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Un défi à Carpentier.

On n'a pas pris au sérieux le défi lancé à Carpentier par un membre du Parlement anglais, le commandant Kenworthy. Mais le défi tient toujours, et il n'est pas dit que l'affaire de Dempsey étant réglée, Carpentier ne le relèvera pas, pour le plus grand bien de quelques œuvres de charitě.

Le commandant n'a d'ailleurs pas la prétention de battre notre champion, mais seulement de << tenir >> trois rounds: ce qui serait déjà bien pour un amateur. C'est que le commandant Kenworthy fut comme officier de marine, un as de la boxe: ses prouesses suffiraient à remplir un volume. En voici une entre mille. Alors qu'il était lieutenant, il vit arriver à bord un matelot qui avait « bringué ». plus que de raison. «< Retourne à terre, lui dit-il. Mais quand tu embarqueras ce soir, si tu es encore saoul, je te secouerai la trogne ».

Or ce matelot était aussi un fervent du ring. Délibérément il fit la tournée de tous les cafés du port et revint ivre-mort.

Alors le combat fut décidé. Il eut lieu sur le pont, le lendemain matin, en douze rounds. Le lieutenant s'en tira avec un œil au beurre noir. Quant au matelot il n'avait jamais vu tant de chandelles.

Les Majestés noires.

En Angleterre il n'est pas d'événement un peu marquant qui ne se puisse commenter par une citation de Shakespeare et c'est là un des jeux favoris de nos amis. A propos de la grève des mineurs un de nos confrères d'outre-Manche remarque que les mineurs anglais, obéissent à un mot d'ordre du grand Will: « Sur notre honneur, nous ne porterons pas de charbon ! »>

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Mais quoique à l'époque de la reine Elisabeth il fût certainement considéré comme dégradant de porter le charbon, les mêmes mineurs, avec un peu de bonne volonté, ne trouveraient-ils pas dans le même poète une indication plus sage et diamétralement opposée !

Affaires Extérieures

La transaction britannique

et la capitulation allemande L'histoire dira-t-elle que D. Lloyd George fut un grand homme d'Etat? Je l'ignore. Mais ce que nous savons, c'est qu'il reste un grand manoeuvrier parlementaire. Les Conseils suprêmes et les Communes britanniques s'inclinent devant la sagesse chevelue du druide gallois, avec une égale docilité.

Il avait été assailli de protestations et d'interpellations. Toutes les pièces de l'armée radicale-socialiste avaient tiré à boulets rouges. On l'accusait de capituler devant le Gaulois insinuant, de martyriser un ennemi vaincu, de sacrifier l'industrie britannique, de manquer au devoir puritain. Le 5 mai, D. Lloyd George prend la parole pour justifier et sa conduite personnelle t l'ultimatum allié. Les Communes l'écoutent avec déférence et l'acclament avec enthousiasme. Tous ses adversaires se lèvent, chacun à leur tour. Tous célèbrent la sagesse georgienne. Tous approuvent la poutique mi

nistérielle. Lord Robert Cecil, au nom des conservateurs dissidents, se déclare « complètement d'accord » avec le premier Ministre. M. Asquith, le leader des radicaux antiministériels, se découvre des tendresses insoupçonnées pour le traite de Versailles : « Le grand mérite des propositions, actuellement soumises à l'Allemagne, c'est qu'elles sont strictement conformes aux caractéristiques du mécanisme approprié, fourni par le Traité ». Mais elles sont également « supérieures à tous les projets du passé » en ce que leur rendement reste subordonné au rendement de l'industrie allemande, Au nom du Labour Party, M. Clynes proclame « qu'aucun des discours antérieurs de D. Lloyd George n'avait créé un accord aussi complet ». Il le félicite de s'être inspiré des solutions, qu'avait préconisées le parti ou

vrier.

Et comme J.-M. Keynes, dans un de ces élans, dont il connaît le secret, écrivit à la presse allemande, pour démontrer à ses coreligionnaires la nécessité d'accepter ces offres avantageuses; comme les Daily News de jeudi dernier s'associaient à cet appel, il semble bien que le divin Gallois ait réalisé le bloc intégral de l'opinion britannique. L'unanimité avait été moins grande, le jour où il fallut déclarer la guerre à l'Allemagne ou ratifier le traité de Versailles. Cette approbation générale est sans exemple. Comment l'expliquer ?

