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qui dirige chacune des branches de la production et contrôlent les entreprises », dont la main-d'œuvre a été réduite. Mais « centrale » et « entreprises » ne marchent pas mieux. L'ouvrier, découragé et démoralisé, ne produit plus. La mobilisation du travail, décrétée en octobre dernier, est restée sans effet. Pour trouver cinq hommes disposés à nettoyer une chaudière dans les usines Oboukloff, il fallut négocier pendant deux mois, accepter un salaire de 60.000 roubles par jour et prévoir 20 livres de harengs, 20 livres de friandises, etc. L'extraction du charbon dans les bassins du Donetz et de Moscou est tombée de 10 millions de tonnes en 1918 à 5.506.000 en 1919 et 5.048.000 en 1920, contre 27 mil. lions en 1913. Au cours de l'hiver 1920-1921, les arrivages de houille, de naphte et de bois à Petrograd bais. sent régulièrement. L'ordonnance du 24 décembre doit, faute de combustible, arrêter la circulation sur dix-neuf lignes de chemins de fer. Le Conseil Economique de Petrograd, au début de février 1921, ferme, jusqu'au 1er mars, 64 usines et, peu de jours après, réduit les. rations du ravitaillement. Depuis, la situation s'est encore aggravée. La foule pille les wagons de combustibles et les tenders des locomotives. Pour chaque train, il faut prévoir une escorte armée. Seules deux lignes, celles du Nord et Moscou-Kazan, fonctionnent régulièrement. Sur 1.500 kilomètres, la circulation est totalement interrompue. Ailleurs, elle n'est qu'intermittente. «La crise atteindra seulement son apogée au mois de mai ou de juin, moment où la situation de nos chemins de fer, au point de vue du combustible, sera pire que dans l'année catastrophique de 1919. » (Economistcheskaia Jizn, 10 février.)

Et, pendant ce temps, les diverses « Centrales » échangent des reproches et lancent des ukases.

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L'évolution agraire concorde exactement avec l'évolution industrielle. De même que sur les usines, hier encore exploitées par une main-d'oeuvre ignorante, s'abat une nuée de fonctionnaires et de techniciens, cadres d'une bourgeoisie nouvelle, de même les quelques centaines de « communes », constituées avec les grands domaines et exploitées par des co-propriétaires, ont toutes disparu. Sur leurs débris s'élève une classe nouvelle de petits propriétaires. Les terres paysannes, qui représentaient en 1905 76 0/0 de la superficie, dès 1919 couvraient 96 0/0 du sol cultivé. Les grands domaines ont disparu. Les moyennes exploitations se sont morcelées. Mais, ces paysans, traqués et méfiants, plus encore qu'ignorants et mal outillés, ne se préoccupent que d'assurer strictement leur ravitaillement en seigle. De 1917 à 1919, tandis que le nombre des chevaux, des ovins et des porcs baissait de 6, 21 et 44 0/0, la surface cultivée en froment, avoine, pommes de terre, lin et chanvre diminuait de 19, 23, 13, 32 et 27'0/o. Faute de semences, la situation s'est encore aggravée. La Pravda du 22 février 1921 annonce que les services soviétiques n'ont pu fournir aux paysans que 23 millions de pouds de graines sur 199 millions, 27 et 23 0/0 des graines de lin et de chanvre, 14 0/0 des semences d'avoine t d'orge, 7 0/0 des semences de blé et de seigle! On peut donc prévoir « que les 22 provinces consommatrices, cù Les réserves de grains font défaut, ne seront pas en mesure d'ensemencer leurs terres. Elles sont menacées de famine. »

Au moment où une pareille faillite semble compromettre leurs sanglants essais de régression sociale, est-il prudent de consolider les Bolcheviks par un succès diplomatique ?

Car c'est un succès, d'avoir pu, sans représailles ni sanctions, entreprendre contre l'Empire britannique des Indes les actes d'hostilité, dont R. S. Horne a, le 16 mars, dans sa note à Krassine, dressé le sensationnel bilan. L'agent russe à Kaboul Suritz, a négocié pour obtenir

l'autorisation de ravitailler en armes et en munitions les populations belliqueuses de la frontière Nord-Ouest; il a obtenu le concours du commandant en chef des troupes, Afghanes et d'un envoyé turc, Jawal Pacha. Il est entré en contacts permanents avec plusieurs agitateurs Il cherche à établir en Afghanistan les imprimeries. nécessaires pour hâter l'insurrection. Il prévoit l'installation d'une base militaire sur la frontière du Pamir. Non seulement le Foreign Office accepte de ne point exiger, pour des entreprises de brigandage, les sanctions du droit; mais encore il pousse la condescendance jusqu'à retoucher le projet de convention commerciale, dressé en janvier dernier. Il fait disparaître du texte nouveau la réserve « sur le statut légal » du gouvernement russe, qui empêchait de reconnaître le régime des Soviets. R. S. Horne va plus loin encore. Il introduit. (clause III) les Bolcheviks dans le Comité International pour la direction des Mines. Il souscrit à des amendements plus surprenants. L'Asie Mineure et la Perse ne figurent plus, à côté de l'Afghanistan et des Indes, sur la liste des pays où Moscou s'interdit toute propagande. D'ailleurs, l'addition d'une épithète, «< propagande officielle », accroît la liberté d'action des Tzars modern style.

