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le haut-de-chausses à boutons d'or. Il s'était posé, non point une barbe hirsute de cacochyme, mais les grosses moustaches et la large mouche dont il marquait d'ordinaire la tête des personnages comiques qu'il créait. Costume de malade en idée, qui garde un brin de coquetterie, afin de ne pas trop dégoûter sa jeune femme, dont il reste amoureux quand même, ni sa fille, la charmante Angélique en l'espèce Mlle Molière Et le vrai malade, secoué de toux, s'était enfoncé dans le fauteuil à crémaillère, la tablette à jetons devant lur, pour faire rire du malade imaginaire, moribond qui devait contrefaire le mort et déguiser ses étouffements d'un ris forcé.

Rentré chez lui et alité, il expirait bientôt dans un flot de sang. Rebelle jusqu'au bout aux médecines et aux médecins, il n'avait pris, pour réparer sa faiblesse, que quelques bouchées de pain et de parmesan.

Voilà un remède dont Argan ne se fût point contenté. Sa chambre a vue sur l'officine de M. Fleurant, le maître apothicaire. L'on y entend le bruit des pilons qui triturent quelque confection à son usage, travail qu'interrompent les clients qui viennent discuter, article par article, les excessives « parties » qu'il s'agit de modérer. La scène du règlement de comptes d'Argan se passe dans la chambre même. M. Fleurant juge vain de se déranger: ne sait-il pas d'avance qu'il a cause gagnée? Son client ne saurait résister à l'éloquence d'une note qui détaille si complaisamment les merveilleux effets de chaque préparation.

Molière n'a-t-il pas trop prêté au maître apothicaire dans le fameux monologue qui, au seuil de la comédie, nous ouvre d'emblée l'âme et la vie d'Argan, possédé de cette maladie des médecins qui l'emporte même en lui sur la redoutable vertu de la bourgeoisie française, vertu encore exacte au XVIIe siècle : l'esprit d'économie. Le poète n'a-t-il pas chargé ces « parties » à plaisir?

Le Moliériste du 1er janvier 1880 a publié des « parties de l'apothicaire Patau de Carcassonne, datées de 1645 à 1658; la bibliothèque de la Faculté de Pharmacie de Paris en possède d'autres, diverses par la date et le lieu, réunies par l'érudit docteur P. Dorveaux. Ces pièces authentiques témoignent que Molière ne s'est point écarté du style du Codex. Il n'a eu qu'à exposer aux quinquets un fragment de ces comptes réels pour en accuser les ficelles et les amusants contrastes: contraste entre

la diversité des formules et la monotonie des remèdes, entre la solennité des termes et la grossièreté de la matière, entre la prétention de l'homme de l'art et la cupidité du marchand. Le comique jaillit des mots et des objets. Molière s'est borné, par le bref commentaire de chaque article, à marquer le charlatanisme de M. Fleurant.

Voici d'autres « parties », extraites des dossiers du notariat de Pondichéry, qui ressemblent fort à celles de M. Fleurant et qui empruntent d'ailleurs à leur lointaine origine et à la qualité des personnages un intérêt particulier.

Ces pièces s'intitulent mémoires et non plus parties, terme qu'abandonnèrent dès 1673 les maîtres apothicaires de Paris, pour rompre compagnie à M. Fleurant. Aussi bien ces mémoires émanent-ils non d'un simple apothicaire, mais d'un chirurgien major qui à l'exemple des confrères des petites villes de France, tenait une pharmacie. M. Jacques-Théodore Albert, qui pratiquait à Pondichéry et devait être le beau-père de Dupleix, donnait ses soins à dame Marie Cuperly, veuve François Martin, écuyer, chevalier de l'ordre de SaintLazare, fondateur et premier « gouverneur des ville et forteresse de Pondichéry aux Indes orientales ». J'abrège, à l'exemple de Molière qui ne met en scène que la fin du compte mensuel d'Argan - ces neuf pages de mémoires qui vont du 25 février 1709 au 3 février 1711. J'y relève simplement les articles qui rappellent

davantage la manière de M. Fleurant. Je néglige les prix de M. Albert qui, évalués en pagodes et fanons, ne permettent guère la comparaison avec ceux de l'apothicaire du poète. D'ailleurs il taxait au juste et, en sa qualité de chirurgien, il n'eût pas souffert la moindre modération à son compte.

de

Mémoires des remèdes que j'ai fournis à Mme la douairière Martin, en diverses maladies qui lui sont arrivées depuis la mort de feu M. le gouverneur son mari qui est arrivée le 30 décembre 1706 (1).

