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et d'ouvrir le tribunal de la Paix, ils nous auront rendu un singulier service.

Mais, pour que les deux gouvernements puissent poursuivre, en toute sécurité, la double œuvre d'adaptation esquissée dans son message par le président Harding, ii est nécessaire que la République française ait l'esprit libre. Or, elle ne l'aura que si elle peut compter, aujourd'hui, dans la réparation financière des dommages subis, sur l'appui américain, demain, en cas d'agression non provoquée, sur la coopération américaine. Encore une fois, il ne s'agit ni d'une alliance formelle, ni d'un engagement unilatéral, mais d'une déclaration réciproque d'aide éventuelle.

Comment nier que, grâce à la présence de M. Viviani à Washington, une étape ait été franchie vers cette restauration efficace d'une agissante amitié? La démarche formelle de l'ambassadeur américain, le 13, auprès de M. Briand et l'arrivée prochaine de diplomates enquêteurs confirment le message du président Harding. Les Etats-Unis réapparaissent dans le cercle des puissances européennes.

X

Ce premier succès (la signature de l'accord francobelge sur les surtaxes d'entrepôt en constitue un second) démontre que notre préparation diplomatique à l'échéance du 1er mai est en bonne voie. La préparation militaire ne m'inspire aucune inquiétude : le maréchal Foch et le général Weygand sont là. Mais l'heure des sanctions purement militaires est passée. Je sais que MM. Loucheur et Seydoux travaillent. Je connais, pour les avoir feuilletés, les admirables dossiers de M. Paul Tirard. M. Charles Laurent est le seul de nos ambassadeurs qui soit un homme d'affaires. Cette équipe de techniciens peut inspirer toute confiance. Encore fautil qu'elle soit dirigée, d'une main ferme, vers des objectifs précis.

La patience du peuple de France est à bout. Les limites de ses efforts fiscaux sont dépassées. C'est maintenant à Stinnes, Thyssen et Krupp qu'il appartient de payer, et ce à partir du 1er mai. Ils ont voulu la guerre. A leur tour maintenant de monter à la tranchée, de connaître les joies du sacrifice et les amertumes de la défaite. D'autres ont versé leur sang, tout leur sang. Stinnes, Thyssen et Krupp, aujourd'hui encore injustement privilégiés, n'auront qu'à verser leur or, tout leur or.

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JACQUES BARDOUX.

La question des dettes interalliées

La question des dettes interalliées s'est trouvée à nouveau posée à la suite des déclarations du gouvernement anglais qui accepterait de renoncer à ses créances sur les alliés à condition que l'Amérique effaçât les siennes et à la suite des interviews et discours de MM. RolandiRicci, ambassadeur d'Italie à Washington, et Viviani, envoyé extraordinaire de la France, qui proclamèrent : « L'Italie et la France ne renieront pas leurs engagements >>.

La campagne pour la remise des dettes interalliées a été particulièrement vive en Italie; elle mérite d'autant plus d'attirer l'attention qu'elle a été menée par journal aussi important que le Corriere della Sera et par un économiste aussi éminent que le sénateur Einaudi.

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Sa thèse est la suivante: l'équilibre économique de l'Europe ne sera rétabli que le jour où l'accord sera fait sur la question des réparations. Or l'Allemagne ne peut pas ou ne veut pas payer les sommes que lui réclament les alliés, la France en particulier : « Que l'An

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sur

gleterre et l'Amérique renoncent à leurs créances I'Italie, la France et les autres alliés et que les puissances européennes réduisent d'autant leur créance à l'égard de l'Allemagne » (Corriere della Sera, 13 mars).

D'ailleurs les dettes à l'égard des alliés anglo-saxons ne sont pas à proprement parler des dettes. Elles constituent un simple artifice de comptabilité pour indiquer la quotité de l'aide matérielle fournie aux pays qui jetaient leurs soldats dans la bataille. Les alliés vont-ils venir demander aux survivants le prix des aliments ou des munitions livrés à ceux qui sont morts pour la cause commune? (18 février).

Ce qui prouve bien que ces dettes ne sont pas des dettes, c'est le fait qu'elles ne peuvent comporter de sanctions: « La conscience du monde entier se révolterait si les Etats-Unis et l'Angleterre prétendaient agir pour obtenir le remboursement de leurs créances. Agir comment? par une démonstration navale? par des prohibitions d'exporter des marchandises ou des capitaux vers les pays alliés ou par des tarifs douaniers qui arrêteraient les exportations de ces pays...?» (29 mars).

