Un Arabe à Marseille autrefois m'a corté
Qu'un pacha ture dans sa patrie Vint porter certain jour un coffret cacheté Au plus sage dervis qui fût en Arabie. Ce coffret, lui dit-il, renferme des rubis,
Des diamants d'un très grand prix: C'est un présent que je veux faire A l'homme que tu jugéras Être le plus fou de la terre. Cherche bien, tu le trouveras. Muni de son coffret, notre bon solitaire S'en va courir le monde. Avoit-il donc besoin D'aller loin?
L'embarras de choisir étoit sa grande affaire: Des fous toujours plus fous venoient de toutes parts
Se présenter à ses regards. Notre pauvre dépositaire
Pour l'offrir à chacun saisissoit le coffret:
Mais un pressentiment secret Lui conseilloit de n'en rien faire, L'assuroit qu'il trouveroit mieux.
Errant ainsi de lieux en lieux,, Embarrassé de son message,
Enfin, après un long voyage, Notre homme ét le coffret arrivent un matin Dans la ville de Constantin.
Il trouve tout le peuple en joie: Que s'est-il donc passé? Rien, lui dit un iman; C'est notre grand visir que le sultan envoie, Au moyen d'un lacet de soie, Porter au prophete un firman.,
Le peuple rit toujours de ces sortes d'affaires; Et, comme ce sont des misères, Notre empereur souvent lui donne ce plaisir. -Souvent? Oui. - C'est fort bien. Votre nouveau visir Est-il nommé? - Sans doute, et le voilà qui passe. Le dervis, à ces mots, court, traverse la place, Arrive, et reconnoît le pacha son ami
Bon! te voilà! dit celui-cis
Et le coffret? -Seigneur, j'ai parcouru l'Asie: J'ai vu des fous parfaits, mais sans oser choisir. Aujourd'hui ma course est finie; Daignez l'accepter, grand visir.
Le Laboureur de Castille.
Le plus aimé des rois est toujours le plus fort.
En vain la fortune l'accable; En vain mille ennemis, ligués avec le sort, Semblent lui présager sa perte inévitable: L'amour de ses sujets, colonne inébranlable, Rend inutiles leurs efforts.
Le petit-fils d'un roi grand par son malheur même, Philippe, sans argent, sans troupes, sans crédit, Chassé par l'Anglois de Madrid, Croyoit perdu son diadème.
Il fuyoit presque seul, déplorant son malheur : Tout-à-coup à ses yeux s'offre un vieux laboureur, Homme franc, simple et droit, aimant plus que sa vie Ses enfants et son roi, sa femme et sa patrie, Parlant peu de vertu, la pratiquant beaucoup, Riche et pourtant aimé, cité dans les Castilles
Comme F'exemple des familles. Son habit, filé par ses filles, Etoit ceint d'une peau de loup. Sous un large chapeau, sa tête bien à l'aise
Faisoit voir des yeux vifs et des traits basanés,
Et ses monstaches de són nez
Descendoient jusques sur sa fraise.
Douze fils le suivoient, tous grands, beaux, vigoureux. Un mulet chargé d'or étoit au milieu d'eux.
Cet homme, dans cet équipage,
Devant le roi s'arrête, et lui dit: Où vas-tu? Un revers t'a-t-il abattu? Vainement l'archiduc a sur toi l'avantage; C'est toi qui régneras, car c'est toi qu'on chérit. Qu'importe qu'on t'ait pris Madrid?
Notre amour t'est resté, nos corps sont tes murailles; Nous périrons pour toi dans les champs de l'honneur.
Le hasard gagne les batailles; Mais il faut des vertus pour gagner notre cœur. Tul'as, tu régneras. Notre argent, notre vie, Tout est à toi, prends tout. Graces à quarante ans
De travail et d'économie,
Je peux t'offrir cet or. Voici mes douze enfants, Voilà douze soldats: malgré mes cheveux blancs, Je ferai le treizieme; et, la guerre finie, Lorsque tes généraux, tes officiers, tes grands,... Viendront te demander, pour prix, de leur service,. Des biens, des honneurs, des rubans,
Nous ne demanderons que repos et justice: C'est tout ce qu'il nous faut. Nous autres pauvres gens Nous fournissons au roi du sang et des richesses; Mais, loin de briguer ses largesses,
Moins il donne et plus nous l'aimons. Quand tu seras heureux, nous fuirons ta présence,
Nous te bénirons en silence :
On t'a vaincu, nous te cherchons.
Il dit, tombe à genoux. D'une main paternelle Philippe le releve en poussant des sanglots; Il presse dans ses bras ce sujet si fidele, Veut parler, et les pleurs interrompent ses mots.
Bientôt, selon la prophétie
Du bon vieillard, Philippe fut vainqueur, Et sur le trône d'Ibérie
N'oublia point le laboureur.
Le Paon, les deux Oisons et le Plongeon.
Un paon faisoit la roue, et les autres oiseaux Admiroient son brillant plumage.
Deux oisons nasillards du fond d'un marécage Ne remarquoient que ses défauts. Regarde, disoit l'un, comme sa jambe est faite, Commé ses pieds sont plats, hideux. Et son cri, disoit l'autre, est si mélodieux, Qu'il fait fuir jusqu'à la chouette. Chacun rioit alors du mot qu'il avoit dit.
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