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L'ultimatum du 5 mai et la note du 6 constituent une transaction. Or toute transaction donne aux pensées britanniques des jouissances aussi profondes, qu'une œuvre d'art aux peuples Méditerranéens. Elle apparaît non seulement comme une création supérieure de l'esprit une consécration respechumain, mais encore comme tueuse des traditions anglaises. La conscience, l'orgueil, la sensibilité et l'intelligence de John Bull sont également satisfaits par cette adaptation des méthodes du négoce aux conflits de la politique.

M. Lloyd George a obtenu de M. Briand que l'occupation de la Ruhr fût ajournée jusqu'au 13 mai, c'est-àdire sine die. Car nos amis d'outre-Manche, toujours optimistes et toujours confiants, n'ont pas admis un seul instant, que le Boche, cependant rancunier, buté et lourd, pût hésiter à signer le contrat avantageux que lui tend M. Lloyd George, au nom des Alliés et surtout au nom d'une Angleterre unanime.

Si le malheur voulait que la « stupidité germanique >> dépassât, une fois encore, les limites de la prévision humaine, rien du moins dans les documents publiés, n'autorise le gouvernement français à transformer l'occupation de la Ruhr en une exploitation. Surtaxe à la sortie de la mine et participations dans les industries de la région : ces modes de paiement ont été écartés. Tous les efforts tentés pour démontrer la légitimité de ce prélèvement sur le capital industriel et l'efficacité de ce relèvement des prix de revient ont échoué. Pour s'en étonner, il faudrait tout ignorer des difficultés, où se débat le Royaume-Uni. Une poussée ouvrière ébranle-t-elle les assises de cette société hiérarchisée ? Non. Une crise économique, ébranle les bases mêmes de la vie industrielle. Depuis près de deux siècles, comme le rappelait André Lichtenberger dans la Victoire, la prospérité de l'Angleterre tient à ce que des mines de charbon, d'une richesse sans égale, à portée de la mer, lui fournis sent une force bon marché et un fret inépuisable. Cr voici qu'au moment où les Etats-Unis commencent à exporter le trop-plein de leurs puits, la hausse des prix de revient paralyse les exportateurs de charbons anglais. Si le coût de l'extraction reste en Angleterre supérieur à ce qu'il est en Amérique, si les Yankees continuent à chasser la houille britannique des ports sud-américains et extrême-orientaux, si la Ruhr suffit à alimenter les besoins de l'Europe Occidentale, la vie même de l'An

gleterre, ses usines et ses flottes, sont menacées aussi
directement que si le Kaiser
arrivé jus-
qu'aux portes de Calais... Pour Dieu! Ne touchons
pas
à la machine industrielle du Reich... Ne modifions ni la
direction des courants, ni la répartition des capitaux: la
moindre imprudence serait mortelle.

D. Lloyd George a calmé ces angoisses en écartant non seulement toute intervention dans l'industrie minière de l'empire allemand, mais encore tout afflux de capitaux liquides en Europe occidentale. La note du 6 mai reste calquée sur celle du 29 janvier 1921. Elle précise certains chiffres et certaines garanties. Mais elle n'accroît ni les versements allemands, ni les disponibilités franco-belges. Elle les réduit plutôt.

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.

et

[Le Temps a évalué les 42 premières annuités fixes variables à 334 milliards soit à 5 olo, en valeur ac tuelle, 122 milliards marks or.]

L'art. 2 prévoit, en termes généraux, la remise de bons au porteur, dont le montant sera égal à chacune des semestrialités.

[Le Traité de Versailles précise que l'intérêt sera payé sur la totalité de la dette (annexe 2 § 16).

5. Rien n'indiquait que l'Allemagne ne dût pas payer intégralement le solde des 20 milliards, dus avant le 1er mai, soit 12.]

6. La note affectait comme garantie la totalité des recettes douanières, centralisées par un receveur général.

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4. Il sera remis 3 séries de bons pour 12, 38, et 82 milliards de marks-or, Un intérêt de 5+1 0/0 ne sera payé que sur les 2 premières séries pour l'instant.

