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plaisir, et préparòit doucement le cœur à l'attrait qu'il éprouvoit bientôt pour cet honnête homme.

Il me reçut avec une bonté franche et polie, me fit asseoir près de lui, me pria de parler un peu haut, parcequ'il avoit, me dit-il, le bonheur de n'être que sourd; et, déja prévenu par son neveu que je me donnois les airs d'être un fabuliste, il me demanda si j'aurois la complaisance de lui dire quelques uns de mes apologues.

Je ne me fis pas presser, j'avois déja de la confiance en lui. Je choisis promptement celles de mes fables que je regar dois comme les meilleures; je m'efforçai de les réciter de mon mieux, de les parer de tout le prestige du débit, de les jouer en les disant; et je cherchai dans les yeux de mon juge à deviner s'il étoit satisfait.

Il m'écoutoit avec bienveillance, sourioit de temps en temps à certains traits, rapprochoit ses sourcils à quelques autres, que je notois en moi-même pour les corri ger. Après avoir entendu une douzaine

d'apologués, il me donna ce tribut d'éloges que les auteurs regardent toujours comme le prix de leur travail, et qui n'est souvent que le salaire de leur lecture. Je le Temerciai, comme il me louoit, avec une reconnoissance modérée; et, ce petit moment passé, nous commençâmes une conversation plus cordiale.

J'ai reconnu dans vos fables, me dit-il, plusieurs sujets pris dans des fables an ciennes ou étrangeres.

Oui, lui répondis-je, toutes ne sont pas de mon invention. J'ai lu beaucoup de fabulistes; et lorsque j'ai trouvé des sujets qui me convenoient, qui n'avoient pas été traités par La Fontaine, je ne me suis fait aucun scrupule de m'en emparer. J'en dois quelques uns à Esope, à Bidpaï, à Gay, aux fabulistes allemands, beaucoup plus à un Espagnol nommé Yriartė, poëtë dont je fais grand cas, et qui m'a fourni mes apologues les plus heureux. Je compte bien en prévenir le public dans une préface, afin que l'on ne puisse pas me reprocher.....

Oh! c'est fort égal au public, interrompit-il en riant. Qu'importe à vos lecteurs que le sujet d'une de vos fables ait été d'abord inventé par un Grec, par un Espagnol, ou par vous? L'important, c'est qu'elle soit bien faite. La Bruyere a dit: Le choix des pensées est invention. D'ailleurs vous avez pour vous l'exemple de La Fontaine. Il n'est guere de ses apologues que je n'aie retrouvés dans des auteurs plus anciens que lui. Mais comment y sont-ils? Si quelque chose pouvoit ajouter à sa gloire, ce seroit cette comparaison. N'ayez donc aucune inquiétude sur ce point, En poésie, comme à la guerre, ce qu'on prend à ses freres est vol, mais ce qu'on enleve aux étrangers est conquête.

Parlons d'une chose plús importante." Comment avez-vous considéré l'apologue?

A cette question, je demeurai surpris, je rougis un peu, je balbutiai; et, voyant bien, à l'air de bonté du vieillard, que le meilleur parti étoit d'avouer mon igno

rance, je lui répondis, si bas qu'il me le fit répéter, que je n'avois pas encore assez réfléchi sur cette question, mais que je comptois m'en occuper quand je ferois mon discours préliminaire.

J'entends, me répondit-il : vous avez commencé par faire des fables; et, quand votre recueil sera fini, vous réfléchirez sur la fable. Cette maniere de procéder est assez commune, même pour des objets plus importants. Au surplus, quand vous auriez pris la marche contraire, qui sûrement eût été plus raisonnable, je doute que vos fables y eussent gagné. Ce genre d'ouvrage est peut-être le seul où les poẻtiques sont à-peu-près inutiles, où l'étude n'ajoute presque rien au talent, où, pour me servir d'une comparaison qui vous appartient, on travaille, par une espeće d'instinct, aussi bien que l'hirondelle bâtit son nid, ou bien aussi mal que le moineau fait le sien.

Cependant je ne doute point que vous n'ayez lu, dans beaucoup de préfaces de

fables, que l'apologue est une instruction déguisée sous l'allégorie d'une action: définition qui, par parenthese, peut convenir au poëme épique, à la comédie, au roman, et ne pourroit s'appliquer à plusieurs fables, comme celles de Philomele et Progné, de l'Oiseau blessé d'une fleche, du Paon se plaignant à Junon, du Renard et du Baste, etc. qui proprement n'ont point d'action, et dont tout le sens est renfermé dans le seul mot de la fin ; ou comme celles de l'Ivrogne et sa Femme, du Rieur et des Poissons, de Tircis ec Amarante, du Testament expliqué par Esope, qui n'ont que le mérite assez grand d'être parfaitement contées, et qu'on seroit bien fâché de retrancher quoiqu'elles n'aient point de morale. Ainsi cette définition, reçue de tous les temps, ne me paroît pas toujours juste.

Vous avez lu sûrement encore, dans le très ingénieux discours que feu M. de la Motte a mis à la tête de ses fables, que, pour faire un bon apologue, il faut d'a

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