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Chez une fillette, un vêtement blanc sur un vêtement rose.

prs Les petits de canard sauvage.

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SO

Dans un bol de métal neuf, de la glace pilée avec du sirop,
Un rosaire de cristal.

Des fleurs de glycine et de prunier, couvertes de neige,
Un très joli bébé qui mange des fraises.

SO Je pense qu'il n'y a rien à cette heure de plus désiTad rable pour nous qu'une traduction exacte faite, s'il sin se peut, avec autant de goût que celle de Méléagre par bean Pierre Louys (1) d'un choix de hai-kaï et des Notes Overbe de Sei Shonagon. De ces minuscules et adorables bibea b lots, on ferait la plus incomparable vitrine.

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Beaucoup de brèves Histoires naturelles de Jules Renard sont de véritables épigrammes japonaises (2); LE BROCHET. Immobile à l'ombre d'un saule, c'est le poignard dissimulé au flanc du vieux bandit.

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Cette goutte de lune dans l'herbe ! LE CORBEAU. L'accent grave sur le sillon. LE PAPILLON. Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleurs.

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Mais c'est par hasard, et uniquement à cause du goût l'auteur de Poil de Carotte avait de la concision et de la brièveté car jamais on ne vit inspiration plus différente de celle des Japonais. Il est le moins poète des hommes. Du même mouvement naturel que certaines âmés idéalisent et, pour ainsi parler, poétisent tout, il prosaïse au contraire: il ferait du ciel et des étoiles une mare de village où se reflètent des chandelles, s'il pouvait. Au juste, c'est un pur naturaliste de l'école de Zola, avec de l'esprit de mots. Mais qu'aurait-il pensé de la manière d'un Jules Renard, ce Bashô qui, ayant entendu son élève improviser ce haï-kai:

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nippons. (Je mets poètes entre guillemets dans ces deux cas, parce que, pour moi, l'essence même de la poésie, c'est la musique, et que je n'arrive pas à comprendre comment on peut appeler « poètes » et non « prosateurs >> des écrivains qui justement renoncent à la musique.) Voyez plutôt telle pièce des Tentations de M. André Spire que je viens de recevoir : on la découperait si aisément en haï-kaï !

NOVEMBRE

Dans les sous-bois défaits, verts pâles et diaphanes,
Comme un dernier raisin oublié à la treille,
Le vent.

Des escadrilles de corbeaux flottent,
Horizontales, verticales ;

Sont-ce des oiseaux ou des feuilles?

Etc... Mon Dieu, il ne faudrait pas pousser trop loin ce rapprochement, et ce qu'on pourrait appeler l'atticisme japonais, le goût, le choix sûr de l'exquis, l'art strict et raffiné d'un Bashô ou d'un Buson n'a rien à voir avec le mol abandon à son propre cœur et le laisser-aller d'un Blaise Cendrars, par exemple. Néanmoins, çà et là, et parfois jusque dans les bouts de phrases de M. Philippe Soupault, on retrouverait à la rigueur quelque chose qui, de temps en temps, rappelle l'art japonais... Mais ce n'est point de cela que je me propose de parler aujourd'hui. C'est d'abord des Fantasques, de M. Gilbert de Voisins (1).

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L'auteur de cette jolie et fine histoire, l'Enfant qui prit peur, du Bar de la Fourche et d'une demi-douzaine de romans, vient en effet de débuter en vers par ces « petits poèmes de propos divers ». C'est souvent par un livre de vers que les romanciers commencent leur œuvre, mais il est assez rare qu'ils l'interrompent pour versifier. A vrai dire, M. Gilbert de Voisins n'a pas interrompu la sienne pour cela son ouvrage, qui contient aussi bien des distiques que d'assez longues poésies, n'est pas venu d'un jet; il paraît plutôt fait au jour le jour : on sent que l'auteur a négligemment noté un vers, un quatrain, plus rarement une pièce moins courte, qui lui étaient nés dans l'esprit; puis qu'un beau jour, il a rassemblé la gerbe sans beaucoup prendre de peine pour la lier; et il nous l'offre ainsi, afin, comme il le dit modestement, que nous y piquions ce qui nous plaira.

