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C'est dans ces conditions matérielles plutôt fâcheuses que la Maison du livre a jusqu'aujourd'hui fonctionné : encore doit-elle s'estimer heureuse de si tôt pouvoir essuyer ses plâtres; les plus optimistes n'osaient en prévoir tant, il y a seulement un an.

A cette époque, le local était encore à trouver. L'emplacement rêvé appartenait à la ville, qui était parfaitement libre d'en refuser la concession; les négociations nécessaires, encouragées par le ministère du commerce, furent engagées en mai 1920. Elles ne traînèrent pas en longueur : dans le courant du mois, le Conseil municipal, sur le rapport de M. Godin, approuvé par M. Le Corbeiller, dont on ne saurait oublier l'intervention, votait généreusement la désaffectation de toute la partie du marché Saint-Germain regardant la rue Félibien et sa location à la Maison du Livre français. En juin, le bail était signé.

Mais ce n'était pas tout que d'avoir le local: il fallait, suivant un plan établi, l'aménager grosse opération, puisqu'elle ne comportait rien de moins que la création de deux sous-sols, la réfection entière du rez-de-chaussée, la construction d'un premier étage sur toute la surface du bâtiment et celle d'un deuxième étage sur une des ailes seulement opération coûteuse, puisqu'en raison de l'augmentation des prix le devis de construction, qui montait primitivement à 700.000 francs, s'est vu porter à 1.400,000 francs.

Le jour même de la prise de possession - 20 juillet 1920, on se mettait à l'ouvrage : fouilles, fondations, découverture et enlèvement de la vieille charpente étaient rondement menés; le 25 août on coulait en béton le plancher haut du sous-sol; en janvier, le gros œuvre était terminé; à l'heure actuelle, il ne reste plus qu'à procéder à des détails d'installation intérieure, principalement dans l'aile réservée à l'Ecole de librairie et ces travaux ne sauraient en tout cas entraver le bon fonctionnement des services commerciaux et administratifs.

Il y a huit jours, la veille de leur installation, le secrétaire général, M. Jean-Paul Belin, avait l'amabilité de me faire visiter la maison.

Elle comprend donc un corps de bâtiment central sur la rue Félibien, flanqué de deux pavillons faisant l'angle des rues Clément (aile droite) et Robineau (aile gauche). Construit en pierre et briques, l'immeuble mesure 70 mètres de longueur, 13 mètres de largeur et 12 mètres de hauteur.

Son rez-de-chaussée entier est occupé par le servicc des transports. La partie centrale du premier étage est affectée à la commission et à la comptabilité, son aile gauche à l'école de librairie, une pièce étant réservée au futur musée du livre, son aile droite aux bureaux du chef comptable, des directeurs et du secrétaire général ; on a eu la très bonne idée d'aménager en plus une salle de correspondance, où les libraires de passage à Paris pourront venir faire leur courrier et téléphoner. L'aile droite seule est surélevée d'un deuxième étage où se trouvent le bureau du conseil d'administration et le logement du gardien.

Dans la partie centrale du premier étage et du rez-dechaussée se trouvent des casiers affectés à tous les correspondants et clients de la Maison du Livre, sortes de boîtes aux lettres individuelles, où sont déposés les colis qui leur sont adressés par les éditeurs. Ces casiers démontables groupés par 20 (5 dans la longueur et 4 dans la hauteur) sont en tôle et ne mesurent que o m. 75 de côté, double commodité fort appréciée.

Toute l'activité matérielle de la maison est, autour de ces casiers, concentrée au rez-de-chaussée, lieu de transit des colis expédiés par les éditeurs aux libraires. Entrant par l'aile droite et sortant par l'aile gauche, ils subissent en cours de route des opérations de manutention, triage et emballage, qui s'exécutent avec un maximum de rapidité on a été jusqu'à surélever le sol pour permettre l'accès à quai des voitures à charger ou décharger.

Près du quai de départ, un emplacement vide et qui, il faut l'espérer, ne le restera pas longtemps: celui du bureau de chemins de fer qui, à la sortie, enregistrera les bagages et percevra tous les droits, de manière que, sans interminables stations à la gare, les colis puissent directement passer des camions dans les wagons. L'idéal serait que ce bureau de chemin de fer fût doublé d'un bureau de poste à proximité de l'immeuble, comme il y en a un à Leipzig: la chose n'est pas impossible. Je viens de prononcer le nom de Leipzig: face à la puissante organisation allemande, voici donc un premier centre de résistance édifié et occupé. Mais ce n'est là qu'un début. En raison des services qu'elle rend, la Maison du Livre français, située au cœur de la rive gauche, en plein centre du quartier de l'édition et de la libraire, est appelée à prendre une importance toujours plus grande et à s'étendre matériellement, si on la veut pourvue de tous ses moyens d'action.

