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de deux délégués de chacune des trois associations organisatrices Société des Gens de lettres, Cercle de la Librairie et Comité du Livre ; puis on se donna rendezvous à un deuxième congrès qui devait se tenir après la victoire.

Le Comité exécutif existe toujours, c'est lui qui a préparé le congrès d'aujourd'hui. Il s'est bien souvent réuni depuis 1917 et n'a épargné ni son temps ni sa peine, mais il se trouvait en présence, si nous avons bien comptě, de 109 vœux les plus divers ayant trait à toutes les questions soulevées par la fabrication, la vente et la diffusion du livre la plupart du temps il a dû se contenter de transmettre ces voeux à qui de droit, qui en a pris, comme on dit, bonne note.

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En somme, une extrême bonne volonté, un désir ardent de répudier les querelles d'antan et d'aboutir, un très noble souci de l'intérêt national, mais peu de moyens d'action: telle est l'impression générale qui se dégageait de ce premier contact entre artisans du livre.

Mais l'expérience était concluante : une entente était possible entre toutes les branches de la corporation, de l'auteur au typographe. C'est là qu'on devait chercher le remède à la crise du livre menaçante alors et dont on connaît les effets désastreux, tant en France que hors de nos frontières.

Il appartenait aux «< jeunes >>> jeunes », que la bataille avait écartés des travaux du congrès de 1917, de reprendre l'idée de leurs aînés en l'adaptant aux nécessités de l'heure ce fut l'oeuvre des organisateurs de la Semaine du Livre de novembre 1920.

La tâche leur fut grandement facilitée par l'esprit nouveau d'union et de concorde qui animait les intel lectuels. C'est une de leurs confédérations, la C. I. P. F. (Confédération de l'Intelligence et de la Production française), qui prit l'initiative de cette Semaine du Livre pour ce bon combat, elle eut aussitôt à ses côtés, toutes divergences d'opinion mises à part, la puissante C. T. I. (Confédération des travailleurs intellectuels) Premier avantage : les individualités faisaient place aux groupements.

Nous avons dit ici même autrefois le programme et l'organisation des travaux de la Semaine du Livre : nous n'y reviendrons pas. Constatons seulement qu'aux séances un progrès sérieux avait été réalisé la discussion des motions n'était pas générale, mais réservée aux seuls délégués mandatés des groupements, elle y gagna, sans aucun doute, en rapidité et en autorité. Pratiquement, la Semaine du Livre, inspirée par un réel désir de réalisations, aboutit à la création de plusieurs conférences permanentes, chargées d'étudier les rapports entre auteurs et éditeurs, les questions du papier, de la fabrication, de la vente, de l'expansion et de la publicité. Ces conférences devaient avoir concerté pour le printemps suivant un programme pratique d'action, et l'ordre du jour de clôture donnait aux congressistes cette consigne: « Le temps des voeux et des discussions est passé, la période des réalisations est ouverte : il faut réaliser au cours de l'année qui va commencer. » Même bonne volonté qu'au Congrès national de 1917, beaucoup d'enthousiasme même, gros effort d'entente et de liaison et, cette fois, des moyens d'action, les groupements étant solidement organisés; la Maison du Livre était née, l'Etat ayant accepté de participer aux travaux, et les conférences exécutives, munies d'un mandat impératif, étant spécialisées dans un programme restreint on marquait vraiment un pas en avant. Je reste néanmoins convaincu qu'en dépit de toutes les circonstances favorables, les résultats pratiques eussent été moins sensibles sans l'action personnelle de l'animateur précieux que fut M. Georges Valois; il n'était pas porté par son auditoire, il l'entraînait. Il serait à souhaiter que tous les membres de la corporation, en plus

de leur bonne volonté, fussent animés de la même foi agissante.

Les conférences ont travaillé tout l'hiver; c'est au deuxième .congrès que nous saurons leur œuvre. Ce congrès se tient, du 13 au 18 juin, dans l'immeuble du Cercle de la Librairie et il réunit, cette fois, les organisateurs du premier congrès (Société des Gens de lettres, Cercle de la Librairie, Comité du Livre) et ceux de la Semaine du Livre (C. I. P. F. et C. T. I.).

Six séances de travail sont prévues, où il sera parlé des matières premières, de la fabrication du livre, de sa vente et de sa diffusion, de la situation des écrivains, de l'expansion à l'étranger et des éditions musicales. La dernière séance, consacrée à l'étude des moyens propres à coordonner les efforts de tous ceux qui concourent à la production du livre, exposera l'œuvre réalisée par les conférences créées en décembre. Nous ignorons encore par quelles sanctions pratiques le congrès clôturera ses travaux espérons qu'il ne se contentera pas d'émettre des vœux platoniques, car on nous a promis une réalisation.

