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la note remise le 23 décembre par le général Nollet, à la Wilhelmstrasse n'avait point encore été, le 31 au soir, communiquée au gouvernement britannique. De ces délibérations sortira, ou je me trompe fort, un projet transactionnel, qui ménagera la Prusse orientale aux dépens de la Bavière, accordera de nouveaux délais et substituera à l'occupation de la Ruhr une menace moins grave pour le Reich et moins avantageuse pour la France. Dès le 3 janvier, une note Reuter indiqua ces solutions.

Puisse M. Georges Leygues, qui s'est porté garant de l'intimité de la coopération franco-britannique, éviter, pendant qu'il est temps encore, une transaction onéreuse, qui, par la joie qu'elle éveillerait chez les pangermanistes et par l'irritation qu'elle provoquerait à Paris, aurait pour résultat d'accroître à Berlin la résistance du gouvernement réactionnaire et d'affaiblir à Bruxelles l'autorité des délégations alliées.

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Il était cependant bien aisé d'éviter toutes ces difficultés. La négociation relative au désarmement de l'Allemagne, aurait dû avoir lieu avant et non pendant les sondages de Bruxelles. Elle aurait eu lieu plus tôt et dans une atmosphère plus favorable, si une volonté, formée par l'expérience et concentrée sur cette tâche diplomatique, assurait la coordination entre les divers organes de notre politique allemande et n'attendait point, pour Entréprimer les infractions germaniques à la parole donnée, l'impulsion d'un Parlement patriote ou l'expiration d'un de dernier délai.

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Rien n'obligeait le Quai-d'Orsay d'attendre jusqu'à la fin de décembre pour saisir le Foreign Office des Tatteintes portées par le Reich à la convention de Spa. da Pauvre convention! Elle n'est plus qu'une écumoire. Non seulement les paragraphes relatifs au charbon se sont révélés comme extrêmement onéreux, parce que le ministre des finances, plus imprévoyant que son collègue de Luxembourg, n'a point exigé que les achats de denrées di alimentaires et de devises étrangères, effectués par le Reich à l'aide de nos versements mensuels, eussent lieu par l'intermédiaire, sur le territoire et sous le contrôle dis français; mais encore la Wilhelmstrasse a violé le contrats, sur trois points graves, sans que le Quai-d'Orsay ait signalé ces infractions, révélé ses protestations, ni obtenu des sanctions (1). La charte militaire n'a pas été davantage respectée; et ces nouveaux coups de canif dans le contrat ont été réprimés avec un égal retard. Il n'y a rien, dans la note de Boulogne du la note de Boulogne du 22 juin 1920, dans la convention de Spa du 9 juillet 1920, qui oblige le gouvernement français à attendre la fin de décembre pour achever le désarmement de l'Allemagne.

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SOMMATION DU 22 JUIN

« Dissoudre dans trois mois (22 septembre la Sicherheitspolizei, supprimer officiellement les formations d'Einwohnerwehren et exécuter la livraison de leurs armes. >>

« Aucun nouveau retard ne sera apporté dans la destructions et livraisons du matériel. »

SOMMATION DU 9 JUILLET

« Procéder immédiatement au désarmement des Einwohnerwehren et de la Sicherheitspolisei ».

« Livrer aux Alliés à fins de destruction et aider les Alliés à détruire le matériel en surnombre.

J'avais ici même, au lendemain de Spa, signalé le danger qu'il y avait à se servir, dans deux documents, deux contrats successifs, visant les mêmes objectifs, de

(1) Voir l'Opinion du 25 décembre 1920.

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formules sensiblement différentes. J'exprimais la crainte que la Wilhelmstrasse, qui étudie les papiers avec une patience de myope et une minutie de chimiste, ne trouvât, dans ces différences de rédaction, un prétexte à des retards et une source de chicanes. Je regrette de ne m'être point trompé. En tout cas, n'importe quel juriste reconnaîtra que la convention de Spa, en ce qui concerne au moins le désarmement des groupements visés, abroge le délai accordé par la note du 22 juin. Admettons, cependant, que pour dissoudre, le Reich eût trois mois : il aurait dû, le 9 octobre, avoir achevé la liquidation.

La note remise le 23 novembre, par le général Nollet, à la Wilhelmstrasse, reconnaît que le délai est expiré depuis de longues semaines.

Deux mois se sont écoulés depuis l'expiration du délai fixé pour la dissolution de la police de sûreté sans que la commission interalliée ait eu connaissance des mesures que les pays intéressés du Reich avaient à prendre en vue de cette dissolution.

