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sassinat ou la mort naturelle l'eussent débarrassée de ses deux premiers maris.

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Cette fréquence du crime de bigamie s'explique par la facilité avec laquelle on se marie aux Etats-Unis. Il suffit de quelques heures pour préparer, effectuer et naturellement consommer un mariage qui a force de Toi. Avec cette facilité dérisoire que les jeunes gens trouvent à se marier, on comprend qu'il soit pratiquement impossible aux parents de faire la moindre opposition aux projets de mariage de leurs enfants, quels que soient Se futur ou la prétendue. Et je connais nombre de maisons américaines où la fille, s'étant vu faire quelques observations sur la fréquence de ses sorties le soir, ou sur sa passion pour la danse, ou simplement sur sa paesse, s'est contentée de téléphoner, à l'heure du dîner: Ne m'attendez pas ce soir: je viens de me marier. >> Ajoutez à cela que la prostitution est interdite, que les aventures sont mal vues, que les couples de rencontre ont pas le droit d'aller chercher la solitude dans une chambre d'hôtel sans se faire inscrire sous le nom de Mr et Mrs Smith (c'est chose étonnante de voir le nombre de Smith que l'on rencontre dans les hôtels, aux Etats-Unis, comme les Schulze dans les hôtels des envi ons de Berlin), et cette inscription sous le titre de Mr et Mrs Smith expose l'homme à des tentatives de chanage affreuses de la part de certaines donzelles, qui meacent ensuite de dénoncer le faux et usage de faux Egalement inclus dans cette déclaration, au premier abord sans importance. Et comme nombre de policiers, aux Etats-Unis, sont de mèche avec les dames de mauvaise vie...

Dans ces conditions, se dit le jeune homme impéeux, pourquoi ne pas épouser tout de suite? Et il épouse, sans l'ombre de réflexion. A titre d'essai, pourrait-on dire. Et, chez certaines femmes, le mariage devient une forme autorisée de la prostitution. C'est ainsi que M. Maurice Dekobra a parfaitement vu qu'il ne falTait pas attacher d'importance à certains mariages de riches Américains avec des chorus-girls, car ils ne les épousent que pour quelques années, à la manière de E... que Paris a connu avec horreur, qui eut quatre femmes au moins et qui donnait une fortune à celles qu'il répudiait (l'une d'elles mourut tragiquement).

Mais pour multiplier ainsi les divorces, surtout aux Etats-Unis, où la femme est très protégée par l'opinion publique et par les juges, il faut jouir d'une fortune considérable. Car l'on doit payer à chacune des femmes que l'on rend à la circulation publique une somme ou une rente relativement importante et qui mange tout de suite une part de vos revenus

'Alors, comme les Etats-Unis sont vastes, qu'il est pratiquement impossible d'y retrouver un déserteur du foyer conjugal, l'homme du peuple qui a assez de sa femme et qui n'est pas attaché à sa ville (et l'on sait combien les Américains le sont peu) prend tout simplement le train et s'en va, quelques mille milles plus loin, chercher une nouvelle vie, c'est-à-dire, au bout de plus ou moins de temps, une nouvelle femme. Or, si on l'arrête, il fait quelques années de prison, toutes ses femmes divorcent et, une fois libre, il n'a plus qu'à se remarier. La démonstration de ces vérités vient d'être faite à la quatorzième puissance par le citoyen Harold Hammond, qui s'est fait coffrer le jour de son quatorzième mariage, à l'âge de vingt ans, après deux ans du sport conjugal Se plus intense, si l'on peut dire..

qu'il ne peut même pas se rappeler leur nom à toutes. « Je n'ai jamais pensé, ajoute-t-il, qu'aucune d'elles ait pu prendre cela au sérieux. Je me mariais seulement pour la rigolade. >>

Excellent Harold, tu vas certainement faire quelques années de prison, peut-être de deux à quatre ans, comme ce Rosemblum qui était condamné hier à ce chiffre pour avoir eu quatre femmes à la fois (c'est le chiffre du Coran, je pense). Que ne vivais-tu dans ces pays scandaleux d'Europe où l'on n'a pas besoin d'épouser « pour la rigolade »! Mais il y a les Etats-Unis, que le président Harding donne en exemple au vieux monde. Harold Hammond, vous serez condamné au pénitencier, pour n'avoir pas fait fortune, ne pas posséder un yaoht, et n'être pas ainsi absolument libre d'y donner cours, loin des agents. loin des lois, à vos instincts. de « rigolade », comme vous dites, avec la parfaite considération du monde chic de New-York, Atlantic City, Palm Beach et autres Monte-Carlo américains. NANTUCKET.