5. L'Allemagne paiera, dans les 25 jours, 1 milliard de marks-or, en or et devises étrangères.

1

6. Un traité de garantie,
dans lequel pourront figurer
les représentants des Puis-
sances, qui auront escompté

lera le versement des droits
de douane, des prélèvements
de 25 olo, des taxes directes
ou indirectes, affectées com-
me garanties.

alliée de juillet 1920. La France ne pouvait trouver une compensation que dans une mobilisation de la dette allemande ou dans une réduction de la dette interalliée ou dans l'amorce d'une politique allemande. L'ultimatum ne contient aucune allusion aux responsabilités du personnel allemand de 1914. De la dette interalliée, nul ne souffle mot, sauf la Westminster Gazette et J. M. Keynes, pour regretter que l'Angleterre n'ait point pris l'initiative de l'annueler. Quant à l'emprunt international, qui avait le double avantage de fournir à la Belgique et à la France des capitaux liquides, dont elles ne peuvent se passer, et d'intéresser d'autres Etats au remboursement régulier de la dette allemande, il est remplacé par la mobilisation éventuelle de bons au porteur à 5 o/o. Or, ils ne pourront être émis au pair. Qui paiera la différence ? Pour se procurer les capitaux nécessaires à la restauration des régions dévastées, la Belgique et la France devront-elles consentir à une réduction nouvelle dans le capital de leur créancé sur Berlin ?

Si du moins un avenant aux textes des 5 et 6 mai avait autorisé les deux Alliés, à couvrir les frais de leur mobilisation partielle, par la saisie de certains impôts, recettes. ou péages dans les régions occupées. Je l'ai cherché. Je ne l'ai point trouvé. Une fois de plus la Belgique et la France fourniront et les hommes et l'argent.

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Cette transaction bâclée avant le retour, au sein du Conseil suprême, des représentants des Etats-Unis, est aussi coûteuse que celle de Paris ou de Spa. Je ne crois pas, qu'une transaction américaine eût coûté davantage. Je suis sûr qu'elle nous eût valu des compensations supplémentaires et peut-être des garanties précieuses. Mais ni la diplomatie française, ni l'opinion française n'ont encore compris que la guerre de 1914 et l'intervention américaine sur le sol européen, tout comme la guerre de 1814 et la chute de Napoléon ouvrent une période nouvelle dans l'histoire du monde. Il faut arracher les œillères et élargir la vision. Mais nos politiques et nos professionnels en sont encore à 1815, sinon à 1870. Quand les hommes sauront-ils fermer les livres et regarder la vic, oublier et voir?

mande »,

X

Ce simple effort soulève des difficultés insurmonta bles. Le jeudi 5 mai, l'Association des Etudiants d'Oxford, par 88 voix contre 67, s'est prononcée contre l'alliance franco-anglaise. K. M. Lindsay, de Worcester les bons au porteur, contrô- College, a flétri la France qui « morcelle la patrie allesubventionne l'Impérialisme polonais », « signe un traité hongrois »>, mobilise les indigènes africains.« Dictateur militaire de l'Europe, elle menace l'équilibre européen ». Le succès de l'orateur a été tel que son adversaire, A. R. Wooley, de Wodlam, a renoncé à le combattre. Cette nouvelle manifestation de l'Université d'Oxford, livrée par une propagande française inexistante à l'action des germanophiles impénitents, attristera tous ceux qui, comme moi, ont passé sur les bancs de la « Cité grise ». Elle les froisse dans leur sens de la justice et dans leur culte de la vérité.

7. Livraison immédiate de matériaux et main-d'œuvre pour les régions dévastées. Leur montant sera reversé à la Commission en espèces, ou en coupons échus ou à échoir.

La précision, apportée au chiffre total de la créance allemande (132 milliards de marks-or), est compensée par l'incertitude qu'apportent la réduction des indemnités fixes et l'accroissement des indemnités variables. La sécurité que donne la création d'un comité de garanties, sans pouvoirs de gestion, ni de coercition, est compensée par la réduction des versements immédiats de 12 à 1 milliard de marks-or, plus les prestations en nature. Et ce milliard sera presque totalement absorbé par la priorité belge. M. Doumer ne touchera que des poutres et des briques. Le texte du 6 mai précise, sans l'améliorer, le texte du 29 janvier.

J'entends bien que l'ultimatum du 5 envisage l'occupation de la Ruhr, par une force alliée. Mais il ne s'agit là que d'une confirmation. L'occupation avait été prévue par la déclaration secrète du 29 janvier 1921 et par la note

Ces jeunes gens, eux aussi, ne savent pas oublier les livres et regarder les faits. Ils voient la France de 1810. Ils ne voient pas l'Allemagne de 1916. Et cependant, l'une est bien morte, l'autre toujours vivante.

Quelles sont les clauses de l'ultimatum qui ont provoqué la résistance la plus forte ? Les clauses militaires une simple réédition. Les clauses pénales un simple vou. Non seulement la note ne parle ni d'arrestations immédiates, ni de poursuites nouvelles. Mais encore, M. D. Lloyd Geogre a eu soin d'avertir les Communes que les criminels avaient pu librement quitter l'Allemagne et se réfugier à l'étranger.