En aucun endroit de l'empire le contrôle n'a constaté que la suppression de la police de sûreté fût réalisée ou en voie de réalisation. Il a au contraire pu établir que la police chargée actuellement du maintien de l'ordre n'était rien autre chose que la police de sûreté renforcée d'une partie de l'ancienne police bleue; que l'effectif de la police en tenue civile accuse une augmentation contraire aux dispositions de l'article 162 du traité de paix.

Il y avait d'autant moins de raison d'attendre la réunion de la conférence de Bruxelles (1) pour saisir le Reich et les Alliés de ces infractions voulues à des engagements répétés, que les services de renseignements connaissaient ou auraient dû connaître bien avant les révélations, faites, le 11 décembre, par la Freiheit, l'utilisation prévue des Einwohnerwehren, Orgesch, Ostwehr, Orka, la Sprée, etc. Dès le 8 mai 1920, les auteurs du coup d'Etat de Kapp, réfugiés en Bavière, autour de Ludendorff, jetaient à Regensburg, les bases d'un nouveau complot pour la restauration des régimes déchus et la refonte de la carte européenne. Le 17 mai, le contact est établi avec le gouvernement hongrois et l'amiral Horthy. Le 22 mai, l'accord est fait. Une nouvelle carte européenne est dressée, d'où disparaissent la Pologne, l'Autriche, une partie de la Bohème, le Danemark, la Belgique et le Nord de la France annexés à l'Allemagne. Le 22 juin, en présence de délégués russes et hongrois, un plan d'action est dressé. A l'aide d'armes et de cadres, fournis par l'Orgesch, le mouvement sera déclanché dans le Tyrol, en Carinthie et en Styrie, l'Autriche balayée, la Tchéco-Slovaquie muselée. Le colonel Bauer, lui-même, voulut bien fixer les concentrations et les étapes d'une opération militaire, dont l'objectif final est Berlin. En septembre 1920, les conspirateurs n'attendaient que l'entrée des bolcheviks dans Varsovie pour partir en guerre. Le président Millerand et le général Weygand brisèrent les espoirs de Ludendorff. Mais il compte bien prendre sa revanche en avril 1921, après que la Roumanie aura été, comme la Grèce, ramenée grâce à la collaboration des bolcheviks, dans l'ornière boueuse de la politique pangermaniste.

Et l'agence Reuter trouve que les Alliés devraient accorder à ces bandes de brigands prussiens un nouveau délai; attendre, pour exiger leur dissolution, qu'ils aient réussi à Bucarest l'opération, prélude de celle sur Varsovie; écarter les conseils de fermeté que donnent à l'Entente la Ligue de la nouvelle Allemagne (1er janvier), les indépendants de la Freiheit (25 décembre), les majoritaires de la Welt am Montag (2 janvier); courir

(1) Je signale que pour la destruction de l'artillerie de for

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le risque d'une catastrophe orientale et d'un bouleversement européen; condamner la France à poursuivre un effort épuisant et à ajourner les réparations promises? Jamais. - Il est vraiment temps qu'il n'y ait plus, pour ce qui touche au désarmement de l'Allemagne, deux poids et deux mesures, suivant qu'il s'agit de la marine allemande et d'un intérêt anglais, de l'armée allemande et d'un intérêt franco-belge. Pour les forces de mer, il n'a été accordé ni une atténuation ni un délai. Pour les forces de terre, une transaction et un ajournement sont toujours possibles. San-Remo, Boulogne, Spa constituent autant de sacrifices demandés à la sécurité franco-belge. La mesure est comble. Et je mets au défi n'importe quel ministre, et surtout M. Georges Leygues, - après les notes du général Nollet et du maréchal Foch, au lendemain du memorandum du 31 remis à la Wilhelmstrasse, de proposer à la Chambre d'accorder aux bandes de Ludendorff un dernier sursis. Debout, les Morts.

JACQUES BARDOUX.

NOTES ET FIGURES

Variations sur la fève.

Il y a d'annuelles coutumes séculaires dont la tradition est plus forte que tous événements actuels et passagers, si oppressants seraient-ils. L'on s'y conformerait au besoin malgré eux. La date du 6 janvier est le signal d'un geste en quelque sorte rituel. Qui de nous ne mange un morceau de galette, ce jour d'Epiphanie?

Certes, il est loisible aux gourmands de dévorer de la galette toute l'année. Mais ce n'est qu'en janvier qu'elle a la fève. Pendant tout le mois, ont décrété les pâtissiers qui veulent plus d'un jour de recette. Les autres mois, elle ne sera plus dédiée aux rois Mages. Nous l'ingurgiterons comme un gâteau sans magie, à seule fin de nourriture. C'est d'ailleurs le gâteau type de notre pâtisserie française n'était-ce pas une sorte de galette, cette fouace que déjà savourait maître François ?