Ayant, Madame, perdu le mémoire de ce que j'avais fait et fourni en diverses maladies que vous avez eues depuis 1709, j'en laisse le paiement à votre générosité : Le 17° avril un gros de confection alkermès. Du 6o juin un lavement composé.

Du 8° une médecine composée.

Du 9° une potion cordiale et stomachique.

Du 11 au soir un gros de confection alkermès. Du 2° août un lavement détersif et un gros de confection jacinthe.

Le 3o une médecine composée.

Le 5° une potion cordiale.

Le 11 un lavement purgatif et le soir un julep som

nifère.

Du 26° septembre un lavement composé.
Du 27° un lavement purgatif.

Du 29° un gros de rhubarbe en poudre.

Du 29° octobre un lavement carminatif.

Le 30° un grand emplâtre pour le mal de reins. Du 25° février 1710 une potion cordiale et un pot de tisane pectorale.

Du 26° un lavement purgatif et une médecine avec émétique.

Du 12 mars un lavement laxatif.

Du 10 avril commencé à faire des fomentations avec les aromates aux jambes de Mme la douairière. Du 12° une potion stomachique.

Du 10 de mai un lavement composé.
Du 8° juin un lavement purgatif.
Du 8° septembre une potion cordiale.
Du 9o un lavement émollient.

Du 16° quatre onces d'élixir dé vie pour diverses fois Du 1er novembre une potion cordiale et un lavement purgatif.

prit de camphre et vingt gouttes d'essence d'ambre. Du 12 un gros d'huile de muscade, demi-gros d'es Du 22° au soir une potion cardiaque.

Du 26 une potion cordiale.

Du 26° une emplâtre stomacal fait des gemmes de myrrhe oliban, sagapernum thériaque, huile de cannelle

et massis, etc...

M. Albert ne le cède point en civilité à M. Fleurant. «Les jambes de Mme la douairière » répondent aux << entrailles de Monsieur ». Dans ces mémoires réels, nous retrouvons le julep somnifère et les divers qualificatifs du clystère ou lavement; détersif, purgatif, carminatif, émollient, chers à l'apothicaire de comédie, termes du Codex qui fournissaient à Molière un comique de mots tout prêt. Surtout tous deux dosent avec la même adresse le mystère et l'étalage de la science les médecines composées, mot magique qui garde le secret, alternent avec les préparations, dont l'analyse savante est détaillée avec soin.

Si l'on peut rapprocher M. Albert de M. Fleurant, l'on ne saurait faire l'injure à Mme la douairière de la confronter à Argan. C'était une vaillante femme qui ne s'écoutait point; elle n'appelait le chirurgien qu'à la dernière extrémité et ne le payait qu'à regret.

Marie Cuperly, veuve du gouverneur de Pondichery, était la fille d'une « maîtresse harengère » des Halles. François Martin, jeune bourgeois de Paris, s'était épris (1) Voy. Revue historique de l'Inde française, tome III.

d'elle et l'avait épousée. Son frère aîné, irrité de cette mésalliance, l'avait chassé de la maison paternelle. Sans ressources, François Martin avait dû entrer comme garçon de boutique chez un épicier, pour soutenir son ménage. Trois ans après, comme maints fils de famille déclassés, il se mettait au service de la Compagnie des Indes. Sous-marchand aux appointements de 600 livres par an, il commençait par une expédition à Madagascar une extraordinaire odyssée de dix-huit ans durant laquelle sa femme et ses trois filles se trouvèrent à l'abandon. Courageusement, Marie Cuperly reprit le métier maternel; revendeuse aux halles, elle gagna sa vie tant mal que bien. Enfin, François Martin colon, soldat et marchand, intrépide autant qu'ingénieux, ayant transformé le petit hameau de pêcheurs Poudou-Chéry en une loge prospère, s'installe à Surate, comme directeur de la Compagnie. Il fait rechercher les siens et les mande près de lui. Vingt-cinq ans durant, la revendeuse aux halles allait vivre là-bas comme première vice-reine de l'Inde française. A la mort de son mari, le chevalier Hébert, second gouverneur de Pondichéry, l'expulsa sans égards hors la forteresse du petit appartement, proche de l'église et du tombeau de Fr. Martin, où elle comptait finir ses jours. Elle se plaignit noblement au ministre. « Cela est bien dur, Monseigneur, à une femme comme moi et de mon âge de se voir traitée de la sorte ». Le respect public la suivit dans la petite maison où elle se retira, en dehors du fort, rue de la porte de Gondelour. Les funérailles de Mme la douairière se firent avec pompe. Un catafalque fut dressé dans la petite chapelle du fort, toute tendue de noir. On tira le canon; deux sergents, deux caporaux et cinquante hommes escortèrent jusqu'au cimetière l'ancienne dame des halles que la fortune tardiye n'avait point grisée.