Les adversaires politiques de M. Einaudi et les défenseurs du gouvernement, comme la Tribuna et la Stampa répondirent aussitôt : Voulez-vous compromettre la réputation financière de l'Italie? Voulez-vous interidre à l'Etat la possibilité prunts nouveaux? Voulez-vous empêcher les industriels de contracter des emde trouver les crédits nécessaires à leurs achats de matières premières? Voulez-vous faire monter le change? M. Einaudi répliqua en ces termes : La réputation financière d'un Etat n'est pas compromise, parce qu'il refuse de payer des dettes qui ne sont pas des dettes; il serait à souhaiter que l'Etat ne trouvât plus à em prunter, car le gouvernement dépensera d'autant moins qu'il aura moins de ressources; le crédit des industriels ne se confond nullement avec celui de l'Etat auquel ils appartiennent les Turcs, pris individuellement, ont-ils jamais vu les banques leur fermer leurs guichets? Le change ne monterait pas, puisque l'Etat, ne payant pas ses dettes, n'exporterait pas d'or. Donc que les alliés ne proposent pas à l'Amérique de consolider leur dette, qu'ils temporisent. La Perseveranza (3 avril) suggérait une autre solution pour des raisons d'opportunité, l'Italie reconnaîtra sa dette, mais si, le jour de l'échéance, elle ne peut payer, elle ne payera pas. A l'impossible nui n'est tenu.

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La question nous semble imparfaitement posée : elle est complexe; elle est à la fois juridique, morale et politique. Au point de vue juridique, nul doute: les alliés ont signé une créance; ils doivent rembourser les emprunts. Aucune discussion sur le caractère de la dette. ne permet de l'abroger. Ce n'est pas au jour de l'échéance qu'il est permis d'affirmer Ces dettes ne sont pas des dettes.

La question est d'ordre moral ces dettes, nous l'admettons, sont d'une espèce particulière. Sans doute l'Amérique et l'Angleterre ont pu fabriquer, tandis que les alliés combattaient. Mais elles aussi ont combattu. Il s'agit simplement ici d'une proportion. Ce n'est pas au débiteur à protester la traite qu'il a signée; c'est au créancier à ne pas la présenter, s'il le juge bon. L'Amérique estime qu'elle ne peut accomplir ce geste; elle seule est juge de l'attitude qu'il lui plaît d'adopter. Quoi qu'en dise M. Einaudi, les alliés, en refusant le payement des sommes dues, compromettraient leur crédit, car le crédit et le change dépendent de conditions autanc morales que financières.

La question est encore politique: Vaut-il mieux payer les intérêts de la dette, si lourds soient-ils, et ne pas indisposer l'Amérique pour la ramener dans le conseil des alliés et obtenir sa collaboration? Vaut-il mieux,

pour des considérations d'intérêt immédiat, la rejeter dans son isolement? M. Einaudi propose de faire cadeau à l'Allemagne des soixante milliards que les alliés doivent à l'Angleterré et à l'Amérique : la combinaison serait-elle très morale et très habile, qui consisterait à imposer à des amis le fait d'une dette qui incombe aux ennemis? Serions-nous plus assurés de toucher de Berlin le peu qu'on lui demanderait? L'expérience a pourtant démontré que l'Allemagne se prévaut des concessions pour refuser d'exécuter ses engagements. Nous n'ignorons pas que la France est souvent représentée dans la presse italienne comme infatuée de violence, mais nous savons aussi que la France veut obtenir seulement ce qui lui est dû et que les sourires n'ont jamais réussi à convertir l'Allemagne. Les experts berlinois, qui, on peut en être sûr, ont lu le Corriere della Sera, n'auraientils pas proposé que l'Allemagne se chargeât des dettes alliées à l'égard de l'Amérique. L'Amérique accepteraitelle de substituer un unique débiteur, qui est mauvais, à plusieurs qui sont solvables? La France peut-elle admettre que l'Allemagne se déclare quitte à son égard pour avoir pris seulement à sa charge les quelque trente milliards que nous devons aux alliés? La France devrait-elle aussi faire remise des sommes qu'elle a avancées aux autres Etats en guerre? Ne serait-ce pas préjuger l'avenir et fournir un argument à la Russie le jour où les relations seraient reprises? L'opération pourrait finir par être plus onéreuse qu'avantageuse pour la France.

Toute discussion sur le payement des dettes interalliées ne fait qu'encourager l'Allemagne à ne pas nous régler les siennes. La vérité est que l'Allemagne doit réparer les dommages causés. La morale l'exige. Si l'Allemagne était défaillante, il est certain que les alliés ne pourraient satisfaire l'Amérique. Que tous les alliés et que l'Amérique soient solidaires pour contraindre Berlin à exécuter ses engagements, qu'ils ne se prêtent pas aux ultimes manœuvres que l'Allemagne tente à la veille du 1er mai et la question se trouvera résolue.

LOUIS HAUTECŒUR.

NOTES ET FIGURES

Joseph Reinach est mort.