Et l'on trouve, certes, de quoi s'y plaire: tantôt quelque bouquet (Odilon Redon, p. 40), tantôt ces Sceaux chinois :

« Un homme vraiment mort ne se décrit qu'en prose. » « Quel est le bel oiseau que l'on ne peut saisir? »>

« Clair de neige... Des pas oisifs le long des roses. >>

« O douleur! ne viens pas dévorer mon loisir ! »

Tel que l'on connaît M. Gilbert de Voisins (qui est l'auteur d'Ecrit en Chine), il serait bien surprenant qu'il n'eût pas imité les haï-kaï japonais dans un recueil de notules poétiques comme Fantasques Il l'a fait. Mais, à mon avis, c'est une erreur de l'avoir fait en vers. La nécessité de rimer, mesurer, scander, empêche cette brièveté perçante qui fait tout le mérite des poèmes nippons. Ceci, qu'il intitule Hai-Kai japonais, n'est pas du tout dans l'esprit de ces minuscules pièces, car l'effet y est pour l'oreille, non pour l'œil :

Petite scène au Japon :

La poule blanche que j'aime Gonfle son plumage et pond. Ceci l'est davantage, il me semble, mais l'impression rendue n'est pas très rare :

(1) Fantasques, petits poèmes de propos divers (G. Crès)

Songe de ma nuit d'été :

Ce lys dans un rais de lune... Poésie et pureté.

Une fois, sans s'en douter, probablement (car il ne nous indique pas que son quatrain soit inspiré du japonais), M. de Voisins s'est rencontré, par hasard, avec Sôka. La comparaison fait bien sentir à quel point le vers français est impropre à traduire les épigrammes japonaises; et comment en serait-il autrement, puisque le haï-kaï ne parle qu'à l'imagination visuelle, et que notre vers s'adresse avant tout à l'oreille ? Voici d'abord Sôka :

A la lune, un manche

Si on l'appliquait, le bel
Eventail!

Et voici le quatrain de M. de Voisins :

Ajustez à la lune un beau manche de jade,
Maniez-le très lentement d'un geste las...
Pour caresser vos yeux, aux soirs de sérénades,
Quel éventail prodigieux vous aurez là!

Non, transposer un hai-kai en vers français, cela ne se peut guère sans lui faire perdre sa brièveté savoureuse.

Si quelqu'un fait contraste à M. Gilbert de Voisins, c'est M. Albert Erlande (1). Non que M. Erlande soit Japonais si peu que ce soit, mais autant M. de Voisins est né prosateur, autant M. Erlande est né pour les vers. Aussi naturellement qu'on parle, il versifie. Pas plus qu'à ceux de M. de Voisins, ses poèmes ne ressemblent à ceux de M. Luc Durtain, par exemple (2) et des écoles nouvelles qui, plus ou moins, prétendent à livrer directement sans aucune vitre, sans les construire même logiquement, sans presque aucune intervention de l'intelligence pure, leurs sentiments humains. M. Erlande, dans cette Niobé qu'il vient d'ajouter à une œuvre poétique déjà considérable, est tout musique. C'est par leur son qu'en lui les mots s'associent d'abord. Même, il n'écrit pas tant comme un successeur de Baudelaire et de Verlaine, que comme un poète romantique de 1820; et parfois vraiment, dans cette fluidité mélodieuse et lamartinienne, coulent des vers, des strophes dignes d'un grand poète.

Jardin dont nul de nous ne cueillera les fruits,
Secret comme un trésor, doux comme une promesse,
Echarpes de parfums sur la gorge des nuits,
Lianes et jasmins plantés dans l'allégresse!
Arbres que rend plus beaux chaque été qui s'enfuit,
Images de la force et de notre jeunesse,
Adieu tout ce qui passe après avoir séduit!

M. Erlande fait cette musique, comme il invoque Apollon et Cérès ou parle de sa lyre, car la mythologie vit vraiment pour lui: c'est une âme toute méditerranéenne que la sienne. Et tout cela, qui d'ailleurs est toujours facile et délicieux, coule de source, intarissable; la poésie jaillit de M. Erlande sans le moindre effort apparent. Certes, comme celles de Lamartine, ses images un peu floues et imprécises ne sont pas toujours faciles à saisir et à arrêter; il est beaucoup moins visuel qu'auditif: son inspiration est d'avant Hugo. Mais, encore une fois, sa musicalité est excellente : il est poète essentiellement.