Quel est le personnel qui a dirigé la résistance? Le Syndicat du Fer et de l'Acier, celui-là même qui, dans une réunion secrète tenue à Dusseldorf, en juin

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1914, avait avisé son royal actionnaire, Guillaume II, que seule une guerre immédiate pouvait éviter la faillite financière de l'impérialisme industriel.

Comment ces banquiers du pangermanisme concevaient-ils la résistance? Comme une opération militaire. Dès le 2 mai, un télégramme de Berlin, publié à Varsovie, faiblement démenti par la commission interalliée, annonçait que seuls les cercles de Pless et de Rybnick seraient arrachés à la Prusse, déclenchait la grève des mineurs polonais, provoquait des incidents sanglants. Le 5, les négociations commerciales germano-russes, après un long ajournement, aboutissent les bolcheviks ont enfin accepté de signer l'accord secret, qui les oblige, au cas où se poserait la question de Silésie, à exercer une pression sur la frontière polonaise. (Daily Telegraph, 9 mai.) Le 5, au soir, le chancelier Fehrenbach annonce au Reichstag que la Reichswehr est prête à intervenir. Le 6, le Syndicat du fer et de l'acier « demande énergiquement que les troupes allemandes entrent en action, avant qu'il soit trop tard ». Le 8, la Wilhelmstrasse invite les Alliés à « déclarer s'ils ont l'intention de fournir les effectifs militaires nécessaires au rétablissement de l'ordre ». Le 9, le Quai d'Orsay répond que la Commission interalliée n'a aucunement besoin d'une aide extérieure et que la Reichswehr ne

saurait franchir la frontière sans violer le traité de Versailles.

La mobilisation de la classe 19 soulignait la valeur de cet avertissement. La France, une fois de plus, depuis septembre 1920, brise le complot pangermaniste et sauve la paix européenne.

Les raisins sont encore trop verts. Il faut laisser au soleil du prochain été le temps de les mûrir. Cet excellent jardinier, J. M. Keynes -il l'a promis en hâtera les effets bienfaisants. Et par un de ces soudains revirements, dont la politique allemande garde le secret, les pangermanistes ajournent l'explosion du complot et ouvrent la porte à leurs adversaires. La signature du traité de Versailles leur a valu une retentissante défaite. L'acceptation de l'ultimatum du 12 mai achèvera de la déconsidérer. Centristes, démocrates, sociaux démocrates ne disposeront que d'une majorité précaire. Ils seront à la merci des indépendants. Un coup de surprise les jettera à bas.

Derrière ce paravent, il sera facile, en exploitant la lassitude britannique et les divisions interalliées, de continuer à préparer la restauration des Hohenzollern et la revanche de la force.

JACQUES BARDOUX.

Moeurs électorales italiennes

La dissolution de la Chambre italienne était un fait attendu. Nul n'a été étonné de voir M. Giolitti renvoyer dans leurs circonscriptions des députés qui, pendant deux ans, n'avaient pas brillé par leur esprit de suite. Et le gouvernement, à peine publié le décret royal qui convoquait les comices électoraux, s'est mis à l'œuvre. Voilà huit ans que M. Giolitti n'a pas « fait » d'élections législatives. Célèbre comme créateur de majorités solides et nombreuses, allait-il, cette fois, manquer à sa réputation? Il semble bien qu'il ait apporté à préparer les élections de 1921 l'habileté qui lui était unanimement reconnue avant la guerre. Il y a pourtant une nouveauté qui aurait dû le prendre au dépourvu, car le scrutin de liste avec représentation proportionnelle n'a rien à voir avec le scrutin d'arrondissement. M. Giolitti s'est parfaitement adapté au lieu de soutenir des candidats isolés, il a soutenu des listes de candidats; mais auparavant il en a dosé la composition avec une prudence et une circonspection rares. Il a refusé de laisser admettre dans la liste dite « officielle » n'importe lequel de ses ennemis

notoires. Son « exclusive » avait une importance capitale, puisque les listes gouvernementales étaient celles du bloc libéral-démocratique ; c'était lui qui avait eu l'idée de grouper en un faisceau compact les forces antisocialistes et anticommunistes; deux ans après la France, on créait ici le bloc national. A ceux qui n'étaient pas admis dans ce bloc, il était difficile de faire bande à part leur initiative était vouée à un échec certain. C'est ainsi que M. Gioletti a éliminé de la lutte électorale quelques-uns de ses adversaires les plus implacables M. Giretti à Turin, M. Gallenga à Pérouse, M. Ruini à Modène, M. La Pegna à Cortone.