A ce mot, Rabelaisants, vous vous réjouissez en votre mémoire, où reprennent vie les chapitres de Gargantua qui rapportent la grande guerre des fouaciers de Lerné. Tous les maux de la guerre pour la possession d'un convoi de fouaces « à beau beurre, beaux moyeux (milieux, jaunes) d'œufs, beau safran et belles épices », avouons que c'est une raison qui vaut bien celle de la guerre de Troie!

Mais la galette des Rois est une offrande de paix, de la grande paix créée depuis Noël. Chacun sa part, au gâteau du voisin. N'oubliez pas que vous devez trancher autant de morceaux qu'il y a de convives, plus deux pour les convives invisibles: Dieu et le pauvre.

En cela, quelle sagesse du bon sens populaire ! Depuis notre enfance nous savons par notre Mère l'Oye combien il est dangereux de convier les fées à un festin, en oubliant une. Au partage de la galette, les hommes prudents réservent la part de Dieu, qui est celle de la fatalité ainsi ils reconnaissent sa souveraineté et espèrent ne point l'irriter. Non moins prudents, ils réservent la part du pauvre, qui est celle de l'inconnu, celui qui peut venir soudain frapper à la porte avec des arguments de force irrésistible: la maison est à moi, c'est à. vous d'en sortir... Mais le dira-t-il s'il a la bouche pleine comme vous ?

Dans le fait de tirer les Rois, n'y a-t-il pas un aspect du perpétuel appel de l'homme à la destinée ? C'est l'éternel jeu. La galette est une roue. Avez-vous la fève ?

Mais royauté oblige. Et j'en entends plus d'un, s'il

a de bonnes dents ou un solide ratelier, qui croque la fève, abdiquant sa chance, qui peut être sa malchance. Cela désolera Peau-d'Ane, laquelle avait fait bluter exprès sa farine

Pour rendre sa pâte plus fine

et s'était enfermée avec son sel, son beurre et ses œufs frais, pour mieux faire sa galette et y mettre à votre intention comme fève son anneau. Ah, comme vous l'avez méconnue la voisine sentimentale, que vous deviez faire reine, si vous étiez roi ! S'il y a une malice ironique des choses, vous en aurez peut-être l'appendicite. Aussitôt Peau-d'Ane, de boulangère, deviendra infirmière, et ce sera elle que vous verrez à votre chevet, lors

de votre résurrection du chloroforme.

Et ceci vous apprendra qu'on ne doit jamais résister à la fève, c'est-à-dire à la joie qui est dans chaque morceau, dans chaque minute de notre vie. Il faut être franc avec le sort. Avouons notre fève, Et tant pis si nous nous étranglons, assourdis des cris:

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Le roi boit le roit boit !

Et si vous ne m'avez pas acclamé, ô très cher individualiste, que mes fanatiques rénovent une plaisanteriepénitence selon l'esprit du bon vieux temps ! Parce que l'un des trois mages était nègre, soyez barbouillé de cirage ou de suie. Aussi bien, le carnaval commence...

Le chapeau de l'ambassadeur allemand.

Je veux, déclare mon ami Alceste, que l'Etat ne renonce ni la pourpre ni l'hermine. Ne dites pas que cela n'a pas d'importance, je vous opposerais les paroles de Napoléon que Roederer citait dans Joseph : « Il ne veut pas, disait-il, qu'on l'appelle monson journal. L'empereur parlait de son frère seigneur ni prince. Il écrit, il dit à ses amis qu'il ne veut pas qu'il y ait rien de changé entre eux: il écrit cela à Mme de Staël et à d'autres. Il croit cela bien grand et généreux. La grandeur, la générosité est de ne pas supposer que de vains noms... puissent changer quelque chose aux rapports d'amitié de famille ou de société... Tous ces titres-là font partie d'un système ; et voilà pourquoi ils sont nécessaires... » Mutatis mutandis, Napoléon sentait pareillement la nécessité de beaux costumes officiels, ce qu'il en reste vient de lui. Il savait que l'autorité a besoin d'apparat pour exercer son bienfait, et bon psychologue, du moins là, il distinguait très bien que l'honneur ne va pas à la pauvre guenille mais à la fonction.

Il n'y a pas de lubie qui puisse avoir raison contre cette disposition du cœur humain ; la plus farouche démocratie voudra que ses magistrats soient de mise simple, voire un peu sales et cabossés, dans leur privé ; elle sera contente si les mêmes déploient à l'occasion un luxe d'habits et de dorure dont elle puisse être flattée. Cela nous explique tout ensemble le chapeau mou de Lloyd George et la pompe britannique, comme la carmagnole et les panaches tricolores de la Révolution. C'est aussi pourquoi nous obligeons, contre nos us et nos mœurs, le président de la République à paraître le matin en habit noir et le blanc plastron barré du cordon rouge.