Comme en 1917, chaque question soumise à discussion sera préalablement exposée par un rapporteur. Parmi les rapports qu'indique le programme, les plus intéressants ou qui touchent les questions les plus actuelles nous semblent devoir être ceux de MM. Navarre sur le papier, Joseph Bourdel sur la vente et la diffusion du livre de littérature générale, Georges Valois sur «< la recherche des moyens (autres que les moyens commerciaux) propres à faciliter et méthodiser notre expansion intellectuelle à l'étranger », Max Leclerc enfin sur la concurrence étrangère.

Ce dernier rapport, dû à la plume d'un homme qui 'est un des précurseurs du mouvement actuel et qui fait honneur à l'édition française, apportera, nous l'espérons, des précisions indispensables sur les conditions de mise en vente du livre français à l'étranger. Si l'on veut lutter victorieusement contre la concurrence étrangère, il est en effet nécessaire de les améliorer sérieusement.

Nous rendrons compte des travaux de ce Congrès qui à tout le moins nous apportera un exposé matériel et moral de la situation. Il a été précédé la semaine dernière de réunions corporatives où chaque groupement, par rapport aux autres, a marqué ses positions celle des écrivains a pris le nom de « Congrès national des écrivains >>.

Sous la présidence successive de MM. Gaston Deschamps, René Bazin, Fernand Laudet, André Beaunier, des spécialistes ont tour à tour exposé la situation des écrivains depuis la guerre, leurs droits et leur rôle dans « la famille du livre » et conclu à la nécessité pour eux de s'unir plus étroitement que jamais pour obtenir les satisfactions qui leur sont dues.

D'accord. Mais ne l'ont-ils pas déjà fait ? Qu'est-ce donc alors que la Société des gens de lettres, ou mieux la C. T. I. Ni l'un ni l'autre de ces groupements, qui auront pourtant des délégués au Congrès du Livre, n'étaient officiellement représentés au Congrès des écrivains, qui nous semble avoir de ce chef, perdu de son caractère national et de son autorité. Cette réserve faite, il faut le remercier d'avoir par son initiative attiré l'attention du public sur une corporation moins riche, moins puissante et moins organisée que les autres, mais qui contribue bien un peu, n'est-ce pas ? à la fabrication du livre ? Au nom des écrivains, M. Beaunier a bien fait de rappeler aux éditeurs ce mot un peu amer de Sainte-Beuve: « Avec nos cerveaux, nous leur construisons des châteaux. » Ce sont de ces choses qu'en famille on se peut dire. Elles ne sauraient altérer la franche cordialité qui règne entre tous les membres de la corporation et n'empêcheront pas en tout cas les

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GEORGES GIRARD.

Au front d'Ismet pacha (1)

III

A Pazardjik, huit jours auparavant, Papoulas régnait en maître le gros village frémit encore à ce souvenir. Pendant neuf jours et neuf nuits, il vécut dans l'an-. goisse, attendant la mort. Le bazar est vide, mais vide au point de n'y point trouver une miette de sucre ou un bout d'étoffe. Les Grecs ont tout déménagé.

Abrahami, l'imposant notable dont je suis l'hôte, eut le coûteux honneur de loger le généralissime grec et son état-major. Il m'apporte un amas de papiers abandonnés dans la fuite, car le départ fut plus que rapide; parmi ce. fouillis se trouve une lettre du drogman Sawa, attaché à l'officier anglais Stow, ordonnant de préparer pour celui-ci un confortable logement auprès du général Papoulas. Mon jeune aide de camp s'empare du papier qui sera bientôt en lieu sûr et sera une preuve de plus entre tant d'autres preuves.

dats de la 1 division, troupes d'élite particulièrement bien équipées et armées: elles sont encore tout électri sées par la victoire; un escadron, qui vient aujourd'hui d'opérer sur le front, rentre en chantant. A l'extrémité du village, pas mal de maisons brûlées, des murs démolis par les explosifs. Sur ce tertre, Papoulas a failli être pris, c'est avec peine qu'il a pu fuir. Le soir vient: la population mâle s'est assemblée pour saluer « l'hôte ». Nous passons.

L'état major est venu partager un excellent dîner sorti de ses cuisines et nous vantons les mérites du Circassien qui le prépara. Bien entendu, il est toujours. question de la guerre et de la participation effective des officiers anglais à toutes les opérations récentes.. Ils ont dirigé l'artillerie grecque, atténué de leur mieux les erreurs de Papoulas, organisé partout les opérations: stratégiques. Peut-il être question, après cela, de neutralité? Personne ici ne l'admet.