La Musique

A propos des "Troyens"

La représentation des Trovens est le principal événement musical de l'année. Nous avons noté les impressions qu'elle fait. Mais comment Berlioz lui-même voyait-il son œuvre ? La réponse nous est donnée par une charmante brochure de M. P.-L. Robert: Hect or Berlioz, Les Troyens, éditée à Rouen. L'auteur s'est lui-même largement servi de la correspondance de Berlioz avec la princesse de Sayn-Wittgenstein. On sait en effet que c'est à Weimar, sous l'influence de la princesse, que Berlioz se décidait en 1856 à écrire son ceuvre. Il avait alors cinquante-trois ans. L'Enéide av ait été une de ses premières émotions, quand, à douze ans, il avait été amoureux d'Estelle Dubeuf. Ainsi le sujet avait pour ainsi dire vécu et mûri avec lui durant to ute son existence. La partition fut terminée au printemps de 1858. L'œuvre formait une sorte de diptyque, dont la première partie était inspirée du second chant de l'Enéide, et dont la deuxième partie était inspirée d quatrième chant. Imaginez un portique à deux arches sous l'un, la statue de Cassandre; sous l'autre la statue de Didon.

Il en résulte que tout le dessin de l'œuvre se trouve bouleversée, quand, ainsi qu'il arrive à l'Opéra, c'est le rôle d'Enée qui vient en premier plan. Ce rôle ne suffit pas à assurer l'unité de l'ouvrage. En réalité, cette unité est faite de la symétrie et de l'opposition entre les rôles de femmes, Cassandre régnant sur la première partie, Didon sur la seconde. Je dois dire que cette belle ordonnance satisfait surtout l'esprit. Pour que le spectateur en sente la beauté, il faudrait que l'interprétation des deux rôles fût égale, et qu'elle fût parfaite.

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Dans ce double drame, Berlioz a cherché à peindre au vrai les caractères et les sentiments, ce qui était grande originalité en 1856. Il eût voulu, écrit-il à la princesse, conseiller Rachel sur les monologues de Didon: « Il y a là des accents qu'il faut trouver, des silences à déterminer, des inflexions à saisir... des angoisses de cœur à exprimer; ces cris de douleur à noter m'épouvantent... comment vais-je m'en tirer ? >>

Ce boy, qui était également déserteur de la marine (et C'est ce fait qui a amené son arrestation), avait la fami- Il cherche le bon style musical, « grandement simFiale habitude d'épouser toutes les jeunes filles ou jeunes ple ». Mais ce qui est le caractère de son œuvre, il veut femmes qu'il rencontrait et qui lui plaisaient. Et lors- que cette tragédie passionnée soit d'abord et par-desqaan lui demande des explications, il dit simplement sus tout de la musique. Dans une lettre très curieuse, qu'il faisait cela « parce que c'était tellement facile ». il reproche à Wagner, lequel cherche précisément dans Hammond déclare également qu'il n'est resté avec cer- le même temps à résoudre le même problème, d'avoir aines de femmes que ses sacrifié la musique. L'injustice du reproche un jour ou deux et

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En Alsace

piquante, et montre que les plus artistes ne sont pas, Mémoires & Documents comme critiques, exempts des erreurs communes. « Ce qu'il y a d'immensément difficile là-dedans (dans la composition des Troyens), écrit-il, c'est de trouver la forme musicale, cette forme sans laquelle la musique Les efforts conjugués des universitaires, des œuvres n'existe pas ou n'est plus que l'esclave humiliée de la d'expansion française (telles la Ligue d'Alsace franparole. C'est là le crime de Wagner: il veut la détrô-çaise et la Renaissance alsacienne), de grandes revues ner, la réduire à des accents cxpressifs, en exagérant le système de Gluck (qui, fort heureusement, n'a pas réussi lui-même à suivre sa théorie impie). Je suis pour la musique appelée par vous-même libre. Oui, libre et fière et souveraine et conquérante, je veux qu'elle prenne tout.. Elle est si puissante qu'elle vaincrait seule en certains cas, et qu'elle a eu mille fois le droit de dire comme Médée : Moi, c'est assez. Vouloir la ramener à la vieille récitation de choeur antique est la plus incroyable et fort heureusement la plus inutile folie qu'on puisse citer dans l'histoire de l'art... >>

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Le passage que j'abrège est capital si l'on veut comprendre la partition. Laissons de côté le jugement sur Wagner. Il me paraît évident qu'il est fondé sur des théories wagnériennes, et non sur les œuvres de l'auteur de Lohengrin. Il est bien certain que Wagner a tenté de réaliser la fusion la plus intime du texte, de la musique et de l'action. En 1876, à Bayreuth, il affichait cet avis : « Attention aux petites notes et aux paroles. » Mais, en fait, il est inconcevable que dans les partitions qu'il pouvait connaître en 1856, Berlioz ait cru voir cette musique, la plus débordante qui fût jamais, réduite à des accents expressifs.

