L'EAU OXYGÉNÉE EN VINIFICATION Par M. L. FERRÉ Directeur P. I. de la Station Enologique de Bourgogne à Beaune. Depuis un certain nombre d'années, la production des vins dits de « producteurs directs » tend à devenir de plus en plus abondante. Parmi eux, il en est un, le « Noah », hybride de V. Riparia et de V. Labrusca qui se trouve très répandu dans un certain nombre de régions, car ce cépage aurait à la fois toutes les qualités demandées aux hybrides : production abondante et grande résistance aux maladies. Par contre, le vin provenant de ce cépage présente le gros inconvénient de posséder un goût spécial très caractéristique appelé « goût foxé » qui en diminue la valeur marchande. Aussi, a-t-on cherché depuis longtemps des procédés susceptibles d'enlever ce goût anormal. Indépendamment des procédés spéciaux de vinification, on a préconisé tour à tour l'emploi de l'huile, du noir animal et enfin des oxydants énergiques, tels que le permanganate de potasse et l'eau oxygénée. L'eau oxygénée est le produit qui paraît avoir, à l'heure actuelle, le plus de partisans. Dans un article du « Progrès agricole et viticole » du 15 septembre 1918, reproduit dans le même journal le 14 septembre 1919, M. RAVAZ passe en revue un certain nombre de moyens propres à défoxer les vins. Il arrête sa préférence sur l'emploi de l'eau oxygénée qui, dit-il, « n'apporte rien à la vendange qui n'y soit déjà et « qui n'y laisse aucune trace. Au titre de 10 - 11 volumes, à la dose « d'un litre par hectolitre, en moins d'une heure, elle a enlevé au « moût ou au vin toute trace de bouquet toxé, musqué, etc. Je peux << assurer qu'elle enlève aussi au vin, et complètement, l'odeur ou le « goût de moisi, de pourri, de croupi, d'hydrogène sulfuré, de soufre, « etc. Il n'y a guère que le parfum de certaines espèces américaines « qui résistent. Si la dose est plus élevée, l'action est aussi plus ra« pide, etc. ». L'eau oxygénée ne figurant pas dans la liste des substances pouvant être employées en oenologie, doit on souhaiter avec M. RAVAZ que l'usage de ce produit entre au nombre des pratiques reconnues licites ? Pour émeltre un avis, nous avons effectué un certain nombre d'essais, afin de déterminer : 1° Le temps maximum pendant lequel l'eau oxygénée peut rester à l'état libre dans un vin. 2o Les résultats obtenus sur les caractères organoleptiques à la disparition des dernières traces d'eau oxygénée. Il nous a fallu tout d'abord choisir un moyen de déceler de faibles quantités de H10 dans un milieu tel que le vin. Celui qui nous a donné le meilleur résultat, avec le maximum de sensibilité, est l'emploi d'une solution d'iodure de potassium à 10 °° et d'empois d'amidon. Voici comment nous opérons : 25cc de vin sont additionnés de FALSIFICATIONS N° 142-143. 32 5cc d'iodure de potassium à 10 et 10cc d'une solution d'empois d'amidon. Il se développe une belle teinte bleue d'autant plus intense et plus rapidement que la quantité de HO2 est plus grande. Dans les vins rouges, en raison de la couleur, nous avons substitué à l'empois d'amidon comme indicateur de l'iode mis en liberté par H2O l'emploi de quelques cc de benzine cristallisable qui par agitation avec le vin dissout l'iode en donnant une teinte variant du rouge intense au lose pâle, suivant la quantité d'iode mise en liberté. Dans ces conditions, la limite de sensibilité est d'environ 1cc de H20 à 12 vol. dans 10.000cc. La disparition de l'eau oxygénée ajoutée à un vin n'est pas aussi rapide que ne le suppose M. RAVAZ. Parmi les causes qui provoquent sa disparition, les unes sont dues à des réactions chimiques et les autres à des réactions diastasiques. L'acide sulfureux est le corps qui pouvant se rencontrer dans les vins s'empare instantanément de l'eau oxygénée en formant des sulfates. Il faut environ 0 gr. 570 d'acide sulfureux par litre pour absorber l'eau oxygénée provenant d'une addition de 1 litre à 10 vol. par hecto. Les sels ferreux qui existent en plus ou moins grande quantité dans tous les vins sont également transformés et passent à l'état ferrique. Indépendamment de ces réactions chimiques, la disparition de l'eau oxygénée est due principalement aux diastases réductrices qui scindent la molécule en eau et oxygène. Cette action des diastases est plus ou moins rapide suivant leur proportion et celle des substances appelées par DUCLAUX des « paralysants » et qui ont pour effet de retarder cette décomposition de l'eau oxygénée; les sels acides et les acides organiques du vin agissent comme des paralysants énergiques. Aussi, pour toutes ces raisons, trouve-t-on des différences très sensibles entre le temps nécessaire pour faire disparaître une même dose de H2O2. A la dose de 1 litre d'eau oxygénée par hectolitre, certains vins ne nous ont donné aucune réaction au bout de 48 heures, tandis que dans d'autres la disparition totale de l'eau oxygénée a demandé 7 jours. Si on vient à détruire les diastases par une température élevée (70°), l'eau oxygénée disparaît alors beaucoup moins rapidement. Dans des vins ainsi pasteurisés, nous avons retrouvé encore une notable quantité d'eau oxygénée trois semaines après en avoir ajouté. L'oxygène mis ainsi en liberté par l'action des diastases sur l'eau oxygénée produit une oxydation du vin; celle-ci agit sur tous les corps oxydables du vin et en particulier sur les tannins et les matières colorantes. Le vin prend, lorsque l'oxydation a été complète, un bouquet et une saveur de vin oxydé plus ou moins