Chaque, soir, Ismet pacha demande de nos nouvelles, se fait téléphoner le moindre incident du voyage et donné l'itinéraire du lendemain ; cette fois, l'état-major de la première division doit nous conduire très à l'avant..

Qui dira jamais ce que peut être en Anatolie le calme d'un village pendant les courtes heures du repos et l'anéantissement total de toute une population civile et militaire gagnée par un sommeil qu'aucun bruit ne trouble ?... Mais l'aube vient vite, un coup discret à mat

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Les gens de Pazardjik ont été relativement privilé-porte indique le départ prochain, déjà la voiture est giés, le feu mis aux quatre coins du village a mal pris: c'était de la besogne vite faite; ils éteignirent sans trop de peine au fur et à mesure; la plupart des maisons échappèrent à l'habituel désastre.

Avant-hier, Ismet pacha et Mustapha Kemal dormirent dans les petites chambres basses que nous allons occuper. Abrahami est un homme avisé : le bas de sa demeure regorge des denrées qu'il sut dissimuler à l'ennemi farine, légumes secs, sucre, huile. « Il y a de quoi nourrir plus d'un état-major. », ai-je observé à voix haute. Ma remarque a été traduite; Abrahami ne paraît. pas la trouver opportune.

Solennellement, sur le seuil de sa maison, il nous a, souhaité la bienvenue, mais, impatiente de secouer enfin la poussière du chemin, j'ai rapidement monté l'étroit escalier, suivie de près par mes compagnons de route. Cette hâte inattendue surprend sa femme, ses filles, ses servantes au plein du déménagement que notre arrivée impose. Alors, c'est ce que j'appelle toujours en pareil cas« la grande panique »: matelas, coussins, tapis s'effondrent sur le sol et, voulant fuir plus vite, les curieuses qui venaient d'observer notre entrée, perdent la tête, se trompent de direction, s'affolent et ont, involontairement, montré leurs visages aux officiers qui m'entourent. Abrahami n'est pas content; en quelques secondes, le désarroi a pris fin, la place est libre; il

retourne à sa sérénité.

Splendide sous le costume anatolien des grandes circonstances, il s'assied sur un sac de farine et nous tient un discours pendant que les hamals montent le bagage. Quelques instants plus tard, suivant le cérémonial de rigueur, les notables de Pazardjik entrent et s'installent autour de « l'hôte ». La causerie s'engage, chacun raconte ses impressions récentes avec le calme et la dignité qui conviennent; le hodja participe à ce congrès. C'est, du reste, toujours la même histoire: Pazardjik est un cantonnement très proche des premières lignes et les notables se demandent avec inquiétude si quelque retour offensif de l'ennemi ne pourrait se produire. Ils racontent les horreurs commises un peu plus loin, l'anéantissement des villages et des populations musulmanes.

Nous sortons. La rue principale est remplie des sol(1) Voir rOpinion des 4 et 11 juin 1921.

attelée, il s'agit de presser le paquetage et la toilette ! Nous sommes en route, le bel escadron évoluerat tout autour de nous pendant huit heures avec une hardiesse inouïe, escaladant à pic les pentes qui nous envir ronnent, les descendant à la même allure, manoeuvrant avec un ensemble, une précision incroyables. Souvent, il disparaît et nous le retrouverons plus loin, évoluant sur quelque plateau que nous découvrons derrière un tournant. Des fantassins appuient la manoeuvre, des batteries d'artillerie traînées par des mules canadiennes récemment capturées passent à toute vitesse sans qu'un seul élément de l'attelage ait bronché. Nous atteignons 1.200 mètres d'altitude; s'il n'y avait ces villages brûlés, ces dévastations navrantes, le spectacle. militaire serait l'un des plus brillants que l'on puisse imaginer. Simultanément, de tous côtés, les mitrailleurs entrent en action, l'escadron s'évanouit dans des replis. du terrain, les fantassins disparaissent sous la futaie et je me demande, pendant quelques instants, si nous sommes en manoeuvre ou dans la vraie guerre, l'ennemi est si près.

Nous nous arrêtons, à 15 kilomètres des lignes grecques, sur un petit sommet d'où l'on voit très clairement le détail des positions et l'adversaire. Guidée par les officiers qui m'entourent, je regarde à travers une forte lorgnette prismatique dressée sur un pied, le sillon des tranchées d'en face adossées à la montagne de Brousse. Tout autour les villages noircis par le feu, les décombres remplissent l'une des plus riches plaines de l'Asie Mineure. Je regarde l'incendie reprendre ça et là,

les Grecs continuent à détruire.