Lui-même voulait aussi la peinture vraie des sentiments. Legouvé raconte dans ses Souvenirs que Berlioz chantait le Se il padre m'abbanddona, de Rossini avec toutes ses fioritures éperdues, mais sur ces paroles plus appropriées à la musique: Je m'en fiche pas mal. Seulement tout est relatif. Il ne va pas jusqu'à l'égalité du poème et du chant. Les bons vers rangés en bataille ne sont, ce sont ses expressions, que les lieutenants de la musique. Au besoin même on peut se passer d'eux. La musique d'abord, la musique libre. Cela ressemble fort à de l'esthétique d'opéra. Et c'est de là que viennent certainement ces mélodies écrites pour elles-mêmes, pour l'agrément d'une belle phrase musicale, sans grand souci de peindre un sentiment au naturel. Et ce sont justement ces mélodies qui ont vieilli davantage, et qui décident la date de l'ouvrage. Tel est l'air de Chorèbe au premier acte. — Il Il est vrai qu'après cette concession à l'opéra, Berlioz trouve aussitôt la formule vraie, immortelle, qui devrait être le maximum de tous les musiciens de théâtre : « Trouver le moyen d'être expressif, vrai, sans cesser d'être musicien, et donner tout au contraire des moyens nouveaux d'action à la musique, voilà le problème. >>

Toute cette correspondance avec la princesse de SaynWittgenstein abonde ainsi en renseignements sur la pensée du compositeur et sur le sens de l'ouvrage. Si on l'avait mieux consultée, on n'aurait pas laissé une artiste se livrer à une scène ridicule sous couleur de représenter Andromaque, et faire de la veuve d'Hector un personnage des Folies-Bergère. Voici comment Berlioz se représentait la scène qu'il voyait grave, décente et recueillie : «Sur un air de pantomime éploré, désolé, un brise-cœur (s'il se peut), s'avance Andromaque donnant la main à Astyanax qui porte une corbeille de fleurs. Ils sont en blanc (le deuil antique) et vont s'agenouiller en silence devant l'autel. L'enfant dépose sa corbeille de fleurs, la mère prie, puis elle va présenter son fils à Priam qui le bénit; les larmes la gagnent, elle baisse son voile, reprend la main d'Astyanax et tous les deux sortent à pas lents, sans dire une parole, et retournent dans Troie. » Henry BIDOU.

locales (telle l'Alsace française), et même du théâtre de Strasbourg, ont réussi à répandre en Alsace la pensée française et à adapter la jeunesse aux méthodes françaises. La fusion des esprits est en bonne voie ; elle complétera la fusion des cœurs. Mais, dans le do maine administratif et juridique, deux ans et demi après l'armistice, aucun progrès sérieux de réassimilation n'a été fait on ne peut qu'établir un procès-verbal de carence, et l'on est en droit de se demander si le Parlement et le gouvernement ont jamais eu un programme pour résoudre la question alsacienne-lorraine.

Du temps où M. Millerand présidait aux destinées de l'Alsace et de la Lorraine reconquises, l'espoir était né que l'assimilation serait poursuivie, sans brusquerie mais avec fermeté : l'introduction du droit pénal français avait justifié cet espoir. Depuis lors, cet espoir s'est évanoui. Et, si l'on fait le relevé des lois qui dans les derniers dix-huit mois, ont été introduites en Alsace-Lorraine, on constate qu'il s'agit uniquement de lois d'ordre fiscal, ou de quelques lois favorables à certains intérêts locaux et qui, plus aisément que la loi allemande, donnent satisfaction au grand commerce et à la finance. Aucune impression ne se dégage, d'une œuvre poursuivie de haut et inspirée par les intérêts supérieurs de la France ou même par les intérêts généraux de l'Alsace et de la Lorraine.

Aussi bien, actuellement encore, l'Alsace et la Lorraine demeurent régies par le droit civil allemand, le droit commercial allemand, la procédure allemande, le droit administratif allemand. Bien mieux: un certain caporalisme prussien continue de présider au fonetionnement des assurances sociales et à celui de la po lice. Fréquentes sont les visites des agents de police qui viennent s'enquérir du nombre de chiens, pianos, automobiles, bicyclettes, que l'on possède. Néglige-t-on de déclarer à la police, dans les 24 heures, l'arrivée d'une bonne ou d'un parent? on est immédiatement convoqué au commissariat de police et menacé d'une amende élevée. Oublie-t-on de verser, pour sa bonne ou sa dastylographe, la cotisation de l'assurance-maladie ? nouvelle visite d'un agent, a vec nouvelle menace d'une amende... La police au service des assurances sociales et du fisc: c'est peut-être ingénieux, c'est certainement allemand, mais ce n'est pas français....