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Je me faisais ces réflexions l'autre jour, premier de l'an neuf, M. Millerand ayant, après une interruption de six années, repris la réception solennelle. Les badauds campés devant la porte de l'Elysée ont vu passer grandes robes et les habits verts, les cours de justice et l'Académie, ils ont vu les maréchaux de France et les ambassadeurs.

Vous savez que ces derniers portent, lorsqu'ils doivent figurer dans une fête d'Etat, un frac rebrodé, un

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chapeau à plumes, un pantalon à bande. Tout civils qu'ils sont, on leur voit au côté une épée, celle de « l'honnête homme », il y a longtemps. Et tout cela peut choquer une grossière égalité, l'homme de sens se dit que c'est la coutume, qu'elle est sage, et qu'en effaçant ou atténuant certaines différences personnelles, elle établit, pour employer ce vocabulaire, une autre sorte d'égalité. Ceux qui sont venus au nom des nations saluer la France avaient tous revêtus leur uniforme. Sauf un: l'ambassadeur allemand. Lui, parut en civil, ô Démocratie! Vous avez pu voir son portrait à la première page de l'Excelsior, le 2 janvier. C'est un grand et assez gros homme que le docteur Mayer: il marche carrément, la cravate blanche est visible sous le manteau de bonne coupe; là-dessous il est donc en habit, et sur sa tête (intelligente), il a un chapeau de soie, brillant, cambré, de bonne forme, ma foi.

Est-ce que vous devinez le raisonnement de l'Allemagne?« Admirez, nous dit à la muette ce M. Mayer, admirez la Nation démocratique. La France n'a que le président de la République en habit civil, la Germanie a ses ambassadeurs. Nous avons bien chassé l'ancien orgueil, nous sommes authentiquement républicains. Et, toutefois, rassure-toi, bourgeoisie universelle, ce sont messieurs de bonne mine, que ces ambassadeurs allemands. Faites crédit à leur cravate blanche, confiance à leur beau chapeau... >>

Les sabots sont un peu gros. Ils nous font rire.
EUGENE MARSAN.

Anniversaire.

Dans les derniers jours de l'année 1919, Paul Adam luttait contre la maladie qui devait l'emporter. Nous gardions tous ce tenace espoir qui aveugle l'amitié; nous ne pensions pas que la vie pût trahir sitôt celui qui lui portait un si puissant amour; et lorsque nous apprêmes que Paul Adam était mort, nous ne sûmes pas d'abord nous habituer à cette idée : notre cœur et notre esprit ne s'y soumettaient pas.

Douze mois se sont écoulés, et l'image que nous conservons de Paul Adam est une image vivante. Nous le regardons, nous l'écoutons; son visage, dont l'amabilité avait tant de noblesse; sa voix qui rebondissait et renaissait comme une flamme; l'ingéniosité de sa conversation aux mille ressources; le jeu de son imagination généreuse, inattendue, fantasque (et souvent prophétique, tout cela ne semble pas avoir cessé, avoir disparu. Nous le revoyons, étendu sur le seuil de l'éternel repos, gardant, malgré la pacification solennelle des traits et de l'attitude, dans tout son être inanimé, une apparence d'entêtement suprême; non point l'entêtement de la colère, mais celui de la certitude.

La sérénité dans la mort ne donne pas souvent cette impression de force, de volonté. Avant de disparaître, la forme corporelle de Paul Adam continuait la grande leçon d'énergie, d'autorité et de foi que Paul Adam donnait par son œuvre et par sa vie.

Sa mémoire, pour ceux qui l'ont connu et aimé, demeurera une mémoire exemplaire. Le temps accomplira son action dans une production tumultueuse, infatigable, exubérante, comparable à ces flots, à ces vagues qui enfièvrent la surface des grands fleuves et qui fleuves et qui cachent parfois la profondeur du lit, l'unité du courant. Le choix que fera la postérité, ici, n'est pas prévisible. Mais si nous n'avons pas la permission de savoir cela, nous avons du moins le droit de dire à nos cadets que celui auquel nous apportons aujourd'hui le pieux témoignage de notre fidélité, eut, de son métier

mait par elle l'amour et le respect du travail. Paul Adam avait la volonté de trouver dans toute chose imprimée un élément d'intérêt, parce qu'il ne pouvait pas supposer que n'importe quel travail fût inutile, fût stérile. Nous l'aimions comme on aime un beau foyer, lequel, dès qu'on le voit de loin, déjà réconforte, réjouit et réchauffe. Nous l'aimions, parce que, près de lui, certaines vapeurs, certaines poussières, certains microbes ne pouvaient pas vivre. Il savait bien comment était l'existence, parce qu'il avait beaucoup lutté, beaucoup peiné, et qu'il peinait, qu'il luttait encore. Mais il avait la courageuse élégance de toujours cacher son amertume et toutes les blessures dont l'expérience de la réalité marque un homme qui ne s'est jamais dérobé.