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Mais là ne s'arrêtent point leur succès diplomatiques. Deux retouches apportées aux clauses I et 2, viennent restreindre, pour l'avenir, la menace d'une intervention britannique. L'Angleterre renonce à « toute action ou entreprise hostile..., toute propagande officielle, directe ou indirecte... dans les pays qui faisaient partie de l'Empire russe et sont devenus indépendants. » De même « elle ne participera à aucune mesure, elle n'encouragera aucune mesure, qui restreindrait le droit pour les navires russes à circuler librement en haute mer. » Quelle est exactement la portée de ces amendements apportés au projet de janvier dernier ? Ils équivalent, le Daily Telegraph l'indique avec raison, à une promesse de neutralité bienveillante, au cas où les Bolcheviks attaqueraient Baltes et Polonais. Je ne me charge pas de concilier cette déclaration avec la garantie donnée à la Pologne par les signataires du traité de Versailles. Mais ce que je sais, c'est que le gouvernement britannique, en acceptant ces amendements, a levé l'un des obstacles qui empêchaient Trotzky de préparer une guerre contre la Pologne. Krupp, en réorganisant les fabriques russes de munitions, le libérera des autres. Décidément, la France seule sait travailler pour la paix...

Pour quelles raisons le cabinet anglais, en écartant cette triple objection et en signant ce texte retouché, s'est-il montré si imprévoyant vis-à-vis de l'avenir de l'Europe, si indulgent pour les entreprises de Suritz, si

confiant dans la stabilité des bolchevik ?

Une fois de plus, la politique intérieure domine et explique l'action diplomatique du Royaume-Uni. L'industrie est trop atteinte et le chômage trop intense pour que D. Lloyd George puisse s'offrir le luxe de renoncer, par prudence ou par rancune, à l'espoir de rouvrir un débouché commercial. Sous la double menace des ouvriers, exaspérés contre les Centrales, qui réclament « le retour à la bourgeoisie » et pratiquent la grève des bras croisés (Pravda, 12 février) et des paysans (exaspérés contre les réquisitions, qui demandent l'élection d'une Constituante et pratiquent la grève des charrues), les bolchevistes sollicitent, paraissent solliciter le concours des capitalistes étrangers. Né le 23 novembre 1920, un décret rendu par le Conseil des commissaires du peuple fixait les conditions auxquelles les commissaires chargés d'exploiter région ou un produit, pourraient édifier les usines et poser les rails sans appliquer le Code bolcheviste du travail fabriques de produits tannants, de générateurs, de colorants et de cuirs; des forêts, et jusqu'au Kamtchatka seraient aussi concédés à des Suédois, des

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Allemands, des Américains. Pourquoi pas à des Anglais ? Le 1er janvier, l'Ekonomitcheskaia Jign annonçait que la Section des Exportations, répartie en divers bureaux, avait réuni, classé et emballé des fers, des cuirs, des pétroles, des bois pour une centaine de millions de roubles-or. Dans les imaginations soviétiques, les millions et les idées surgissent avec la même fécondité, s'évanouissent avec la même rapidité.

C'est possible. Mais il doit bien y avoir, en Russie, quelques miettes à récolter. Du 15 mai au 31 décembre 1920, les Allemands ont vendu à la Mission soviétique pour 321 millions de marks de vêtements militaires, machines agricoles, ampoules électriques. (Ekonomitscheskaia Jisn, 25 février). Le 18 février dernier, ils ont signé à Moscou un accord destiné à faciliter la reprise des échanges commerciaux, et ils n'ont révélé son existence que le 17 mars. La Suède et la Grèce ont, depuis longtemps déjà, repris pied sur le marché russe. Rome négocie avec Moscou... S'il n'y avait pas en Russie le moindre grain de mil à se mettre sous la dent, pourquoi assisterions-nous à efforts aussi nombreux et aussi discrets pour pénétrer

en Russie avant l'arrivée des concurrents ?