...

M. Scarron ne reconnaîtrait plus aujourd'hui le champ de ses exploits. Qui sait si, dans quelques années, il pourrait même en retrouver la place?

Adieu, Peintres, adieu Linguiers!
Adieu, la Foire Sainct-Germain!

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L'embarquement s'était opéré sans incident, à bord du grand paquebot italien et pourtant, le ciel seul saura jamais ce que les innombrables services des renseignements qui pullulent à Constantinople ont dû travailler sur cet événement sensationnel: un départ pour Angora ne cherchant même pas à se dissimuler et, fait inouï, s'effectuant en plein jour contre tous les us et coutumes tacitement établis. Au moment du visa, les autorités anglaises avaient bien eu quelques velléités d'intervenir; quinze minutes de conciliabule avaient précédé leur acquiescement; mais ce minime incident n'était qu'un bien léger geste d'humeur et la Sicilia s'éloignait lentement du quai rempli, comme toujours, d'une multitude amorphe, résidu des bas fonds de Galata, d'où émergeaient quelques groupes formés par les familles et les amis de ceux qui venaient de prendre la mer. Le voyage était commencé dans cette parfaite luminosité d'un début de beau temps, par vent du nord, en Méditerranée orientale.

Conférence

Depuis 48 heures, les nouvelles de la s'obscurcissaient graduellement; des radios remplis de réticences laissaient entendre que la question de Smyrne allait redevenir, encore une fois, le point litigieux. Une solution hybride qui trouvait le moyen de mécontenter tout le monde semblait s'esquisser, mais, de toutes ces imprécisions, il ressortait surtout que l'immense soulagement éprouvé par le monde turc devant l'espoir d'une paix prochaine, allait se transformer en déception d'autant plus amère que la joie avait été plus vive. La Conférence ne tenait pas sa parole. Elle avait proposé une enquête, elle se récusait, sans raison valable, et, de tout cela, un seul fait ressortait clairement la guerre continuait.

Pour bien comprendre le sens de ces derniers mots, ne faut-il pas avoir assisté à cette lente agonie de Constantinople, commencée le 16 mars 1920, lors du coup de force anglais? Est-il possible d'atteindre davantage la limite de l'endurance humaine que ne le firent à ce

moment les Turcs de Stamboul?

Smyrne, 18 mars 1921.

Sous le vent du nord, la ville scintille au soleil du matin, tout est éblouissant de clarté fraîche, de lumière bleue, mais les quais sont déserts. Il semble que quelque cataclysme ait vidé la belle coquille nacrée aux reflets d'azur. Où sont les habitants de cette vieille cité mari

time jusqu'ici toujours favorisée? Partout des enseignes grecques, mais personne dans les magasins. La Banca di Roma porte la ruine écrite à son frontispice. Il n'est même pas besoin pour comprendre l'état de fait d'entendre ce que tout le monde va vous dire. Il semble qu'un fléau terrible ait soudain figé Smyrne, la frappant de mort. C'est que, tout près d'ici, la guerre commence. Qu'il soit impossible de circuler hors de la ville sans une solide escorte ne facilite pas les relations économiques. Smyrne, privée de son hinterland, est un corps sans âme. Partout, les paysans sont sous 1es armes encore un printemps sans semailles, les champs et les vergers abandonnés, encore une ville où la gêne s'installe à poste fixe.

Aussi, n'allez pas vanter à ceux qui doivent y demeurer la splendeur du décor, la fluidité de la lumière, ils vous répondront par ce sourire désabusé que l'Orient oppose aujourd'hui à l'enthousiasme des amateurs de paysages; un peu moins de beauté et quelques satisfactions positives et surtout, la paix, voici le vœu uni

versel.

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Voici enfin l'entrée maritime de la Turquie nationaliste, les Italiens en sont les portiers bénévoles mais vous ne pourrez pénétrer ici sans une autorisation venue d'Angora.

Une ligne de falaises rouges prolonge les vestiges imposants des défenses édifiées par les anciens maîtres de la Pamphylie. Adalia fut l'une des reines du littoral méditerranéen, elle a encore fort grand air sous ses ruines. En cette saison, ce serait le paradis terrestre dans tout ce que l'on peut rêver de plus délicat et de plus. parfait si, là comme partout, il n'était question de vie chère, de réfugiés et de cette terrible misère semblable aux plus rudes fléaux du vieux temps; elle fait renaître des maladies et des dégénérescences qui semblaient à jamais conjurées.