La Vie Economique

AMÉDÉE BRITSCH.

Jugement sur deux jugements

Le 13 janvier, la onzième chambre correctionnelle a prononcé la dissolution de la Confédération Générale du Travail, pour crime d'action politique et révolutionnaire. Le 10 février le Comité confédéral de la C. G. T. a prononcé l'exclusion des organisations adhérentes à la troisième Internationale de Moscou, pour crime d'action politique et révolutionnaire.

Les deux actes d'accusation se ressemblent. Les attendus des deux jugements sont analogues. Est-ce à simple coïncidence? Ou bien, les dirigeants de la C. G. T., mis en humeur par la condamnation qui les frappait, se, sont-ils retournés contre les communistes dont l'agitation brouillonne la leur avaient value? Ou bien enfin est-ce la similitude des circonstances qui à motivé des décisions identiques, fondées sur les mêmes considérants? Il est, en tous cas, bien remarquable que la C. G. T. invoque à son tour, pour condamner ses adversaires, cette idée de la tradition, cette nécessité du libéralisme, cette doctrine de la volonté majoritaire, bref tous les principes sur lesquels repose l'état démocratique moderne.

Il y a là une situation qui serait presque de comédie, si elle ne soulevait des questions capitales et ne touchait à des intérêts primordiaux. La C. G. T. avait entrepris de créer, comme on disait autrefois, un Etat dans l'Etat, ou, selon les formules plus récentes, des << noyaux » révolutionnaires dans la société. Pour ce fait, elle a été quelque peu maltraitée par les juges de la onzième Chambre. Mais, à peine sortie du tribunal,

elle à repris les arguments qui lui avaient été assénés, et en a fustigé à son tour les « noyauteurs » du communisme.

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Sont-ce là simples propos? Non pas. Qu'on relise donc attentivement le texte du premier jugement! La loi du 21 mars 1884, dit-il, a autorisé les syndicats professionnels à se constituer librement, mais en précisant limitativement leurs droits et les obligations auxquelles ils sont tenus. La liberté d'association est affirmée, mais dans les bornes de la légalité.

Passons les menus délits, omission de dépôts des modifications de statuts, omission de déclaration de formation de syndicats, etc.

Le point important est que la C. G. T. n'a cessé d'accroître ses attributions extralégales, et d'étendre ses interventions dans le domaine politique. Voilà le vrai grief, celui qui consitue le pivot de l'accusation. La C. G. T. a affirmé hautement ses intentions combatives dans la prétention de grouper tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salaniat et du patronat."

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L'accusation est nette: le droit syndical est une forme de la liberté. Le domaine qui est ouvert aux syndicats est celui de l'action économique. Le délit qu'a commis la C. G. T. n'est pas un délit d'opinion. Il n'est point reproché à ses dirigeants d'avoir apprécié défavorablement le régime actuel, mais d'avoir effectivement agi pour amener sa disparition. Et le texte du jugement poursuit, en effet, en énumérant toutes les circonstances où l'activité de la C, G. T. a débordé du domaine économique dans le domaine politique.

L'Etat est intervenu au nom de la volonté nationale.. Car c'est la volonté nationale qui constitue le gouvernement, et celui-ci ne peut tolérer que se constitue, en face de lui et contre lui, sous la façade syndicale, un autre gouvernement créé par une minorité d'agitateurs et qui prétend lui imposer les volontés de cette minorité.

Antinationale, antidémocratique, la C. G. T., au moment où elle s'est ainsi engagée dans la voie de la révolution politique, a, en même temps, appuyé son action sur tout un réseau d'alliances avec de puissantes organisations syndicales étrangères acquises à l'internationalisme. Elle a été prendre son mot d'ordre hors du pays, et c'est la raison dernière pour laquelle l'Etat, régulièrement investi du pouvoir et de la responsabilité de l'avenir du pays, a enfin décidé de faire respecter la loi.

