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mois, quitté l'île d'Elbe. J'ai signalé, dans ces colonnes, au fur et à mesure, leurs principales étapes. Accueillis les survivants de l'armée impériale, ils leur ont promis de résister au désarmement de la Reichswehr et de sauver la tête des « coupables » : en échange, mitrailleuses et grenades rétablirent, dans la rue, dans les usines et dans les esprits, le culte de la discipline prussienne. Tandis que les officiers se refaisaient la main, les industriels sauvaient leur capital. Ils se créent des disponibilités et les déposent à l'étranger. Ils réalisent des trusts nouveaux et organisent l'exportation. fondent un parti, acquièrent des journaux, achètent des agences. Ils brisent le bloc démocratique dans les Landtags provinciaux, dans le Reichstag ensuite, à Berlin. enfin. Chaque élection les rapproche du pouvoir. Et voici que dans cette Prusse, que les socialistes se vantaient d'avoir libérée à jamais, le cabinet Stegerwald, pour ménager les partis de droite, dont il est le prisonnier, efface de sa Déclaration « le mot de République » (Frankfurter Zeitung), 23 avril). S'il figure encore dans les lois, il n'inspire plus le pouvoir. Le 27 avril, l'ex-chancelier Müller se fait huer par le Reichstag: il s'était permis de rappeler les responsabilités «du militarisme prussien >> et de dénoncer les intrigues des agents royalistes. Le général von Seckt, le Dr Simons et Hugo Stinnes, l'officier, le diplomate et l'industriel, complices de la guerre allemande, sont aujourd'hui les maîtres du Reich. Même personnel et même méthode. Les agents espionnent. Les dépêches mentent. Les « marches » bougent.

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Et tandis qu'une savante organisation prépare en Haute-Silésie, dans le Tyrol et bientôt en Autriche les mines de la prochaine la Reichpost s'en inquiète les mines de la prochaine explosion, le gouvernement oligarchique tente une revanche prématurée. Echappant, par une résistance tedénace aux chaînes fiscales qu'aurait pu créer la faite, l'industrie allemande entreprend à l'aide d'un change déprécié et d'un outillage intact, le dumping le plus kolossal dont fasse mention l'histoire économique. Elle veut réussir l'opération qu'a ratée l'armée allemande et compenser la défaite militaire par une victoire commerciale.

Ce plan politique et économique, dont les articles se déroulent avec une géométrique rigueur,-ce programme si allemand par la méthode qu'il révèle et la passivité qu'il exige, était profondément inintelligent. Il présupposait, pour réussir, deux axiomes : les Alliés sont incapables d'observer et incapables d'agir. L'Allemand pèche toujours par manque de finesse et par excès d'orgueil. Il réduit la valeur de ses ennemis et exagère celle de ses forces. Au lieu de s'avouer vaincus, de s'incliner avec déférence et d'exécuter avec docilité, en attendant le jour, plus ou moins prochain, où ils pourraient profiter d'une occasion favorable pour refuser l'argent les Boches promis et surprendre les Alliés désarmés, — ont préféré tabler, une fois de plus, sur la lassitude britannique et sur l'ignorance française. Ils perdirent ainsi la guerre. Ils perdront ainsi la paix.

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Pour le désarmement, ils n'ont jamais prévu de sanctions automatiques. A des infractions multiples, le Conseil suprême répondait, tous les six mois, par un « dernier avertissement ». Il a suffi que le général Von Seckt apparût à Spa pour qu'on décidât d'atténuer le texte dressé à Boulogne et d'accorder de nouveaux sursis, à la veille de l'écroulement polonais. Au mois de janvier dernier, nouvelles sommations: pas un des délais fixés n'a été respecté. Et il faut attendre jusqu'au 1er mai pour en délibérer.

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Les négociations financières ont donné un spectacle plus ridicule encore. Ministres et experts français ont été traînés de casino en casino, du Nord au Sud, de l'Ouest à l'Est, l'Ouest à l'Est, noyés sous les chiffres, soumis à toutes sortes de pressions. Il fallait fixer la dette allemande et réduire la créance française. Et comment se terminent ces frénétiques délibérations? Le Conseil suprême enregistre l'évaluation effectuée par la Commission des réparations. Il eût réalisé des économies sensibles d'encre, de papier, d'argent et d'émotions, s'il avait simplement donné l'ordre à la Commission des réparations de hâter ses travaux