Quand ce régime cessera-t-il ? On ne le sait. Aujourd'hui, les résistances à l'introduction du droit français et de l'organisation administrative française sont plus âpres que jamais non pas que l'opinion générale y soit hostile, mais certains intérêts particuliers, peutêtre trop puissants, s'y opposent. Car il ne faut cesser de le répéter: ce sont uniquement les intérêts particuliers de certaines coteries ou de certains lans qui, jusqu'à présent, ont rendu stérile tout effort en vue de l'assimilation législative. Telle personne se déclare hostile aux lois françaises, parce que, dit-elle, la loi française favorise le braconnage. Si certains avocats-avoués voient d'un mauvais il l'introduction des règles françaises sur le barreau, c'est qu'ils sont liquidateurs, syndics, séquestres, ou font partie de conseils d'administration de sociétés. ou que, dans les barreaux français, ces fonctions, particulièrement rémunératrices, sont interdites aux avocats. Pendant longtemps, la Chambre à l'introduction du droit commercial; un jour, son de commerce de Strasbourg s'est montrée défavorable président disparut, laissant un passif considérable, et se réfugia... outre-Rhin ; depuis lors, l'hostilité de la

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Chambre de commerce paraît avoir également disparu. Ajoutez à cela l'état d'esprit des « jeunes Français »>, c'est-à-dire des Allemands à qui le traité de Versailles a, bien imprudemment, conféré la nationalité française, et la propagande active de la presse à leur solde ; l'habitude prise par certains députés alsaciens de considérer les département reconquis comme leur fief, où les Français de l'intérieur n'ont aucun droit de regard;

les manœuvres de certains cléricaux qui, profitant de l'attitude équivoque du gouvernement, confondent la législature française avec la loi de séparation et évoquent sans cesse le spectre des persécutions religieuses: et l'on comprendra pourquoi la loi allemande règne en maîtresse sur deux millions de Français.

Parlement et gouvernement ont aussi leur part de responsabilité dans cet état de choses. Leur attitude ressemble trop à du désintéressement; veulent-ils réellement et sincèrement la fusion des provinces désannexées ? bien malin serait qui pourrait le dire. Cette attitude aggrave le malaise qui devient crise, car la poli tique de partis y a infusé son virus. Pour mettre fin au malaise, il suffit, mais il faut, qu'on agisse avec énergie et franchise, il faut également tranquilliser les consciences et leur assurer que, malgré ce que d'aucuns prétendent, la « pensée française » ne se confond pas avec la « pensée radicale ». Tarder à introduire les lois françaises, c'est rendre plus opiniâtres les résistances particularistes, c'est favoriser la propagande allemande, qui ne demeure pas inactive. Le maintien des lois commerciales allemandes est l'obstacle le plus sérieux à la fusion économique de la France et de l'Alsace-Lorraine et ne peut que développer les relations économiques entre l'Alsace-Lorraine et l'Allemagne. Un jour viendra où la finance internationale prétendra dicter sa loi, ici comme à Londres: les capitaux allemands ne demeurent pas inertes, ils s'infiltrent dans de grosses sociétés locales. Qui sera assez naïf pour penser qu'ils hâteront l'introduction de nos lois commerciales? Fatalement, la dualité de législations commerciales ne peut qu'élever plus haute la barrière des Vosges et attirer vers l'autre côté du Rhin les intérêts financiers et commerciaux de l'Alsace et de la Lorraine.

Le « Reichsland » est mort, au point de vue politique. Mais il existe encore, au point de vue administratif et juridique ; il est en voie de s'organiser économiquement. L'autonomie de l'Alsace-Lorraine n'est pas une crainte chimérique. La propagande germanophile ou particulariste travaille pour elle. Aux prochaines élections législatives, nos gouvernants auront peutêtre un réveil douloureux. Et tout cas, leur carence aura contribué à laisser mûrir une poire qui sollicitera les appétits d'outre-Rhin. Rien n'est plus dangereux que la politique de l'autruche.

Les Idées

MARCEL NAST.