« Attendu, dit en concluant le jugement, que cet ensemble de faits précis et concordants démontre surabondamment que les inculpés ont volontairement dépassé le domaine des intérêts économiques et la limite expressément imposée à l'action syndicale », la dissolution det la Confédération Générale du Travail est prononcée. »

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Passons donc maintenant au second texte : le juge-ment de la onzième Chambre avait invoqué la nécessité de l'effort collectif pour la reconstitution économique du pays, l'obligation de maintenir l'union commune sinon l'union sacrée devant les ruines accumulées par cinq ans de guerre et le désarroi général. La résolution soumise à la délibération du Comité confédéral commence par constater le même fait : « Le Comité confédéral déclare ne pouvoir utilement examiner le programme économique de la C. G. T. avant d'avoir pris toutes les mesures qui s'imposent pour mettre fin au malaise qui cause la paralysie et l'impuissance du mouvement syndical ». La C. G. T. a besoin, comme l'Etat national, d'une discipline réelle et positive. Elle ne peut indéfiniment se heurter à une opposition et à un discrédit systématiquement exercés par une partie de ses propres éléments.

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les

La C. G. T. a fait de la politique, disait le jugement. Mais qu'ont donc fait, au sein de la C. G. T. << noyaux» communistes, sinon la même politique? « Ce malaise est le résultat de la tentative d'un parti politique qui prétend, au moyen d'injonctions et d'une campagne de calomnie, jamais usitée jusqu'à ce jour, imposer ses doctrines et ses méthodes au mouvement syndical ».

La C. G. T. a entrepris de détruire le régime actuel. Mais les noyaux » communistes se proposent également de détruire la C. G. T. Dans un article du Peuple du 13 février, le cégétiste Digat constate que l'opposition systématique des minoritaires empêche toute tentative d'action efficace d'étude ou de décision commune.

Le jugement rappelait que la loi de 1884 était une loi de liberté. Mais la résolution proposée au Comité confédéral affirme également qu'au-dessus de toutes les tendances et de toutes les divisions, la liberté d'opinion doit rester entière pour tous les membres de la C. G. T. Liberté d'opinion, soit! Mais non pas liberté d'action révolutionnaire contre l'organisation confédérale. Le Comité confédéral affirme « qu'il ne saurait commettre la faiblesse de laisser s'abriter, derrière la liberté loyalement accordée à tous, des organismes qui ont pour unique mission d'affaiblir le mouvement syndical, pour lui imposer ensuite, à la faveur de son impuissance, des méthodes d'autorité et de domination répudiées par tous ses congrès,

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Concluons done; au surplus, des principes identiques entraînent nécessairement semblables conséquences. La onzième Chambre a prononcé la dissolution de la C.G.T. La C. G. T. a prononcé l'exclusive contre les «< noyaux communistes ». Le Comité Confédéral précise que cette décision de réprobation signifie l'impossibilité absolue, pour toute organisation, d'adhérer à l'Internationale syndicale, section de l'Internationale politique de Moscou.

Nous ne tolérerons plus d'organisation révolutionnaire dans la communauté nationale, ont proclamé les juges de la onzième Chambre 1 Nous ne tolérerons plus d'organisation révolutionnaire dans la communauté syndicale, ont répété les juges du Comité confédéral.

Tels sont les faits. Des esprits malicieux penseront que la C. G. T.. ayant reçu le blâme, l'a transmis avec commentaire aux principaux intéressés.

Peut-être aussi les communistes dépités et hargneux ne manqueront-ils pas d'insinuer que le Comité Confédéral, comme un mauvais élève pris en faute, se décharge sur le voisin.

mais

pour

Une telle accusation ne serait pas fondée, sans doute, l'écarter complètement, encore faudrait-il que les dirigeants de la C. G. T. aient le courage d'aller jusqu'au bout de leur pensée, de la clarifier et de l'exprimer intégralement. Et voici, pensons-nous, à peu près ce qu'ils diraient :

«Eh bien ! Oui, nous sommes devenus des traditionnalistes, des démocrates, des légalistes ! Comment la chose s'est-elle faite ? Nous allons essayer de vous le faire comprendre. Nous avons maintenant maintenant quelque quelque quinze ans d'existence. C'est beaucoup pour une organisation ouvrière qui s'est proposée, dès sa création, de renverser le régime économique existant. Car, nous aussi, nous avons été des révolutionnaires, et nous le sommes restés, en droit et en doctrine. Seulement, par le seul fait que nous avons vécu, que nous avons vieilli, nous avons contracté des habitudes, des défiances, nous avons des traditions... Crime de bourgeoisisme, dites-vous ? Peutêtre si le bourgeois est un homme qui a le sens du passé, et si vivre, c'est se faire un passé. De fait, nous n'avons jamais toléré l'intrusion des partis politiques, à

plus forte raison d'un parti politique étranger. Nous tenons à notre indépendance, à notre souveraineté. Et en cela, nous ressemblons à toutes les sociétés qui ont réussi à se donner une constitution.