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Au lendemain de la ratification du traité, un petit groupe de diplomates et de fonctionnaires anglais, qui se croyaient encore en 1815, crurent pouvoir profiter de l'absence des Etats-Unis, de la docilité de l'Italie et de l'isolement de la France pour atténuer, dans leur application, les clauses du pacte de Versailles, substituer aux contrats des Alliances la Société des Nations, assurer sur l'Europe appauvrie et morcelée l'hégémonie commerciale et politique du Royaume-Uni... Ces isolés trouvèrent des appuis précieux dans la presse radicale. Les organes, qui avaient critiqué les clauses principales du traité, furent unanimes à en combattre l'application. Ils ne reculèrent devant aucune violence, devant aucune

calomnie. Les leaders du parti radical et du Labour Party donnèrent, à quelques-unes de ces attaques, leur contre-seing officiel. Mrs Margot Asquith dénonça le second traité de Francfort. Et l'énergie des idéologues fut largement subventionnée par des industriels libreéchangistes, qu'inquiétait bien à tort l'éventualité, singulièrement lointaine, d'une concurrence française. Et on comprend que sous la pression de ces courants contradictoires, Lloyd George ait paru, à plusieurs reprises, hésiter sur la route à suivre et la méthode à adopter, lui, cependant, dont la guerre avait révélé les prévisions lointaines et l'instinct divinateur...

Mais le miracle s'est produit. La France a résisté. Une fois de plus, elle s'est cabrée devant l'injustice. Sa force morale, calme, unanime, est apparue, au lendemain de la victoire, après des pertes épuisantes, aussi grande qu'elle l'avait été après le régime caillautiste, à la veille de la bataille. L'efficacité de cette résistance s'est accrue, au fur et à mesure que croissait la gêne de l'Angleterre, paralysée par ses difficultés irlandaises, par sa politique orientale et par sa crise industrielle. Le bloc anglo-français se resouda. M. Briand, qui a complété cette œuvre de reconstruction en signant l'accord polonais, en écartant le mirage hongrois et en scellant le rapprochement franco-turc, aurait pu l'achever s'il avait rouvert la porte du Conseil Suprême à la République américaine. Il a considéré que l'appui du cabinet de Bruxelles, dont il avait pu apprécier la loyauté et l'habileté, dans les deux dernières sessions de Paris et de Londres, lui suffirait pour résister au dernier assaut qu'allaient livrer à l'Entente cordiale les radicaux anglais, appuyés, tout comme en juillet 1914, par des financiers de la cité, engagés sur la hausse du mark, parce qu'ils avaient escompté l'acceptation allemande.

M. Briand ne s'est pas trompé. La présence belge a compensé l'absence américaine et l'incertitude italienne.

La petite Belgique est de taille à jouer les grands rôles. Elle l'a prouvé en août 1914. Elle le prouve dans ces dernières batailles pour une juste Paix.

La transaction du 1er mai, suggérée par M. Jaspar,

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L'ultimatum était inutile... Au lendemain d'un échange de notes, où la Wilhelmstrasse témoigne, par des évaluations inexactes (1), par des chiffres incompréhensibles (2), par des obscurités voulues, qu'elle reste fidèle au culte du mensonge,-- adversus hostem aeterna duplicitas l'octroi d'un nouveau délai constituait une imprudence capitale. Les Alliés ne l'ont pas commise. à la veille de l'autre Waterloo. Mais un avertissement était nécessaire. L'huissier se fait précéder d'un papier timbré. La note expédiée à Berlin, dans la nuit du 2 au 3, est beaucoup moins un ultimatum qu'une explication.

Or, avec les Allemands surtout, il ne faut pas craindre de les multiplier. Le Boche comprend lentement et oublie vite. Il vit, tout entier, dans la réalité de l'heure qui fuit. Pour les vies intérieures, comme pour la vie sociale, la formule de von Bulow est toujours vraie : il oppose à la formation sédimentaire des civilisations occidentales, la formation cataclysmique du peuple allemand. Dans les pensées de l'Ouest, les idées s'évoquent avec la lente régularité du limon dans nos vallons fertiles. Dans les pensées de l'Est, elles se succédaient avec les soudainetés imprévues des clairières, dans la forêt germanique. Et il est d'autant plus nécessaire de projeter sur ce peuple grégaire et passif des torrents de lumière, qu'une savante propagande efface, avec une rapidité croissante, dans les cerveaux, les impressions de novembre 1918. L'Allemagne n'a pas attaqué. L'Allemagne n'est point vaincue. Elle est victime d'un effroyable complot et d'un attentat singulier. Les républicains se sont montrés incapables de protéger la sainte et pure et chaste Germanie, contre la rapacité de la soldatesque française, contre la reprise des conquêtes napoléoniennes. Aujourd'hui, comme en 1813, il faut faire confiance à ceux qui incarnent l'âme prussienne dans son intégrité à von Seckt, au Dr Simons, à Hugo Stinnes, à la trinité sainte, dans laquelle il plaît aux vieux dieux de Germanie de s'incarner.