Dès les premiers pas dans Adalia, je retrouve les traits caractéristiques du mouvement national, mouvement de jeunes, s'il en fut. Parmi ceux qui dirigent, bien peu ont dépassé trente-cinq ans.

Dès l'origine du mouvement, l'on admit qu'un homme pouvait donner le meilleur de son activité entre vingt et quarante ans. Les hommes d'âge n'exercèrent que peu d'action sur les affaires publiques, ceci, à l'opposé de ce qui se passait jusqu'alors en Turquie. Ce règne des jeunes donne ses effets de la rapidité, de la décision, l'emploi de procédés de gouvernement les plus modernes, télégraphe, téléphone, bureaux d'information.

Au conak, le va et vient est incessant, officiers, fonctionnaires travaillent activement dans la grande ruche vers laquelle convergent tous les fils de la région. Il vers laquelle convergent tous les fils de la région. Survient-il un doute, un imprévu, le fil d'Angora est appelé à le résoudre.

Le contraste entre cette activité et l'atonie de la zone grecque est d'une grande éloquence.

Le temps passe vite devant toutes ces visions- nouvelles, étrange assemblage du passé, du présent et de l'avenir. Le passé, c'est la foule colorée de l'Orient, les costumes locaux, la vie du bazar. Adalia compte 35.000 habitants et Brousse et d'Aïdin; de plus des officiers et des soldats 10.000 réfugiés venus récemment de de l'armée nationale et le petit contingent d'occupation italien qui fait ici plus de commerce que de politique. Tout cela se promène, s'affaire et mène sa vie au grand de cette activité, il suffit de regarder et tout est ici soleil suivant la coutume orientale. Pour saisir le sen's

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une joie pour le regard.

Un fleuve en liberté parcourt Adalia, longe les larges voies anciennes, s'insinue à travers les ruelles étroites, baigne le pied des maisons et des vieux murs romains, arrose les jardins d'orangers. Cette richesse des eaux tement, mais ce qui surpasse tout, n'est-ce pas encore est prodigieuse, leur bruissement perpétuel, un enchan

cette lumière, source de vie et de contentement dont

l'on garde, par la suite, l'inconsolable regret?

A7 heures du matin, les hamals viennent prendre le bagage et mon aimable compagnon de route qui, depuis Constantinople, est l'organisateur de notre expédition, donne le signal du départ. Un camion auto italien va nous conduire jusqu'à Bour Dour, première étape sur la route d'Afioun Karahissar. La mise en route donne toujours le sentiment d'une petite victoire remportée sur les inévitables obstacles que rencontre tout voyaye hors des voies ferrées.

Le camion se frayait patiemment un chemin parmi la foule du bazar puis il prenait la route à travers les interminables convois de chameaux qui, d'Adalia à Bour Dour, pendant 120 kilomètres, se dérouleraient presque sans arrêt ainsi que les longues files d'arahas traînées par les petits chameaux à demi sauvages affolés par le bruit du moteur, fuyant à travers champs avec leur voiture et son chargement.

30 kilomètres de ce qui serait de magnifiques cultures si la guerre n'obligeait, une fois de plus. à mobiliser, et ce sont les sources du fleuve qui arrose si généreusement Adalia, puis, la première traversée des défilés montagneux qui vont se succéder jusqu'au lac de Bour Dour. Pas un instant de monotonie, du reste, dans cette série de passes étroites et mouvementées, la route est une merveille de grandeur sauvage avec des coins d'edens perdus en pleine immensité. La descente sur Bour Dour, la plongée sur le lac salé et sur les troupeaux de buffles font partie de ces instants que l'on voudrait retenir dans toute leur perfection fugitive. Le trait essentiel de ce grand paysage est la pureté des lignes, la simplicité du dessin et l'opposition constante des deux chaînes de montagne, l'une brisée, fertile, l'autre splendidement désertique accrochant au passage chaque rayon lumineux pour s'en faire une parure royale.

celui de

Voici Bour Dour, l'entrée par les rues étroites. Il y a six ans la ville fut aux trois quarts détruite par un tremblement de terre. Partiellement reconstruite, elle contient 15.000 habitants, plus cet incessant apport d'émigrés chassés du front d'Aïdir et de Brousse. Peu à peu, ils refluent jusqu'ici. La 5 mission du Croissant Rouge s'efforce de remédier à toute cette détresse, elle vient d'organiser hâtivement un hôpital et un dispensaire qui me seront montrés demain.