Si on lui reprochait quelque chose, ce serait d'être un peu vide. Il y a peu d'idées, et les sentiments sont un peu vagues sous ces harmonies de mots, sous ces longues invocations mélodieuses. Et puis (c'est un détail,

(1) Niobé (Garnier, éd.).

(2) Le retour des hommes (Ed. de la Nouvelle Revue française). M. Durtain vient de formuler, avec quelque obscurité d'idées, sa poétique dans Face à face nu le poète et toi (La Maison des Amis des Livres).

mais il faut le signaler), il use vraiment avec excès des majuscules et surtout des points d'exclamation.

D'où vient-il que, souvent, autour de moi, se lève,
Un chant où tant de voix se fondent en accord!

C'est un point d'interrogation qu'il faudrait ici, et bien souvent, ailleurs, de simples points ou des pointset-virgules... Mais, sans lui chercher plus de querelles, inclinons-nous devant le poète qui écrit, à l'occasion, de fermes vers comme ceux-ci :

Sous l'inspiration de nos heures funèbres,
J'essaye sur la Lyre un chant au Désespoir,

Car le Dieu qui me guide et que mes vers célèbrent
A le front couroné par un feuillage noir.
C'est l'Apollon des nuits, le triste Dieu lunaire,
Dont la face apparaît aux clartés des flambeaux.
Son temple naturel, au centre de la terre,

Est servi par des cœurs mis vivants au tombeau.

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S. M. Albert Erlande est tout à fait lamartinien, M. Raoul Ponchon ne lui ressemble guère (1). M. Raoul Ponchon a retrouvé au cabaret la Muse de Saint-Amant, la bonne fille un peu forte en gueule de l'Enamoré et des Goinfres. Comparez la Salade de M. Ponchon, par exemple, à la Crevaille vous y trouverez moins de couleur peut-être et d'accent, mais tout autant d'aisance, de facilité, de bonne humeur et de liberté. Depuis long. temps on n'avait entendu chanter sur ce mode, et il est traditionnel chez nous.

Certes, c'est en vain que vous chercheriez dans l'amusant recueil de M. Ponchon, non seulement la fameuse Solitude, mais ces admirables sonnets, vous savez ?

Assis sur un fagot, une pipe à la main,
Tristement accoudé contre une cheminée,
Les yeux fixés vers terre et l'âme mutinée,
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.
Ou bien :

Me voyant plus frisé qu'un gros comte allemand,
Le teint frais, les yeux doux et la bouche vermeille,
Tu m'appelles ton cœur, ton âme, ta merveille,
Et me veux recevoir pour ton plus cher amant.

M. Ponchon n'a point cette musique parfaite et arre tée c'est au Saint Amant des pièces courantes et libres, non à celui des poèmes à forme fixe, qu'il ressem ble. Mais il n'est jamais vulgaire, ni plat, ni ennuyeux, comme tant d'auteurs de petits vers faciles à la Musset (le plus génial des poètes, le plus déplorable maitre). Ah! qu'on aime Raoul Ponchon quand on pense à.... Mais n'attristons personne.

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X

J'aurais voulu avoir plus de place pour parler des Paroles juives de M. Albert Cohen (2), dont la rudesse, l'ardeur et la fougue prophétique sont bien savoureuses. Jamais on n'avait mieux transposé en français le brûlant esprit du Cantique des cantiques... Et si l'on songe à cette âme juive que nous suggèrent la Bible et la prose de M. Albert Cohen, et qu'on la compare l'âme juive moderne, telle que nous l'ont représentée Israël Zangwill et les frères Tharaud, alors on ne com prend plus du tout comment celle-ci est issue de cellelà... La première n'existerait-elle plus que littérairement, pour ainsi dire, et comme l'esprit romain de l'antiquité chez les Italiens ?... On le souhaite, s'il faut l'avouer.

JACQUES BOULENGER.

(1) La Muse au Cabaret (Bibliothèque Charpentier). (2) G. Crès, éd.