Une dernière occasion s'est offerte aux Alliés de briser ce complot et d'éclairer ces esprits, de réaliser une garantie de paix et d'écarter une chance de guerre. Il ne suffit pas d'exiger des versements immédiats, de découvrir des ressources financières, d'organiser un contrôle international. Il ne suffit pas d'énumérer les infractions ré pétées aux exigences formulées et aux signatures données. Il ne suffit pas d'imposer l'avement du désarmement et le châtiment des coupabi Il ne suffit même pas de l'imposer dans des conditions telles, - arrestations et livraisons immédiates, qu'elles puissent dissocier le bloc économico-militaire. Il faut encore dicter au peuple allemand le bannissement de la tribu Hohenzollern, l'avènement d'un personnel nouveau, la dissolution du Reichstag réactionnaire, et la réalisation des autonomies provinciales. 11 faut avoir une politique allemande.

Si les gouvernements alliés ne l'amorcent pas, si la trinité Seckt, Simons et Stinnes reste maîtresse d'une Allemagne asservie ; -- je ne crois pas à l'efficacité durable du programme interallié. L'Allemagne accepte l'accord de Paris? Il n'est, hélas ! que trop certain que les Stinnes et les Seckt réussiront, tôt ou tard, à enrayer

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les versements périodiques qu'escomptera la Commission des Réparations. Comme me le disait un homme. qui a bien servi son pays et que la République oublie celle trop, M. Delcassé : « L'Allemagne de 1914 », de Seckt, Simons et Stinnes, « ne paiera que ce que les Alliés sauront prendre et voudront garder. >> JACQUES BARDOUX.

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La question de Tanger

La presse a récemment signalé la constitution d'un Comité : France-Tanger, dont le nom définit le pro

gramme.

La question de Tanger attend, en fait, sa solution depuis 1904.

Tanger sera-t-il international, ainsi qu'on le désire à Londres; sera-t-il espagnol, suivant les intentions de Madrid, ou sera-t-il chérifien, c'est-à-dire soumis à l'autorité du sultan protégé de la France ?

Entre ces trois formules, notre gouvernement, appuyé par l'unanimité du Parlement, a choisi: Tanger port marocain, le plus voisin de la métropole, à la fois porte d'entrée et de sortie d'un Empire sur lequel s'étend notre protectorat ; Tanger, cù la prépondérance des intérêts français est indiscutable; Tanger, nécessaire à notre sûreté et à notre influence dans le bassin occidental de la Méditerranée, ne saurait être réservée à une

installation étrangère. Les Anglais détenant Gibraltar, les Espagnols détenant les deux rives du détroit, la France ne saurait être écartée de ces parages. Ils sont essentiels à notre sauvegarde métropolitaine et afri-. caine, car pour faire communiquer nos deux façades maritimes, Atlantique et Méditerranée, une seule voie nous est ouverte : le détroit de Gibraltar, notre vrai canal des deux mers.

L'opinion française doit se pénétrer de l'intérêt du problème aussi important pour notre pays que celuide Constantinople et des Détroits, car si les Dardanelles et le Bosphonre conduisent à une mer fermée, à un cul-de-sac, la mer Noire, le détroit de Gibraltar demeure le passage nécessaire de la navigation du monde, celle de l'Orient, de l'Extrême-Orient, comme celle de l'Europe et de l'Afrique. Plus précieux que Suez et que Panama, le détroit de Gibraltar doit avoir son escale française Tanger !

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Quoique les traités nous l'accordent, et malgré les positions de droit et de fait que nous détenons à Tanger, notre point de vue, notre revendication sont, en Espagne et en Angleterre, rejetés. Vis-à-vis de Madrid, notre dette contractée pendant la guerre pour la fourniture à quels prix! de produits espagnols, embarrasse notre diplomatie. A Londres, nous nous butons, sans mauvais vouloir des Anglais, à des axiomes inflexibles de l'Amirauté. Or, si Gibraltar anglais est hérissé de batteries d'artillerie, et si Ceuta espagnol s'enveloppe de forts, Tanger neutralisé ne doit établir aucune défense stratégique. C'est donc en spectatrice désarmée que la France demande à s'asseoir sur les rives du détroit de Gibraltar et pour des fins essentiellement économiques. Cette posture même nous sera-t-elle interdite? Dans les négociations qui, tôt ou tard, mais peut-être prochaines, devront s'ouvrir avec nos voisins, la résolution de la France est prise. Ou nous verrons admettre le droit du sultan et de la France protectrice sur Tanger ou nous maintiendrons dans cette ville le statu quio contre lequel justement proteste là-bas l'ensemble des colonies étrangères. Celles-ci lassées, ruinées par les compétitions internationales, n'attendent la fin de leurs épreuves que d'une intervention de la France. Et ce jour

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Vous savez qu'il existe au monde une perspective unique et fameuse. Elle commence à l'Arc de Triomphe de l'Etoile, énorme porte ouverte sur le ciel; l'Obélisque la jalonne, qui donne la mesure de cette majestueuse étendue. Un chef-d'œuvre d'élégance altière (le petit Arc de Triomphe du Carrousel) la termine sans la clore, puisque, passant par sa voûte fleurie, elle vient mourir sur un fond émouvant d'arbres et de palais.