Dans un champ d'ivraie, il faisait toujours la découverte de quelques fleurs; et, aussitôt, il ne voyait plus que ces fleurs. Comme La Fontaine, il aurait pu dire: «Dès que j'ai un grain d'encens, je ne manque pas d'y mêler tout ce que j'ai d'amour dans mon magasin... » ; et cet amour le faisait sourire à tous. Que tous ceux qui ont connu l'accueil de Paul Adam veuillent bien songer avec nous, en cet anniversaire, à ce sourire qu'ils ne reverront plus.

J.-L. V.

Mrs Asquith.

Les Mémoires de Mme Asquith après avoir provoqué grand bruit en Angleterre et soulevé la réprobation presque générale n'obtiennent pas meilleur commentaire en France. On s'étonne que la femme d'un homme d'Etat très en vue ait cédé au plaisir de publier une autobiographie où sont relatées avec une franchise extrême ses légères liaisons de jeune fille et ses joies matrimoniales. Peut-être ces deux jugements pareils indiquent-ils qu'il n'y a pas moins de cant dans nos salons bourgeois que dans ceux de la society; peut-être avons-nous l'obscure crainte que l'exemple de Mme Asquith n'incite les épouses de quelques-uns de nos chefs politiques à nous faire des révélations qui seront plus terribles encore.

L'épigraphe choisie par Mme Asquith avertit les lecteurs la prudence est une vieille fille, riche et laide, recherchée par les incapables ». On s'aperçoit bien vite, juge si peu aimable. Mais n'est-il pas permis de dire que l'auteur n'a jamais été attiré par cette qualité qu'il cette information était inutile pour tous ceux qui connaissaient déjà Mme Asquith?

que

Née dans une famille fort riche et nombreuse qui, par sa situation dans l'industrie, sa place dans la politique. ses habitudes sportives, représente assez bien la société britannique sous le règne de Victoria, Margot Tennant eut une jeunesse extrêmement indépendante, dont les aventures, les ambitions et les succès sont contés tout au long dans son livre. Elle épousa, âgée de trente ans, en 1894, Herbert-Henry Asquith qui était alors au début de sa carrière politique. Elle se plaît à raconter à l'anecdote n'est pas dans ses Mémoires comment son fiancé sut triompher de l'hostilité que lui témoignaient plusieurs membres de la famille Tennant qui n'estimaient que les amateurs de chasse à courre et de courses hippiques. Devant dîner avec eux, l'ancien universitaire apprit les noms et les particularités des plus fameux chevaux qui ont gagné le derby d'Epsom. et, servi par son éloquence, fit la conquête de tous ses

ses amis

auditeurs.

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Mme Asquith est petite, mince, un peu sèche. Elle est. toujours habillée avec élégance et n'ignore rien de ce qui se fait rue de la Paix; naguère son goût s'étendait

d'écrivain, l'idée la plus haute, la plus riche et la plus jusqu'à ce que créait Munich. Le visage sans cesse en pure. Sa bonté ne fut jamais de l'indifférence; il expri- mouvement, les yeux brillants, le regard curieux, elle a

pour accueillir ses hôtes des façons à la fois familières et brusques qui visent évidemment à être originales. Il semble d'ailleurs qu'elle se soit toujours vivement plu à faire accepter par la société londonienne des singularités que ses ennemis nomment extravagances. Ainsi, lorsque son mari était premier ministre. elle fit venir à Londres les modèles d'un couturier parisien réputé par la hardiesse de son invention et les exposa dans les salons de Downing street. Ce ne fut pas un spectacle manquant d'imprévu que ce défilé de mannequins, accoutrés à la persane, entre les sévères boiseries noires et sous les portraits des anciens ministres dont la gravité historique rappelle la majesté de l'Angleterre.

Ces éclats ont été supportés avec indulgence. De même, la publication de ce livre, une fois les critiques faites, sera pardonnée et ne nuira pas plus à la carrière de M. Asquith que les précédentes incartades. Il est probable que Mme Asquith s'est fort divertie aux attaques de la presse anglaise et qu'elle n'est pas mécontente de savoir que son livre est discuté en France. Elle connaît fort bien notre langue et se sert fort souvent de nos mots.