Joseph Reinach.

L'Opinion, dont il fut un ami de la première heure, se doit de saluer sa mémoire avec respect et avec une très affectueuse estime.

Son nom demeure associé à toutes les batailles de notre vie publique. Homme politique et écrivain, foncièrement républicain, patriote et libéral, il a pendant quarante ans pratiqué au service de ses idées toutes les ressources d'une intelligence richement meublée et d'un courage imperturbable.

Collaborateur et ami de Gambetta, c'est sa conception de la république qu'il défendit par la plume et à la Chambre où il fut pour la première fois élu en 1889 et se distingua par sa multiple activité.

Avec la même énergie qu'il avait apportée à combattre le boulangisme, il se jeta dix ans plus tard dans l'affaire Dreyfus, réclamant la revision du procès de Rennes au nom même de son amour de l'armée, pour l'honneur de la France et de la République.

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Dès qu'il reconnut que l'agitation qu'il avait obtenue tendait à être confisqué par les entrepreneurs de la dissociation nationale et de l'oppression des consciences, il se sépara de ses anciens alliés, combattit le ministère Combes, fut un des associés du mouvement de reconcentration qui s'affirme en France depuis le coup de Tanger.

Rentré au Parlement où la lutte antialcoolique et les questions relatives à l'armée le passionnèrent entre toutes, il fut battu aux élections de 1914.

Au début de la guerre, pendant les cent jours où Galliéni régna sur Paris, j'ai eu la joie de collaborer avec lui au gouvernement militaire, d'admirer quotidiennement son stoicisme au milieu des plus cruelles tristesses privées, sa richesse cérébrale, sa générosité de cœur sans cesse en éveil.

Tenu à l'écart du Parlement, c'est sa plume de journaliste qu'il mit infatigablement au service de la cause nationale. Les chroniques militaires que, sous le pseu-. donyme vite célèbre de Polybe, il donna au Figaro té moignèrent durant quatre ans, sans défaillance, de son ardent patriotisme, de son humanisme, de son optimisme contagieux, de sa foi indéfectible dans la cause du droit et dans notre haut commandement.

C'est un étonnement pour ceux qui n'ont suivi cette carrière que de l'extérieur que Joseph Reinach n'ait pas joué dans notre vie publique le rôle de premier plan, pour lequel il semblait qualifié.

L'Académie ne l'accueillait pas, il ne réussit pas à s'imposer à la Chambre et le suffrage universel lui fut plusieurs fois infidèle.

C'est, je pense, qu'il ne sut pas se faire pardonner quelques-unes de ses plus belles qualités et qu'il lui en manqua d'autres, peut-être plus modestes, mais indis pensables à quiconque aspire aux suffrages de ses sem

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blables.

D'une intelligence singulièrement vaste, vive et informée, d'une haute culture, ajoutant les avantages de la fortune à des dons distingués d'orateur et d'écrivain, Reinach n'était, cependant pas une de ces personnalités dont la puissante autorité s'impose par elle même. Son ardente sensibilité l'entraînait vers toute cause capable de l'influencer. Il lui manquait de savoir ordonner une action et grouper les forces capables de la faire triompher. Ce philanthrope était un fougueux individualiste, répugnant à toute contrainte. Cet opportuniste manquait souvent du sens de l'opportunité. Il avait un magnifique bagage classique et scientifique, avait parcouru une grande partie de la planète et se tenait au courant de la vie universelle. Il connaissait médiocrement l'homme et ne possédait à aucun degré l'art de le manier. On était conquis, surpris, souvent touché, parfois un peu agacé de la candeur et aussi de l'entêtement de certaines de ses illusions.Le principe en était toujours généreux, et souvent destructrices les applications. Ce démocrate loyal avait quelques-uns des travers de l'aristocrate, voire du dilettante. Au lieu de coordonner les sympathies et les bonnes volontés il les dissociait. Infiniment supérieur et par l'intelligence, et par le cœur, à la moyenne de ses pairs dans le monde des lettres et du Parlement, il lui a manqué le sens exact de la vie politique et même de la vie en général, l'esprit de conduite.

Il y aurait une injustice singulière, soulignant ces lacunes, à ne pas remarquer en même temps qu'à certains égards elles lui font honneur et qu'elles nous sont une raison de plus d'apporter notre sincère hommage à une homme dont le nom, passionnément déchiré jadis par les fureurs des partis, demeurera celui d'un bon serviteur de la patrie et de la république.

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ANDRÉ LICHTENBERGER.

La grande pitié du Jardin des Plantes.

Le Sénat vient de relever les crédits de notre Muséum d'histoire naturelle. Hélas! ceux-ci sont encore bien faibles. Seront-ils suffisants pour entretenir ce jardin et ces bâtiments, uniques en France; ces collections, uniques au monde?