Le goût exquis du passé, les hasards, les convulsions même de la cité, tout concourut à lui donner son immensité et sa grâce.

En un temps où les malheurs de la nation excusaient bien des fautes, on avait mis sur le trait invisible de cet axe une statue, pleine de généreux sentiments et de pauvreté plastique: le Quand même! de Mercié; elle s'y trouve encore, gênante mais respectée

Or on apprit, le mois dernier, qu'une autre statue allait, elle aussi, se poser, grosse note blanche et superflue, sur cette perspective qu'on croyait inviolable.

A notre cri d'alarme, qui fut repris par la presse entière, les amants de Paris s'émurent si bien que le fâcheux projet sembla s'évanouir.

Pour apaiser le sculpteur Bartholomé, on lui suggéra qu'au milieu de la pelouse du Carrousel, de l'autre côté du petit Arc de Triomphe, son œuvre aurait fort bon air. Et c'était vrai. Elle détournerait heureusement vers elle tant de regards offusqués par l'affreux monument à Gambetta, monceau stupide de moellons qui, par chance, ne se trouve pas dans la perspective si gravement en cause. La nouvelle dame blanche serait, elle, dans l'axe; mais, des Tuileries, elle se confondrait harmonieusement, dans le lointain, avec les verdures et les nobles façades dont je parlais plus haut. La cause était entendue. Pendant quelques jours, les passants virent même des perches fichées dans le gazon; elles présageaient la venue prochaine des marbriers.

Mais un matin, le statuaire changea d'avis et refusa cet emplacement.

Alors, on lui proposa de mettre son allégorie si difficile à caser au centre de cette dangereuse arène en macadam qu'est la place du Palais-Royal.

Au pied de l'emblème, un trottoir formant refuge aurait sauvé de la mort plus d'un piéton; il aurait ainsi provoqué la reconnaissance autant que l'admiration. Mais le statuaire ne voulut rien savoir.

monument

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Que lui importe s'il obstrue un point de vue incomparable? Il n'en sera que mieux regardé puisqu'il empêchera qu'on aperçoive le reste. Il entend asseoir son et déjà, à l'heure où nous écrivons, on jalonne l'emplacement sur le bord du Carrousel, à l'opposé de Gambetta, à quelque trente mètres en avant du petit Arc de Triomphe: juste devant son embrasure! Malgré l'opinion publique tout entière, une masse de pierre de plusieurs mètres de haut va-t-elle pousser là, encombrante, indiscrète, gâtant l'arrivée comme le départ de cet ensemble où rien, sauf le déplorable Quand même! n'avait encore oser se carrer?

Caveant consules... Mais ne serait-ce point les consuls eux-mêmes, ou le premier d'eux tous, qui, de guerre lasse, voudraient bien qu'on laissât le vieux Phidias ériger son œuvre à sa fantaisie, et surtout qu'on n'en parlât plus? ROBERT REY.

avec

Miss Pearl White.

Un soir de décembre de l'année 1918, je dînais avec quelques camarades et quelques artistes lorsque, la conversation étant venue à se fixer sur Pearl White, et comme nous parlions d'elle presque tous avec enthousiasme, un des convives déclara froidement qu'une de ses amies, qui arrivait d'Amérique et qui avait «tourné» Pearl White, lui avait rapporté que la célèbre étoile était âgée de près de cinquante ans, qu'elle était grosse et mastoc (sic), et qu'elle avait, d'ailleurs, le visage entièrement grêlé ! Il y eut une grande consterna-" tion chez nous tous, à cette horrible nouvelle - qui a fait son chemin depuis.... et je me souviens particulièrement de l'indignation de Gabrielle Robinne

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Mais c'est absurde! s'écria-t-elle. Nous voyons bien, sur l'écran, que Pearl White doit être, au contraire, une créature complètement ravissante !

C'est possible, répondit l'autre ; je me moque de ce que vous voyez sur l'écran. Moi, je vous dis ce qui

est.

Je vous dis ce qui est !...

