui fait jeter un cri d'horreur et d'épouvante.
L'angé accourt: Saisissez, lui dit-il, sans frémir,
Ce monstre qu'à vos pieds vous allez voir mourir.
Prenez son fiel sanglant ( 1 ), il vous est nécessaire:
Le temps vous apprendra ce qu'il en faudra faire.
Le jeune Hébreu, surpris, obéit à l'instant;
Il partage le corps du monstre palpitant,
En réserve le fiel; sur une flamme pure
Le reste préparé devient sa nourriture.

Cependant de Ragès, au bout de quelques jours,
Les voyageurs charmés apperçoivent les tours.
L'ange, avant d'arriver aux portes de la ville,
De Gabélus, dit-il, ne cherchons point l'asyle;
Des long-temps Gabélus a quitté ces climats.
Chez un autre que lui je vais guider vos pas;
Le riche Raguel, neveu de votre pere,

A

pour

fille Sara, son unique héritiere. Son plus proche parent doit seul la posséder : La loi l'ordonne ainsi, venez la demander.

(1) Exentera hunc piscem, et cor ejus, et fel..... Quod cùm fecisset, assavit carnes ejus, et secum tulerunt in via.

18.

Interdit à ces mots, le docile Tobie

Lui répond: O mon frere, à vous seul je confie (1)
Des malheurs de Sara ce qu'on m'a rapporté :
Tout Israël connoît sa vertu, sa beauté;
Mais dėja sept époux, briguant son hyménée,
Ont, dès le même soir, fini leur destinée.
Que deviendra mon pere, hélas ! si je péris?
Ne craignez rien, dit l'ange, et suivez mes avis.
Ivres d'un fol amour que le Seigneur condamne,
Les amants de Sara brûloient d'un feu profane,
Ils en furent punis : mais vous, mon frere, vous,
Que la loi de Moïse a nommé son époux,
Dont le coeur, aux vertus formé dès votre enfance,
Epurera l'amour par la chaste innocence,

Vous obtiendrez Sara sans irriter le ciel.

En prononçant ces mots, ils sont chez Raguel. Tous deux, les yeux baissés, demandent à l'entrée Cette hospitalité des Hébreux révérée.

(1) Audio quia tradita est septem viris, et mortui sunt..... Timeo ne fortè et mihi hæc eveniant; et cùm sim unicus parentibus meis, deponam senectutem illorum cum tristitia ad inferos. Tunc angelus dixit ei: Hi qui conjugium ita suscipiunt, ut Deum a se et a sua mente excludant, et suæ libidini ita vacent, etc... Habet potestatem dæmonium super eos. Tu autem, etc.....

« AnteriorContinuar »