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Le gouvernement britannique, en entrant dans la même voie, et en acceptant l'accord provisoire du 16 mars, ne s'est pas préoccupé seulement de donner un apaisement aux clameurs ouvrières et une satisfaction aux angoisses commerciales, il a voulu, comme l'indique le correspondant diplomatique du Daily Telegraph, toujours judicieux et toujours renseigné, signer une contreassurance. Sa valeur est médiocre. Son efficacité reste incertaine. Mais la situation aux Indes est trop grave pour que le Foreign Office puisse écarter la moindre occasion de fermer, ne serait-ce que pour un temps, un centre d'agitation aussi dangereux que l'Afghanistan. Le nationaliste Gandhi n'a-t-il pas déclaré, le 15 mars, que les progrès du mouvement de non-coopération avec les autorités britanniques, organisé d'après les exemples du sinn-fein, étaient assez rapides dans les masses rurales et dans les milieux universitaires pour qu'il puisse, dans un avenir prochain, donner l'ordre aux contribuables de refuser l'impôt, et aux cipayes de déposer leur fusil ?

En présence de pareilles éventualités, il faut savoir passer l'éponge, écarter les scrupules et signer vite. Et le 22, les Communcs conservatrices ont donné raison à D. Lloyd George.

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Après avoir renoncé la dernière à une politique d'intervention qui ne pouvait que consolider la dictature bolchevik, et compromis son prestige moral dans l'aventure Wrangel qui devait se terminer par lamentable effondrement, la France est aujourd'hui totalement isolée vis-à-vis du problème russe. Créancière pour des milliards et alliée de la Pologne, elle se trouve, comparée aux autres nations occidentales, avoir le maximum d'intérêts engagés, et courir même temps le maximum de risques politiques. Cette situation de fait lui interdit de persévérer dans le même isolement diplomatique et dans les mêmes méditations distinguées. Il faut que le Quai-d'Orsay, éclairé, par ses échecs mérités, ait enfin une politique russe, cohérente et réaliste.

Deux solutions paraissent possibles.

en

Dans son discours du 22, M. Lloyd George a rappelé que la France avait jadis accepté de prendre part à une conférence qui eût examiné l'ensemble des problèmes orientaux et à laquelle les Soviets ont refusé de parti ciper. Il a indiqué que l'accord commercial restait subor donné à la signature d'un traité définitif. Le cabinet britannique, dont la paix orientale reste un intérêt principal ne pourrait qu'être heureux de voir ses alliés participer à cette négociation. Leur présence ouvre un recours et constitue une garantie.

D'autre part, des groupes américains ont violemment critiqué la convention anglo-russe. Le Journal of Com merce et la Saturday Evening Post ont démontré son inefficacité économique. Le New York Times a souligné ses dangers politiques: « La Russie a une grande armée, peut-être la plus puissante du monde en ce moment. L'accord de M. Lloyd George tend à assurer le ravis taillement et l'équipement de cette armée, qui pourra être utilisée contre l'un des pays alliés de la GrandeBretagne, au cours de la dernière guerre, ou contre tous. Non seulement M. Lloyd George traite une affaire malpropre, mais encore il caresse la tête de chiens enragés. » (sic). Quelques jours plus tôt, le 24 février, le New York Times, au cours d'un éloquent article sur les Droits de la France écrivait :

« Les pacifistes ne peuvent lui pardonner, parce qu'elle appelle un chat un chat, lorsqu'il s'agit des Soviets. Les ennemis invétérés de la Pologne ne peuvent lui pardonner, parce qu'elle a aidé l'aigle blanc à déployer de nouveau ses ailes. ».

Washington et Paris ont été du même sentiment en septembre 1920, lorsqu'il fallut, une première fois, saúver Varsovie. Pourquoi ne le seraient-ils pas aujourd'hui. pour définir leur politique orientale, sauvegarder les libertés russes et garantir l'indépendance polonaise? Accord occidental avec la Grande-Bretagne; accord oriental avec les Etats-Unis la réalisation de cette double formule ne donnerait-elle pas à la République. française le maximum d'indépendance politique avec le minimum de risques militaires?

La France serait ainsi toute désignée pour servir d'intermédiaire et peut-être d'arbitre entre les deux nations de langue anglaise, dont la rivalité, dans les batailles du charbon, des frets et des cuirassés, constitue le fait capital des années qui viennent. Du train dont vont les choses, étant données la gravité de la crise écomique et la violence des polémiques quotidiennes, qui oserait affirmer l'inutilité de cette tierce partie? Personne. Si l'Allemand.

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JACQUES BARDOUX.

Erratum. Dans notre numéro du 19 mars, page 306, c'est par suite d'une erreur de typographie que cette phrase « L'Angleterre ne peut être traînée derrière les roues du char du Fochianisme sans l'assentiment des travailleurs » a été attribuée au Daily Mail. C'est au Daily Herald, journal du Labour Party, qu'elle était empruntée (n° du 8 mars). Le Daily Mail nous rappelle à cette occasion et nous sommes très heureux de le reconnaître qu'il a toujours, au contraire, accordé son appui le plus loyal à l'Entente.