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pour

Je repassais ces paroles, ces jours-ci, en m'entretequelques semaines, avec la gracieuse Elaine des Mystènant, dans le calme appartement qu'elle habite res de New-York; et je me demandais une fois de plus dans quels troubles bas-fonds de la jalousie peuvent bien prendre naissance, de temps en temps, d'aussi déconcertantes calomnies ... Je regarde miss Pearl White: Dans tout l'éclat de sa jeunesse elle n'a pas trente ans elle a le visage le plus frais et sin « ravissant » le plus éclatant qui soit, un nez et des lèvres d'un desraison); et, quant à sa sveltesse, si élégante, ne suf(oui, c'était bien Robinne qui avait fit-il pas à n'importe qui, pour la deviner, de connaître les habitudes sportives de Pearl White, qui pratique tous les exercices physiques avec une ardeur, adresse et une grâce incomparables? Telle Pearl White nous apparaissait sur l'écran, telle, en effet, exactement, elle s'offre maintenant à nos regards, avec son charme d'héroïne idéale de tous les romans d'aventures.

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une

Miss Pearl White nous est arrivée à Paris, l'autre

jour. Elle y a débarqué en avion: elle se devait bien et elle nous devait bien, n'est-il pas vrai, de ne point. se déplacer par les voies ordinaires. Et que de cœurs, alors, ont battu !... Car tous ceux qui connaissent Pearl White l'admirent et l'aiment du même coup; et quel amateur de cinéma ne connaît pas Pearl White?

Il y a sept ans seulement, cependant, que la plus illustre des artistes de l'écran a été montrée au public pour la première fois ; et c'est bien un spectacle étrange, en vérité, que celui d'une gloire mondiale aussi rapidement acquise. Jadis, une Patti, une Sarah Bernhardt, après de longues études, des débuts mouvementés, s'imposaient peu à peu par la connaissance technique de leur art, par l'expression d'une culture profonde. Aujourd'hui, le comédien ni le chanteur il faut qu'ils s'y résignent ne sauraient plus prétendre à cette formidable popularité, dont l'étoile de cinéma a hérité à

son tour.

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C'est peut-être qu'il y a, dans la physionomie de l'artiste de cinéma en général, et surtout dans celle d'une artiste comme Pearl White, de qui la carrière s'est déroulée, en somme, dans une ville lointaine de l'Ouest américain, un caractère un peu mystérieux, tout à fait propre, par conséquent, à séduire les foules. L'actrice de théâtre, la chanteuse, on la voyait, on l'approchait ; elle était là, sur la scène, en chair et en os. De l'artiste de cinéma, au contraire, on n'a que l'apparence, que le portrait, on ne la voit jamais, et on ne sait rien. d'elle on l'imagine, suivant ses impressions. Or, une renommée de ce genre aura toujours quelque chose de

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plus hardi, de plus sincère, de plus universel, de plus, point d'où l'on regarde en même temps la Provence, le durable. Languedoc et, vous dit-on, « la France ». C'est ce que Jean-Marc Bernard, Dauphinois, faisait sans cesse. Et cependant, il chantait ses amours. Il disait :

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qu'elle

Miss Pearl White, qui vient en France pour tourner de nouvelles aventures, m'a dit, sans détours elle est, en effet, restée toute simple et toute franche allait peut-être se livrer ici à quelques « excentricités »>: monter des chevaux fougueux, escalader la Tour Eiffel, etc.; car elle se rend compte qu'il faut qu'elle nous étonne un peu. Mais il y a dans tout ce qu'elle fait, un tel entrain, une telle sûreté, une telle bonne humeur, qu'elle n'arrivera jamais à effrayer réellement.

L'année dernière, il est vrai, on avait dit qu'elle était morte, qu'elle s'était noyée ; et la nouvelle, il faut bien le reconnaître, paraissait vraisemblable. Mais, heureusement, il y avait exagération : Miss Pearl White s'était jetée à l'eau, en tournant, et, voulant essayer de sauver un petit chat tombé avec elle, elle avait failli se noyer. Je étais restée un peu un trop long temps dans le rivière, dit-elle en riant.

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Simple anecdote parmi cent autres que nous lirons bientôt dans un magazine français, pour qui Pearl White, me dit-elle, dicte ses « mémoires >>.

Je la regarde aller et venir, ouvrir et fermer les portes, d'un mouvement un peu brusque, avec cette admirable précision de gestes qu'aucune de ses imitatrices n'a encore pu reproduire, pencher la tête, me regarder de biais, l'air réfléchi. Et j'ai réellement l'illusion de voir apparaître, sur l'écran, Elaine ou Bettina.

Je suis enchanté, je l'avoue, de l'avoir trouvée ainsi ; je suis sûr que des milliers de gens, s'ils avaient la chance de voir Miss Pearl White, seraient enchantés comme moi.