Pourquoi notre Muséum fut-il négligé si longtemps, pourquoi l'est-il toujours? Cet abandon ne date pas d'hier, il est difficile d'en définir les causes, mais les faits sont là.

Et tout d'abord, l'espace manque. L'Etat acheta bien, il y a une trentaine d'années, des terrains en bordure de la rue Cuvier, destinés à l'agrandissement du Jardin des Plantes, mais on négligea simplement de voter les crédits nécessaires à leur aménagement. Alors?

Lorsque fut créé l'enseignement préparatoire à la médecine, il eût été aisé de rattacher celui-ci à l'Enseignement du Muséum, qui en eût bénéficié : c'était trop simple, et on l'installa plutôt à grands frais dans de vastes constructions, occupant tous les terrains acquis. Cet enseignement fut rattaché alors à l'Université de Paris, bien qu'il appartînt, au temps même de Guy de la Brosse, au Jardin des Plantes, nommé à cette époque Jardin des Plantes médicinales.

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Plus tard, on s'occupa bien du Muséum, mais ce ne fut pas pour l'embellir: on projeta de construire, soit sur les terrains mêmes du Jardin, soit sur ceux de la Halle aux Vins qui sont situés en face, les vastes laboratoires de chimie élevés depuis sur les terrains du Luxembourg. L'idée vraiment manquait d'ingéniosité: Installer à deux pas de nos arbres précieux, serres et pépinières, à quelques mètres de nos ménageries, une usine de produits chimiques, c'était empoisonner le Jardin et le rendre inhabitable. L'Etat abandonna ce nouveau projet d'agrandissement de l'Université de Paris, au détriment du Jardin des Plantes. Mais s'il ne défigura pas cette fois. le beau jardin, il oublia encore de l'entretenir. Le délabrement des bâtiments du Muséum est la honte du quartier! Actuellement, leur état est tel qu'il fallut, par mesure de sécurité publique, en abattre les corniches qui, en se détachant d'elles-mêmes, menaçaient de tuer les passants. D'ailleurs, voilà vingt-cinq ans que la reconstruction des vieilles galeries de zoologie, le long de la rue Geoffroy-Saint-Hilaire, est décidée. Et l'orangerie rouge? Les fondations en sont commencées depuis nombre d'années. Et les vieilles galeries d'anatomie comparée? Manque de crédits, toujours.

Pour réparer tant de désastres, on parle de faire payer le public qui pénétrerait dans le parc réservé. Cette mesure est excellente. Pour le flâneur et l'étranger, le Jardin des Plantes représente la plus charmante des promenades, le plus divertissant des spectacles. Soyez persuadés que le public y viendra nombreux, lorsque vous aurez sélectionné les prisonniers, toutefois, et amélioré leur sort. Il faut leur dispenser de plus larges espaces qui les consoleront de leur liberté perdue. On ne verra plus alors que de beaux sujets: ce n'est pas le cas actuellement. Quelle tristesse dans cette « Allée des fauves »>! Rien n'est misérable comme cette captivité-ci. Ces rois sont bien pauvres dans leurs cages étroites, humides et délabrées. Il leur faut aller et venir, bondir, et non pas grelotter, rachitiques, dans des caves sans air. Pourquoi les jardins du Muséum, bien peuplés ne recevraient-ils pas, à l'avenir, des visiteurs aussi nombreux que ceux de Londres et d'Anvers? On vient de démolir l'hôpital de la Pitié; un quartier neuf s'élèvera à sa place; le voisinage du Jardin des Plantes ajoutera à son attrait. Le Muséum a traversé de pires épreuves; tant bien que mal, il est toujours debout; souhaitons de le voir attrayant et magnifique.

Se souvient-on que le directeur, au moment du bombardement des Berthas, dut faire, dans sa ménagerie, de gros sacrifices? « Une bombe bien lancée, disait-il alors, libérerait facilement ma panthère! ». Vous devinez le désastre? Il dut la faire tuer. Justement, le hasard voulut que ce fût une charmante panthère, affectueuse et docile son gardien, qui l'adorait, la pleura. On aurait pu, il est vrai, mobiliser un peloton de gardes municipaux, fusil au bras, chargé d'abattre les fauves, le cas

échéant; mais il est probable qu'avant de subir son sort, la panthère, qui est vive comme un oiseau, eût attaqué elle-même son peloton d'exécution: il fallut la sacrifier. On sacrifia aussi le serpent à sonnettes autre danger - qui fut déposé pieusement dans l'alcool... et les habitants du quartier, dès lors, dormirent tranquilles. MARIE-LOUISE PAILLERON.

Le brave général Papoulas.