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M. Homolle l'a entretenue de la nouvelle campagne des fouilles de Grèce et d'Asie Mineure. Il venait de recevoir de M. Charles Picard, directeur de l'Ecole française d'Athènes, le programme de cette campagne qui s'ouvre ce mois-ci et qui promet d'être féconde, si ne viennent pas la troubler les événements militaires ou politiques. D'ailleurs, une importante mission allemande pourvue de deux directeurs, d'une large subvention, ét assurée, par surcroît, comme il était aisé de le prévoir, de l'appui le plus bienveillant du souverain et des autorités hellènes, va travailler parallèlement à l'Ecole

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française d'Athènes. Il faudra à nos compatriotes beaucoup de patience et beaucoup de tact pour éviter non seulement des froissements, mais des passe-droits. Pourtant il eût été si simple de leur aplanir les voies. M. Homolle avait demandé qu'on se hâtât de renouveler nos privilèges pour Delphes et pour Délos. Au temps de M. Venizelos cette formalité se fût trouvée remplie rapidement. Ecouta-t-on M. Homolle d'une oreille trop distraite? Estima-t-on que ce savant abusait, en ces temps graves, de l'attention des pouvoirs publics en les sollicitant sur les fouilles de Grèce qui, aux yeux de certains hommes politiques, n'ont aucune espèce d'importance? Ou plutôt ne comprit-on rien à ce qu'il demandait? Toutes les hypothèses sont permises, et quoi qu'il en soit, le résultat est là notre œuvre à Delphes et à Delos, si brillamment conduite jusqu'à ce jour peut être reprise par n'importe qui, et ce n'importe qui, que l'on devine, ne se fera pas faute de nous frustrer de la suite de nos découvertes.

Quand un homme de l'intelligence et de l'autorité de M. Homolle, qui a fait des fouilles de Grèce ce que l'on sait, qui a mis l'Ecole française au premier rang et fort en avant de toutes les concurrences, le ministère devrait au moins l'entendre et suivre ses avis.

Telles sont les amères réflexions qu'échangèrent les membres de l'Académie des inscriptions et belle-lettres. Justement M. Clermont-Ganneau, à son tour, leur parlait mercredi des monuments découverts à Biblos, en Syrie, par M. Montet, chargé du cours d'égyptologie à l'Université de Strasbourg. Cette Biblos paraît fertile en monuments égyptiens et en inscriptions cunéiformes, qui révèlent là toute une influence qu'on y soupçonnait à peine, jusqu'aux découvertes de M. 'Montet.

Mais ces découvertes ne sont qu'un prélude, et l'on a la certitude que de nouvelles recherches donneront beaucoup. L'exploration archéologique de la région doit être continuée. C'est l'avis de M. Montet qui, dans une lettre à M. Clermont-Ganneau, dit qu'il y aurait urgence à s'assurer la suite des travaux.

Cette urgence, M. Clermont-Ganneau et l'Académie vont la signaler aux pouvoirs publics qui, mieux représentés cette fois et plus attentifs, nous n'en doutons pas, feront pour Biblos ce qu'on a eu l'imprévoyance de ne point faire pour Delphes et pour Délos dans le temps où il était si facile d'agir.

RICHELIEU.

Le prix du moine.

J'ai surpris mon ami Alceste en contemplation. Il considérait, étalée sur un fauteuil, une robe de juge, rouge et noire, avec la patte d'hermine, qui est lapin façonné.

Je l'ai par héritage, m'a-t-il dit, et je comptais la garder en souvenir du magistrat qui l'a portée, mon parent, dont j'étais fier. A présent, je rêve aux moyens de l'utiliser, parce que les temps sont trop durs aux malheureux bourgeois. Rassurez-vous. Ne froncez pas un sourcil pudique. Je n'en veux pas faire un pyjama ; je voudrais seulement la donner. Connaissez-vous quelque avocat-général ou quelque procureur de la Répu-blique à qui nous pourrions l'envoyer mystérieusement en un paquet anonyme ?

Voilà, c'est une idée baroque et je vois bi qu'elle vous froisse. Le poil de votre chair en est ébouriffé. Et j'aime à vous voir saisi d'un tel sentiment de respect et d'effroi. Mon idée vous semble injurieuse et même abominable, parce que vous avez l'esprit tout pénétré de cette dignité, de cette décence, qui ont toujours été

les marques de la bourgeoisie française dans ses fonctions. Un Mirbeau a pu s'égosiller. Nous savons que pour lancer les traits de sa vaine colère il était obligé d'inventer une cible imaginaire ou dérisoire. Odieux ou bouffons, ses personnages étaient exceptionnels ou faux, toujours menteurs, et l'on a beau jeu d'opposer à ces fictions intéressées la carrure de tant d'honnêtes gens, probes, loyaux et calmes, par qui la société tient debout: prêtres, magistrats, officiers, fonctionnaires de tout rang. Dans tout le cours du siècle, ils n'ont cessé de donner au reste des Français l'exemple d'une vie honnête et laborieuse. Oui, et de plus en plus difficile. A la fin, la gêne s'est installée chez eux.