Et c'est pourquoi, tout simplement, je me suis permis d'essayer de le dire ici.

PAUL HEUZÉ.

La maison de Jean-Marc.

Saint-Rambert-d'Albon, petite ville dauphinoise : c'est non loin de Lyon, au bord du Rhône. Jean-Marc Bernard y a vécu dans sa maison, non pas en solitaire retiré du monde, mais en enfant du pays, en poète sensible au jeu des cœurs humains, au travail de la vie, aussi bien qu'aux grands espaces silencieux.

Il avait connu l'Angleterre, la Belgique et l'Allemagne. Il aimait Paris, où ses amis le voyaient venir de temps en temps, avec un gentil sourire sur sa bonne face brune, celle d'un berger. Un poète, s'il a mille âmes, toutes celles de Jean-Marc trouvaient leur plaisir dans Paris: l'enfant des muses et le partisan, le lyrique et le voluptueux, le psychologue et le voyageur, chacun avait sa part. L'Action française l'attirait, et le boulevard Saint-Michel, le vrai ciel de l'Ile-de-France et les merveilles peintes du Louvre, les pierres héroïques et nos airs de foire, les destins de la poésie et les cancans des poètes. En outre, le directeur du cruel essaim des Guêpes, restaurateur, avec son inséparable ami Raoul Monier, de l'épigramme, s'amusait à voir de près la tête de ses victimes pour en rire, comme il savait, sans rancune ni méchanceté. Et puis, il s'en retournait chez lui. Le cœur à peu près content.

Il avait cru tout d'abord y revenir à la façon de Don Quichotte, déçu de ne pas avoir trouvé la chimère pour laquelle il avait erré. Ou qu'il y était prisonnier comme Ulysse dans l'île de Calypso. Accents fugitifs, encore tout mêlés de «< littérature », dernière inspiration du romantisme juvénile. Il ne mit pas longtemps à connaître que sa vraie vie commençait au contraire, celle de son génie éveillé par le souffle du fleuve.

Il a promené ses pas dans la longue vallée, de Lyon à Marseilel; il a loué Arles et Valence, Orange et Avignon, Maillane; il a rêvé sur le flot qui roule au pied des Doms. Aux terrasses du château des Papes, il est un

Presque à plat ventre dans l'herbe
Qu'ombrage un fier peuplier
Je regarde scintiller

Les eaux du Rhône superbe..
Arbres et collines font,
De l'autre côté du fleuve
Une image toujours neuve
Sur l'immobile horizon.
Ce paysage tranquille
Sait emplir de sa douceur
L'intelligence et le cœur

Comme un beau vers de Virgile.

Mais lorsqu'il était curieux du cœur sauvage des choses, lorsque le goût lui venait de contempler dans la solitude une écorce plus rude, la robe primitive de la terre, gagnant cette autre rive, il allait voir, dans la société d'un ami, ou seul, et satisfait d'être désolé, les hauts lieux du Vivarais.

A Saint-Rambert, cherchez en pèlerin sa maison, au bord de ces longues rues rustiques qui continuent laroute. Elle est petite et proprette: deux fenêtres au rezde-chaussée et la porte. Groupés par les jeunes rédacteurs lyonnais de la Revue Fédéraliste, ses amis ont posé sur la claire façade une plaque :

ICI HABITAIT LE POÈTE JEAN-MARC BERNARD

DAUPHINOIS

MORT POUR LA FRANCE 1881-1915/

Ayant lu, courez le pays pour en posséder l'image. Surtout, cherchez le Rhône, reconnaissez, s'il se peut, la prairie, ses peupliers, ses saules, maniez sur les berges de l'île tant de ces galets qu'il a touchés,..et ces roseaux : Des eaux montent de grises brumes,

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Et quand je frôle les roseaux,

Dans un vif ronflement de plumes,

Je vois s'envoler des oiseaux.

Même le pont suspendu qui a pourtant la discrétion de ne pas se hausser dans l'air, ne prenez pas la peine, comme dit Charles Maurras, « de l'effacer par un décret de la volonté », considérez-le sans haine; il y a chanté, ayant l'âme fatiguée. Et enfin, si vous en avez le don, enveloppez d'une longue rêverie ces pentes de l'Ardèche, rocheuses et bigarrées