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Le Théâtre

"Le Comédien"

Décemment, M. Sacha Guitry ne pouvait intituler sa dernière pièce, Lucien Guitry. La publicité du Comédien en eût été meilleure, mais il est enfin des habiletés dont la saine raison ne permet pas d'user. Voilà donc, dans cette suite de portraits historiques, dont le premier de nos auteurs dramatiques a entrepris la peinture, une figure nouvelle qu'il vient de brosser. Ai-je besoin de dire que le métier est excellent? Peut-être l'inspiration n'est pas aussi riche et savoureuse, le don moins éclatant, l'art moins spontané, l'effet, pour conclure, moins irrésistible qu'à l'ordinaire.

Mais que

d'excuses, M. Sacha Guitry pourrait présenter s'il s'en souciait! Tout de même, Lucien Guitry n'est pas un personnage qui force l'admiration autant que Pasteur, avouons-le. Ce néanmoins, comme il collabore à l'œuvre du Comédien, en chair et en os, il excelle à reproduire un héros bien vivant qu'il a l'avantage de jouer au naturel. Et cette entr'aide qu'une génération apporte à l'autre, est tout à fait favorable au plaisir du public.

peut-être pas assez marqué ce qu'il y a d'inexplicable dans l'erreur du comédien, au moment où, dans la première surprise de l'amour, il est entraîné à admirer son talent. Je sais bien que l'amour porte souvent un bandeau sur les yeux. Mais ici le bandeau est bien épais. Et ce détail explique la sévérité soudaine et sans politesse avec laquelle le maître juge son élève quand il retrouve sa raison. Cette double faiblesse le rend un peu inhumain et nous choque dans une pièce qui est si parfaitement humaine. Et que tout cela, cependant, est peint au naturel ! Et comme sous les caractères de la comédie apparaissent, à peine visibles, d'autres caractères qui sont de tous les temps et de tous les lieux ! Est-ce pas la vie même ? Et enfin comme à de certains accents l'on devine que ce comédien-là, soudain, préférerait toutes les joies de l'art à un certain amour qui l'a trompé ! Et comme, sous les traits de cette petite amoureuse, l'on prévoit que tous les mouvements de la passion dans cette petite tête ne sont que l'exercice d'une grande et infatigable vanité! Est-ce pas la vie même ? FRANÇOIS PONCETTON.

D'autant que le jeu de M. Lucien Guitry s'harmonise La Musique
au génie de M. Sacha Guitry, le mieux du monde, et
que M. Sacha Guitry, en dernier, ressemble à M. Lucien
Guitry comme un père à son fils.

:

L'histoire du Comédien est des plus simples. M. Sacha Guitry ne s'embarrasse jamais de complications, et il faut louer ce scrupule, grandement. Sa dernière comédie oppose un comédien célèbre et d'une autorité souveraine, une jeune ingénue qui vient de sa province, et le public qui forme le chœur et juge de l'action. La petite ingénue est amoureuse, comme il se doit, du comédien. Et le comédien, qui vient heureusement de rompre avec sa maîtresse, a des bontés pour elle il la protège. Il l'admire, il la met, sans balancer plus, sur un piédestal, la loue, et bientôt lui confie un rôle important dans une pièce qu'il faut reprendre d'urgence. Mais cette malheureuse, qui aime la comédie, au vrai, moins que le comédien, joue de façon pitoyable, et le comédien qui aime la comédie beaucoup plus que la petite comédienne, lui confesse sa déception, assez rudement, et lui conseille de façon impérative d'aller apprendre son métier. C'est la fin de ces amours de coulisse, où l'art et le désir se mêlaient sans se confondre.

M. Sacha Guitry a enrichi le débat de toute sa fantaisie. La fantaisie de M. Sacha Guitry est miraculeuse. Car elle sait rester légère, et elle force l'attention par des séductions de l'intelligence auxquelles les auteurs contemporains ne nous habituent pas. Son art dramatique satisfait le cœur et l'esprit. Or il était, dans cette rencontre, trop à son aise et mal à l'aise. Je m'explique.

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Il semble que l'univers tout entier soit réduit, pour M. Sacha Guitry, aux mesures du théâtre. Et ce n'est point un blâme que je lui donne là, car il a le génie classique M. Sacha Guitry est classique à merveille de faire tenir le monde entre les portants de la scène. Or, il campe ici un comédien, le Comédien: lui, Sacha Guitry, fils de Lucien Guitry. Et ce sera Lucien Guitry qui jouera! Est-ce pas la perfection de l'art dont nous allons jouir?