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Derrière moi, les soldats viennent de jeter sur l'herbe fine une grande couverture grise, nous nous asseyons la turque autour du thé qui vient d'être servi. Je remar que, une fois encore, la discipline et l'aisance des offi

ciers et de leurs hommes. Aucune servilité chez ceux-ci tude d'être obéis au moindre signe. Le danger si proche du respect; aucune. raideur chez ceux-là mais l'habi resserre le lien qui s'établit si vite entre ceux qui l'affrontent en commun. La première division forme une grande famille dont tous les membres sont solidaires, elle est réellement une formation de choix, l'orgueil d'Ismet pacha comme je le constaterai par la suite.

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Cette halte si brève va prendre fin en deux minutes,, the, couverture, lorgnette, tout a disparu. Un dernier regard sur l'Olympe, sur Inégueul qui brûle; l'on nie gronde doucement lorsque, avec la candeur inhérente au civil, j'abandonne mon léger abri pour contempler encore une fois la plaine toute proche. Les soldats qui gardent cette position se sont groupés autour de la voiture et, toujours encadrée, elle rentre vers Pazardjik.

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nouvelle en débarquant à Adalia. Ici, l'effet produit est d'autant plus vif que l'accord franco-turc paraissait être un fait accompli. La discussion s'anime, d'autres officiers arrivent, je maintiens énergiquement mes positions «< ce sont là des escarmouches, incidents locaux amplifiés par les dépêches » mais que l'argument me paraît médiocre à moi-même après tout ce que je viens de voir, à côté de tout ce que j'ai entendu, je ne lutte que plus âprement contre l'évidence!

Pour ces jeunes hommes voués corps et âme à leur

Après d'autres étapes, après Bozuk incendiée, après suprême effort, se défendant sans trêve ni merci, sans

Ineunu et les défenses qui entourent la voie ferrée, notre draisine vient d'entrer en gare d'Eski-Chéir; les trains militaires sont immobilisés pour nous laisser circuler sans risque.

Ismet pacha rentre ce soir d'une tournée aux avantpostes. Sur le terrain d'Ineunu, je l'ai repéré dans le lointain, à cheval, escorté par un seul officier d'ordonnance, inspectant les derniers travaux. J'apprends que demain nous déjeunons ensemble, les ordres sont déjà donnés.

A la gare, tout Eski-Chéir nous attend. Il faut, sans transition, s'adapter à l'ambiance d'une ville après avoir vécu en nomade dans la tenue des vraies expéditions, et c'est toujours un véritable effort. Pour me consoler des grands espaces momentanément perdus, mon jeune aide de camp m'emmène au quartier général où la musique militaire du général doit se faire entendre. Nous traversons la ville et je constate pour la centième fois combien elle s'est élargie. Elle renferme aujourd'hui une immense organisation militaire, c'est une cité du front, contenant un bazar proportionné à sa taille. Des colonies de réfugiés se sont attachées à ses flancs, un gros village tartare la borde. Dans quelques jours, sur la ligne ferrée qui conduit à Angora, j'aurai l'occasion de mieux voir ce que contiennent ses faubourgs. Chaque matin, vers six heures à la franque, je serai réveillée par la sirène qui appelle les ouvriers aux usines de guerre; Eski-Chéir est le noeud central de l'organisation d'Ismet pacha qui commande toute la résistance contre les Grecs, mais l'opération s'opérerait en quelques heures s'il était utile de reporter beaucoup plus loin le terrain des combats.

Je revois cette personnalité si impressionnante du nationalisme turc, nous avons été en confiance dès la première heure et je songe à nos entrevues prochaines tout en regardant autour de moi se déployer le grand mouvement des armes qui ne me surprend plus.

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Ce soir l'équipe des aviateurs me reçoit à sa table; ils sont une quinzaine, le plus vieux n'a pas vingt-huit ans, il est vrai qu'Ismet pacha, leur idole, n'en a guère que trente-sept. Il est absent mais l'on ne parlera que de lui.

Voici qu'il est déjà question d'une nouvelle offensive grecque, personne ne la redoute. « Ismet saura leur infliger un troisième Ineunu, tout est prêt pour les recevoir, ils entreront d'eux-mêmes dans le piège ». Les jeunes gens qui m'entourent ont deux passions : le grand chef dont ils citent chaque mot, dont ils sont si fiers, et leur métier plus périlleux ici qu'ailleurs car les appareils ne sont pas de la première jeunesse. L'audace des vols n'en est pas diminuée et j'ai suivi, ce même jour, longuement, la griserie de l'un d'eux, ivre de vitesse d'altitude, se jouant de la difficulté en vrai chamn de l'air, mais qui vient de prononcer le mot CiliLes visages se sont assombris.

et

pio

cie

Des officiers d'Ismet apportent les dépêches chiffrées reçues tout à l'heure, les Français ont attaqué à nouveau sur plusieurs points, malgré l'armistice. Békir Sami bey et la délégation apprendront demain cette

repos à l'arrière, sans espoir immédiat car ils savent tous combien la bataille sera longue, il n'est pas d'escarmouche, pas d'incident de guerre, partout, l'ennemi est l'ennemi et ils se refusent à comprendre pourquoi nous attaquons toujours.