On peut prévoir qu'elle aura de nombreuses imitatrices. L'émancipation de l'esprit féminin en sera cause. Le temps est passé où les femmes des hommes célèbres s'évertuaient à vivre modestement et, quelle que fût leur activité intellectuelle, n'étaient que les servantes de la gloire de leur mari. Il est clair que Mme Asquith, qui par sa situation a approché les hommes et connu les faits les plus intéressants de ce temps, a sur les gens et les choses un jugement qui lui est propre. Elle n'en tend pas que sa personnalité reste dans l'ombre. Et plutôt que la femme d'un illustre homme d'Etat elle préfère toujours être Margot Asquith.

La Littérature

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JACQUES DE LACRETELLE.

"Gisèle" puis "Barabour"

Quelques années avant la guerre, une société d'écrivains et d'artistes, où MM. André Falize (représentant les beaux-arts), Fernand Gregh (la poésie), Quinson (l'esprit de conversation), rencontraient notamment MM. Binet-Valmer, Henry Bernstein, Francis de Croisset, Abel Bonnard, Jacques Richepin, et s'en trouvaient fort bien une société, dis-je, se réunissait chaque mois dans un restaurant pour y dîner. C'étaient les QuaranteCinq, ainsi nommés premièrement parce que le nombre des membres de leur académie était fixé à quarante-cinq (parions qu'on l'avait deviné), secondement parce qu'aucun d'eux ne devait être âgé de plus de quarante-cinq ans; c'est ainsi que M. Tristan Bernard, qui fut des fondateurs à 44 ans et demi, ne put faire partie des Quarante-Cinq que peu de mois, et se vit bientôt classé membre honoraire sans aucun chagrin apparent.

Les dîners des Quarante-Cinq étaient assez amusants. L'un d'eux fut mouvementé parce que, l'un des convives ayant brusquement avoué à son voisin qu'il ne lui trouvait aucun talent, ce dernier se mit tout incontinent à le boxer de son mieux qui, Dieu merci, n'était pas très bien. Mais ces tournois sportifs ne se renouvelèrent pas, et ce fut plutôt à des luttes oratoires que les diners des Quarante-Cinq empruntèrent leur intérêt. Non pas qu'on y discutât jamais de l'art, de la littérature ou, que sais-je? de la philosophie: seul l'éminent M. Quinson abordait parfois ces graves questions; la plupart des sociétaires étaient gens de théâtre, qui souvent s'en soucient peu, et, à part M. Falize, on ne lui faisait guère d'écho. Mais, en limitant étroitement

leur nombre, les Quarante-Cinq avaient eu une idée excellente ne voit-on pas les bibliophiles se disputer d'autant plus les exemplaires d'une édition celle-ci que en comporte moins et qu'ils sont plus strictement numé rotés? De même, du jour où les Quarante-Cinq avaient annoncé qu'ils ne seraient pas même quarante-six, ils avaient fait naître en plusieurs centaines d'auteurs le désir de leur appartenir. Aussi voyait-on s'élever beaucoup de compétitions secrètes autour des places que le cours inexorable des ans rendait vacantes: Les titres des candidats étaient présentés durant les dîners, après quoi l'on votait; or tout écrivain, qui n'a pour métier que d'écrire, ne se pique de rien plus que de bien parler; puis il est toujours agréable d'avoir le pouvoir d'ad mettre et d'exclure en sorte que les Quarante-Cinq s'amusaient beaucoup.

La seule obligation qui suscitât quelque ennui chez plusieurs d'entre eux, voire quelque hésitation chez divers candidats, c'était celle de régler la cotisation. Le restaurant était excellent, et il fallait naturellement payer pour chaque dîner auquel on prenait part; cela ne faisait point difficulté. Mais il y avait en outre une somme à verser au trésorier afin de constituer le prix que l'académie des Quarante-Cinq distribuait annuellement à un romancier. Or, par une singulière contradiction, si chaque membre se sentait flatté, disons même heureux, d'avoir à accorder un quarante-cinquième de couronne à l'un de ses confrères, il n'éprouvait pas le même bonheur à en payer sa part. Si bien que le montant primitif de cette cotisation fut bientôt réduit, et celui de la récompense pareillement. Cette dernière, ainsi diminuée, n'en fut pas moins briguée : c'est qu'elle valait au lauréat un grand nombre de notes dans les journaux, et (heureusement pour eux) les romanciers ont toujours préféré la publicité à l'argent.

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Discours et intrigues, puis la sensation d'avoir quelque pouvoir, tels sont les plaisirs académiques. Les Quarante-Cinq parlaient abondamment. Ils combinaient avec ardeur. Ils étaient même un peu sollicités. Grâce à quoi leur académie florissait (1).