Il fallait nous prouver qu'un comédien reste toujours et d'abord un comédien. Nous nous en doutions. Mais il fallait, pour ne point tomber dans le genre bas, nous le montrer, dans une situation qui risquât de le grandir, et le présenter à l'occasion d'une pathétique aventure, où l'amour et le métier fussent opposés. M. Sacha Gui

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"Tristan" -- Les choeurs ukrainiens Isadora Duncan

nous a

La Société des Concerts du Conservatoire donné une admirable interprétation du premier acte de Tristan. Mlle Bréval a chanté le rôle d'Isolde comme il doit être chanté, avec le style et la passion qu'il faut; et l'orchestre a déroulé cette symphonie pathétique, où les puissances élémentaires de l'amour et de la mer se heurtent et se confondent.

J'entends dire, avec un mépris mal déguisé et un respectable patriotisme : « Jouez du Wagner, puisqu'il paraît qu'on ne peut pas vivre sans Wagner ». Et il se voit bien que pour une partie de l'opinion cette admiration passionnée qui accueille les premières auditions wagnériennes est une espèce de scandale. Ceux qui pensent ainsi, au lieu de s'indigner d'abord, devraient peut-être réfléchir, et se demander quelles sont les causes d'un succès si passionné. Il en est deux qui sont, autant qu'il me semble, assez visibles.

La première est que Wagner a trouvé la formule d'un drame exactement adapté à nos sensibilités. Nous vivons, sans nous en douter, dans une sorte de panthéisme. L'homme a, depuis trois quarts de siècle, repris sa place dans la nature. Quelque idée qu'on se fasse de la métaphysique, on reste imbu de ce principe que l'homme n'est pas dans la nature comme un empire dans un empire. La géologie nous a assigné notre place dans la suite des temps, la chimie nous a réintégrés dans des séries, et de plus en plus nous participons à l'être universel. Or la musique wagnérienne est un monde homologue du monde réel tel que nous le connaissons aujourd'hui. Dans cet univers sonore, l'humanité baigne dans la nature, comme le corps humain baigne réellement dans l'eau de mer. C'est pourquoi aucune musique ne nous donne une émotion si parfaitement faite pour nous.

La seconde raison du succès du drame wagnérien est un peu plus délicate à définir. Il y a en ce moment dans l'univers une guerre entre deux musiques. Ce n'est pas entre la musique française et la musique allemande. Il faut l'aveuglement intéressé de M. Saint-Saëns pour imaginer que ses exercices, d'ailleurs agréables et corrects, puissent être mis en balance avec les grandes œuvres des maîtres, soit allemands, soit français. en se jouant. On ne saurait lui reprocher que de n'avoir sique internationale, en grande partie italienne et franI vérité est toute différente. Il existe une mauvaise mu

La

çaise, qui accapare la scène dans tous les pays du monde.
J'ai été témoin, en Amérique du Sud, de cette lamen-
table et ridicule usurpation. J'ai vu, dans un des plus
beaux théâtres du monde, régner La Tosca et Manon.
La vraie guerre est entre cette musique frelatée et l'art
véritable, qu'il soit allemand, français, russe ou de
quelque pays qu'il lui plaira. D'un côté, il y a les Puc-
cini et les Massenet de l'autre il y a les Beethoven, les
Wagner, les d'Indy, les Franck, les Debussy, les Stra-
vinski génies à la fois opposés et fraternels, qui tous
ont arraché un cri nouveau à l'éternelle nature. En por-
tant au triomphe une œuvre comme Tristan, le public
rend plus facile le chemin que devra faire le génie qui
naîtra demain chez nous; et en applaudissant Wagner,
j'ai le sentiment que nous faisons une œuvre nationale.
L'interprétation du Conservatoire était excellente.
Quel art singulier pourtant que la musique, et où plus
que dans tout autre, les rapports de la conception et de
l'exécution sont mystérieux! On peut entendre vingt
fois la même œuvre, elle ne se ressemblera jamais. Cer-
tains cris de l'orchestre, déroulant leurs traits passion-
nés, ont apparu avec une énergie et une couleur
velles. En revanche tout le dialogue courtois
Tristan et Brangaine, avec ses politesses et ses révé-
rences, tout le parlé enfin de cette petite scène familière
a été enveloppé dans le pathétique de l'ensemble et a
perdu son caractère.