Et pour la même raison, nous somme devenus des li-béraux, mais des libéraux dans le cadre de notre léga lité. Nous aussi, nous avons été des « minoritaires »>, nous nous sommes heurtés à l'indifférence des masses, à la nonchalance des gens en place, à la veulerie générale. Seulement nous nous sommes donné une loi, et vous trouverez bon que nous la fassions respecter. Nous nous sentons assez forts pour tolérer vos divergences d'opinion, mais non pas vos écarts de conduite. Nous vous parlions de coutume et de tradition. Mais nous avons codifié notre droit coutumier et défini nos traditions, et devant vos imaginations révolutionnaires, nous dressons la barrière de la loi, de la constitution, de la charte d'Amiens.

Car nous sommes aussi devenus des démocrates. Tant que nous avons vécu dans l'absolu des formules mystiques, nous avons pu croire que la raison, la vérité, la justice n'étaient point affaires de nombre, de majorité, de suffrage universel. Seulement quand nous nous sommes engagés dans la voie des réalisations, nous nous sommes aperçus que nous serions mal venus à exciper d'un Evangile et d'un nouveau droit divin, fut-ce celui de Karl Marx. Nous avons compris qu'à défaut de cette force-là, la seule qui nous restât était celle du nombre, les bourgeois ! Et puis nous ne sommes plus la C. G. T. de la majorité, de ce suffrage universel qu'inventèrent squelettique d'avant-guerre. Nous étions un état-major, nous sommes une armée. Vous concevez que le point de vue ne soit plus le même. Et c'est pourquoi nous prolégalité voulue par notre suffrage universel. Ecoutez clamons la nécessité de la discipline, de l'ordre, de la donc ce que vous dit dans le Peuple du 11 février notre camarade Dumercq;

"L'individu adhérent au syndicat demeure, dans le

syndicat entièrement libre d'exposer son point de vue, de défendre toute proposition, et jamais il ne pourra être rien exercé contre ce droit imprescriptible.

« Le principe est applicable encore au syndicat dans la Fédération ou dans son U. D. ou pour ces deux organisations dans la C. G. T. »

Vous en tombez d'accord, dites-vous. Seulement prenez garde à la suite:

«Mais tout droit comporte un devoir. Et, pour l'individu comme pour le syndicat, la liberté d'expression qu'ils ont rencontrée dans le sein des organismes réguliers du syndicalisme leur impose le devoir de se sou mettre à une discipline librement consentie, ou de se démettre purement et simplement. »

Devoir, discipline... Vous aviez déjà lu quelque chose de cela chez de vieux auteurs. Mais oui, Rousseau en touche quelques mots dans le Contrat social, lorsque, définissant la Constitution des démocraties égalitaires modernes, il établit que la loi repose sur le consentement général, et qu'elle implique l'obéissance, sous peine d'exclusion... Mais au fait, la Déclaration des Droits de l'Homme ne s'exprime pas autrement.

Voilà ce que les dirigeants de la C. G. T. auraient pu dire, et ce qu'il est regrettable qu'ils n'aient pas dit. Il est vrai que s'ils l'avaient dit, ils se seraient définitivement inclinés devant les principes de la société bourgeoise, ils auraient décidément perdu leur figure de révolutionnaires, et l'on sait qu'en France, -l'épithète de révolutionnaire est une de celles à laquelle on a encore la faiblesse de vouloir attacher un sens. C'est une de nos traditions nationales, et notre syndicalisme ne serait pas français, s'il ne se proclamait révolutionnaire, quitte à se comporter, et, au besoin, à se prononcer selon

la plus bourgeoise des justices! MONTCHRESTIEN.

POLITIQUE

Feuillets de

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Il est bien fâcheux, me confie un homme pour qui le Palais-Bourbon n'a plus de secret, il est bien fâcheux que M. Eugène Pierre aime se lever tôt et n'aime point se coucher tard. Car ceci nous vaut des séances du matin, et supprime les séances de nuit. La séance du matin est une trouvaille relativement récente et il ne faut pas remonter à plus de quinze ou vingt ans pour en reconnaître l'invention. Sans doute, les députés frais émoulus de la province ont-ils entendu dire là-bas Paris que appartient à qui se lève tôt ? Nullement ! mais la séance du matin, répondra-t-on, est la seule où l'on travaille. N'en croyez rien. Elle est celle où on abat de la besogne. Cela n'est point la même chose. Il faudrait démontrer que le Parlement doit travailler à la tâche, expédier en un temps donne une certaine quantité d'affaires et que les représentants du pays doivent aller à la séance comme d'autres vont au bureau ou a l'usine.