Un journal illustré, qui a souvent d'heureuses inspirations, a publié naguère un bon tableau pour montrer ce qu'il en coûte aujourd'hui d'exercer une fonction à costume. Que l'habit ne fasse pas le moine, c'est vrai si l'on veut dire par là que l'honnête homme se reconnaît, même en veston râpé, au moins dès qu'il a ouvert sa bouche diserte; c'est encore vrai, si l'on veut dire que sous la ruineuse pelisse le mufle enrichi se laisse encore discerner .Mais l'homme que vous avez chargé d'une fonction, qui porte dans sa personne une part de l'autorité sociale, vous ne voudriez pas que, timide et honteux, sous un vêtement lamentable, il fît pitié ? Alors le banquier véreux appelé dans son cabinet lui soufflera dans le nez la fumée d'un impertinent cigare.

Sachez donc qu'un ambassadeur doit aujourd'hui sortir de son portefeuille quatre grands billets pour payer ses broderies Pour cette pourpre que voilà, ajustée sur ce satin noir, il en faut certainement plus d'un. Ne me dites pas surtout que le représentant de la France pourrait paraître en redingote, ou que la justice pourrait être rendue en veston. Quelle plaisanterie, qui sent son 1848 ou son 1890! Quand on supprima la robe noire que les étudiants passaient à l'école de la rue Soufflot, on crut faire un coup de maître. Et ce qu'il arriva, vous vous en souvenez toutes les différences qui résultent des biens de fortune parurent au jour; la robe, au contraire, assurait l'égalité devant l'argent entre les jeunes gens que la société allait marquer d'un même signe privilégié. Dans le même esprit, considérez que ce président de cour chargé de famille risque de faire figure de petit garçon devant le bel avocat fastueux dans sa jaquette de grand tailleur. Considérez aussi que tel vieillard un peu fol, trop fidèle aux vieilles modes, risque dans son accoutrement de faire rire de lui et de la justice. La robe efface ces différences de la richesse et des personnes, pour établir une meilleure hiérarchie, celle de l'ordre public.

Il faut seulement qu'elle soit propre, la belle robe. 11 faut que l'habit brodé du consul ou le dolman de l'officier lui fasse honneur, et à nous. Il faut encore que, pour en solder la façon, on ne doive pas faire danser ses enfants devant le buffet.

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Sur les 270.000 Russes qui ont quitté Sébastopol après la défaite de Wrangel, environ 6.000, transportés par la flotte de guerre, se trouvent à l'heure actuelle en Tunisie.

Cette flotte est mouillée en divers points de la rade de Bizerte, depuis l'entrée du goulet jusqu'à Ferryville, au fond du golfe. Elle est composée de trente-trois navires de classes très différentes; on y trouve un cuirassé du type France (P'Alexeieff) des croiseurs, des torpilleurs, un sous-marin et même un brise-glaces. Tous ces navires sont désarmés et ne conserveront plus bientôt que des équipages de garde..

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Une fois la quarantaine terminée, les Russes ont commencé de débarquer à Bizerte. Débarquement assez lent, si l'on songe qu'il ne peut guère passer plus de soixantedix personnes par jour dans les locaux sanitaires. Le plus grand nombre est cantonné aux environs de la ville, principalement dans les forts. D'autres ont été dirigés vers la Kroumirie et vers un petit port du Sud dont les vieilles murailles crénelées ont si pittoresque couleur. Enfin, certains, qui ont des ressources, vivent sans contrôle et ont gagné la France.

L'état sanitaire de ces Russes, en dépit de présences assez nombreuses dans les hôpitaux, est satisfaisant : une dizaine de décès seulement a été enregistrée. Voilà qui détruit toutes les craintes d'épidémie et toutes les légendes que ces craintes ont inspirées.

Un bureau russe, dirigé avec beaucoup d'intelligence et d'activité, s'occupe, entre autres fonctions, de procurer des emplois aux réfugiés. Déjà les ouvriers spécialistes ont trouvé à exercer leur métier dans les villes. Les prochains travaux agricoles vont s'offrir aux bras des paysans. Et il est probable que nombre de Russes, ayant trouvé des conditions d'existence satisfaisantes, se fixeront avec leurs familles dans l'Afrique du Nord française. Actuellement leur misère est grande. Quelques-uns possèdent des bijoux et des fourrures et vont organiser un comptoir où ils pourront se défaire de leurs biens sans l'intermédiaire des marchands. C'est le seul capital négociable qui soit entre leurs mains. On sait que les assignats Denikine et Wrangel sont tombés à rien. A Bizerte, les petits cireurs indigènes en offrent à l'étranger des poignées multicolores. Un beau billet de dix mille roubles s'obtient pour dix sous.