Les Grecs continuent d'exécuter leurs généraux vistorieux. Ils viennent de relever de son commandement le chef de l'armée d'Asie-Mineure; pourtant n'annonçaientils pas que les opérations des dernières semaines constituaient une victoire position stratégique d'AfioumKara-Hissar, feinte devant Eski-Cheir, initiative conservée des opérations, etc. Et ce n'était pas la première victoire du général Papoulas. Il en avait déjà remporté une en décembre 1916, entre la colline des Muses et l'Acropole, où, suivant le style des journaux grecs, il avait vaincu les vainqueurs de l'Yser » (c'est nous). L'on voit que le brave général Papoulas est, comme isait un Pandore, un « stratège invétéré ».

Il faut croire, en effet, que ses titres au commandement en chef de l'armée grecque furent qu'il avait commandé contre nos marins les troupes grecques, réguliers et volontaires, lors du fameux guet-apens d'Athènes, et qu'avec 15.000 hommes il avait accablé sous le nombre 3.000 Franco-Anglais sans méfiance. Quand s'organisa en novembre 1916 l'agitation contre l'Entente, le général Papoulas, qui commandait le 5 corps d'armée en Epire, quitta le siège de son corps pour venir à Athènes, où sa présence redoubla l'activité des germanophiles et où il prépara la résistance armée des « réservistes »>, dont il prit le commandement secret.

Au matin du 1er décembre, comme les marins alliés et les soldats et réservistes grecs se trouvaient déployés en face les uns des autres, les premiers croyant prendre part à une simple démonstration, les seconds préparés de longue date, excités par les agitateurs et prêts à faire le coup de feu, on vit apparaître en automobile le général Papoulas, accompagné du capitaine de vaisseau Typaldos, l'un des principaux germanophiles. Papoulas, qui, non plus que son compagnon, n'avait officiellement aucune raison de se trouver là, puisque son corps d'armée était en Epire, était venu passer l'inspection de ses bonnes troupes. Sa présence, qui excita l'ardeur des Grecs, fut d'ailleurs habilement exploitée contre les Alliés, et d'une manière qui montre bien le coup monté comme des coups de feu avaient été tirés contre nos marins de maisons voisines du chemin de fer électrique, une rumeur courut le front des troupes grecques et déclancha immédiatement leur feu sur toute la ligne : « On a tiré sur Papoulas ! » Ainsi était provoqué le conflit, méthodiquement préparé où le général allait cueillir ses premiers lauriers.

L'action du général Papoulas ne se limita pas à cette journée. Durant le temps qui s'écoula entre le 1er décembre 1916 et l'abdication du roi Constantin (11 juin 1917), Papoulas s'occupa activement de recruter des bandes de comitadjis, qu'il envoyait en Macédoine, harceler les derrières de l'armée d'Orient.

Le retour de M. Venizelos vint malheureusement entraver une si brillante carrière. Papoulas fut d'abord considéré comme suspect. Mais montrant une habileté diplomatique égale à sa science militaire, il sut faire croire qu'il était revenu à de meilleurs sentiments et il évita les sanctions qui le menaçaient. Les gens bien renseignés ils s'appellent légion dans la patrie d'Aristophane savaient que ce n'était là qu'une feinte, un stratagème, et que le roi Constantin pouvait toujours compter sur Papoulas.

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Constantin ne fut pas un ingrat: sitôt de retour, il nomma le général Papoulas commandant en chef de l'armée d'Asie Mineure, en remplacement du général Paraskevopoulos, vénizeliste dangereux. Et c'est ainsi que le héros du 1er décembre pouvait mettre naguère sa signature au bas de magnifiques bulletins de victoire... Hélas! il n'en a signé que de défaites. Ce n'est pas seulement à Rome que la roche Tarpéienne est près du Capitole.

JEAN LONGNON.

Mammeri, le Kabyle.

Il arrive, mais c'est rare, qu'un jeune artiste, après s'être appliqué pour faire aussi bien que ses aînés, pour agencer comme eux des ombres bien rondes et des volumes bien photographiques, en vienne à dépasser cet idéal scolaire. Mais, le plus souvent, d'avoir à peu près donné l'illusion d'une ressemblance au moyen des quelque cinq ou six trucs essentiels en quoi consiste la grammaire de l'art de peindre, le débutant éprouve une satisfaction telle qu'il n'en cherche plus d'autre.

Il se perfectionnera, par l'usage et le soin, et fera tout simplement un exposant de plus à la Nationale, voire aux Artistes français. Aussi, quand, sachant s'exprimer, il outrepasse le procédé, quand il retrouve, ne serait-ce qu'une seconde, sa vision du temps où nul tableau n'était venu se placer, souvenir obsédant, entre la nature et ses yeux, il faut s'arrêter longuement et se recueillir, car, grand ou petit, c'est en présence d'un artiste véritable qu'on se trouve. On en

a fortement l'impression, à contempler les œuvres du Kabyle Mammeri Oh! qu'on se rassure! 11 ne s'agit point ici de quelque douanier-Rousseau bédouin. Un instant, je l'avais redouté.