Les quatre docteurs de la mission dont le plus jeune a vingt-quatre ans et le plus âgé peut-être trente, nous accueillent avec cette courtoisie charmante qui fait de suite oublier que l'on est étranger et, ce premier soir, il ne sera question que d'art et de musique.

Le jeune docteur prend son violon, il s'accompagne chantant avec une rare perfection ces mélodies qui sont

l'âme même du pays. Chants d'amour et de guerre, ils ne ressemblent à aucun autre et là, pour comprendre, il suffit d'écouter les notes qui s'égrènent limpides et nostalgiques, dévoilant, mieux encore que les paroles, le regret des grandes steppes lointaines, des mystérieuses origines si longtemps oubliées. Aujourd'hui, pour la première fois depuis des siècles, la lutte reprend sur le terrain des premières migration, et cela a ranimé l'ancienne sève.

ser ou accommoder sa volonté. Il entendit, enfin, ne ressortir que de Dieu avec qui les relations sont commodes. Cela ne fut pas mauvais pour la France, du moins un certain temps. Mais on vit à la longue ce que valait cette manière tout égoïste et toute terrestre, et l'on s'en aperçut immédiatement en Grande-Bretagne. Pour ramener son pays au catholicisme second point du traité secret de Douvres, conclu entre les rois d'Angleterre et de France Jacques II négligea les sages con

Cette Turquie nationaliste que j'avais vue il y a dix-seils que lui donnaient Innocent XI pour suivre les sughuit mois, à ses débuts, je la retrouve, comme je m'y attendais, en pleine force, en pleine volonté.

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L'Europe au XVIIe siècle

M. Gaston Sortais vient de consacrer à la philosophie moderne un premier volume qui rappelle par la méthode, l'ampleur et la minutie les beaux travaux de Leller sur la philosophie grecque. Nous ne saurions trop recommander un tel ouvrage. Toutefois, nous n'en apprécierons, dans les lignes qui vont suivre et quitte à y revenir, qu'une part de l'introduction, un «< tableau »> de l'Europe au XVIIe siècle qui témoigne d'un libéralisme et d'une largeur de vues peu communes, et se révèle, comme toute méditation historique un peu approfondie, d'une singulière actualité.

M. Sortais parle d'abord du Congrès de Westphalie et des traités qui en sont sortis de manière à dérouter un peu nos souvenirs d'écoliers. « A un système politique, ditil, reposant sur le droit, on voit se substituer l'idée d'une balance politique des puissances se neutralisant elles-mêmes par le simple jeu de forces opposées. C'est ce que l'on a appelé depuis le principe de l'équilibre européen. Sans doute, au moment où les nations modernes venaient de se constituer autonomes, il était légitime et sage de veiller à ce qu'aucune d'entre elles ne put acquérir une prépondérance qui fut une menace d'oppression pour les autres. Par malheur, l'arrangement international inauguré à Münster ́et Münster et à Osnabrück n'avait point été établi selon les règles de la justice, qui prime tous les intérêts, mais d'après les doctrines mises en honneur par les légistes et les disciples de Machiavel, la souveraineté du but et le bon plaisir des princes. »

Sachons prêter attention à ces fortes paroles. Nous admirons l'oeuvre de Richelieu et, pour une part, la politique extérieure de Mazarin et de Louis XIV. Il est sorti, en effet, de cette sucession d'hommes et de la conjonction des circonstances une France puissante et qui a brillé d'un incomparable éclat. Mais remontons aux principes. Il y avait, au moyen âge, une catholicité, au-dessus des appétits princiers, première image des appétits nationaux, l'idée d'une justice universelle qui gardait le mérite, malgré les excès de l'intolérance, de s'imposer aux têtes les plus rebelles et de soumettre tous les intérêts, fussent-ils collectifs, à la morale et à Dieu. Bien plus, loin de justifier l'absolutisme, la théologie faisait reposer sur le consentement initial du peuple l'autorité souveraine, et ce fut bien un fruit du monde moderne que la théorie du droit divin devenue, en des jours peut-être pires, celle de l'égoïsme sacré.