Le Génie du Nord

J'étends à dessein le titre que M. Maurice Barrès a donné à ses conférences sur le Génie du Rhin. Dans ce livre sobre et exact où il se demande quels liens pourront unir la discipline française et les valeurs allemandes déformées par le pangermanisme, notre grand propagandiste écrit ces mots : « Nous donnons une pensée disciplinée, des manières de sentir et de penser harmonieuses et en même temps nous souffrons de l'excessif équilibre de l'âme française... Nous cherchons de la désharmonie, des problèmes, un sol raboteux, des contrastes... Nos pères nous ont légué la méthode,des directions,du sangfroid, de la mesure; vous trouvez qu'il manque à cet héritage français moyen le sens des difficultés, la va

riété, l'adaptation aux mille incidents de la vie journa lière... Eh bien, venez en Rhénanie... >>

M. Maurice Barrès n'avait pas à être plus ample et à philosopher davantage. Mais à l'écho de sa voix un autre problème se lève que celui de la rencontre sur les bords d'un fleuve illustre de deux « civilisations » ennemies ; une vieille opposition se manifeste qui a tenté en van de se réduire au cours des siècles, tantôt pacifique et souvent sanglante; deux faces de l'esprit s'affrontent qui dessinent les traits les plus contradictoires et qu'un invincible besoin essaye sans cesse de fondre en un visage éternel.

Nous sommes, nous autres gens des Gaules, soumis et fécondés par ces Méridionaux que nous avons vaincus, des Latins et des Grecs. Peut-être somnole en un coin du cerveau ou en quelque repli du cœur des Français du nord de la Loire ou de la Celtique, un vague souvenir des songes éclos en Bretagne ou venus de Scandinavie, peut-être un ancêtre qui ne se reconnaît point rêve encore au fond de quelques yeux bleus: la discipline que nous avons reçue, que nous avons subie et que nous désirons de répandre est une discipline purement méditerranéenne et c'est là l'héritage que nous voulons conserver et accroître. Nous sommes une race historique et vivantes. Nous subsistons par des méthodes intellectuelles et par des modes de la sensibilité logique et un tempérament que nous estimons les plus propres à l'humanité. Nous avons fait le monde et il ne nous semble pas que le monde puisse continuer sans

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Or, ce qui nous caractérise, c'est l'instinct de relation et par suite le goût de cette politique placée par les anciens à la tête des sciences. Nous sentons, nous pensons, nous nous exprimons en fonction de l'ensemble,soucieux de l'équilibre des groupes et de la vie harmonieuse de la cité. Nous voulons une morale susceptible de servir à chacun, des meurs régulières, des méditations modérées, et nous ne permettons pas à la fantaisie ou à la passion individuelle de troubler l'ordre général : en sociologie comme en métaphysique nous subordonnons le particulier à l'universel.

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Nous sommes des animaux sociables on l'a trop dit sans savoir tout ce qu'on disait, nous sommes des citoyens. Nous avons utilisé intelligemment des qualités faciles et des tendances aimables. Nous nous sommes construit des cadres où nous nous mouvons avec aise et dont nous n'examinons plus la structure. Nos pères ont mis en question la destinée humaine et nous nous tenons aux solutions qu'ils ont données d'un problème insoluble. Trop bien servis, nous nous sommes fiés à notre fortune, nous avons perfectionné dans le détail, et faute d'approfondir des idées ou des sentiments trop commodes, nous sentons s'accroître notre répugnance pour tout ce qui pourrait nous conduire au cœur des réalités.

Elégants, diserts, mondains et modérés, nous fuyons les excès. Nous ne comprenons pas la Nora de Maison de Poupée. Nora est une petite femme qui s'apercevant que son mari n'est pas l'homme qu'elle a rêvé, abandonne son ménage et ses enfants pour aller rêver sur cette déconvenue. Nous n'entrons pas davantage dans les raisons de Brand qui massacre sa famille pour obliger son prochain. Ces personnages excessifs nous scandalisent. Nous savons, nous, que le mariage vaut mieux que les conjoints et qu'il faut s'y tehir à tout prix pour conserver la société dont il est, croyons-nous, le fondement; nous avons appris, d'autre part, de très beaux sermons et notamment de Bourdaloue que les pauvres étaient sur la terre pour permettre aux riches un exer cice convenable de la charité. Nos femmes restent avec nous, même si elles découvrent qu'elles nous sont supé rieures, et il arrive que nous réservions dans nos menues dépenses, quelque place à l'aumône. Nous nous flattons

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de ne pas détruire, pour vivre notre vie, la vie d'autrui. Et pourtant, dans le principe sinon dans l'espèce, ce sont Nora et Brand qui ont raison et qui, pour avoir raison, n'ont qu'à se réclamer de formules rappelant, le tour comme par le sens, celles dont s'indignaient les pharisiens autour de Jésus. C'est dans le cœur de l'homme, toujours pareil dans sa nature mais sans cesse renouvelé par les circonstances, que se retirent les réalités dernières, diluées ou dissimulées sous les règles trop faciles qu'imposent les lois, la tradition et les coutumes. Et il est bon de confronter de temps en temps au mensonge social la vérité humaine. Nous vivons, trop heureux, dans l'ignorance de nous-mêmes et du mystère de notre existence. Sachons prêter l'oreille au sourd tonnerre qui grande dans les nuages du Nord.

toute vie.