-M. Mammeri? (m'avait-on dit, à cet Office francomarocain, où le peintre gare ses tableaux), M. Mammeri?

le voilà.

Et, dans une sorte de fumoir style « Agence Cook »>, meublé de cuir et tapissé d'affiches, j'avais vu, nonchalamment assis, un Marocain taciturne empaqueté de soie violette et de coton crème : n'est-ce point un art déjà que d'être « Persan >>?

Avec un accent bien plus pur que celui de M. Bourdelle, le Marocain m'accueillit. Dans un autre « bureau »>, bien nu, que troublent seulement d'injurieux appels téléphoniques auxquels Mammeri, plein d'une superbe toute orientale, ne répond pas, il voulut bien me montrer ses

œuvres.

Les plus anciennes étaient médiocres; il n'est pas un élève de Cormon qui ne peigne ainsi. J'étais déçu. L'Arabe le vit et me conta ses débuts: il était instituteur, près de Constantine; il dessinait; un peintre l'approuva, le guida, lui dit comment indiquer des volumes par des traits et par des ombres.

Oh! la faible chose que ces premières récitations: quel air déplaisant d'enfance roublarde en ces étoffes qui drapent ce vieil Arabe, dans cette «< classe » où les bambins en chéchia sont juste assez « bien faits » pour atteindre cette perfection équivoque des chefs-d'œuvre accomplis dans les prisons! Mais d'où vient que l'œil ne peut s'en détacher sans un peu de regret? D'où vient que l'ombre fraîche et claire de l'école, avec la grande carte au mur, nous rappelle soudain cette odeur de carreaux arrosés, de poussière fraîche qui flottaient, dans la classe, par les torrides jours d'été, quand nous étions petits?

Et puis tout change d'un coup. Dans sa tunique au dos large, l'Arabe se penche, prend d'autres châssis; et nous entrons dans un monde nouveau.

L'instituteur indigène, plein de zèle et de soumission, qui peignait presque aussi bien que M. Dinet, a disparu. I Devant mes yeux passent des villes de rêve, que je devine

exactes pourtant. L'essence du site, son âme est là, non plus ses verrues et ses rides. Voici la grande ville blanche, faite de tous les blancs discrets, mats, un peu. crayeux, les blancs qu'exaspère le soleil et qu'engourdit l'ombre; les grandes maisons cubiques sans fenêtres; es rues que des arcades jalonnent; les cieux profonds et doux; tout un Orient marocain, sans bariolage, sanscriaillerie de couleurs, mais au contraire plein de belles teintes, marqueté de tous les ocres, de tous les beiges, et de tous les bleus tendres. Puis voici la ville grise et les parois moites de ses rues où tombe parfois, comme un petit éboulis de gravier, le caquettement des cigognes inconsciemment « vallotonniens» s'élèvent les immenses qui s'érigent au sommet des dômes. En des paysages chênes verts de Kabylie avec, à leur pied, les squelettiques frênes effeuillés. De nouveau, ce sont les blanches terrasses. Le soleil vient d'être gobé par l'horizon; sur chacune d'elles apparaît, jusqu'à l'infini, le groupe des femmes qui vont prendre le thé.

La nuit est venue; les terrasses sont désertes et bleues, mais là-bas, dans le rectangle d'une embrasure qui s'ouvre sur le rose intérieur d'un appentis éclairé, on voit passer une femme qui vaque aux derniers soins u jour. La poésie éternelle et douce de l'Islam vous étreint un peu plus; et toujours, impassible, l'Arabe fait passer ses toiles du même geste indifférent. ROBERT REY.