Plus directement que leurs chefs, ils développent cette pensée avec une profonde amertume.

Ainsi qu'au premier voyage en octobre 1919, dans le nationalisme turc, je vais sans cesse entendre le mot Cilicie, les mêmes discussions vont se rallumer et, comme alors, mes arguments me paraîtront d'une extrême faiblesse.

Aux Courses.

BERTHE-GEORGES GAULIS.

La victoire de Ksar dans le Derby a été très populaire et cela pour des raisons multiples. D'abord on est toujours heureux de voir gagner le bon cheval et Ksar s'était incontestablement montré jusqu'ici le meilleur de nos trois ans. Il a confirmé dimanche ses performances antérieures, en battant très facilement tous ses adversaires. Nous avons recueilli les impressions de son jockey F. Bullock. « Il m'a semblé, nous a-t-il dit, que j'étais maître de la course pendant tout le parcours. Je n'ai eu qu'un moment d'émotion, dans la ligne droite, à quatre cents mètres du poteau. Mon cheval allait très librement; tout à coup, j'ai vu surgir Grazing que Stern amenait avec le sourire aux lèvres. Ah! ce sourire narquois de George Stern! Je pensais qu'une lutte acharnée allait s'engager mais Grazing s'effondrait tout de suite et j'ai pu amener Ksar au poteau sans être inquiété J'ajoute que le cheval n'était nullement éprouvé et je crois qu'il doit être meilleur encore sur 3.000 mètres »>. Nous reverrons Ksar dans le Grand Prix où sa rencontre avec Lemonora, le plus qualifié des représentants d'outre-Manche, excitera le plus vif intérêt.

Le résultat du Derby paraît donc absolument régulier, tout au moins en ce qui concerne le gagnant. Pour les places, il y a lieu de faire quelques réserves: Tacite a été très gêné au moment de son effort et Harpocrate qui finissait comme une balle, à une tête du troisième, a été pris dans une bousculade à deux reprises différentes. Ces incidents ont permis à Shake Hand de recueillir le bénéfice de la troisième place.

La fameuse casaque orange a donc triomphé une fois. de plus et ce fut une autre raison de la sympathie suscitée par la victoire de Ksar. Edmond Blanc, avec son coup d'œil admirable, avait deviné en Ksar le futur crack et il était décidé à l'acheter à n'importe quel prix. On sait qu'il se l'est fait adjuger pour 151.000 francs, prix record, à la vente des yearlings provenant du haras de Saint-Pair-du-Mont. Son épopée de sportsman avait commencé avec Nubienne, qu'il avait achetée également en vente publique et qui gagna, sous ses couleurs, le prix de Diane et le Grand Prix; elle se termine avec Ksar, dont il avait su deviner la carrière future.

Ce qui nous plaît encore en Ksar, c'est qu'il est le représentant type de nos vieilles races françaises. Tous

ses ascendants, jusqu'à la troisième génération, sauf Bijou importée d'Angleterre, sont nés sur notre sol. Son pedigree est caractéristique par la prédominance du sang de Dollar et l'imbreding sur Omnium II. En effet, Brûleur, le père de Ksar, a pour mère Basse-Terre ; par Omnium II et Bijou, Kizil Gourgan, la mère de Ksar, est une fille d'Omnium 11 et de Kasbah. Tressons une couronne de roses à M. de Saint-Alary, à qui revient le mérite de ce croisement et qui n'en est pas à son coup d'essai.

Cette journée du Derby a obtenu un succès éclatant,

Seules les couturières ont dû être légèrement déçues. Elles cherchaient vainement dans la foule une note claire de foulards légers, de mousselines vaporeuses, de soies aux couleurs chatoyantes. Point de tout cela. Nos. élégantes avaient, pour la plupart, une mise extrêmement simple. Elles étaient venues en automobile par une route poussièreuse. Peut-on, en de telles circonstances, arborer un large chapeau en paille de riz ? Et ne faut-il pas que la robe aille avec le chapeau ? Alors... adieu. flouflous et dentelles. LE PÈRE LA FRAISE.