Revenez alors à la maison, vous en serez digne. Gravissez l'escalier, voyez la blanche bibliothèque, sa chambre aux meubles serrés, le lit où il dormait, la grande armoire vitrée pleine de poètes reliés, et voyez la chambre de son travail. La porte, quand la pieuse main maternelle l'aura poussée, ouvre sur une pièce où les volets gardent l'ombre. Laissez qu'on les écarte, pour ne venir à la fenêtre qu'au dernier moment. La pièce a dans son angle gauche une belle commode ancienne, d'un bois sombre, luisant, aux cuivres magnifiques. Mme Bernard a mis au rez-de-chaussée, pour l'avoir constamment sous les yeux le petit bureau, du XVIIIe siècle aussi, qu'il aimait; les autres meubles sont demeurés à leur place, le canapé rouge, contre le mur de droite et, sur le mur du fond, une table à écrire près de l'étroite croisée. Eh! bien, regardez: voilà les éternelles collines, voilà ce même paysage dans ses traits essentiels, où tous ses chants ont monté. Ceux d'un grand poète de l'amour, disait naguère son jeune admirateur Henri Rambaud, de la famille des élégiaques latins, notre Tibulle. « Et Virgile l'eut placé dans le Champ des Pleurs. »

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EUGENE MARSAN.

L'art de nommer les nouveaux-nés.

C'est un art. Ou, pour mieux dire, c'est une science. M. Emmanuel Bion nous l'enseigne dans une brochure qui est pleine d'intérêt : voyez plutôt.

M. Bion ne nous dit rien des appellations tirées de l'histoire ancienne, pourtant prévues par la loi. C'est dommage: on eût aimé de savoir s'il préfère Arminius, Caton, Gracchus ou Aénobarbe à Clorinde, Tircis, Arabelle ou Némorin. Il rejette en effet ces noms de bergers comme fantaisistes et littéraires. C'est un homme tout à fait raisonnable, comme on voit.

PISTOR.

Gérard d'Houville et les femmes

Une loi du 11 germinal an XI a prescrit que, seuls, « les noms en usage dans les différents calendriers » ou ceux « des personnages connus de l'histoire ancienne » pourraient être reçus comme prénoms. Les noms en usage dans les différents calendriers, ce sont ceux des saints et des saintes admis par l'Eglise, sous leur forme française. La Littérature Ne vous avisez donc pas d'appeler vos enfants : Axel, Bob, Carl, Edgar, Fanny, Harry, Jack, Jenny, Tony, Lodoiska ou Wladimir, - car ce sont là des prénoms étrangers. Mais ne les nommez pas davantage : Alzire, Clorinde, Florestan, Lionel, Malvina ou Palmyre, pour oette raison que ces appellations sont fantaisistes. Jeannot, Colas, Anaïs, Annette, Fanchon, Lisette, Madelon, Marion, Suzette, sont des diminutifs qu'un officier de l'état civil conscient de ses devoirs doit refuser. Et Marie, pour un homme, peut-il l'accepter? Non, répond M. Bion, car le nom de la Sainte-Vierge donné à un mâle « prête à rire comme les fautes des étrangers qui prononcent la soleil ou le lune », et pour cette raison encore qu'il est l'homonyme de la troisième personne du présent de l'indicatif du verbe marier, de sorte que, placé entre deux autres prénoms, il fait un effet comique. Il faut penser à tout....

Si vous avez à inscrire au registre de l'état civil des enfants de père et mère inconnus, gardez-vous de les baptiser: Raoul-Marie Delabicyclette ou Joseph-Marie Dukdelespace, car le tribunal vous jugerait absurde. Mais ne les nommez pas davantage Jean Bon (à cause de jambon), Lorédan Larchey (à cause de l'or est dans l'archet), Marie Torn (à cause de maritorne), Philarète Chasles (à cause de fil arrête châle), ni même Bouteille Désirée, Galli Mathias ou Salope Aimée. Vous trouveriez aisément des appellations hagiographiques qu'il est préférable de ne pas joindre; ainsi : Marie-ConstantAmand-Fidèle, par exemple, Satyre-Viole-Lucrèce, Matrone-Perpétue-Galle, Nonne-Désir-Amand, Prélat Gaucher-Pèlerin-Agile, ou tout simplement Maur-PieYon. De même est-il bien sage de nommer votre fille Blanche ou Claire, si c'est une négresse? Et y a-t-il quelque prudence à appeler vos enfants Aimé, Candide, Constance, Fidèle, Innocent, Pacifique, Sévère ou Victoire, ignorants que vous êtes de ce qu'ils seront plus tard? M. Bion ne le pense pas. M. Bion a bien raison.

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Et M. Bion est prévoyant. Qui sait si quelques familles férues de noblesse n'iront pas donner à leurs rejetons des prénoms comme Jean de Matha, Jean de Kenti, Jean de Capistran, Jean de Prado, que sais-je? d'ailleurs du martyrologe? Que l'officier de l'état civil veille! Et qu'il n'aille pas, non plus, admettre Joffrette, qui est à la mode, à ce qu'il paraît.