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entre

On a réentendu au théâtre des Champs-Elysées les chœurs ukrainiens. Tous les comptes rendus signalent deux caractères qui sont en effet ceux de ces auditions : la perfection de l'ensemble et le timbre des voix.

Quant à cet art même, si on l'analyse, il est assez bâ tard. La sculpture et la musique y accordent comme elles peuvent leurs tendances diverses. L'interprétation de l'œuvre est tout à fait impressionniste, je veux dire qu'elle est livrée à la fantaisie de la danseuse, qui ne retient du musicien que l'intention du morceau et du rythme. En somme, il s'agit de transcriptions mimées, très arbitraires, un peu monotones, (la série des mouve ments, des attitudes et des pas est assez pauvre) mais extrêmement gracieuse. On peut imaginer une danse qui, serrant le texte de plus près, serait la musique même rendue sensible.

A la fin du spectacle, Mme Isadora Duncan a mimé la Marseillaise; drapée d'étoffes rouges, la figure contractée, les yeux dans le nez, fortement établie sur des jambes grasses qu'elle tenait écartées, elle a donné une image sans agrément, qui était plutôt l'apparition d'une pétroleuse que le noble fantôme d'un hymne guerrier.

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:

Comme on applaudissait, un spectateur a crié : « A bas les Boches!» une vingtaine de fois de suite, avec une frénésie soutenue. Interpellé, il a répondu qu'il avait été prisonnier en Allemagne, et qu'il n'admettait pas que l'on jouât la Marseillaise après la musique alle mande. Je ne prends pas sur moi d'apprécier la logique. de ce raisonnement. Au surplus, ce cas de rancune légitime est en lui-même d'un intérêt restreint, et si l'on en parle ici, c'est qu'il existe une question générale, sur laquelle il est bon de s'expliquer. Pendant la guerre même, les Allemands ont joué des ceuvres françaises, comme le Don Juan de Molière, ou des œuvres nouvelles sur des sujets français, et en particulier sur la Révolution, sans qu'il se soit trouvé même un épileptique pour crier A bas la France! Aujourd'hui la paix est faite. Chaque nation recommence à rayonner selon son propre génie, l'Allemagne par la musique, la France par la littérature, les arts du dessin et la musique même. Je crois que c'est mal connaître les intérêts français, que de faire, avec une aigreur, d'ailleurs respectable, du protectionnisme mal compris. Si les Etats, pour la raison des maux qu'ils ont soufferts, se recroquevillent et ne veulent plus se connaître, c'est une perte pour l'humanité; et c'est une perte surtout pour les nations à rayonnement puissant, dont nous sommes. L'attitude la plus digne, la plus généreuse et très probablement la plus utile à notre propre pays, c'est de nous souvenir qu'étant hommes nous devons travailler en commun à l'œuvre de vérité et de beauté, qui est le patrimoine du genre humain. HENRY BIDOU.

La perfection est saisissante. Il y a des morceaux fort simples, en contrepoint note pour note. Mais il en est d'autres où la diversité des figures est extrême. Dans ceux-ci les chanteurs se suivent, se succèdent, se relaient, se répondent avec une précision étonnante, soit dans la mesure soit dans la nuance. Celle-là est d'une netteté et celle-ci est d'une délicatesse qui sont incomparables. Il n'y a pas d'orchestre qui soit mieux d'ensemble, plus discipliné et plus souple que ces chanteurs. La comparaison avec l'orchestre est justifiée encore par la diversité des voix. Chacune de ces voix compte par sa couleur propre, comme font les instruments divers. Il y avait au premier rang quatre soprani dont on percevait } distinctement le chant aucun d'entre eux ne ressemblait aux autres ; et tel dont la voix isolée eût peut-être paru désagréable, jouait son rôle, comme la petite flûte, dont le cri strident a un rôle au milieu des autres instruments. Cette variété des timbres, dans des choeurs dont le recrutement est difficile, ne peut guère s'expli- La Curiosité. quer que par un don de la race. Certains de ces timbres étaient vraiment admirables, et les basses donnaient le sentiment de l'orgue, par la qualité ronde et pleine du