Les rois d'abord, puis les nations ne vivent plus que d'eux-mêmes et pour eux-mêmes. On sait comment Louis XIV fit tout céder à la conception qu'il avait prise de son métier. Il contraignit même les forces spirituelles à la servir et, d'un zèle mystique fort médiocre, il employa surtout la religion à sa politique. Beaucoup plus soucieux de ses prérogatives que de Rome, peut-être il n'évita le schisme que parce qu'il put impo

gestions plus brutales de Louis XIV. Ainsi, dès que cela leur paraissait utile, les princes, dressés en d'autres cas contre l'Eglise, mettaient soudain à la défendre une ardeur qu'elle leur demandait en vain de modérer. C'est que, par un brusque renversement de l'échelle des valeurs, l'intérêt avait pris la place du scrupule et le ciel cédé aux préoccupations d'ici-bas.

M. Sortais a raison de trouver dans la transformation de l'esprit religieux une des causes qui firent le XVII siècle et, finalement, en dissocièrent et en détruisirent l'œuvre. Nous l'avons dit, l'idée de chrétienté s'opposait à l'établissement de nations ne voyant qu'elles et, véritables monstres sociaux, ne mettant plus de frein à leur égoïsme, l'autorité spirituelle des papes, en plus d'un cas, eût été un utile contre-poids à l'absolutisme des rois. « Dans la religion catholique romaine, avec son chef suprême qui est à Rome, il y a un principe d'opposition à un pouvoir politique illimité... Tous les peuples des pays protestants ont perdu leur liberté depuis qu'ils ont changé leur religion pour une meilleure.... »

Le gallicanisme donc, en assemblant l'épiscopat dans la main de Louis XIV, le jansénisme et le quiétisme en divisant les fidèles et en les éloignant d'une religion ou trop difficile au trop fantaisiste servaient ce pouvoir civil qui ne voulait plus supporter ni restriction ni contrôle. C'était, pour la France, incliner vers son destin, grandeur et chute. Pressé par sa passion, son tempérament et les circonstances, Louis XIV ne résista pas. «Au lieu de se contenter d'un pouvoir fort et respecté, laissant une activité bienfaisante aux divers ordres du royaume, au lieu de convoquer selon l'usage national, les Etats généraux et de maintenir les franchises provinciales, il préfère concentrer tous les ressorts du gouvernement dans sa main omnipotente, achevant ainsi la Faute déviation politique commencée par Richelieu. immense. Il n'y a plus entre la monarchie et le peuple ces pouvoirs intermédiaires qui amortissent les coups. Aussi quand la formidable poussée de 1789 se fit sentir, le majestueux monument dont les lézardes s'étaient insensiblement agrandies, ne put résister au choc. >>

Ici encore les idées entraînèrent les hommes. Il faut admirer en Louis XIV une volonté puissante et respecter un idéal où il s'est complu sans trop prendre garde que c'est lui-même qu'il servait..

La Vie Economique

GONZAGUE TRUC.

Allocations familiales

Si nous voulons nous faire une idée sur les possibilités de relèvement de notre pays, il faut avoir le courage de regarder certaines réalités en face et d'essayer d'en dégager une philosophie.

Il est indiscutable que la richesse et la prospérité d'un pays sont fonction directe du nombre de ses enfants. Dans un pays primitif, non organisé, l'instinct seul pousse l'homme à avoir des enfants, le pays se développe et, en même temps, s'organise et se civilise. Le nôtre est arrivé à un point de civilisation telle que tout le monde réfléchit plus ou moins le fruit de ces réflexions est d'ailleurs plus ou moins juste.

Or, en France, la natalité diminue. Pour qu'elle augmente à nouveau, c'est-à-dire pour que notre pays ne s'anémie pas jusqu'à l'extinction de la race faute d'enfants, il faut mettre en pratique les deux principes suivants : alléger les charges de famille aux pères de nombreux descendants et assurer l'existence des vieux par un système de retraite suffisante.

Ces deux idées sont intimement liées car, plus nombreux seront les enfants, plus facilement leur travail, en produisant, constituera les retraites nécessaires aux vieux.

Si le nombre des enfants diminue, les difficultés pour créer des retraites augmentent et les hommes, d'une façon générale ne voyant pas même leur avenir assuré lorsqu'ils seront devenus incapables de produire en travaillant, auront une tendance marquée à réduire le nombre d'enfants qu'ils pourraient avoir: 1° pour ne pas augmenter leurs propres charges; 2° pour ne pas créer des êtres qui auront, pour vire, la même peine qu'eux (théorie néo-malthusienne).