:

Presque tous ceux qui ont dû ainsi renoncer à se présenter sont des amis de M. Nitti. M. Giolitti fait les élections plus encore contre M. Nitti que contre les communistes. Il y a entre ces deux hommes, qui ont collaboré autrefois, une haine tenace. Dans le fief même de M. Nitti, la Basilicate, se présente une liste ministérielle qui combat l'ancien président du conseil avec une extrême violence. Celui-ci sait d'ailleurs se défendre; la lettre qu'il a envoyée à ses électeurs, bien que trop apologétique, met les choses au point: il est faux de dire que M. Nitti soit responsable du gâchis actuel, puisque c'est lui qui a créé de toutes pièces le corps de police (guardie reggie) qui est, en ce moment, le meilleur soutien

de l'ordre.

Mais cette querelle personnelle n'intéresse pas, à vrai dire, la majorité des électeurs. Le bloc national s'est créé sur l'initiative du président du conseil... et aussi sous l'impulsion des « fascisti ». La curieuse physionomie des élections de 1921 vient, en effet, de ce que le << Fascio » y joue un rôle prépondérant. M. Giolitti sait très bien, du reste, que ces anciens combattants n'ont pas grande sympathie pour lui; c'est bien à contrecœur qu'il leur a laissé un certain nombre de places dans les listes du bloc.

Le « Fascio » est né de la réaction violente contre les agitations communistes, contre ce qu'on appelle en italien la « prepotenza » collectiviste. Voilà quatre ou cinq mois que les affiliés des Bourses du travail ne sont plus les maîtres de la rue : les petits bourgeois, furieux de ne plus pouvoir aller au café en toute tranquillité ou prendre le train quand il leur plaisait, décidèrent de s'enrégimenter, eux aussi, et de donner une leçon à ceux qui troublaient leur existence pacifique. Le noyau du « fascio», ce furent les anciens « arditi » et les étudiants, auxquels vinrent s'ajouter des représentants de la moyenne et de la haute bourgeoisie. Un Romagnol ardent, interventiste de la première heure (et ancien socialiste) prit leur tête: Benito Mussolini. Aujourd'hui, ce sont les «< fascisti » qui sont les maîtres de la rue. Ils n'attendent pas que la police intervienne : ils se font justice eux-mêmes. L'aventure du député socialiste, M. Modigliani, en dit long sur les impitoyables << sanctions » du « fascio ››.

Le 2 mai, les « fascisti » de Pise apprirent que des communistes avaient tué, à Viareggio, un des leurs, dans un guet-apens. On décide aussitôt l'expédition vengeresse. Les uns partent en auto-camions, les autres par le train; ceux-ci se trouvant, par hasard, dans le même compartiment que M. Modigliani, socialiste, dont la longue barbe est légendaire, on devine aisément que le voyage de ce pauvre député en fut très troublé; les gourdins des « fascisti » s'aplatirent sur son dos et sur ses jambes; M. Modigliani était roué de coups pendant que, dans les couloirs, on faisait une ovation au fils de Sauro, le compagnon de Battisti, fusillé pendant la guerre par les Autrichiens. L'« onorevole » sortit très mal en point de la bagarre; on dut le transporter à l'hôpital de Viareggio; les « fascisti » ne le quittèrent qu'à la porte, après l'avoir abondamment sifflé."

Des événements de cette nature se produisent tous les jours; il n'est pas de communiste ou de socialiste no

toire qui n'ait eu maille à partir avec le « fascio». Au moins cela a-t-il valu à l'Italie un re mai relativement tranquille. La peur des coups de bâton est le commencement de la sagesse. L'année dernière on n'avait vu, à travers les villes, que de longs cortèges d'ouvriers avec des drapeaux rouges; cette année, pas une manifestation ; les trains fonctionnèrent régulièrement et aux fenêtres on ne vit que des drapeaux tricolores.

Sans aucun doute, donc, le « fascio » a rendu de très grands services à l'Italie. Il est le ciment du bloc national; il représente la jeune Italie, désireuse, à la fois, d'ordre et de larges réformes sociales. Si les socialistes reviennent moins nombreux à la Chambre, c'est à lui que ce sera dû. Malgré la répugnance qu'il y avait, le gouvernement a été obligé de s'appuyer sur lui; dans les partis libéraux et démocratiques c'est la seule force organique. Il faut espérer qu'après la période actuelle, qui n'est faite que de combativité, les « fascisti » élaboreront un sérieux programme de reconstruction; s'ils savent le faire, ils auront une place importante dans la politique italienne de demain.

