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Le pauvre lievre part. A quelques pas plus loin,
Il rencontre un taureau que, cent fois au besoin,
Il avoit obligé; tendrement il le prie

D'arrêter un moment cette meute en furie

Qui de ses cornes aura peur.

Hélas! dit le taureau, ce seroit de grand cœur:
Mais des génisses la plus belle

Est seule dans ce bois, je l'entends qui m'appelle;
Et tu ne voudrois pas retarder mon bonheur.
Disant ces mots, il part. Notre lievre, hors d'haleine,
Implore vainement un daim, un cerf dix cors,
Ses amis les plus sûrs ; ils l'écoutent à peine,

Le

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Tant ils ont peur du bruit des cors.

pauvre

infortuné, sans force et sans courage, Alloit se rendre aux chiens, quand, du milieu du bois, Deux chevreuils reposant sous le même feuillage Des chasseurs entendent la voix : L'un d'eux se leve et part; la meute sanguinaire Quitte le lievre et court après.

En vain le piqueur en colere

Crie, et jure, et se fâche; à travers les forêts
Le chevreuil emmene la chasse,

Va faire

un long circuit, et revient au buisson

Où l'attendoit son compagnon,

Qui dans l'instant part à sa place.

Celui-ci fait de même; et, pendant tout le jour,
Les deux chevreuils laucès, et, quittés tour-à-tour
Fatiguent la meute obstinée.

Enfin les chasseurs tout honteux
Prennent le bon parti de retourner chez eux.
Déja la retraite est sonnée,

Et les chevreuils rejoints. Le lievre palpitant
S'approche, et leur raconte, en les félicitant,
Que ses nombreux amis, dans ce péril extrême,
L'avoient abandonné. Je n'en suis pas surpris,
Répond un des chevreuils : à quoi bon tant d'amis?
Un seul suffit quand il nous aime.

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UN vieux renard cassé, goutteux, apoplectique,

Mais instruit, éloquent, disert,
Et sachant très bien sa logique,

Se mit à prêcher au désert.

Son style étoit fleuri, sa morale excellente.
Il prouvoit en trois points que la simplicité,
Les bonnes mœurs, la probitė,

Donnent à peu de frais cette félicité

Qu'un monde imposteur nous présente, Et nous fait payer cher sans la donner jamais. Notre prédicateur n'avoit aucun succès ; Personne ne venoit, hors cinq ou six marmotes,

Ou bien quelques biches dévotes

Qui vivoient loin du bruit, sans entour, sans faveòr,
Et ne pouvoient pas mettre en crédit l'orateur.
Il prit le bon parti de changer de matiere,
Prêcha contre les ours, les tigres, les lions,
Contre leurs appétits gloutons,

Lear soif, léur rage sanguinaire.

Tout le monde accourut alors à ses sermons;
Cerfs, gazelles, chevreuils, y trouvoient mille charmes ;
L'auditoire sortoit toujours baigné de larmes;
Et le nom du renard devint bientôt fameux..

Un lion, roi de la contrée,

Bon homme au demeurant, et vieillard fort pieux,
De l'entendre fút curieux.

Le renard fut charmé de faire son entrée
A la cour : il arrive, il prêche, et, cette fois,
Se surpassant lui-même, il toune, il épouvante
Les féroces tyrans des bois,

Peint la foible innocence à leur aspect tremblante,
Implorant chaque jour la justice trop lente
Du maître et du juge des rois.
Les courtisans, surpris de tant de hardiesse,
Se regardoient sans dire rien;

Car le roi trouvoit cela bien.

monarque

enchanté

La nouveauté par fois fait aimer la rudesse.
Au sortir du sermon, le
Fit venir le renard: Vous avez su me plaire,
Lui dit-il; vous m'avez montré la vérité:

Je vous dois un juste salaire;

Que me demandez-vous pour prix de vos leçons?
Le renard répondit: Sire, quelques dindons.

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CERTAIN roi qui régnoit sur les rives du Tage,
Et que l'on surnomma le Sage,
Non parcequ'il étoit prudent,

Mais parcequ'il étoit savant,

Alphonse, fut sur-tout un habile astronome.
Il connoissoit le ciel bien mieux que son royaume,
Et quittoit souvent son conseil

Pour la lune ou pour le soleil.

Un soir qu'il retournoit à son observatoire,
Entouré de ses courtisans,

Mes amis, disoit-il, enfin j'ai lieu de croire

Qu'avec mes nouveaux instruments

Je verrai, cette nuit, des hommes dans la lune.

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Votre majesté les verra,

Répondoit-on; la chose est même trop commune, Elle doit voir mieux que cela.

Pendant tous ces discours, un pauvre, dans la rue, S'approché en demandant hùmblement, chapeau bas,

Quelques maravédis; le roi ne l'entend pas,
Et sans le regarder son chemin continue.
Le pauvre suit le roi, toujours tendant la main,
Toujours renouvelant sa priere importune:
Mais, les yeux vers le ciel, le roi, pour tout refrain,
Répétoit : Je verrai des hommes dans la lune.›

Enfin le pauvre le saisit

Par son manteau royal, et gravement lui dit ;
Ce n'est pas de là haut, c'est des lieux où nous sommes
Que Dieu vous a fait souverain,

Regardez à vos pieds; là vous verrez des hommes,
Et des hommes manquant de pain.

FABLE I X.

Le Sanglier et les Rossignols.

Un homme riche, sot et vain, Qualités qui par fois marchent de compagnie, Croyoit

pour tous les arts avoir un goût divin, Et pensoit que son or lui donnoit du génie. Chaque jour à sa table on voyoit réunis Peintres, sculpteurs, savants, artistes, beaux esprits,

Qui lui prodiguoient les hommages,

Lui montroient des dessins, lui lisoient des ouvrages, Ecoutoient les conseils qu'il daignoit leur donner,

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