En revanche, libre à lui d'accepter pour un garçon: Airy, Amèle, Anscaire, Brice, Diel, Edbert, Eubert, Eusice, Euthyme, Evence, Frobert, Fromond, Fridolin, Fursy, Gombert, Hermin, Hermyle, Hildebert, Irmond, Ived, Landelin, Léocade, Ludoff, Luglien, Mélèce, Mélite, Parthène, Polyeucte, Renan, Romaric, Rosy, Selve, Thalaze, Théodemir, Théogone, Thiel, Uldaric, Valbert, Victoric ou Ymelin; et pour une fille Adnette, Aguilberte, Albanse, Alfréda, Améline, Amette, Andéoline, Anthimie, Arnouline, Artémone, Arthélaide, Bertaude, Bertile, Casimérine, Damasie, Davidière, Diellette, Edbertine, Edouarine, Ermenilde, Fulbertine, Godefroise, Grégorie, Harline, Hildegonde, Isaurine, Irédie, Jeromette, Landeline, Léonille, Ludolfine, Luglienne, Modette, Othilde, Régiole, Reinelde, Riquière, Théodorie, Thomase, Ulrise, Valbertine ou Yrmonde. Car ce sont là tous prénoms heureux, usuels et de bon goût.

Après un long silence, enfin Gérard d'Houville nous conte une histoire... Ah! comment demeurons-nous parfois si longtemps sans entendre Gérard d'Houville ? L'Inconstante, Esclave, Le Temps d'aimer, si nous ne possédions ces livres exquis, nous serions privés de quelleur auteur s'est tu, ou n'a guère écrit que des articles; et ques-uns des charmes de la vie. Mais de 1908 à 1914, l'année de la guerre seulement parut le Séducteur. Puis en 1916, c'est au front que nous reçûmes Jeune fille. Et cinq ans passèrent encore après cette tendre, triste et gracieuse histoire, durant lesquels Gérard d'Houville ne dire, comme ce berger de l'Anthologie : « Je n'ai chanté nous raconta rien ou presque rien. C'est elle qui peut que pour les Muses et pour moi. »

Mais voici qu'elle nous offre un nouvel ouvrage et c'est Tant pis pour toi (1). Ah! tant mieux pour nous! Gérard d'Houville compte dans sa famille des poètes fameux; mais, plutôt que fameux; mais, plutôt que la fille de Heredia et la femme de Henri de Régnier, elle est la petite sœur de Musset et la cousine de Jean de Tinan. Si l'auteur d'Aimienne eût mûri et perfectionné son talent, il eût pu écrire un jour quelque réplique masculine du Temps d'aimer. Mais pourquoi songeons-nous toujours à Musset quand nous lisons Gérard d'Houville? Je viens de reprendre quelques-uns des Contes et des Nouvelles (les Comédies et les Proverbes, qui ne les sait par cœur?); non, extérieurement, Gérard et Alfred ne se ressemblent guère, et pourtant ils sont parents: lisez seulement la petite préface à Tant pis pour toi. Ils le sont par on ne sait quelle liberté, quelle fantaisie, quelle grâce et quel esprit naturels; par leur ardeur lucide, par leur sentiment pathétique, malicieux et tendre de la vie, par leur imagination qui transforme tout en poésie, comme les fées, aussi par cette manière d'écrire si couramment les choses les plus charmantes du monde, comme on ferait dans une lettre adressée à quelque «‹ salon de huit ou dix personnes dont toutes les femmes ont eu des amants, où la conversation est gaie, anecdotique, et où l'on prend du punch léger à minuit et demi » (mais où les huit ou dix personnes ne seraient pas celles qu'aurait choisies Stendhal). Leurs héros habitent les mêmes contrées, entre les parcs de Watteau, les jardins de curés, la forêt de Comme il vous plaira, les salons des Proverbes ou ceux d'aujourd'hui, et « les Iles » que Musset n'a pas connues. Et les héroïnes de Gérard d'Houville, elles sont les sœurs de Marianne, d'Isabelle, de Rosalinde; et Coelio, Valentin, Fantasio les auraient aimées. Musset a chanté « ce jeune homme » passionné et fatal, comme Gérard d'Houville « cette belle jeune femme » tendre et un peu féroce, et tous deux sont les poètes de l'amour exclusif et vainqueur. Seulement l'auteur des Deux Mai-. tresses est homme et celui de l'Inconstante, femme; et on le sent d'abord qu'on ouvre leurs ouvrages... Ouvrons Tant pis pour toi.

On y voit Marinette qui part en voyage et s'embarque dans le train de Dinard avec Rémy, son jeune amant

(1) A. Fayard, éd.

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