J. ALAZARD.

NOTES ET FIGURES

Emblèmes électoraux.

« De l'influence de la représentation proportionnelle sur les beaux-arts en Italie >> : ce n'est pas, comme on serait d'abord tenté de le croire, un pendant à « l'influence du vol des moustiques sur la vertu des jeunes Mexicaines » ou à celle « des vents alizés sur le régime des courbes hélicoïdales » chères à d'innombrables générations de polytechniciens hilares. C'est l'expression d'une vérité stricte. La proportionnelle intégrale qui va pour la deuxième fois fonctionner demain en Italie, à l'occasion des élections législatives, a vruiment fait fleurir une branche nouvelle d'art décoratif l'art du bulletin de vote.

L'électeur italien, en effet, ne dépose pas dans l'urne comme son collègue français une liste de dix, quinze ou vingt noms, il y dépose un bulletin portant un emblème électoral. Ainsi l'illettré peut choisir lui-même son bulletin de vote, dans le mystère de l'isoloir. Et les candidats astucieux qui faisaient distribuer aux portes des sections des listes adverses, où ils avaient glissé un nom appartenant à une autre liste (ce qui, e panachage étant interdit, rendait nuls ces bulletins) n'abuseront plus les électeurs distraits. distraits. L'emblème triomphe de la fraude.

La symbolique des emblèmes italiens mérite d'être étudiée d'aussi près que celle de nos escadrilles d'aviation ou de nos sections automobiles au cours de la grande guerre. Il y a là un amusant sujet de thèse de doctorat.

Les socialistes, dès le début de la campagne électorale, n'hésitèrent pas et choisirent, comme en 1919, l'emblème des soviets marteau et faucille croisés. Mais les communistes veinient et ils revendiquèrent l'emblème. Les socialistes durent ajouter un livre au marteau et à la faucille.

La croix est l'emblème des catholiques, mais, en bons démocrates, ils y ont ajouté en exergue le mot Libertas. Quant aux fascistes, comme leur nom le suggérait, ils ont choisi le faisceau des licteurs romains surmonté de la hache.

Mais c'est chez les libéraux que l'on trouve la diversité et l'imagination les plus dignes de remarque. La vie chère a inspiré de nombreux artistes, qui ont exécuté des variations sur le thème : « Votez pour notre liste et l'abondance règnera >> : les épis, les grappes,

les charrues abondent dans les circonscriptions du Nord comme dans celles du Midi. Souvent à l'idée d'abondance se mêle l'idée de paix et celle de travail fécond et pacifique. Et l'on a ainsi les listes « Epi, grappe, branche d'olivier », « Faux, râteau, grappe >>, << Charrue, deux bœufs, laboureur, épi et soleil » (cette dernière peut-être un peu chargée), « Pelle et pic » et la liste gênoise « Ancre et épi »>.

Une autre série d'emblèmes vise à affirmer l'éclat du parti qu'elle symbolise. C'est une étoile à cinq ou à huit branches, c'est un flambeau seul ou au bout d'une main ou accompagné d'une enclume, c'est un phare, c'est une cloche, c'est un soleil.

Il y a aussi la série romaine l'aigle impériale, les ailes étendues ou repliées, un drapeau au bec ou au bout de ses pattes crochues; la série guerrière, variations sur le casque du poilu: Casque et charrue, casque et aigle.

Il y a la série régionaliste : le lion de Saint-Marc à Vérone, la Trinacrie ailée et non ailée en Sicile, les armes de Messine, ou, à Mantoue, la tête de Virgile.

Il y a enfin la série fantaisiste les trois anneaux, la feuille de lierre (qui doit signifier constance à ses idées), le coq ou les mains croisées. Dans cette série, l'imagination napolitaine l'emporte naturellement, comme il fallait s'y attendre: voici d'abord la liste du brochet qui avalera toutes les listes concurrentes, celle de la couronne destinée aux triomphateurs, celle de arrivera bon premier au poteau. l'hélice d'aviation, et enfin celle du cheval au galop qui

craties n'encouragent pas les arts! Comment, après cela, répéter encore que les démo

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BENJAMIN CRÉMIEUX.

Paris fête la bonne Lorraine.