C'est là une conception bureaucratique et basse, qui n'est point du tout en harmonie avec notre tradition originale, intelligente et pittoresque. La séance de nuit a bien une autre allure. Les gens graves ont cru devoir la condamner, à cause des incidents imprévus qu'elle amène et des péripéties trop romanesques qui s'y succèdent. N'estce pas pour cela, plutôt, qu'il convenait de la maintenir précieusement ?

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Comment; c'est un pays de littérature et d'art, d'éloquence et de théâtre, qui méconnaît que la séance de nuit est la grande, la vraie séance, la seule qui mérite d'être vue, la seule. qu'il vaille la peine de vivre, la seule où la curiosité ardente des foules puisse vraiment juger les élus! Le Parlement est fait, je le veux, pour enregistrer brièvement, tous arguments confrontés, les textes préparés dans le labeur documenté des commissions. Mais sa raison n'est-elle pas surtout d'orienter, de déterminer la politique du pays par la bataille des partis, par la rivalité c'est-à-dire l'émulation des personnes ? Ceci est la vie politique même. Où donc cette bataille a-t-elle toute sa valeur, toute sa poésie, tout son éclat, où donc les ressources imprévues de l'éloquence, des manoeuvres. des surprises peuvent-elles se donner libre cours, qu'au soir de ces grandes journées où s'agitent les sentiments et les désirs, où les nerfs sont tendus et les volontés fébriles, où circule je ne sais quelle électricité secrète parmi les groupes, dans les couloirs, sur les travées et jusque dans les tribunes mêmes, où les spectateurs participent à l'harmonie du théâtre, et vivent un instant la même vie magnifique, anxieuse, et passionnée !

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la,

Semaine

voyage de Londres. Ce ne fut donc pas tout à fait la fièvre, la belle fièvre des grandes séances du Panama et du ministère Combes. Mais ce fut très bien tout de même, et il est permis aux cu rieux de psychologie de se demander si, à une autre heure qu'à cette heure tardive de fatigue, d'attente, d'exaspération nerveuse, M. Aristide Briand eût pu pareillement retrouver, avec l'incomparable inspiration de ses formules et la magique perfection de son art, le chemin d'une sensibilité unanime et la victoire d'une triomphale ovation.

Il avait douté de sa majorité! Il lui avait semblé parfois que sa manière habituelle ne prenait pas, sur cette assemblée difficile et rebelle. Il ne savait pas deviner ce qu'elle voulait. Elle semblait avoir pour son charme une méfiance insurmontable. Il a fallu une séance de nuit pour que M. Briand se retrouvât réellement lui-même, et que l'Assemblée redevînt vraiment une assemblée frémissante et révoltée, puis vaincue et subjuguée.

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Car elle le fut. Qu'importent les explications postérieures au drame? Elles ont de la valeur pour l'homme politique et le philosophe. Elles sont non avenues pour l'artiste.

« Singulière Chambre, constatait un député sceptique. Chambre d'opposition qui ne peut point se décider à voter contre un cabinet. » Mais il ne disait point s'il le craignait ou le souhaitait.

Et M. André Tardieu, qui a infiniment de talent mais encore plus d'esprit, commentait, dans les couloirs, pendant le scrutin : « En somme, on ne nous demande ce soir qu'un vote de cordialité! D

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Un ami de M. Klotz mais on n'est jamais trahi que par les siens soulignait que le discours de celui-ci avait fait grande impression : « Avez-vous remarqué, disait-il, comme Klotz a du talent, quand il n'est pas ministre ?>

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Le budget court la poste. On discute tour à tour la marine marchande, la justice, l'agriculture, l'hygiène. M. Doumer s'épuise en adju

le

commerce,

rations d'économies. Il serre désespérément sur son sein le maigre trésor des recettes qui doivent faire face aux dépenses

strictement indispensables. Hélas! dans son maigre sac de larges entailles sont ouvertes, et chacun glisse une main avide. Mais il a fallu inventer pour cela une formule qui permît de satisfaire tout le monde et son père, ce qui est, comme on le sait, le fin du fin de l'art parlementaire. Lorsqu'un député veut augmenter les dépenses, sans savoir par quel moyen nrésidentiel on y fera face, il déclare : « Certes, plus que jamais s'impose la stricte nécessité des économies. Mais il y a économies et économies. Il y a des économies stériles et des dépenses qui rapportent. » Et les dépenses que propose l'honorable sont toujours une dépense qui rapporte.

Autrefois, quand on luttait contre les

mercantis, celui qui prenait leur défense criait plus fort que tous les autres réunis. Mais il ne faut pas confondre, ajoutait-il, il y a commerçant et commerçant. Pour quelques brebis galeuses, allons-nous inquiéter ce commrece que l'Europe nous envie ?» Et ceux dont il prenait la défense n'étaient jamais des brebis galeuses.