Bizerte qui fut fondée par utilité militaire ne s'est pas développée autant qu'un plan très vaste l'avait conçu. Entre des bâtiments administratifs qui déjà n'ont plus l'air neufs s'étendent de grands terrains vagues. Beaucoup de maisons sont fermées. Peu d'animation commerciale. On dirait une ville frappée par un désastre pendant sa construction. Rien ne s'accorde mieux avec ce caractère que l'aspect des troupes russes que l'on y croise en ce moment. Les hommes sont jeunes ; certains d'un beau type; ils indiquent une race vigoureuse. Mais tout chez eux, face hâve, habillement en lambeaux, éveille l'image d'une grande force qui, à peine constituée, fut arrêtée net. Ils errent sagement par les rues avec un air sauvage et résigné; bien peu entrent dans les magasins et les cafés et si dans la ville arabe on en voit aller de porte en porte, ce n'est pas pour acheter mais pour vendre quelque objet. Les matelots de la flotte ont meilleur air. Le double ruban qui pend à leur béret donne à leur démarche quelque chose de fringant. Lorsqu'on les voit passer parmi l'indifférence générale, on songe à ceux, tout pareils, qui débarquèrent il y a quelque vingt-cinq ans dans un autre de nos ports de guerre, accueillis par des acclamations inouïes.

Ce n'est pas le seul rapprochement auquel on se laisse aller en rencontrant ces Russes venus sur une terre étrangère. Le sort de ces populations, obligées par une brusque vicissitude politique d'essaimer au hasard, toute condition sociale perdue, ne rappelle-t-il pas l'aventure d'un grand nombre de Français à deux époques de notre histoire ?

Ces mêmes mots, réfugiés, émigrés, n'ont-ils pas eu cours dans la langue pour désigner ceux de nos compatriotes que l'édit de Louis XIV et plus tard la Révolution, avaient chassés de France ? Ce souvenir peut rendre confiance. Les enseignements de l'histoire ne nuisent pas. bien au contraire, pour juger les bouleversements sociaux dont on est le témoin. Ils font envisager l'avenir avec moins de trouble et en donnent souvent une vue plus exacte.

JACQUES DE LACRETELLE

Paradoxe sur les Marionnettes.

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Vous cherchez, mon pauvre directeur, des artistes qui acceptent d'aussi bonne humeur les grands et les petits emplois, et ne soient pas piqués au vif parce que vous leur donnez à jouer un rôle de leur âge, des artistes qui n'oublient pas tout à coup l'ouvre qu'ils interprètent pour remercier par une courbette le public qui les a flattés de ses applaudissements, bref des artistes qui n'aient point de vanité ? Vous voudriez en outre qu'ils danser ou de la lumière qui les éclaire ne se plaignissent jamais du pas que vous leur faites expérience ne leur permît point de murmurer entre eux pendant la répétition, pour entonner ensuite ce choeur prudent: « C'est tout à fait bien... tout à fait bien.... Cependant ne trouvez-vous pas que je ferais mieux de faire ainsi... » que votre étoile ne vînt pas vous dire, aussitôt engagée : « Maître, je me soumets au dessin que vous ferez de mon costume. Mon avis sera le vôtre, et je suivrai vos ordres de point en point. Souvenezvous pourtant que je n'aime ni le bleu ni le vert, ni le rouge ni le jaune, et que la seule vue du violet m'enlèverait tous mes moyens ? »> Vous avez pris aussi le parti de « styliser » votre mise en scène, et de manoeuvrer vos gens comme on manoeuvre des pantins. Croyez-moi, tant que la terre sera ronde, vous n'avez qu'un moyen de réaliser vos vœux : construisez théâtre de marionnettes.

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Rien n'est plus injuste que le mépris où l'on tient ces merveilleux acteurs. D'horribles guignols les ont chassés jusque des jardins de Paris. Or voici qu'un théâtre de marionnettes s'est ouvert boulevard de Clichy. Il est élégant et confortable. Ce qu'on y voit est charmant, et bien plus charmant encore ce qu'on n'y voit pas, et qu'on imagine qu'on y pourrait voir.