Cette restriction volontaire dans le, nombre des naissances ne peut que précipiter la crise qui se dessine nettement dans notre pays à l'heure présente et tend à créer ce cercle vicieux: augmenter les difficultés de création de retraite suffisante par suite du manque d'enfants, d'où il résulte une tendance nouvelle à restreindre encore le nombre des naissances. Je ne crois pas que ces choses soient pensées aussi explicitement par les classes laborieuses, je crois, au contraire, qu'elles obéissent à une impulsion malaisée à définir avec exactitude, impulsion qui relève de la vie collective de la nation. Il faut donc, comme nous l'avons dit plus haut, alléger les charges de famille et assurer des retraites suffisantes..

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L'insuffisance des lois actuelles, à cet égard, est manifeste. Le procès de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes n'est plus à faire, et tout le monde s'accorde à reconnaître le fiasco absolu de cette loi. Rien, ou à peu près, n'est fait pour alléger les charges de famille d'une façon efficace.

Si l'allégement des charges de famille n'a pas encore retenu l'attention du Parlement, elle a fait l'objet d'études et de réalisation de la part des industriels sous la forme de Caisses de compensation pour les allocations familiales, dont nous avons parlé ici même il y a un an.

Rappelons en deux mots le fonctionnement de cet organisme.

Les industriels d'une même région se groupent et versent à la Caisse une somme égale à un tant pour cent des salaires payés aux ouvriers. Les fonds ainsi amassés sont alors répartis aux mères de nombreuse famille sous forme d'allocations diverses: allocations mensuelles variables avec le nombre d'enfants, primes de naissance, primes d'allaitement.

A l'heure actuelle, plus de 55 de ces Caisses sont en plein fonctionnement. Sans qu'il soit encore question de fédérer ces organismes, un comité d'études, composé au début des représentants des principales Caisses de compensation, s'est constitué et réuni au mois de janvier dernier pour examiner un certain nombre de questions qui intéressent ces Caisses au même titre.

Qand on pense que l'année dernière, à pareille époque, ce genre d'institution en était à ses débuts, on ne peut que se réjouir au point de vue de la stabilité industrielle d'un développement aussi rapide. Il faut souhaiter que ce nombre augmente encore et que les industriels qui ont encore des tendances trop particularistes s'élèvent au-dessus de leur intérêt particulier mal compris pour jouer un rôle social d'une envergure et d'une portée supérieures.

Nombreux sont, en effet, ceux qui reconnaissent l'utilité du principe; et ils n'hésitent pas à l'appliquer intérieurement à leur propre industrie, dans le secret désir

de s'attirer les faveurs de la main-d'œuvre. Une pareille préférence du personnel employé pour une certaine industrie, dans une région, ne peut qu'être mauvaise-car elle se fait au détriment des autres industries qui, ne pouvant peut-être pas supporter seules une pareille charge, ne se trouvent plus sur le pied d'égalité avec celles qui offrent oes avantages à leur personnel.

Il faut, d'ailleurs, pour que les allocations familiales fonctionnent dans l'esprit de désintéressement indispensable, que cette mesure de bienveillance patronale envers leurs ouvriers et employés ne vienne pas directement du patron, car cela crée un déséquilibre pour le recrutement du personnel dans les autres industries de la région. Ouvriers et employés iront en effet de préférence vers l'industrie qui leur donne le plus fort salaire, mais cette mesure ne revêtant pas un caractère anonyme ne sera pas regardée par le personnel d'une manière aussi favorable que si elle était générale. Ouvriers et employés verront là un moyen pour le patron de les attirer et de les conserver et cette mesure, excellente en soi, devient, pour eux, un moyen employé par le patron pour leur « enlever un peu de leur liberté ». Et cette liberté de pouvoir changer de place est une de celles qui tiennent le plus au cœur de la masse des travailleurs.

Nous espérons vivement que ceux qui hésitent encore finiront par venir à nos idées et nous pouvons prédire qu'ils y verront leur intérêt réel lorsqu'ils y seront venus.

Nous avons dit plus haut que plus de 55 Caisses de compensation fonctionnaient à l'heure actuelle. Nous devons citer un chiffre qui montrera l'importance de ces institutions: il est distribué annuellement environ 75 millions de francs par ces Caisses. La charge des industriels est inférieure en moyenne à 2 o/o des salaires. Cet effort industriel, au moment où les difficultés de l'industrie ont atteint incontestablement le maximum d'inétensité, dénote de façon certaine que les chefs d'en-treprise pensent en général qu'ils ont un rôle social à jouer. Ce mouvement, dû à l'initiative privée, a pris déjà un développement important et se développera encore si on ne vient pas l'entraver.

Or, il est bon d'attirer l'attention sur la proposition de loi de M. Bokanowski avant que la Chambre n'ait été appelée à en délibérer.