Les maîtres septentrionaux nous enseignent à méditer et à sentir avec profondeur, et nous avons besoin de cette leçon. Toute la vérité n'est pas dans le jeu facile de la pensée générale et discursive. Il est bon- il nous est bon que Nora quitte son mari pour que celui-ci expie d'avoir méconnu et blessé une personnalité qui le dépassait et qu'elle-même aille veiller de tout près orgueilleuse et frémissante à l'éclosion de son âme ; il faut que vous sachiez par Brand qu'un idéal devient facilement sanguinaire. Certes, nous bannissons de Lotre cité ces sombres héros : ils nous auront appris que c'est d'eux, que c'est de l'individu et de la vie que vient semble-t-il - de M. Barrès et du Rhin sans nous en être trop écartés. Ne voyons pas un argument contradictoire dans la discipline ou l'organisation allemandes. Sous l'ordre, sous l'anony mat et sous une obéissance servile, nos adversaires cachent une existence intime une religion à la fois collective et personnelle que nous avons vue se manifester plus d'une fois sous des formes monstrueuses, sans rien perdre pour cela de son efficace. Ils n'ignorent point que l'avenir que la primauté appartient à l'intelligence et, sans fracas et sans phrases, ils s'efforcent de faire à l'intelligence sa part.

Nous voici assez loin

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Par delà le Rhin et beaucoup plus loin, parmi les brumes et les glaces, veille un génie austère et dange: reux qu'il appartient au peuple subtil qui a su jusqu'ici le contenir de rendre profitable. Ne nous complaisons point dans notre vérité incomplète et gardons-nous de notre principal défaut qui consiste tement reproché dans l'ignorance et une certaine frion nous l'a jusvolité. Qu'il nous souvienne qu'Aristote et Platon, Athènes et Rome, sont nos maîtres et resteront des maîtres; sachons aussi que l'humanité ne serait pas prête pour son destin si ne s'étaient fait entendre les grandes voix de Nietzsche et d'Ibsen.

GONZAGUE TRUC.

La Vie Economique
L'expansion commerciale allemande,

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prendre des précautions contre leur retour. D'autant plus que pendant la guerre, lorsque les Allemands croyaient qu'ils en sortiraient vainqueurs ou tout moins après partie nulle, ils n'avaient de leurs intentions. Leur idée, telle qu'ils l'ont maintes fait mystère fois exprimée, était d'assurer à leur commerce, comme un droit, non seulement la part qu'il avait antérieurement sur le marché du monde, mais encore une augmentation de cette part proportionnelle à l'accroissement futur et certain de l'industrie allemande. Réduire les vaincus à un servage économique; exiger pour euxmêmes dans tous les pays un traitement de faveur, tel était le résultat des conditions, minutieusement étudiées, qu'ils comptaient imposer aux vaincus. Ils en ont fait l'application dans leurs traités avec la Russie et la Roumanie. Les alliés n'avaient donc aucune raison de conserver pour eux des ménagements dans cet ordre d'idées. Les clauses commerciales du traité de Versailles furent à la fois une juste revanche et une mesure de précaution.

Les Allemands ne manquèrent pas de prendre le monde à témoin du traitement qui leur était infligé. Ils crièrent qu'après les avoir fait mourir de faim, on voulait les ruiner en les dépouillant du fruit de leurs efforts passés et en les empêchant de se relever. En même perdu. Comme toujours en Allemagne, l'action privée temps, ils se mirent à l'œuvre pour regagner le terrain s'exerça à côté de celle du gouvernement, l'une soutenant l'autre. Au commencement de 1919 s'était constitué à Berlin un Office pour le commerce extérieur. C'est essentiellement un centre d'informations chargé de réunir les nouvelles venues de l'étranger. Il les classe et les présente dans des rapports particuliers à chaque pays. D'autre part, cet Office recueille les informations sur les besoins et les capacités commerciales de l'Empire et les présente par spécialités. Cet organisme officiel correspond en somme à notre Office national du commerce extérieur, qui publie aussi des dossiers commerciaux.

Il est secondé et poussé par les grandes associations Union pour la protection des intérêts économiques alcomme l'Association impériale des industriels allemands, lemands à l'étranger, l'Union centrale des industriels allemands, etc. Ces organisations ont entrepris une campagne pour favoriser l'expansion commerciale allemande. Elles sont aidées par la puissante Société de réclame et de propagande ALA, Société générale d'annonces. Celle-ci a été fondée en 1918 par la maison Krupp et est soutenue par les grandes entreprises industrielles d'outre-Rhin. Elles lui fournissent un appui effectif sous la forme de contrats de publicité et d'abonnements payés à l'avance. La propagande à l'étranger se fait aussi par l'intermédiaire du film. Les plus grandes firmes cinématographiques allemandes se sont groupées. pendant la guerre pour former un syndicat, c'est l'UFA.