Dimanche dernier, pour la première fois, Paris célébra officiellement la fête de Jeanne d'Arc. Depuis quelques années cette fête prenait, par les initiatives privées, de plus en plus d'importance. L'estampille gouvernementale ajouta des discours ministériels, des décorations et illuminations de monuments publics, donna une franche allure, perdant tout caractère provocateur, à certains enthousiasmes particuliers. Ce peut et doit devenir encore plus une fête de réconciliation générale et aussi de conciliation. L'historique de la popularité de Jeanne d'Arc dans la mémoire des Français est symptomatique. On sent que le peuple de France la façonne avec les siècles, d'abord lentement, puis avec élan brusqué au XIXe siècle, à son effigie idéale. La voici vraiment nationale, et non moins humaine peut-être si l'on veut bien maintenir avec l'auréole légitime de la légende, les traits réalistes de son existence tourmentée, anxieuse, contrariée, harcelée de vilains coups du sort, héroïquement têtue, puis odieusement suppliciée. Quelle leçon de haute tolérance 'en dégage! Cela, c'est une manière de la fêter en la paix philosophique du cabinet pour les quelques Montaignes de notre temps, s'il en est encore. Mais ils auront arboré à leur fenêtre un drapeau pour prendre une part symbolique et matérielle à la réjouissance populaire.

Ils auraient fait mieux encore de descendre dans la rue. Il est bon de ne point toujours se confiner dans une cellule d'égotisme. N'ont-ils pas entendu les clairons des retraites aux flambeaux, la veille au soir, les fanfares des cortèges du matin et les grandes orgues des messes solennelles, les appels de fêtes de l'après-midi, et en fin de cette radieuse journée, la proclamation d'un défilé devant ressusciter l'effigie humaine de la Pucelle ?

Voici le cortège traditionnel, nombreux, accru qui, fleuri de bannières et de couronnes, de palmes et de fanions, serpente, en bel ordre, dé la statue de la place Saint-Augustin à la statue de la place des Pyramides.

Sous le porche de l'église pavoisée, au seuil d'une nef pointillée de lumières, la procession des prêtres en chasuble d'or s'est arrêtée, groupée sur les degrés, bénissant fidèles et infidèles. Parmi des portiques de feuillages et des treilles de lampes électriques pour l'illumination de la soirée, la Jeanne de bronze reçoit les hommages floraux et les saluts des pèlerins marchant militairement. Des ballons blancs et bleus volent vers les nues pour redescendre ailleurs sur la terre au hasard de leur destinée personnelle de dégonflement et y porter la joyeuse nouvelle de Jeanne d'Arc fêtée magnifiquement à Paris.

L'après-midi ce furent surtout des divertissements de quartier, fêtes villageoises par quoi les arrondissements de Paris font du régionalisme. Il n'y er. a pas qu'à Montmartre. Le quinzième se souvint d'avoir été la commune libre de Vaugirard. Il organisa une printanière promenade de chars parés de jeunes femmes et de joli muguet, et aussi de jeux sportifs. Jeanne d'Arc n'était là qu'un prétexte.

Elle fut le soir en pleine apothéose personnelle dans le sixième arrondissement. On prit la place Saint-Sulpice pour point de départ et de rentrée d'une cavalcade historique fort réussie. Ce n'est cependant point un lieu où les raisons d'évoquer Jeanne d'Arc soient péremptoires. De fait, le décor s'harmonisa suffisamment sous les feux de Bengale, les fusées éclairantes, les rampes de gaz, les lampions aux façades des maisons. Les costumes des figurants (mais les costumes ne semblaient pas décrochés des vestiaires de théâtre non plus que les figurants n'étaient échappés des coulisses) firent merveille à toutes des lumières fixes et volantes. On eut une impression générale favorable à l'illusion rétrospective et c'est le rare 'du rare en ces occasions-là ! Les nobles seigneurs à cheval et à pied, ainsi que les manants et les bourgeois défilèrent portant en eux et hors d'eux, imposant à un pùblic respectueux et zélé, une conviction que ne peuvent plus avoir des professionnels. L'attitude des jeunes Lorraines, soutenant le mai et attachées à ses rubans, fut charmante et digne. Quant à Jehanne elle-même, il faut la féliciter sans réserve de sa réserve même, de la pureté de sa ligne de cavalier chevauchant comme recueilli dans le triomphe, de la vraisemblance d'un visage naïr, grassouillet du nez et des pommettes, et un peu garçonnier. LEGRAND-CHABRIER.

Vente après décès.