M. Bokanowski désirerait rendre obligatoire l'application à une Caisse de compensation et estime que la cotisation versée par les industriels devrait être au minimum de 5 0/0 des salaires et traitements payés par les employeurs

Il nous paraît tout naturel que l'Etat s'inquiète de la question de la natalité et cherche à encourager par tous les moyens les familles nombreuses. Mais nous ne sommes pas d'accord avec M. Bokanowski en ce qui concerne les moyens à employer.

Si l'on voulait polémiquer, on pourrait dire que l'Etat ne s'inquiète des familles nombreuses d'une manière efficace qu'après que l'initiative privée à étudié la question et trouvé déjà une solution satisfaisante. L'Etat s'emparerait d'une idée qui n'est pas venue de lui et la ferait sienne en la rendant obligatoire.

Ce principe de l'obligation nous paraît néfaste et, au lieu de favoriser le développement des Caisses de compensation, nous pensons qu'il ne peut avoir pour effet que de ralentir leur essor.

Le rôle de l'Etat n'est pas, à notre avis, d'entraver les dispositions heureuses prises par l'initiative privée, mais, au contraire, de les encourager et les aider en leur laissant leur entière liberté.

En dehors de cette question très générale, nous allons donner ici les principaux inconvénients que peut présenter la loi proposée par M. Bokanowski, si elle était sanctionnée par le vote du Parlement.

1° Un grand nombre d'industriels supportent déjà

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bénévolement des charges quelquefois considérables sous forme de Caisses de secours, de retraite ou d'indemnités pour charges de famille.

Une obligation de participer à des Caisses de compensation peut risquer de les gêner dans leur évolution qui tend à les porter à s'intéresser tous les jours davantage à leur personnel.

Une pareille obligation ne risque-t-elle pas de décourager un grand nombre d'entre eux qui ne pourraient pas faire autrement, par la force des choses, d'adhérer dans la suite à la Caisse de leur région et de les faire aller à contre-cœur à une mesure à laquelle ils souscriraient bénévolement dès qu'ils auront vu l'intérêt énorme qu'il y a pour eux de s'y affilier ?

2° La question de l'encouragement à la natalité doit être une question d'ordre national très général. Pourquoi imposer cette charge à une certaine catégorie de contribuables ?

3° Il est absolument immoral que l'Etat ait la gestion des fonds dont les employeurs reconnaissent la nécessité de disposer en faveur de leur personnel;

4° Au lieu de laisser à ces Caisses de compensation la souplesse désirable pour les adapter chacune d'elles à la région dans laquelle elle est créée, l'Etat imposerait une uniformité inflexible pour l'ensemble de la France.

De plus, la question de contrôle indispensable nécessiterait la création de nouveaux fonctionnaires. Il nous paraît qu'il y en a cependant assez en France;

5° Enfin, substituer une charge de moins de 2 0/0 de salaires à une autre de plus de 5 0/0 nous paraît inopportun.

Puisque le patronat a reconnu la nécessité de créer ces Caisses, qu'on lui fasse confiance. Si l'Etat veut intervenir qu'il le fasse sous forme d'aide et pas sous l'aspect d'obligation et de contrainte.

Nous souhaitons vivement que le Parlement ne suive par les idées généreuses de M. Bokanowski car, telles qu'elles seraient appliquées, nous les croyons de nature à entraver le développement rapide de ces Caisses. L'idée a déjà parcouru un chemin formidable et nous sommes convaincus que, dans un avenir rapproché, la très grande majorité des industriels y viendront d'euxmêmes si rien ne vient les gêner.

Aux Champs

MARCEL LEBON.

Le billard de quilles

Ce n'est point ici un meuble aux pieds tournés, aux plinthes de bois luisant et riche, aux blouses de cuivre doré, où, sur la table verte, on poursuit la rouge et la blanche dont l'ivoire retentit en se choquant, c'est, sur un sol de terre battue, une aire de 8 mètres de côté, encadrée par des « bandes ». A l'ordinaire, pour niveler cette sorte de table, on transporte de la terre de lande, de la boulbène qui reste élastique en se tassant sous la masse, et qui, arrosée n'engendre point de boue et, balayée, de poussière.

Les bandes sont faites de planches épaisses, hautes de 35 centimètres environ, posées de champ et rivées à des pieux fichés profondément dans le sol, dont la tête est plus basse qu'elles. Cet encadrement vertical sert à empêcher la boule avec laquelle on joue de rouler hors du terrain de la partie. Il sert aussi « à marquer une faute », la boule ne devant jamais arriver jusqu'aux bandes et les heurter.