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Il faut pourtant reconnaître qu'au moins une fois leur prix fut accordé à l'unanimité, si j'ai bonne mémoire, et en tout cas sans que le lauréat eût fait le moindre geste pour l'obtenir : c'est quand on le décerna à Crapotte, par Henri Duvernois.

M. Henri Duvernois, journaliste déjà expérimenté et apprécié, avait alors publié plusieurs charmants romans, le Roseau de fer, Nane, Popote; mais son nom n'était Quarante-Cinq valut à Crapotte une excellente presse: pas encore bien connu du grand public. Le prix des n'eût-il jamais servi qu'à cela (je n'en sais rien: j'ai oublié quels furent les autres lauréats), ce serait assez. Crapotte plut; le succès vint: et comment aurait-il pu en être autrement ? L'auteur avait tant de grâce et de dons ! Il en alla de même du Mari de la Couturière qui suivit et valait peut-être encore plus, et de la Bonne infortune. Cependant les gazettes se disputaient les contes que M. Duvernois tirait de son imagination inépuisable. Il y apportait une invention remarquable, une facilité savoureuse et toute la distinction possible. Je ne crois pas que, depuis Guy de Maupassant, per sonne ait excellé davantage à ces contes dans le goût de Maupassant. En même temps, M. Duvernois publiait chapitre par chapitre, toujours dans les journaux et les magazines, des romans légers, spirituels, et qui semblaient un peu improvisés au jour le jour, comme le Veau gras et Nounette ou la déesse aux cent bouches.

(1) On me l'a dit du moins car, pour ma part, je ne suis

jamais allé « aux Quarante-Cinq » qu'un seul soir.

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Tout de même il ne se renouvelait pas : comme certains peintres que je citerais (mais ce n'est pas ma vitrine), il reprenait sans cesse une manière qui avait plu; si j'osais, je dirais presque qu'il tendait à s'industrialiser; et l'on regrettait que l'auteur de Crapotte, du Mari de la Couturière, de la Bonne infortune, que l'on sentait bien qui aurait pu devenir un puissant et délicieux romancier, n'eût réalisé toutes les promesses que l'on croyait trouver dans ses premiers romans.

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Certes, M. Duvernois, s'il était favorisé par le public, ne l'était point par la critique, qui ne se pressait pas de reconnaître ou, pour mieux dire, de proclamer ses dons exceptionnels. Son imagination est incapable d'inventer une histoire banale ou, au contraire, saugrenue : bref, vulgaire. Elle a toujours été de la plus parfaite distinction. (Je sens qu'ici tous ceux pour qui le mot distingué ne saurait s'appliquer qu'à une histoire arrosée de clair de lune, dont les héros sont artistes ou titrés, et où l'auteur considère comme résolues toutes les questions d'argent, ils ne me suivront pas; mais ils auront tort.) Ainsi « l'invention » de M. Duvernois était d'une qualité exquise; il avait le don de conter; pourtant son art n'était pas très original. On sentait aussi qu'il n'était pas de ces « types dans le genre de Ronsard» (selon l'expression d'un de mes confrères) qui ne pensent qu'à la gloire et qui travaillent pour la postérité; qu'il se proposait surtout de plaire au public pimmédiat; qu'enfin il était trop journaliste. Bref, on

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trouvait qu'il ne donnait pas toute sa mesure ; et cette sévérité même qu'on avait pour lui marquait toute la valeur qu'on lui reconnaissait.

J'ai dit l'an passé comment - peut-être parce que beaucoup de journaux avaient renoncé à leur «< partie littéraire » à cause de la guerre ? (qu'on ne m'accuse tout de même pas de considérer la guerre, à cause de que cela, comme providentielle) l'auteur de Nounette, Crapotte, Popote, Nane, etc. fit paraître Faubourg Montmartre qui est un large et grand roman, et surtout ce riche livre, plein de grâce et de fantaisie, qu'il intitula Edgar. On espérait bien qu'il continuerait dans cette voie nouvelle, et il continue, en effet.

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Edgar n'a pas obtenu le succès de presse qu'il méritait. « On n'avait pas classé M. Duvernois parmi les artistes, et comme rien n'est plus malaisé que de faire revenir l'opinion sur ses propres sentences, on n'a pas encore assez reconnu la beauté de ce roman poétique et délicieux. Mais, maintenant, après Gisèle, que M. Duvernois se prépare à être « découvert » fréquemment.