intense, suivant la quantité de H2O2 ajoutée. Les goûts anormaux de fox, de pourri, etc., ont bien disparu, mais ils ont été remplacés par des produits d'oxydation qui ont, dans la majorité des cas, provoqué dans les vins traités un bouquet et une saveur aussi désagréables, sinon davantage, que ceux des vins non traités. M. PIEDALLU fait du reste les mèmes constatations en essayant l'emploi de H2O* comme traitement de la casse bleue des vins (1). Dans ces conditions, nous pensons que l'emploi de l'eau oxygénée doit rester sous le coup de l'interdiction générale portée par l'article 2 du décret du 3 septembre 1907 et qu'il n'y a pas lieu de souha ter que ce produit vienne s'ajouter à la liste des manipulations régulières autorisées par l'article 3 du même décret. L'INANITION ET LA COMPOSITION CHIMIQUE DU LAIT (2) Par M, Ch. PORCHER, Professeur à l'Ecole Vétérinaire de Lyon. Nole présentée à l'Académie des Sciences (Séance du 12 juillet 1920). Dans une Note présentée à l'ACADÉMIE DES SCIENCES (3) en 1879, LAMI reprend l'expérience de BOUSSINGAULT dans le but « de chercher si la fréquence plus ou moins grande des traites a une influence sur la production et la qualité du lait, la nourriture étant constante ». Il constata ce fait, qui est bien établi aujourd'hui, savoir qu'en multipliant, donc en rapprochant les traites, on augmente le rendement en litres du lait produit, ainsi que le rendement total en matière grasse. « Ces résultats semblent pouvoir s'expliquer de deux façons, dit LAMI: ou quand on trait plus souvent, on favorise la production des globules butyreux par la gymnastique fonctionnelle; ou quand on laisse trop longtemps le lait dans la mamelle, une partie des globules butyreux est résorbée et rentre dans la circulation comme élément combustible. >> Pour voir si cette résorption était possible, LAMI Soumet une vache au jeûne pendant un jour et demi, et voici les résultats qu'il obtint : De ces chiffres, LAMI conclut à la non-résorption des globules butyreux. L'expérience répétée une deuxième fois lui donna d'ailleurs les mêmes résultats. - (1) Revue de Viticulture · 1920 T. LII p. 383. (2) Extrait des Comptes Rendus de l'Aca témie des Sciences, t. 170 (juin 1920). p. 1461. (3) LAMI, Expériences sur la production du lait (Comptes rendus, t. 89, 1879, p. 259). Mes expériences sur la rétention lactée (1) viennent donner aux faits signalés par LAMI une tout autre explication. Le texte de LAMI que j'ai tenu à reproduire nous montre qu'il n'est pas douteux que cet auteur ait suspendu la traite chez son animal en même temps qu'il le soumettait au jeûne. Il a réalisé ainsi une expérience de rétention et les résultats qu'il obtint cadrent tout à fait avec les miens. Avec une rétention d'un jour et demi, la résorption de la matière grasse, d'ordre phagocytaire est relativement lente, et il n'est pas surprenant que LAMI n'ait pas constaté de différence très grande dans le taux de la graisse du lait avant et après le jeûne. C'est surtout sur le lactose que la différence porte puisque le taux de ce sucre passe de 5 % à 3,9 %. L'expérience de LAMI est citée dans tous les livres comme un bel exemple de l'influence de l'inanition sur la composition chimique du lait. J'estime qu'il y a là une erreur d'interprétation et, pour le montrer, j'ai repris la même expérience en ayant soin de procéder à la traite, et même j'ai tenu à multiplier les traites pendant les deux jours complets durant lesquels ma vache en lactation n'a pris aucune nourriture; de l'eau seule lui fut donnée. Le tableau ci-contre résume les résultats obtenus (je me suis contenté du dosage de l'extrait sec, de la matière grasse et du lactose, et de la détermination de l'abaissement cryoscopique (A), de l'indice de réfraction (n) et de la résistance électrique (r)) : Ces chiffres nous montrent que si la quantité de lait a diminué pendant les deux jours de jeûne, ce qui ne saurait surprendre, la composition chimique du lait, vue de son extrait dégraissé, de son lactose et de ses constantes physiques, par contre, n'a subi aucune atteinte appréciable. L'inanition limitée à deux jours complets n'a donc entraîné aucune modification analytique importante du lait; aussi ai-je raison de dire que, dans l'expérience de LAMI, c'est le défaut le traite qui seul est responsable des variations constatées par cet auteur dans la composition chimique du lait avant et après l'expérience; c'est au compte de la rétention lactée qu'elles doivent être mises, nullement à celui du jeûne. On ne saurait donc souscrire à l'explication de LAMI qui s'exprime ainsi << Si nous comparons le lait donné après celui qui a été analysé auparavant, nous voyons qu'il en diffère notablement, et qu'il se rapproche de celui des carnivores qui, en effet, contient moins de lactine et plus de matières protéiques. L'animal, en effet, pendant qu'il est à la diète, se nourrit de sa propre substance et devient ainsi carnivore. » La rétention lactée, avec toutes les conséquences qu'elle entraîne, suffit à nous donner la véritable raison des troubles de composition chimique signalés par LAMI. Un lait de rétention est un lait qui tend. à devenir colostral, à se rapprocher, par sa grossière composition chimique, du lait des carnivores. Si LAMI avait procédé à un examen cytologique, il n'aurait pas manqué de constater un apport phagocytaire important et l'apparition de corpuscules de DONNÉ. (1) CH. PORCHER, La rétention lactée (Comptes rendus, t. 170; 1920, p. 963). |