Ceci est pour ainsi dire le premier compartiment du billard de quilles. Il en est un autre plutôt indiqué que limité. Il se trouve à l'intérieur du premier. Il mesure 4 m. 60 de côté. Ce carré est marqué par la tête plate et

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ronde de piquets enfoncés jusqu'à fleur de terre, à 2 mètres 30 l'un de l'autre en tous sens, et sur trois lignes parallèles qui se croisent. Cette partie s'appelle « lou. quillé », l'endroit où l'on met debout, où l'on plante les quilles. Elles y sont placées sur chaque piquet, sur ces << mouches », au nombre de neuf. C'est pourquoi la quille du milieu prend le nom de « neuf ». D'un compartiment à l'autre, il existe un intervalle, un « couloir » de 1 m. 75. Tel est le dispositif. Autour règne un rang de bancs sans dossier. Et les billards de quilles sont couverts ou découverts.

Et maintenant, les quilles et les boules. Elles font l'objet d'une façon et d'un choix attentifs, un rien dans la construction ou dans la qualité du bois risquant de les faire déchoir de valeur. Une bonne, une jolie quille a 95 centimètres de haut. Elle est de forme conique allongée, également renflée en son milieu, partie appelée << pomme », elle est terminée, au pied, par une entaille circulaire qui laisse un bourrelet extérieur afin que l'on puisse la planter sans qu'elle se charge de terre, elle est achevée, en tête, par un bouton ovale, avec collier, pareil à un bourgeon prêt d'éclore sur une tige de rosier. La quille se tourne dans du hêtre ; elle pèse 3 k. 500 ; elle porte, autour de la pomme, quatre rangées de clous à un doigt d'intervalle, qui lui permettent de résister sans se fendre aux chocs de la boule. C'est une sorte de demoiselle svelte et droite, dans un corselet d'acier... J'oubliais de consigner que le bois de la quille doit être d'une sécheresse extrême au point de rendre sous les heurts un son clair, limpide, quelque chose comme un bruit de métal. Par les matins de vent d'est particulièrement purs, quand on circule le dimanche aux environs d'un billard, on entend les quilles retentir sous la boule, comme un autre carillon, accompagnant en sourdine le chant argentin des cloches... Pour la boule, de forme sphérique comme le mot l'indique, elle est faite de noyer. Elle pèse de 6 à 7 kilos. Les joueurs sont difficiles sur le poids, toute boule n'allant pas à toute main. Dans la masse de la boule est creusée une poignée : un trou où passer le une pouce, brèche où introduire les autres doigts, qu'une courte pièce de prise qui n'est que la langue de bois laissée par le forage relie. Quand le joueur saisit la boule, il se trouve serrer la main autour de cette pièce, et il en acquiert une grande force et une grande justesse de choc. Cela lui permet « d'attaquer » sûrement les quilles.

La partie se joue en quatre jeux de deux passes chacun. Chaque passe est de deux coups. Ce n'est que lorsqu'il y a faute, quand la boule heurte la bande, que le joueur perd son droit au second coup. La partie est menée par deux joueurs ou par quatre en équipes de deux. Chacun joue à son tour. Mais comme celui qui joue le second doit abattre une quille de plus pour gagner, on tire à pile ou face. Qui a face commence la partie. Toutefois son adversaire lui indique « où entrer dans le jeu. » On entre « par le droit » ou « par le revers ». Par celui-ci lorsque placé sur la ligne extérieure du quillé, au pied d'une quille, on l'attaque à sa gauche ; par celuilà lorsque le mouvement inverse se produit. L'adversaire indique encore le coup à jouer. Les coups sont au nombre de sept le corps, le neuf, la rue, la saute-rue, le sept à battant-au-neuf, le sept, le court. Ainsi le jeu du corps droite consiste à jeter la quille sous la boule sur celles à sa droite, et la boule par-dessus le neuf, «< sur le devant », sur la quille de l'angle en face. Le jeu de neuf à gauche à jeter la quille attaquée sur celles à sa gauche, et la boule sur le neuf. Mais la boule qui prononce une courbe accusée, donne lieu en retombant à deux situations. Ou elle fait faux » ou elle « fait choix ». Faux, je l'ai expliqué; choix, lorsqu'elle retombe d'aplomb sur la pomme de la quille désignée, et s'arrête net à son pied, en touchant le sol. Ce qui permet au joueur de se placer où il veut pour continuer la partie. A l'ordinaire la boule

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