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D'une guerre à l'autre guerre

LE CRÉPUSCULE TRAGIQUE

III

UNE PETITE-NIÈCE DE MME DE KRUDENER

Les amis ou les « habitués » de la comtesse de Chézery se tenaient obligés à la rigueur par la règle qui voulait que tous sans exception lui vinssent faire leur cour vers cinq heures, tous les jours,sauf le dimanche. Ce dernier jour était réservé à la famille, et les moins malveillants se demandaient avec un sourire équivoque ce que pouvait bien être la famille de Mme la comtesse de Chézery.

-Sa famille civile... disait Philippe, qui, ayant fréquenté jadis chez la princesse Mathilde, se rappelait la distinction assez impertinente établie par décret sous l'empire entre la famille personnelle de l'empereur et la famille impériale.

Quand un novice, passant le dimanche avenue des Champs-Elysées, hasardait de monter voir si la comtesse n'était point chez elle, le maître d'hôtel à mine de bedeau ne faisait qu'entre-bâiller la porte et répondait aut visiteur avec componction, mais d'un air légèrement scandalisé :

-Monsieur ne sait donc pas qu'aujourd'hui madame la comtesse est en famille ?

Mais, si l'on eût manqué sans excuse un seul des six autres jours, comme la maison avait je ne sais quoi d'un club, ce manquement aurait pu être pris pour une démission.

Lefebvre pouvait alléguer la meilleure des excuses : son fils était débarqué le matin. Il n'y songea même pas et fut aux Champs-Elysées comme de coutume, seulement un peu en retard. A vrai dire, il avait hésité de s'y rendre. Ses. scrupules étaient parfois d'un raffinement puéril dont, seul à seule avec sa conscience, il se moquait lui-même sans méchanceté. Il lui avait semblé d'abord peu convenable de vivre tout à fait comme à l'ordinaire, de ne rompre aucune de ses habitudes, le jour que son fils lui était rendu.

Ce qui l'avait déterminé cependant à ne point chômer ce jour de semaine, qui pour lui était bien un dimanche, ce n'est point le sentiment de la règle et de son devoir envers la comtesse. Ce n'était pas non plus la curiosité de voir cette princesse Lydie Tverskoï, dont elle lui avait annoncé pour aujourd'hui la première visite; ni le souci de s'épargner une petite mortification à laquelle il n'eût pas été insensible, si, l'un des plus importants parmi les familiers du salon Chézerý, il n'eût pas été présenté dans la première fournée à « cette petitenièce de Mme de Krüdener », comme disait la comtesse en hochant la tête. Mais il avait tout d'un coup ressenti un désir étrange, un peu honteux, de s'éloigner deux heures de la maison où son fils venait de rentrer, quoiqu'il doutât si la moindre absence ne serait pas offensante pour Rex.

Il avait même voulu oublier qu'il aurait pu sans le quitter aller chez Mme de Chézery, puisqu'elle lui avait dit hier:

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Amenez-le moi, je le veux.

Ce besoin d'isolement, un pareil jour, étonnait Philippe, mais ne l'alarmait pas. Il savait bien qu'en revoyant son fils, Rex, ou, comme de nouveau il se plaisait à le nommer, Philippe II, il n'avait été aucunement déçu. Tout au plus avait-il ressenti une légère surprise physique, qui n'était pas uniquement agréable, quand il s'était trouvé en présence d'un homme fait. Moins rebelles que les mères à l'ordre de la nature, les pères ne regrettent pas l'enfance de leurs fils; ils se réjouissent, au contraire, orgueilleusement, de les voir grandir; mais ils voudraient les retenir à cet âge que les anciens Grecs appelaient « l'âge ». Rex l'avait passé loin des yeux de Philippe, qui n'avait pu ainsi se rendre compte de la métamorphose qu'une fois achevée.

Mais combien, après une minute à peine de désarroi, Philippe avait aimé ce nouveau visage de Rex, cette carrure, cette franchise de la voix pleine, du regard droit, du geste net, cette beauté accomplie, dont la beauté de l'adolescent n'était que la promesse et l'esquisse! Et qu'à travers cette belle enveloppe il avait vu transparaître la belle âme! Il la comparaît, ainsi que Dante, à un lac sous le soleil d'aplomb elle resplendissait, tandis qu'aux lueurs frisantes de l'aube, elle ne faisait que miroiter. Il traduisait d'un mot son enchantement Rex n'était plus pour lui une énigme. Rex n'était plus le fils dont l'esprit n'est pas sûr.