Ce sont des petites formules de rien du tout. Encore, fallait-il les trouver.

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« Chacun, commente un consciencieux, croit toujours à la pureté de ses relations et à l'intérêt national des moindres choses qui lui sont confiées. Et il lui paraît juste que tout le reste soit sacrifié à cela... D

M. Doumer explique plus simplement : « Chacun se croit le centre du monde. »

Donc, on discute, avons-nous dit, un peu de tout. Et chaque spécialiste si gnale en passant quelque réforme de sa spécialité, qui, lui semble-t-il, s'impose. Les marins parlent marine et les postiers parlent postes. Les Parisiens parlent beaux-arts, comme tout le monde, et d'autres jugent l'enseignement technique. M. André Berthon parle de tout. Successivement, il parle de la ré forme judiciaire, du régime des prisons, des incendies de forêts, de la dis tillation du miel, de la marine mar chande et des bateaux en ciment armé, ainsi que de la politique russe et, vraisemblablement des beaux-arts. Rien de ce qui est humain, ne lui est étranger, et il embrasse d'une passion innombrable toutes les branches de l'activité humaine. Certains s'étonnent de ce savoir universel chez un homme relative ment aussi jeune. « Il faut lui savoir gré de son dévouement au parti, explique un adepte de ce parti, qui est le parti socialiste parlementaire, c'est-àdire bolcheviste. Nous ne sommes que douze adhérents. Il faut donc que ces douze adhérents se multiplient pour conquérir en qualité ce qui leur manque en nombre. M. André Berthon se multiplie. Il ne faut pas oublier, non plus, dit un vieux socialiste de l'ancien bateau, que les dictateurs du prolétariat ne sont point des gens du vulgaire. Et ils savent que, dans toute Société bien comprise, les gens de qualité doivent tout connaître sans l'avoir jamais appris. >

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LETTRES

M. René Boylesve habite au fond de Passy, un petit hôtel dans le style du dix-huitième siècle, que, si j'étais un riche bibliophile, je ferais dessiner très modernement par Boutet de Monvel pour l'imprimer ensuite au fer dans le maroquin dont j'habillerais la Jeune fille bien élevée, le Meilleur ami, tous les ouvrages de cet écrivain dont il n'en est pas un qui ne séduise dès le titre.

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Il est de belles lignes, et simple et silencieux ce petit hôtel, entouré des quelques derniers grands arbres du château de Boulainvilliers qui font de ce quartier lointain, une manière de province rustique.

Des fenêtres de son cabinet, l'auteur du Dangereux jeune homme ne voit qu'eux, noirs et rosés dans ce matin ensoleillé d'hiver. Ce parc voisin apporte ici un doux calme. Des bûches flambent dans la cheminée; un radiateur électrique rougeoie au centre de son projecteur de cuivre, échauffant l'air devant une peinture dorée sans cadre. Pas de notes vives. Des vitrines d'acajou pleines de livres reliés, ont des reflets fauves. C'est une demeure paisible, à l'écart de la rumeur sonore et vide de tous les bruits qui se crient dans la ville.

M. René Boylesve s'accorde avec sa maison qui s'accorde avec ses livres. Il parle calmement, et la pensée seule donne de l'éclat à sa conversation. La pommette est un peu brunie, le sourire a des nuances infinies qui vont du grave à la malice aigue. Mais jamais cet homme fin ne quitte son ton discret et ferme. Il a tout à fait l'air d'être un sage, un sage charmant, mince avec une petite barbe à peine piquée de deux ou trois points d'argent.

Sur sa vaste table bien solide qui n'est pas faite pour des bibelots, ou pour aider au décor, ou pour servir de premier plan aux photographies des celébrités, mais pour écrire, un manuscrit est là, petite écriture bleue, nette, précise sur des feuilles pailles soigneusement coupées.

Ce jour-là, M. Boylesve en cherchait encore le titre. C'est le roman qui paTaitra après Elise; Elise que M. Marcel Prévost publiera dans sa nouvelle revue, la Revue de France, et qui : ou les a pour épigraphe L'homme

hommes;

aux

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et après, aussi Le carrosse

deux lézards verts qui est un conte dont la Guirlande prépare une jolie édi- I tion illustrée par Barlien. Elle a bien raison.

Il y a peu de romanciers actuels qui soient plus dignes que lui d'être honorés par un beau tirage, des caractères choisis, toutes les élégances de l'imprimerie. Elles lui vont à ravir. Il est en effet un écrivain précieux, mais dans le sens que chez lui, le texte nourri de psychologie et d'études de mœurs a une valeur incomparable..

