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et de l'autre plus de véritable admiration pour La Fontaine.

Comment! repris-je d'un ton presque fâché, quelle plus grande preuve de mos destie puis-je donner que de brûler un ouvrage qui m'a coûté des années de travail? et quel plus grand hommage peut recevoir de moi l'admirable modele dont je ne puis jamais approcher?

Monsieur le fabuliste, me dit le vieillard en souriant, notre conversation pourra vous fournir deux bonnes fables, l'une sur l'amour propre, l'autre sur la colere. En attendant, permettez-moi de vous faire une question que je veux aussi habiller en apologue.

Si la plus belle des femmes, Hélene par exemple, régnoit encore à Lacédémone, et que tous les Grecs, tous les étrangers, fussent ravis d'admiration en la voyant paroître dans les jeux publics, ornée d'abord de ses attraits enchanteurs, de sa grace, de sa beauté divine, et puis encore de l'éclat que donne la royauté, que penseriez-vous d'une petite paysanne

ilote, que je veux bien supposer jeune, fraî che, avec des yeux noirs, et qui, voyant paroître la reine, se croiroit obligée d'aller se cacher? Vous lui diriez : Ma chere enfant, pourquoi vous priver des jeux? Personne, je vous assure, ne songe à vous comparer avec la reine de Sparte. Il n'y a qu'une Hélene au monde; comment vous vient-il dans la tête que l'on puisse songer à deux? Tenez-vous à votre place. La plupart des Grecs ne vous regarderont pas car la reine est là haut, et vous êtes ici. Ceux qui vous regarderont, vous ne les ferez pas fuir. Il y en a même qui peutêtre vous trouveront à leur gré : vous en ferez vos amis, et vous admirerez avec eux la beauté de cette reine du monde.

Quand vous lui auriez dit cela, si la petite fille vouloit encore s'aller cacher, ne lui conseilleriez-vous point d'avoir moins d'orgueil d'une part, et de l'autre plus d'admiration pour Hélene?

Vous m'entendez; et je ne crois pas nécessaire, ainsi que l'exige M. de La Motte,

de placer la moralité à la fin de mon apologue.

Ne brûlez donc point vos fables, et soyez sûr que La Fontaine est si divin, que beaucoup de places infiniment audessous de la sienne sont encore très 'belles. Si vous pouvez en avoir une, je vous en ferai mon compliment. Pour cela, vous n'avez besoin que de deux choses que je vais tâcher de vous expliquer.

Quoique je vous aie dit que je ne connois point de définition juste et précise de l'apologue, j'adopterois pour la plupart celle que La Fontaine lui-même a choisie, lorsqu'en parlant du recueil de ses fables il l'appelle',

Une ample comédie à cent actes divers,
Et dont la scene est l'univers.

En effet, un apologue est une espece de il a son exposition, son

petit drame nœud, son dénouement. Que les acteurs en soient des animaux, des dieux, des

arbres, des hommes, il faut toujours qu'ils commencent par me dire ce dont il s'agit, qu'ils m'intéressent à une situation, à un événement quelconque, et qu'ils finissent par me laisser satisfait, soit de cet évènement, soit quelquefois d'un simple mot, qui est le résultat moral de tout ce qu'on a dit ou fait. Il me seroit aisé, si je ne craignois d'être trop bavard, de prendre au hasard une fable de La Fontaine, et de vous y faire voir l'avant-scene, l'exposition, faite souvent par un monologue, comme dans la fable du Berger et son Troupeau; l'intérêt commençant avec la situation, comme dans la Colombe et la Fourmi; le danger croissant d'acte en acte, car il y en a de plusieurs actes, comme l'Alouette et ses Petits avec le Maître d'un champ; et le dénouement enfin, mis quelquefois en spectacle, comme dans le Loup devenis berger, plus communément en simple récit.

par

le

Cela posé, comme le fabuliste ne peut être aidé de véritables acteurs, par prestige du théâtre, et qu'il doit cepen.

dant me donner la comédie, il s'ensuit que son premier besoin, son talent le plus nécessaire, doit être celui de peindre: : car il faut qu'il montre aux regards ce théâtre, ces acteurs qui lui inanquent; il faut qu'il fasse lui-même ses décorations, ses habits; que non seulement il écrive ses rôles, mais qu'il les joue en les écrivant; et qu'il exprime à la fois les gestes, les attitudes, les mines, les jeux de visage, qui ajoutent tant à l'effet des

scenes.

Mais ce talent de peindre ne suffiroit pas pour le genre de la fable, s'il ne se trouvoit réuni avec celui de conter gaiement: art difficile et peu commun; car la gaieté que j'entends est à la fois celle de l'esprit et celle du caractere. C'est ce don, le plus desirable sans doute puisqu'il vient presque toujours de l'innocence, qui nous fait aimer des'autres parceque nous pouvons nous aimer nous-mêmes; change en plaisirs toutes nos actions, et souvent tous nos devoirs; nous délivre, sans nous donner la peine de l'attention,

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