En dépit de cette sécurité dont la joie lui était si nouvelle et d'un réconfort inespéré, qui sait? rien peut-être que pour la goûter mieux et se recueillir, Philippe avait voulu s'éloigner de la maison. Il s'était dirigé machinalement vers l'avenue des Champs-Elysées. Il sentait davantage, à mesure qu'il en approchait, ce bizarre contentement de soi que l'on se procure, quand on se force d'agir comme à l'ordinaire dans les circonstances d'exception. Il est malaisé de définir s'il entre dans ce sentiment plus de servitude ou de liberté jalouse, et si « n'en faire qu'à sa tête » signifie plutôt être son maître ou son esclave. Dans l'une ou l'autre hypothèse, c'est une sorte de plaisir de bravade, d'ailleurs assez vulgaire.

En mettant le pied sur la première marche de l'escalier, Philippe s'avisa qu'aujourd'hui justement, l'habitude qu'il n'avait point voulu rompre allait souffrir, sans qu'il y fût pour rien, quelques altérations. Lorsque, en effet, la comtesse de Chézery recevait une bête curieuse, le protocole de sa réception quotidienne était modifié, assez peu, mais suffisamment pour décourager ses intimes, qui, la plupart du temps, ne jugeaient point que l'inté rêt de la curiosité compensât le dérangement, et qui pestaient contre la corvée de cette cérémonie. La ména

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gerie ne se composait guère que de huit ou dix réguliers, et ce qui leur déplaisait plus quand elle ouvrait par hasard ses salons, c'était l'adjonction d'un nombre à peu près égal d'intrus. Elle les choisissait de la première qualité, ils n'étaient inconnus de personne et l'on avait même de l'agrément à les voir, à causer avec eux, mais on ne se sentait plus chez soi.

Une autre dérogation à la coutume, qui semblera de petite importance, mais qui suffisait à changer l'aspect et le caractère du salon, était que, ces jours-là, Mme de Chézery faisait servir le thé. Jamais, au grand jamais, on ne goûtait chez elle: non qu'elle y regardât; mais c'était un usage d'à présent et non du temps de sa jeunesse, et elle mettait sa coquetterie à n'être pas, comme on dit, « dans le mouvement ». Elle recevait, de même qu'elle s'habillait, à la mode de jadis. C'était sa. façon de se rajeunir. C'est la seule effective, et l'on ne s'avise guère qu'une femme est vieille, quand elle sait être à propos surannée.

On ne citait qu'un auteur dramatique, qui eût osé jamais demander à boire chez elle, les jours ordinaires. Cet original ne se piquait point, comme Socrate, de ne rien savoir que l'amour, mais de ne rien faire que l'amour. Il avouait même qu'en ayant passé l'âge, il avait tort de le faire aussi souvent et que cela le fatiguait. Dès qu'il arrivait chez Mme de Chézery, il se laissait choir dans le meilleur fauteuil, et disait :

Comtesse... (Presque tous les gens de théâtre s'imaginent, sur la foi de Dumas fils, que, dans le monde, on qualifie les gens titrés de leur titre, et rien n'était si comique à voir que le petit mouvement d'impatience, réflexe, de Mme de Chézery, quand cet auteur l'appelait << comtesse»>.) Comtesse, n'y aurait-il pas moyen d'avoir un verre de porto? Je suis exténué.

Et il donnait toutes les explications qu'on ne lui demandait pas. C'était alors, pour faire venir ce verre de porto, une cérémonie qui n'en finissait plus. La comtesse touchait un bouton de sonnette placé sur une petite table à côté de la bergère d'où elle ne bougeait point. On voyait entrer la gouvernante, qui était une ancienne amie de pension, honnête et qui avait eu des malheurs. La comtesse lui parlait tout bas, elle allait avertir le maître d'hôtel; et ce dernier apportait enfin, avec la même cafarderie que si c'eût été le vin de la messe, un verre unique de porto sur une grande assiette plate.

L'auteur dramatique le dégustait sans nulle vergogne. Quelquefois cependant, il avait la malice de dire à ses voisins, après l'avoir bu :

Vous n'en voulez pas? Il est excellent.

Mais Philippe savait qu'aujourd'hui le thé, les gâteaux et les vins seraient pour tout le monde, et servis sur une table à deux étages, devant le canapé-corbeille, sous le beau portrait de la comtesse du temps qu'elle était brine et penseuse.