: garantie de notre créance

Une des garanties principales que l'accord Londres prévoit pour les obligations allemandes conde prélèvements sur les recettes douanières de l'Allemagne et sur ses exportations. Le développement de son commerce extérieur, qui nous touchait jusqu'à présent par la concurrence qu'elle nous fait sur notre propre marché, nous intéresse donc aussi donc aussi d'un autre côté, puisque de sa prospérité plus ou moins grande dépend cette garantie de notre créance.

Nous voilà donc amenés à suivre les progrès de l'expansion commerciale allemande que nous ne songions d'abord qu'à entraver. Les alliés avaient eu trop à souffrir de certains procédés commerciaux pour ne pas

A côté de ces entreprises ayant pour objet la réclame proprement dite, il faut citer les organismes de documentation et d'étude Bureau central de l'Institut colonial; Archives d'économie mondiale, qui ont leur siège à Hambourg; Institut pour la navigation maritime et l'économie mondiale de Kiel. Il avait été fondé quelques mois avant la guerre, mais a pris récemment un grand développement. Comme les Instituts analogues qui sont rattachés aux Universités de Breslau et de Koenigsberg, c'est à la fois un centre d'enseignement, un Institut de recherches, un bureau d'informations pour le commerce et l'industrie. Il publie un bulletin hebdomadaire qui donne sur la situation économique de toutes les parties du monde des indications en général fort bien choisies. Les Allemands sont fermement convaincus de l'importance capitale de la documentaAucune action efficace tion dans tous les domaines.

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n'est possible si elle n'est établie sur des renseignements étendus, précis et sûrs (1),

Nous ne reparlerons pas de l'aide donnée par l'Etat aux industriels et aux commerçants en leur facilitant la production à des prix inférieurs à ceux qui sont pratiqués dans les autres pays. Voyons seulement comment s'exerce son activité pour faciliter les relations commer ciales à l'aide d'accords passés avec les pays étrangers. Le 31 décembre dernier ont été promulgués à Berlin les trois accords commerciaux qui ont été conclus entr l'Allemagne d'une part, l'Autriche, l'Etat tchéco-slovaque et la Hongrie d'autre part. L'Allemagne est plus expéditive que nous. On sait en effet que toutes nos conventions commerciales, qui ont été dénoncées en 1918, ne sont pas encore renouvelées; celle même avec l'Etat tchéco-slovaque a été mise en vigueur proviso rement avant d'avoir été ratifiée par le Parlement. Des conventions sont pourtant utiles pour assurer la stabi lité des conditions indispensables dans les affaires

Un certain nombre de stipulations sont communes aux trois traités, notamment l'application de la clause de la nation la plus favorisée pour le commerce en général, le transit, la navigation, les tarifs douaniers, l'af quisition de biens et l'exploitation d'entreprises indus trielles ou agricoles, le traitement des personnes.

Avec l'Etat tchéco-slovaque dont l'industrie est très active, il s'agissait d'établir un accord qui ménageât les intérêts des producteurs des deux pays. Ce fut assez facile. L'Allemagne a besoin de bois et de malt; elle désire exporter des machines et des automobiles. La Tchéco-Slovaquie demande des produits colorants, des sels, des machines; elle veut exporter des verreries, des porcelaines, de la chaux, des textiles. Il a donc été dressé des listes, énumérant les marchandises qui pouvaient être importées et exportées librement de manière à donner satisfaction aux besoins des deux parties. En effet, les circonstances économiques font que la liberté du commerce n'a pas pu encore être rétablie complète. ment. Le régime de transition persiste donc jusqu'à nouvel ordre, mais bien amendé. Un article spécial prévoit des échanges de charbon, l'Allemagne donnant de la houille, la Tchéco-Slovaquie du lignite. Un point in portant à noter est que le gouvernement tchéco-slovaque, imitant les gouvernements britannique et belge, a re noncé aux droits que lui donne le fameux article 18 de l'annexe II du traité de paix concernant la saisie éventuelle des biens allemands sur son territoire.

La presse allemande a témoigné une vive satisfaction. de cet accord économique. Elle en attribue le mérite au Dr Schuster, ministre du commerce extérieur de l'Etat tchéco-slovaque, qu'elle oppose à M. Hotowetz, dont la politique commerciale, disent les Leipziger Neueste Nachrichten (5 mars) est une suite ininterrompue d'insuccès qui ont coûté cher à l'Etat.