En effet, remplacez seulement ces décors de guignol par un fonds de tableau agréable, en harmonie parfaite avec le style et les couleurs des costumes. Imaginez des frises disposées de manière à laisser passer les personnages d'un plan à l'autre au lieu de les faire mouvoir toujours parallèlement au cadre de la scène. Allez plus loin. Vous rêvez d'une scène infiniment souple, qui puisse monter, descendre, s'ouvrir en précipices, et se dresser en escaliers extraordinaires : ces projets seraient fous sur votre théâtre, ils deviennent possibles sur le mien, et l'effet n'en sera pas moins grand parce que vous les aurez exécutés à une petite échelle. Imaginez le parti qui reste à tirer des ombres de Rivière, des fonds lumineux de Frey, des rayons de la Loïe Fuller. Pensez que sur une si petite scène il n'y a point de miracles de machinerie qui ne se puisse réaliser, et qu'il serait aisé d'y faire toutes ces recherches de mise en scène et d'éclairage où la France jusqu'ici n'a guère osé se lancer.

Puis sur cette scène magique, faites évoluer un petit peuple savant. Imaginez au lieu de grossières poupées des figurines bien faites, heureusement proportionnées. Les pupazzis noirs ont fait la paix avec les pupazzis blancs les acteurs, suivant l'occasion reçoivent le mouvement du cintre ou du dessous. Vous admirez M. Picasso? Voici des monstres à faire pâmer les plus fous de ses disciples. Vous n'aimez pas ces visages immobiles? Remplaçons-les par des masques de caoutchouc, dont quelques fils supplémentaires commanderont l'expression. Vous rêvez de ballets à la mesure impeccable? Voyez quelle perfection l'on obtiendrait en manoeuvrant par un seul fil huit jambes par-ci, huit jamblespar-là.

Enfin vous savez que vous ne pouvez réaliser l'unité parfaite nécessaire à l'oeuvre d'art, si vous n'êtes à la fois votre régisseur, votre décorateur, votre costumier et votre électricien. Ici, vous pourrez exécuter vous-même le moindre de vos désirs.

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Hier, en fouillant dans le tiroir de ma table de travail, je ramenai un objet de cuir assez étrange que je ne me tins pas d'examiner. C'était plat; ce n'était pas si large que la main; ça s'ouvrait; et ça contenait, au fond d'un de ses trois compartiments, une pièce de cinq pfennigs.

Qu'est-ce que c'est? me demanda un petit garçon qui vient me voir tous les jeudis.

Un porte-monnaie, répondis-je.

A quoi ça sert? poursuivit le petit garçon.

Ça ne sert à rien, fis-je. Ça servait autrefois à porter la monnaie.

Logique, le petit garçon insista.

Y avait donc beaucoup de monnaie autrefois, qu'il fallait une si grande petite sacoche pour la mettre? Je dus commencer un cours d'histoire. Un économiste distingué, certes, eût énoncé des choses définitives. J'essayai seulement de me faire entendre.

Oui, dis-je, petit garçon, il y avait de la monnaie autrefois. Il y en avait beaucoup. Il y en avait souvent trop. Au point que, si je ne m'abuse, il était défendu d'en verser avec excès pour certains règlements. Mais, sans aller si loin, quant au billon, par exemple, il arrivait qu'on houspillât le marchand de journaux qui vous rendait trente-neuf sous en sous. Avant la guerre, la phrase de Gérard d'Houville sur les cinq sous en sous que possédait sa dernière héroïne eût été impossible. En 1920, elle est spirituelle. En 1921, qui refuserait trenteneuf sous en sous?

Néanmoins, les sous avaient rarement les honneurs du porte-monnaie. Ils se mettaient n'importe où. Ce n'était pas de la monnaie. La monnaie, pour être de la monnaie, devait être en argent. Il y avait des pièces de cinq francs un peu lourdes, des pièces · de deux francs, d'un franc, de cinquante centimes. J'en ai vu même de vingt centimes, jolies comme tout. Voilà ce qui se mettait dans un porte-monnaie.

Et les pièces d'or? demanda le petit garçon. -Les pièces d'or, les personnes d'ordre les rangeaient dans une pochette spéciale du porte-monnaie. D'autres les glissaient une à une dans de ravissants étuis, bijoux véritables, qu'on appelait des porte-or; ou bien dans des bourses, d'or ou d'argent, comme celle-ci, qui est d'argent, tu vois, et qui me vient de mon cher PaulRené Cousin, lequel l'avait sur lui qui il fut tué, le 27 mars 1917.

L'enfant toucha la bourse que je lui montrais.
Il y a quelque chose dedans, fit-il.