La Littérature

"Le Génie du Rhin

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La vie privée d'un auteur ne regarde que lui-même et ses proches tant qu'il est vivant toutefois, car il paraît assez que notre curiosité n'épargne pas les secrets des défunts. Et pourquoi s'en ferait-elle scrupule? Le Calepin de Paris demandait récemment à quelques écrivains si c'est, à leur avis, commettre un sacrilège que de dévoiler l'existence intime des grands morts. Je n'en crois rien, n'ayant pas tendance à faire des dieux avec des hommes. Le besoin d'admirer le plus merveilleux écrivain jusque dans ses mœurs, jusque dans sa personne m'a toujours paru marquer la plus fâcheuse idolâtrie. Au contraire, le propre d'un esprit viril n'estil pas de bien distinguer les sentiments qu'on a pour l'homme de ceux qu'on a pour l'œuvre, et ce qui est de l'amour de ce qui est de l'intelligence et de la sensibilité esthétique ? Ce serait une âme bien trop féminine qui aimerait moins les Lundis et les Carnets de SainteBeuve parce qu'on lui révèlerait que l'auteur a commis, en imprimant son Livre d'amour, une dégoûtante action. On est ici si peu sujet aux « latries » qu'on n'a jamais senti cette indignation dont se trouvent saisis certains admirateurs vraiment religieux de Hugo, par exemple, lorsqu'on leur assure que l'intelligence de ce poète non pareil était fort ordinaire: combien son génie apparaît plus beau, pourtant, d'être ainsi plus mystérieux ! Non vraiment, les morts n'ont rien à perdre à ce qu'on nous fasse connaître leurs pires faiblesses mêmes. Au reste, nous ne leur devons que la vérité. Et, comme disait Jules Lemaître, « ils n'ont d'autre pudeur que celle que nous leur prêtons afin de donner bonne opinion de notre délicatesse ». Mais nous ne saurions en user si familiè rement avec les vivants sans de grands inconvénients. Soit-ce pour les louer, il est imprudent de parler de leur vie privée.

Ainsi, au cas même où l'on connaîtrait M. Maurice Barrès, il ne serait pas permis de communiquer au public de personal remarks. Mais il n'y aurait sans doute

(1) Par Maurice Barrès (Plon-Nourrit).

pas grand mal si quelque fantaisiste en usait avec l'auteur de Du sang, comme celui-ci fit avec M. Renan lorsqu'il écrivit (de la façon la plus incomparable) le récit de huit jours qu'il supposait avoir passés en compagnie de ce maître vénérable et délicieux. A vrai dire, d'aucuns s'y sont essayés, mais les premiers sans légèreté (1) et les seconds avec une platitude et une mauvaise foi extraordinaires (2): il y faudrait sans doute autant de talent qu'en avait, précisément, «<le jeune M. Barrès». Or, celui-ci savait bien que c'était un Renan tout stylisé qu'il mettait en scène, que c'était le Renan ses rêves. De même l'auteur de la vie imaginaire de M. Barrès n'ignorerait pas que le portrait qu'il tracerait après les livres de son héros serait fort légendaire, et que ce ne serait, si l'on veut, que le portrait de Philippe. Mais quelle amusante songerie pour lui!

de

Je pense qu'il tiendrait à montrer Philippe, politicien d'abord un peu dilettante, pris peu à peu et tout entier par la politique. Imagine-t-on une plus curieuse évolution chez un intellectuel de cette sorte ? Comme une passion ne saurait être vaincue que par une autre passion (Spinoza l'assure), il faudrait supposer Philippe éperdument épris de la France, et au point de lui immoler jusqu'à son goût voluptueux des spéculations intérieures. Car tel est le premier sacrifice nécessaire pour devenir politicien. Il faut, en effet, se rendre capable de considérer en toute idée, toute parole, tout écrit, l'influence qu'il peut avoir sur la foule, s'intéresser à cela d'abord et à peu près uniquement. Il ne s'agit plus de considérer la beauté, ni la valeur absolue de rien; il s'agit d'en considérer l'utilité pratique et cela fait. une grande différence. La politique est à l'intellectualité comme le théâtre moderne est à la littérature: le seul criterium des deux premiers est le succès. Au fond

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nous

tandis que le nombre des éditions d'un livre ou la vogue populaire d'une sculpture nous indiffèrent, nous semblent n'en marquer ni la beauté, ni la laideur admettons qu'une bonne pièce ne saurait « faire four >> tout à fait, qu'elle doit plaire au public et l'attirer ; de même un bon discours, un bon écrit, une bonne pensée politiques, ce sont ceux qui agissent sur la foule. Ils n'ont pas leur fin en eux-mêmes: ils ont pour objet d'exercer une action. Enfin, un parlementaire parfait, c'est celui qui est capable de ne considérer dans les plus belles pensées que leur poids, pour ainsi dire: supposez un guerrier qui, manquant de rocher pour enfoncer la porte d'une cité, sans hésiter chargerait sa baliste d'une statue de Phidias. Ah! cela n'irait pas sans détériorer beaucoup cette œuvre d'art ! Aussi voit-on que les politiciens détériorent considérablement les hautes pensées : ils en font des lieux communs. C'est que ceux-ci, seuls, portent bien. Si nous supposions quelque discours parlementaire ou quelque interview diplomatique de Philippe, il n'y prononcerait que des banalités : c'est ainsi que nous le montrerions parvenu au comble du raffi

nement.