Un journal d'outre-Manche The Sunday Times publie un relevé des prix payés par les Anglais contemporains de Napoléon à la vente de ses reliques. Ils achetaient avec rage, et sans marchander. Quelques-uns d'entre eux, de son vivant, escomptaient la fin de l'empe

reur et formaient des voeux bizarres : « Toutes nos caricatures de Bonaparte, écrivait en 1801 Thomas Campbell, sont teintées de son sang... c'est qu'elles représentent le plus souvent son cerveau et son cœur. Espérons que nous posséderons bientôt les originaux ».

Après Waterloo, il fut de mode chez ses ennemis, d'acquérir un objet ayant appartenu à Napoléon. Le captif n'était déjà plus de ce monde ; son éloignement, le drame de sa fin, ne donnaient-ils pas plus de valeur à tout ce que, jadis, il avait touché?

En 1819 un « groupe d'élégants » se rendit avec empressement au « Musée de Piccadilly » pour assister à la vente de la voiture du vaincu et de divers objets dont il s'était servi à l'époque de sa dernière bataille. La vente produisit des prix « inespérés ». La voiture seule atteignit 160 guinées (4.000 fr. environ). Ce prix parut énorme; une jumelle de théâtre cinq guinées ; une chemise deux livres ; un vieux mouchoir une guinée, etc....

En 1822, une partie de la bibliothèque de l'empereur à Sainte-Hélène fut acquise par Martin Bossange and C°, puis revendue l'année suivante (le 23 juillet 1823) chez Sotheby 450 livres. Cette bibliothèque assez riche, contenait des ouvrages portant la signature du captif, et dans un exemplaire de Donon Voyages en Egypte, un plan de la bataille d'Aboukir dessiné par lui. On vendit le même jour la canne de Napoléon, d'écaille et d'or, contenant, dissimulée dans sa partie supérieure, une petite boîte à musique, jadis offerte par le Président des Etat-Unis à l'empereur, elle passa par la suite entre les mains de M. Orfila, elle ne se vendit en 1823 que 37 guinées.

La voix d'un Anglais s'éleva alors avec rage, contre la mode qui poussait ses contemporains à s'enrichir des dépouilles du souverain mort, il disait : « Nous sommes menacés d'un envahissement de Bonapartiana, livres, tableaux, tabatières sans compter le reste, tout cela successivement a surgi et en dernier lieu, ô merveille, la canne de Bonaparte, la propre canne avec laquelle il bâtonnait chacun à leur tour, ses maréchaux, depuis le vigoureux Lannes, jusqu'à Marmont soumis. » Il semble dans les exclamations haineuses, on perçoive comme un écho de lointaine jalousie: Napoléon, mort, fait encore frémir

ses ennemis.

que

Les objets personnels de l'empereur furent partagés entre ses frères. Une caisse de livres échut à Jérôme qui en fit don au baron Stolting, gentilhomme à son service. Après lui, et après sa veuve, ils allèrent à la fille adoptive de celle-ci : Fraulein Malvina Fischer; malgré ces nombreux avatars, la bibliothèque particulière de Sainte-Hélène revint à Londres où elle fut achetée, en 1894, par M. Bam. Les livres qui la composent sont marqués du sceau de Napoléon, reliés à ses armes, et contiennent de nombreuses notes, en marge, de sa main.

La collection de M. John Sainsbury exposée à l'Egyptian Hall de Piccadilly, et formée de dix mille pièces napoléoniennes, fut célèbre en 1845, et cataloguée, mais dispersée en 1860 dans une vente. D'autres amateurs ont réuni des collections intéressantes de la même époques. Ces collectionneurs sont le plus souvent Américains, et il faut le déplorer. Il semble que les souvenirs qui sont les vivants témoins de notre histoire nationale ne doivent pas quitter le pays, et que les amateurs qui les réunissent avec ferveur et mille recherches ingénieuses, doivent songer à en assurer, après eux, la possession à la France.

D'ailleurs il est à craindre que parmi les meubles de Longwood, quelques-uns n'aient jamais eu de place dans la maison de l'exilé: Longwood ne saurait, s'ils étaient réunis, les contenir tous. Un catalogue du mobilier fut dressé, cependant, pour servir aux enchères qui eurent lieu à Sainte-Hélène du 1er avril au 12 août 1822. Il appartient à M. Harvey qui l'acheta 86 livres en 1901.

On ne peut songer sans mélancolie à l'avidité de ces amateurs britanniques qui éprouvent un goût si vif pour les souvenirs du vaincu...

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