Trois pièces de nickel, répondis-je : une de cinq sous, une de deux, une d'un sou. Elles sont précieuses aujourd'hui; je les mets dans une bourse d'argent. Et mes pièces d'argent ou d'or, qui sont en papier, je les enferme, comme tout le monde, dans un porte-billets fait de deux morceaux de carton. Le monde est renversé, mon pauvre petit. On estime à présent ce qu'on dédaignait naguère. Tiens! tu connais l'histoire du JuifErrant, qui n'avait jamais que cinq sous dans sa poche, mais qui les avait toujours Lorsque j'avais l'âge que tu as, je plaignais le Juif-Errant. A présent, je l'envie. Ce malheureux serait à notre époque le maître de la rue. Un poète a dit : « Juste retour des choses d'ici-bas. » En effet, les choses d'ici-bas ont des retours, sinon justes, du moins curieux. Mais tu verras un jour des portemonnaie, petit garçon, quand les marchands de portebillets auront vendu assez de porte-billets.

CHARLES MOULIÉ.

Location de chefs-d'œuvre.

si fructueux

L'idée est américaine, mais elle a, chez nous, de sérieux partisans, et, peut-être, sera-t-elle réalisée demain. C'est un fait, ont observé d'habiles gens que, depuis la guerre, on achète des tableaux plus que jamais et à n'importe quel prix. Les antiquaires, de leur côté, s'applaudissent chaque jour d'exercer un négoce. Le public a donc soit un véritable amour de l'art, soit un besoin d'ostentation, ou les deux ensemble, qu'il est possible d'exploiter. Dès lors, pourquoi ne pas constituer un stock de tableaux aux signatures illustres, réunir une collection de belles choses, et satisfaire la manie vaniteuse des uns, le goût réel des autres, en louant ces tableaux, ces meubles, ces objets, pour un certain temps et selon des prix déterminés ? On se procure à son gré des maîtres d'hôtel, des cristaux et de l'argenterie le laps d'une soirée. Quoi de plus normal, en payant, que d'accrocher un Rembrandt ou un Monet dans son salon, trois semaines ou six mois durant ?

M. de Lignerolles et le baron de Lacarelle étaient deux grands bibliophiles. Tous deux voulaient un recueil de pièces gothiques presque introuvable qui figurait à la vente Brunet, et chacun, en grand secret, avait donné mission au libraire Potier d'acquérir ce recueil. La vente approchant, et les deux amateurs s'étant rencontrés chez lui, Potier jugea préférable de les avertir qu'ils allaient être aux prises. « Laissez-le moi Lignerolles! Mais non, mon cher, je ne le retrouverais jamais. Retirez-vous plutôt, Lacarelle. Impossible, mon ami, j'y tiens absolument. -- Achetez-le ensemble, dit Potier en riant. - Pourquoi pas? nous le tirerons au sort, dit M. de Lacarelle. Jamais, s'écria M. de Lignerolles! s'il allait vous échoir, il serait perdu pour moi. — Eh bien, une idée : Potier va l'acquérir pour nous deux. Nous paierons le prix par moitié. Chacun de nous. possèdera l'exemplaire pendant six mois. » Le projet fut adopté, et, durant quinze ans, le précieux bouquin alla de M. de Lignerolles à M. de Lacarelle et de M. de Lacarelle à M. de Lignerolles. Que s'organise la location des chefs-d'œuvre, et tous les Lignerolles et les Lacarelle de la curiosité seront gens heureux et paisibles.

Mais, au fait, pourquoi l'Etat ne prendrait-il pas à son compte et n'exploiterait-il pas cette grande idée ? Les journalistes déplorent périodiquement que toiles et dessins s'accumulent et se détériorent, en quantité, dans les greniers de nos musées. Voici leur emploi trouvé. Il faut sortir tout cela, et rédiger catalogues et prospectus engageants « Le Louvre et le Luxembourg chez soi; on porte en ville; on loue à la journée et au mois; dessins depuis cent sous; tabeaux depuis cent francs ». Nul ne résisterait à une Compagnie des œuvres d'art réunies et pas un amphitryon de goût ne refuserait à ses hôtes les natures mortes appariées à ses succulents dîners ou n'hésiterait à commander simultanément les petits fours et quelque bon tableau. Il est superflu d'insister. On aperçoit les ressources 'immenses dont le budget s'accroîtrait

de la sorte.

Puisque nous y sommes, veuillons accepter du premier coup les conséquences magnifiques de l'innovation. Que le pays tire un parti légitime de ses richesses artistiques, rien de mieux, mais une œuvre démocratique et sociale s'impose également. En un mot, fermons les musées, et que les humbles, par une distribution bien entendue et un roulement bien ordonné, jouissent à domicile de l'éternelle beauté stérilement enclose dans d'inutiles salles. Tardive justice, les vierges de Raphaël sourieront à l'ouvrier que harassent huit heures de travail et dix heures de cinéma et de bistro; et ceci sera très légitime. Qui donc, en effet, oserait prétendre maintenant que le peuple ignore la beauté et n'est pas bon juge de ses canons? L'autre jour, à la C. G. T., des camarades ser

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