Le traité de commerce avec la république autrichienne tend à abaisser autant que possible la barrière douanière entre l'Autriche allemande et l'Allemagne. Les produits naturels ou fabriqués en provenance des deux pays ne peuvent être frappés d'autres droits que de ceux prévus par le traité de commerce du 25 janvier 1905. Des dispositions particulières facilitent le trafic dans les districts frontières dans une zone territoriale large de 15 kilomètres de part et d'autre de la fron

(1) Nous en sommes venus là nous aussi, témoin la réalisation si intéressante et déjà si féconde en résultats du Bureau d'études et d'informations économiques. Son Bulletin quoditien donne, à côté des informations essentielles, des mises au point parfaitement claires et documentées de toutes les questions d'ordre général qui intéressent les industriels et les grands commerçants, souvent trop absorbés par leurs affaires pour aller chercher ces renseignements dans les publications techniques où ils sont épars.

tière. Un tribunal d'arbitrage est prévu pour régler les différents relatifs à l'application des tarifs.

Mais il ne faut pas croire que les Autrichiens, quelles que puissent être d'ailleurs les tendances qui les poussent vers l'Allemagne, sent vers l'Allemagne, se laisseront absorber facilement. Les métallurgistes, par suite des conditions économiques sociales auxquelles ils sont soumis, ont vu augmenter leurs prix de revient de telle sorte que les Allemands peuvent leur faire concurrence jusque chez eux. La grande Société Alpine Montan demande donc au gouvernement de Vienne d'élever la taxe douanière qui frappe les produits métallurgiques, se déclarant incapable de soutenir la concurrence allemande. Ceci est d'autant plus intéressant qu'Hugo Stinnes est aujour d'hui le maître de cette Société autrichienne; il voudrait donc séparer économiquement les deux pays. On ne voit pas bien d'ailleurs à quelle idée il obéit ainsi.

Avec la Hollande, un accord commercial a aussi été conclu au commencement de l'année. Il prévoit l'ouverture de crédits hollandais à l'Allemagne pour une somme de 200 millions de florins, sur lesquels 60 millions devront être consacrés à l'achat de denrées alimentaires et 140 à l'achat de matières premières. La disposition de ces crédits est confiée à une commission spéciale, qui a pris la forme d'une société à responsabilité limitée. L'intérêt du prêt serait de 7 1/2, y compris les frais de commission. Ce sont des conditions extrêmement avantageuses pour l'emprunteur, mais les Hollandais espèrent que les importations et les exportations se relèveront en Allemagne et que le trafic des ports hol landais s'en trouvera augmenté. On étudie des combinaisons dans lesquelles l'importateur de matières premières et l'exportateur du produit fabriqué bénéficieront d'un prêt commun; ils formeront à eux deux un «< couple économe » qui tirera de la somme prêtée le meilleur parti possible.

Les Allemands attachent une grande importance à cet accord. Ils y voient un moyen de tourner le traité de Versailles et un acte politique. L'aide hollandaise, écrit la Vossische Zeitung, rendra courage et confiance au commerce d'exportation allemand. Elle lui permet d'échapper dans une certaine mesure à la dépendance des pays où le change est élevé. Le journal allemand ajoute que les Etats de l'Entente eux-mêmes en tireront avantage, car la puissance de production de l'Allemagne va se trouver accrue, ce qui lui facilitera l'exécution des réparations. Il faudrait ajouter pour être juste à la condition que l'Allemagne y mette moins de mauvaise volonté qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent.

Il y a un fait incontestable, c'est qu'en 1920, par un brusque renversement de la balance, les importations allemandes aux Pays-Bas ont été le double des importations hollandaises en Allemagne. On constate le même fait pour la Suisse. Les statistiques des divers pays nous révèlent que partout les importations allemandes ont augmenté au cours de l'année dernière dans une proportion très élevée. Aux Etats-Unis elles ont presque décuplé. A défaut des statistiques, réservées aux initiés, nous connaissons ce progrès par les plaintes que provoque dans la plupart des pays la reprise de la concurrence germanique. Les marchandises allemandes arrivent en masse sur tous les marchés, offertes par le voyageur allemand, tenace, jamais découragé, toujours empressé à satisfaire les moindres désirs du client, non moins habile à dissimuler sous une étiquette mensongère l'origine nationale de ses produits si cette origine doit leur faire du tort.

moins

Les exportations allemandes n'en restent pas sensiblement inférieures à ce qu'elles étaient en 1913. Mais il y a tout lieu de penser qu'elles grandiront encore grâce aux conditions exceptionnellement avantageuses dans lesquelles l'Allemagne peut produire et vendre. C'est ainsi que la métallurgie allemande vient

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