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La cinémathèque

Je ne connais pas de collectionneurs de photographies et c'est grand dommage. Ces milliers de notations de la vie moderne n'ont pas encore tenté les curieux. A peine si nos grands dépôts d'archives leur font place dans leurs cartons à titre documentaire et il a fallu la guerre mondiale pour démontrer l'intérêt des clichés pris au jour le jour sur les champs de ba taille ou dans les formations militaires de l'arrière par le service photographique de l'armée. Nous avons hé rité le dédain des artistes du siècle dernier pour géniale invention de Daguerre, qu'ils ont abandonnée à des manœuvres, sans prévoir que cette nouvelle écri ture des lignes et des formes s'annexerait un jour la

couleur.

la

Quel charme désuet et touchant cependant se dégage dans une vieille demeure provinciale, quand nous découvrons, sur la table à patins du « salon de compa gnic », un de ces albums où chaque génération a pieu

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sement encarté les images pâlies des grands bourgeois à redingote Louis-Philipparde, au col montant entortillé d'une cravate à plusieurs tours, qui font songer à César Birotteau ou au Père Goriot, avec leurs épouses parées de longues chaînes-sautoir sur un corsage tendu à craquer! Aux pages suivantes yiennent les dandys de 1850, un chapeau haut de forme campé sur la hanche, et les hommes mûrs du Second Empire, cossus et graves, le menton encadré de favoris ou la barbiche taillée comme celle de l'empereur. Ici et là, des officiers, sanglés dans un uniforme qu'on dirait moulé sur un corset, cent-gardes ou dragons de l'impératrice. Puis les jeunes filles en robe de mousseline la sainte Mousseline de nos mères! cheveux bouclés et crinolines bouffantes, et les garçonnets en culotte courte, chevauchant un cheval mécanique -vous, peut-être, lecteur, ou moi-même. Il y avait aussi la boîte de vues stéréoscopiques, coloriées et percées de trous d'épingles pour figurer en transparence la lumière des lustres à bougies. On admirait la salle des maréchaux aux Tuileries, le salon de Mars à Saint-Cloud, la grande galerie à Fontainebleau, ou la place Saint-Pierre à Rome.

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Tout cela, qui n'est encore que démodé, sera ancien demain. Mais quand les collectionneurs ouvriront les yeux, il sera trop tard. Déjà ces fragiles épreuves sont plus rares que bien des lithographies réputées et il n'y a nulle chance pour qu'on en tire de nouvelles. Quels ateliers photographiques d'antan ont su garder leurs plaques collodionnées du Cinquantenaire? Il n'est guère venu jusqu'à nous que cette étonnante série de la photographie hippique du bois de Boulogne, providence de tous les journaux illustrés en quête de célébrités du Second Empire.

Mais si nos pères ont été imprévoyants en ne préparant pas à notre curiosité attendrie une documentation photographique impossible maintenant à reconstituer, il semble bien que nous les imitions en face de la révélation du XXe siècle, le cinéma. Depuis ce soir de Noël 1895 où dans un sous-sol du Grand Café, au boulevard des Capucines, le nouvel évangile des projections animées fut révélé à quelques fidèles, qu'avons nous fait? Avons-nous seulement conservé ces premiers films l'arrivée d'un train, la querelle enfantine de deux bébés sur la plage, et les autres qui nous paraîtraient aujourd'hui si puérils si nous les revoyons à l'écran? Il y a maintenant 60.000 salles de cinéma dans le monde entier. Laisserons-nous disparaître sans laisser de traces cette profusion inouïe de documents où notre époque - ce qui ne s'est jamais produit à aucun âge de l'humanité se reflète tout entière, avec

ses fêtes et ses deuils, ses sites et ses monuments, sa vie politique, religieuse et militaire, ses arts et ses industries, ses élégances et ses misères, non plus, comme à Pompéi ou à Herculanum par des vestiges de marbre ou de bronze, mais par une bandelette magique qu'un mécanisme et un foyer de lumière suffisent à remettre en vie? S'imagine-t-on, dans un musée animé de l'an 2000, le passage à l'écran de l'expédition Shackleton ou du Défilé de la Victoire?

