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bord se proposer une vérité morale, la cacher sous l'allégorie d'une image qui ne peche ni contre la justesse, ni contre l'unité, ni contre la nature; amener ensuite des acteurs que l'on fera parler dans un style familier mais élégant, simple mais ingénieux, animé de ce qu'il y a de plus riant et de plus gracieux, en distinguant bien les nuances du riant et du gracieux, du naturel et du naïf.

Tout cela est plein d'esprit, j'en conviens mais, quand on saura toutes ces finesses, on sera tout au plus en état de prouver, comme l'a fait M. de la Motte, que la fable des deux Pigeons est une fable imparfaite, car elle peche contre l'unité; que celle du Lion amoureux est encore moins bonne, car l'image entiere est vicieuse (1). Mais, pour le malheur des définitions et des regles, tout le monde n'en sait pas moins par cœur l'admirable fable

(1) OEuvres de La Motte, discours sur la fable, tome IX, pag. 2a et suiv..

des deux Pigeons, tout le monde n'en répete pas moins souvent ces vers du Lion

amoureux,

Amour, Amour, quand tu nous ticns,
On peut bien dire, adieu prudence;

et personne ne se soucie de savoir qu'on peut démontrer rigoureusement que ces deux fables sont contre les regles.

Vous exigerez peut-être de moi, en me voyant critiquer avec tant de sévérité les définitions, les préceptes donnés sur la fable, que j'en indique de meilleurs : mais je m'en garderai bien, car je suis convaincu que ce genre ne peut être défini et ne peut avoir de préceptes. Boileau ́n'en a rien dit dans son Art poétique; et c'est peut-être parcequ'il avoit senti qu'îl ne pouvoit le soumettre à ses loix. Ce Boileau, qui assurément étoit poëte, avoit fait la fable de la Mort et du Malheureux en concurrence avec La Fontaine. J. B. Rousseau, qui étoit poëte aussi, traita le même sujet. Lisez dans M. d`A

lembert (1) ces deux apologues comparés avec celui de La Fontaine; vous trouverez la même morale, la même image, la même marche, presque les mêmes expressions; cependant les deux fables de Boileau et de Rousseau sont au moins très médiocres; et celle de La Fontaine est un chef-d'œuvre.

La raison de cette différence nous est parfaitement développée dans un excellent morceau sur la fable, de M. Marmontel (2). Il n'y donne pas les moyens d'écrire de bonnes fables, car ils ne peuvent pas se donner; il n'expose point les principes, les regles qu'il faut observer, car je répete que dans ce genre il n'y en a point: mais il est le premier, ce me sem ble, qui nous ait expliqué pourquoi l'on trouve un si grand charme à lire La Fontaine, d'où vient l'illusion que nous cause cet inimitable écrivain. «Non seule

(1) Histoire des membres de l'académie françoise, tome III.

(2) Eléments de littérature, tome III.

«ment, dit M. Marmontel, La Fontaine <a oui dire ce qu'il raconte, mais il l'a yu, il croit le voir encore. Ce n'est pas « un poëte qui imagine, ce n'est pas un «< conteur qui plaisante; c'est un témoin

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présent à l'action, et qui veut vous y « rendre présent vous-même : son érudi «tion, son éloquence, sa philosophie, « sa politique, tout ce qu'il a d'imagina«tion, de mémoire, de sentiment, il « met tout en œuvre, de la meilleure foi « du monde, pour vous persuader; et «c'est cet air de bonne foi, c'est le sé<< rieux avec lequel il mêle les plus grandes

choses avec les plus petites, c'est l'im«portance qu'il attache à des jeux d'en<«<fants, c'est l'intérêt qu'il prend pour « un lapin et une belette, qui font qu'on « est tenté de s'écrier à chaque instant, Le bon homme! etc. >>

M. Marmontel a raison : quand ce mot est dit, on pardonne tout à l'auteur, on ne s'offense plus des leçons qu'il nous fait, des vérités qu'il nous apprend; on lui permet de prétendre à nous enseigner

la sagesse, prétention que l'on a tant de peine à passer à son égal. Mais un bon homme n'est plus notre égal: sa simplicité crédule, qui nous amuse, qui nous fait rire, le délivre à nos yeux de sa supériorité; on respire alors, on peut hardiment sentir le plaisir qu'il nous donne; on peut l'admirer et l'aimer sans se compromettre.

Voilà le grand secret de La Fontaine, secret qui n'étoit son secret que parcequ'i 'il l'ignoroit lui-même.

Vous me prouvez, lui répondis-je assez tristement, qu'à moins d'être un La Fontaine il ne faut pas faire de fables; et vous sentez que la seule réponse à cette affligeante vérité c'est de jeter au feu mes apologues. Vous m'en donnez une forte tentation; et comme, dans les sacrifices un peu pénibles, il faut toujours profiter du moment où l'on se trouve en force, je vais, en rentrant chez moi.....

Faire une sottise, interrompit-il; sottise dont vous ne seriez point tenté, si vous aviez moins d'orgueil d'une part,

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