Mais cela suffit à faire sentir que notre Barrès imaginaire ne ressemblerait pas plus au véritable que le M. Renan des Huit jours à celui qui a vécu et qui, comme on sait, était volontiers anticlérical en conversation. Car M. Barrès paraît éprouver quelque difficulté naturelle à user de la pensée et du style parlementaires, et cela a dû nuire beaucoup à sa carrière. Son Génie du Rhin même, qui entre tous ses ouvrages se présente le mieux comme « un acte politique », est d'une qualité intellectuelle qui l'empêche de ressembler si peu que ce soit aux illustres messages du président Wilson. Aussi n'oset-on s'assurer qu'il aura un succès de la même sorte. Ce sont les cinq leçons que M. Barrès a professées en

(1) Une heure chez M. Barrès, par un faux Renan (Tresse et Stock, 1890).

(2) Le Jardin de Marrès, par Bérénice (Ollendorff éd.).

novembre dernier dans l'Université de Strasbourg, et où il s'est proposé de faire l'histoire de notre sentiment du Rhin au XIX siècle, puis de marquer en quoi consiste l'esprit, l'âme, la volonté, la couleur morale et sentimentale de la Rhénanie. Il a voulu traiter ce beau sujet tout à fait objectivement. Si pourtant il s'est parfois introduit dans ses arguments pour y mêler les raisons de son cœur »>, personne ne s'en plaindra au contraire. C'était avant les romantiques que le Je et le Moi étaient haïssables. Depuis ses premiers livres, M. Barrès a usé de ces pronoms personnels avec une abondance dont l'impertinence voulue est la plus charmante du monde. C'est aussi, je pense, que nul plus que lui n'a subi l'influence du subjectivisme de Kant. Il a toujours eu, avec une force étonnante, le sentiment que la seule réalité qu'il tînt, sur laquelle il pût dire des choses profondes et intéressantes, c'était son moi (dont la patrie est un agrandissement). Dans le Génie du Rhin, il s'efforce de ne donner que « des faits, et encore des faits », et de sacrifier toute littérature. Ce sont là des desseins qu'il peut se permettre, car heureusement il ne les réalise pas. (Voir p. 25-27 deux descriptions qu'il reproduit et qui sont parmi les plus belles pages qu'il ait écrites.) Il ne serait pas impossible de compléter son information historique; il le dit lui-même. Ce qui ne se peut, c'est d'égaler sa grande et magistrale façon.

Après 1792 et 1793, après Jemmapes, « quelle irrésistible poussée de dilatation du cœur français ! Ce cœur français bat si fort qu'il inonde toute la rive gauche d'une impulsion généreuse et facile ». Mais c'est Napoléon qui vraiment fait vivre la Rhénanie. Ses préfets, Jeanbon-Saint-André surtout, s'intéressent à son histoire et à ses traditions: c'est par leurs soins que se fondent le musée Walraff à Cologne et le musée provincial à Trèves, avec leur appui que se développe la protection des ruines. « La charité a été organisée sur le Rhin par le gouvernement français avec la collaboration locale et le concours des ordres religieux français >> ; les bureaux de bienfaisance sont des fondations de nos administrateurs. Enfin, l'Empire encore s'efforce par tous les moyens d'organiser l'industrie; fonde des expositions, des concours, des primes; crée les conseils de prud'hommes, des chambres de commerce, des notables, etc... Et après 1815, longtemps la Rhénanie conserva et s'appliqua à entretenir le « souvenir français », reconnaissante du raffinement qu'elle avait entrevu grâce à nous, de nos idées libérales, de notre esprit de société, de notre belle législation napoléonienne, de notre gloire militaire où ses soldats avaient participé... Mais la Prusse, ayant le terrain libre, agissait.

Sa colonisation, sa propagande furent longtemps si gauches et si brutales qu'elles rapprochèrent d'abord de la France beaucoup d'Allemands. Mais voici que, sur les bords mêmes du Rhin se fonde, en 1818, l'Université de Bonn; voici que paraît le Rheinischer Beobachter, et que de tous côtés monte la légende du Gaulois inconstant, frivole, léger et immoral. De notre part, nulle défense. Alors peu à peu, des bonapartistes, des francophiles convaincus commencent de tourner casaque, avec cette facilité à sauter d'un extrême à l'autre qui est le propre d'une race dont la force est faite du défaut de caractère. Cependant le petit homme à la redingote grise vit toujours dans la légende populaire, où souvent il prend la place de Frédéric Barberousse, et beaucoup d'enfants, comme Henri Heine, n'oublieront jamais leurs tambours Legrands; et beaucoup de vieux soldats demeureront ivres jusqu'à leur mort de la gloire impériale, comme le caporal Spohn dont on dit qu'il a sauvé Napoléon en lui prêtant son shako, comme le capitaine Karl Geib, comme le vétéran Conrad qui tient à Dülkur une petite école française, comme beaucoup d'autres encore.

Voici les « trois glorieuses ». La révolution de 1830

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