Il savait aussi que les autres meubles seraient déplacés, le cercle agrandi, et le fauteuil le plus proche de la bergère où siégeait Mme de Chézery, ce fauteuil réservé d'habitude aux apartés et aux confessions, occupé par

la

visiteuse. C'est elle qu'il devait voir d'abord, en entrant, juste vis-à-vis de la porte; et quand il y songea, il fut soudain gêné de ne s'être point fait d'avance une idée de l'étrangère, comme nous faisons toujours quand nous entendons parler des gens avant de les rencontrer. Il décida qu'elle ne pouvait être qu'une réplique de Zoia Wieliczka; et quant il eut traversé l'antichambre,

vite

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irrité de l'encombrement des cannes et des chaux qui lui témoignait qu'il arrivait le dernier, quand cett e porte, enfin, s'ouvrit, il était sûr qu'il allait voir en Face de lui Zocia non point la Zosia d'à présent, mais la petite fille rencontrée il y a plus de vingt ans au grenier d'Auteuil, dans des circonstances point trop différentes de celles d'aujourd'hui. Il eut la surprise de

ne voir personne dans le fauteuil privilégié, et d'être accueilli par un cri unanime de déception, qui pouvait passer pour désobligeant.

On lui faisait ce qui s'appelle une entrée, et on ne lui dissimulait pas qu'on était charmé de sa venue, mais qu'on l'eût été davantage de voir paraître la princesse Tverskoï, outrageusement en retard. Ce n'était pas le ton de la maison, d'ordinaire assez gourmé. Tous ces hommes plus que mûrs semblaient une bande d'écoliers qu'on a retenus trop longtemps en classe et qu'on vient de lâcher pour la récréation.

Ils sont déchaînés, dit Mme de Chézery à Philippe, qui se penchait pour lui baiser la main.

Elle faisait mine d'en être choquée, et semblait s'amuser comme une petite folle.

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Si peu, madame, dit Philippe, que, plutôt qu'être exacts, tout peut leur arriver, même d'être en avance.

Il tourna la tête et aperçut, comme il s'y attendait, quelques figures inaccoutumées. Il avisa André Jugon, et il n'aurait su dire pourquoi, n'eut point plaisir à le voir. Il lui dit, presque sèchement :

Tiens! tu as le temps de faire des visites de jour? C'est toi, répondit Jugon, qui m'as recommandé de ne pas rater la petite-nièce de Mme de Krüdener. La petite-nièce de Mme de Krüdener était bien imprudente de n'être pas là. On ne la déchirait cependant point si cruellement que l'on n'eût pas manqué de faire dans un autre salon, ni surtout de la même manière. Sans doute les Parisiens qui l'attendaient avaient trop d'esprit et, par conséquent, de méchanceté indispensable pour se priver des atrocités qui sont de style dans ces sortes de conversations; notamment ceux qui n'étaient pas de la maison et qui, invités pour une fois, tenaient de leur devoir d'y briller et de payer ainsi leur écot.

Ils baissaient tous pavillon devant le directeur d'un grand journal du soir, de qui la dent était d'ailleurs plus fine que dure et qui ne faisait point d'éclats; mais on l'écoutait avec des sourires anticipés, et on se taisait pour ne rien perdre, au lieu que l'on couvrait la voix des autres, exprès. Il avait le tour d'esprit de Chamfort, qu'il citait volontiers, au point qu'on ne distinguait plus ses propres mots de ses citations, encore qu'il les avouât loyalement. Déjà fortement sur l'âge, il avait pourtant le genre de gaminerie qui, aujourd'hui par exception, était toléré chez la comtesse et s'exerçait aux dépens de la pauvre Tverskoï absente, brimée, ou plutôt blaguée, sous la surveillance de cette douairière qui tantôt lâchait et tantôt modérait ses hôtes. Mais la conversation, malgré ces fusées, avait un fond sérieux et presque un air d'enquête.

On profitait du retard de la Russe pour instruire très complètement de ses origines, de son caractère et de son histoire les personnes qui allaient avoir l'honneur de lui être présentées. Mme de Chézery, selon sa coutume, dirigeait avec une habileté consommée toute la procédure, sans y intervenir autrement que par des questions d'une telle simplicité qu'un nouveau venu se fût demandé si elle faisait la bête ou si elle l'était. Cette stratégie, élémentaire aux yeux des profanes, était au contraire aussi retorse et peut-être plus compliquée que celle d'un joueur d'échecs qui pousse ses pions. Elle savait distribuer les rôles et ordonner la mêlée de la conversation. Elle faisait donner ceux qu'elle savait qui avaient quelque chose à dire, mais prenait soin de les interrompre, pour éviter l'air de cours ou de conférence et pédanterie; ouvrant aux autres l'occasion d'une saillie, parfois à propos et plus souvent à rebours, afin de prévenir tout soupçon de trop d'arrangement.

toute

Sans que, pour ainsi dire, la galerie s'en aperçût, la

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