Par malheur si l'amateur de tulipes de La Bruyère est un type aboli, l'amateur de films n'est encore qu'un être de raison. Imaginons-le donc, puisqu'à vrai dire il ne s'agit ici que d'images. Quel discernement lui faudra-t-il pour choisir dans la formidable production cinématographique de l'univers! Il devra se cantonner dans des séries. Celui-ci « fera » les cérémonies officielles, les réceptions de chefs d'Etat, les séances mémorables des Parlements. Celui-là collectionnera les

aux monu

spécialités. L'amateur de théâtre réunira les mieux réussis des films dramatiques... ou les plus ridicules. Seuls les films policiers ne tenteront sans doute personne. Il faudrait reconstruire la Galerie des machines pour les abriter!

A ce moment - et pourquoi nous gêner avec le temps? - chaque appartement aura son appareil à projection, comme son chauffage central et son éclairage électrique, le journal filmé ayant remplacé son ancêtre démodé, le quotidien imprimé. On sortira de sa bibliothèque - dirons-nous sa cinémathèque? le film à lire. Voyages, mémoires, romans psychologiques, romans d'aventures, tous les genres, hélas! bornés aux facultés de l'esprit humain immuablement limitées, seront représentés comme maintenant. Les bibliophiles pardon, les cinématophiles tireront d'un étui de maroquin précieux un des incunables de 1895 ou le Prix Goncourt de l'année tourné à cent exemplaires numé-rotés au nom du souscripteur.

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Le tableau a son ombre. Un film est composé d'un support en celluloid sur lequel est appliqué une couche de gélatine. Il est inflammable, fragile, et il lui faut une atmosphère continuellement sèche. Mais est-il impossible de trouver des salles à l'abri du feu et de l'humidité?

La Ville de Paris y songe. Dès 1906, M. Henri Turot déposait une proposition en vue de la création d'un musée cinématographique. En 1911, M. Emile Massard reprenait l'idée, et la Société des Amis de la Bibliothèque historique, secondés par M. Marcel Poëte, décidaient la constitution d'un département des Archives cinégraphiques que la guerre a arrêté. Mais le projet va entrer dans la période de réalisation grâce à la Commission du Vieux Paris. Le 29 mai 1920, sur la proposition de M. Victor Perrot, elle a exprimé le vœu que le Conseil municipal invitât l'administration à rechercher, depuis l'apparition du cinématographe, les films anciens, rigou

reusement documentaires, intéressant l'histoire de Paris et du département de la Seine, à s'assurer, au fur et à mesure de leur production, des films nouveaux de même nature, à pourvoir aux moyens nécessaires à la conser

vation durable de tous ces documents.

Voilà la cinémathèque parisienne décidée. Espérons qu'elle ne restera pas sur le papier, comme cette fameuse hémérothèque que l'abondance des journaux rend de plus en plus indispensable et que l'érudit M. Henry Martin doit toujours ouvrir à la bibliothèque

de l'Arsenal.

En attendant, je signale aux curieux quelques gros volumes où j'ai réuni jadis, à la bibliothèque Forney, les bouts de films accompagnés de notices dont les in-. dustriels font le dépôt pour s'assurer la propriété de leurs créations. Cette collection rudimentaire est sus

ceptible de leur procurer quelques heures de joyeuse surprise. Ils y trouveront l'Odyssée d'Homère contée en moins de dix lignes, comme les chefs-d'œuvre de Shakespeare, la Simone, de Musset, voisine du Veuf joyeux, Max Linder à côté de Mounet Sully, et Prince-Rigadin tout près de Paul Mounet, tandis qu'à la page suivante la divine Sarah, minuscule, est photographiée deux cents: fois « dans un geste décomposé, léger, comme si elle jetait une invisible rose ! » Le mot est de M. Jean Bar

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hommes célèbres, pris dans l'exercice de leurs occupations quotidiennes. Un autre s'attachera ments ou aux costumes. Les films militaires, les films maritimes, les films scientifiques pourront constituer des

autre

sons pas détruire irrévocablement les monuments Iments vivants du cinéma..., quand même ils seraient un peu truqués. Ils ne seront jamais aussi trompeurs que

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