Gisèle se compose de trois nouvelles, dont la première a donné son titre au livre. Ainsi ce n'est qu'un recueil de nouvelles... Pour bien comprendre l'histoire littéraire, il faut penser aux éditeurs. Ayant constaté, ou du moins décidé que les nouvelles « ne se vendent pas », ceux-ci ont généralement refusé depuis lors d'en éditer. C'est ainsi qu'un genre qui avait fait la gloire de Maupassant et la fortune de plusieurs libraires, a brusquement disparu (ou peu s'en faut) de la littérature française un peu après 1900. Les historiens de l'avenir expliqueront ce fait par des raisons ingénieuses tirées du mouvement des idées. C'est qu'ils négligeront l'influence des libraires. Elle a toujours existé, et si M. Brunetière en eût tenu compte, il eût énoncé moins fermement les lois de l'évolution des genres. Mais cela l'aurait chagriné, et c'eût été dommage.

Gisèle donc, n'est qu'un recueil de nouvelles. Ah! le charmant livre! Toutes les qualités d'Edgar s'y retrouvent, avec moins de richesse naturellement puisque ce ne sont là que d'assez courtes histoires, mais de mieux composé, de plus dépouillé et de plus pur. Et d'abord,

et surtout, cette fantaisie qui est la qualité la plus exquise de Duvernois. A quoi tient-elle ? Voyez, si vous voulez, M. Portereau dans le troisième récit : d'un bourgeois semblable, un Gaston Chérau, minutieux, analytique et solide, fait l'inoubliable M. Aristide de Champi-Tortu et de la Prison de verre. Mais Duvernois, comment s'empêcherait-il de placer quelques plumes sur le chapeau de ses héros ? Il s'amuse. Ah! écoutez-le discourir, M. Portereau (p. 224 et suivantes, par exemple) !

Les dialogues de Duvernois, d'ailleurs, il est bien amusant de les comparer à ceux de Marcel Proust. Je ne crois pas qu'on ait jamais fait parler des personnages d'une manière plus « phonographique » que M. Marcel Proust et l'absence absolue de transposition, la ressemblance rigoureuse, le naturel (comme on dit) des discours en style direct de la Recherche du temps perdu, contrastant si vivement avec les analyses qui forment les neuf dixièmes de l'ouvrage, c'en est un des caractères les plus savoureux. M. Duvernois, lui, est le moins explicatif et le moins abstrait des hommes. Il conte, c'est-à-dire qu'il montre sans cesse ; et pourtant son dialogue est presque aussi transposé qu'un dialogue de théâtre, mais d'une qualité excellente, naturellement... Il est toujours brillant, toujours spirituel. non pas trop brillant et spirituel, bien entendu, puisque j'ai dit qu'il était excellent. Mais enfin il semble fait pour « l'optique de la scène ». C'est que là aussi la fée de la fantaisie a passé. Il n'est pas naturaliste pour un sou, ce Duvernois, en dépit des apparences.

Quant à son invention romancière, elle est miraculeuse. Aujourd'hui, bien que tout écrivain en prose se croie obligé d'écrire des romans, y soit-il le moins doué des hommes (comme si c'était là le seul genre littéraire), il est assez peu de romanciers et de conteurs nés, c'est-à-dire dont la mémoire (et donc l'imagination) soit toute concrète et anecdotique, et en l'esprit desquels tout se compose en personnages qui parlent et agissent c'est pourquoi nous lisons tant d'histoires, narrées avec art et écrites avec raffinement, voire très bien, mais paupauvres, maigres, étiques, étirés. Ah ! l'auteur de Gilèle, Iui, n'est pas de ceux qui étirent en 300 pages ce qui ne serait qu'un sujet de nouvelle ! Chacun de ses trois récits contient la matière d'un roman. Pour ainsi dire l'auteur est plutôt en deçà qu'au delà de ses sujets. Aussi mène-t-il son action à bride abattue, en la dépouillant de tout ornement, de tout détail accessoire, de tout personnage superflu. C'est une pluie, une giboulée de traits charmants, drôles, justes, gracieux; une mer de petites phrases courtes, mais non pas trop, de phrases naturelles, sans recherche, mesurées au ton de la conversation, correctes et pures d'ailleurs, sans aucune queue ornementale, aucune couleur forcée; une mer de traits menus qui se pressent comme des petits flots bleus.

On préférera, selon le goût qu'on aura, l'un ou l'autre des trois récits; mais il me semble que le plus beau, peints rapidement, aisément, brillamment, justement, c'est le premier il y a là des portraits, des caractères avec une grâce et une réussite extraordinaires : des Fragonard. En somme, je crois bien que Gisèle est un chef-d'œuvre, et, ou je me trompe fort, ou c'est la nouvelle, entre les trois, que l'auteur lui-même élirait, s'il avait le choix.

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