GEORGES OUDARD.

Les Académies

On a souvent dit que les états les plus intéressants pour le psychologue étaient ceux qui ne sont pas tout à fait la santé et qui ne sont pas encore la maladie grave. De ce nombre est la graphomanie... D

Ainsi parlait M. Bergson aux Sciences morales, en présentant un livre de M. Ossip-Lourié sur ce que « l'homme aux rubans verts appelait la démangeaison d'écrire.

M. Bergson a montré chez le graphomane a fixité du désir, du besoin

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La graphomanie comporte excitation ou dépression.

« Dans le premier cas, la production est continue et surabondante.

« Dans le second, il y a souci exagéré du détail, susceptibilité excessive idées d'embûches tendues et d'obstacles placés intentionnellement en travers de la route du succès. »

A entendre M. Henri Bergson flageller de sa voix menue, câline et douce les graphomanes, à voir son sourire d'une ironie si légère quand il soulignait leurs petits ridicules, on revivait certaines scènes du Misanthrope et des Femmes savantes.

La causerie fut jusqu'au bout exquise, jusqu'au moment où, avec M. OssipLourié, le subtil philosophe déplora la fréquence de la graphomanie, en rechercha les causes, et constata, que ce mal est « surtout encouragé par le relâchement de la critique, de la critique, qui a gardé la notion exacte des valeurs et le sens de la mesure ».

A ce moment même, au Palais, on condamnait M. René Doumic.

La vente Jules Renard

La vente de la bibliothèque de Jules Renard qui ne comprenait que des livres modernes et les manuscrits de l'écrivain a produit 41.700.

Deux manuscrits de Poil de Carotte avec notes diverses ont fait 1.500 et 3.000; celui de l'Ecornifleur 2.450 et celui de Ragotte 6.000.

-Les livres se sont moins bien vendus. Le plus grand nombre, en éditions originales, dédicacés et quelquefois annotés par Jules Renard, n'ont pas même atteint cent francs.

Les plus hauts prix ont été obtenus par la Ville de Claudel sur, Hollande, adjugé 800 et une édition de luxe de Crainquebille publiée par Pelletan avec illustration de Steinlein et dont l'exem

plaire sur Chine a atteint 1.100 fr.

1er Mille

L'usage veut que les premières éditions présentent une couverture vierge de toute mention de tirage. Un éditeur de toute mention de tirage. Un éditeur

vient de rompre cette tradition en faisant figurer sur la couverture l'indication 1 mille.

Une petite révolution pour les bibliophiles.

Une nouvelle société

Une société vient de se fonder pour répandre la pensée d'un philosophe, rééditer certains de ses livres enfin épuisés, publier ses inédits. De qui s'agit-il, mon Dieu ? Du prince des conteurs en personne. Oui, il y a maintenant « Les amis de Han Ryner »...

Jeunesse

Une revue qui se publie en banlieue et qui est « exclusivement rédigée par des jeunes », ses collaborateurs « ayant de quinze à vingt-cinq ans », consacre au lauréat de son concours de poésie, les quelques lignes suivantes : « X. est un « jeune puisqu'il n'a que 17 ans. C'est en même temps un « poète » dans toute la vérité du terme, un poète épris de beauté, doué d'une exquise sensibilité, dont le cœur vibre à tous les zéphyrs généreux qui viennent le caresser. Il aime à chanter dans ses poèmes, l'amour, et la splendeur de tout l'univers qui l'entoure, la nature, les fleurs, le ciel bleu, mais il chante aussi la douleur des humains et les larmes des choses. »

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En même temps que son dernier vo lume, accompagné de l'inévitable « prière d'insérer », cet écrivain a envoyé une note tapée à la machine où il essaye de nous faire croire que l'auteur véritable de l'ouvrage publié sous son nom est une dame mystérieuse.

C'est d'une naïveté excessive. Tous les clichés s'y retrouvent. La dame est « de mise élégante et discrète ». Son manuscrit est un petit cahier noué d'une faveur bleue à la façon des devoirs de pensionnaire ». Après la visite de la dame, l'écrivain ne manqua pas « de commencer de tourner les feuillets »; sa surprise ensuite va « grandissant ». Bientôt le manuscrit est porté aux directeurs d'une librairie, lesquels sont, bien entendu frappés à leur tour par les mérites littéraires » de l'ouvrage. Et ils en décident la publication.

Oh! que cette petite fable manque d'invention! Qui le croira ?

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