Les trouveurs de comètes. Je voudrais bien que le conseil interallié l'eût obserLes journaux ont annoncé récemment la mort du pro vée, sur le terrain, comme je viens d'avoir l'occasion de le faire. fesseur Brooks, directeur de l'Observatoire Smith, Genève (Etats-Unis), lequel s'était spécialisé dans la Les deux inaîtres de l'heure, Kemal pacha, Ismet parecherche des comètes, et n'en avait pas découvert moins cha cherchaient pourtant à traiter. Pourquoi ? C'est de vingt-sept. qu'ils avaient sous les yeux ce que représente la guerre, Tous les astronomes ne se passionnent point pour ce même pour le vainqueur; lorsqu'elle se joue sur son genre de sport. On raconte que le professeur Boss, chef sol : dévastations, horreurs de toutes sortes, ruines, sade l'Observatoire de Dudley, à New-York, fut assez crifices. La moitié de la région fertile entre toutes est vivement pris à partie par les administrateurs de son saccagée, l'autre moitié subira un sort pareil, même si les Grecs sont encore battus. établissement parce que, toujours absorbé par de savants calculs sur le sytème solaire, il n'avait pas encore dé Voilà ce que les chefs turcs s'efforcèrent de prévenir. couvert une seule comète. Ennuyé d'être dérangé dans Et puis, cette armée si belle, tous ces hommes jeunes qui ses travaux par de pareils reproches, il répondit enfin vont tomber, cela représente pour eux la force de dequ'il n'avait pas le temps de s'intéresser lui-même à de main, celle qui permettrait à l'Anatolie de travailler et telles billevesées, mais que, si on voulait bien lui fournir de prospérer. Sans cette jeunesse, la victoire même deles sommes nécessaires pour s'attacher un aide, l'Obser vient un désastre et ouvre le pays aux dangers voisins vatoire de Dudley aurait bientôt une comète à son actif. qui attendent leur heure. On lui donna donc un assistant. L'assistant init la main Voilà ce que l'Europe interalliée tarde à comprendre. sur une comète inédite. Le professeur Boss put tranquil Se figure-t-on ce que va soulever en pays d'Islam lement vaquer à ses occupations. Et tout le monde fut l'emploi des gaz toxiques, des obus asphyxiants et aucontent. tres moyens sur lesquels les Grecs comptent pour remplir C'est que la découverte des comètes fut de tous temps leur mandat. Rencontrera-t-on encore beaucoup de balles le signe vulgaire de l'activité des astronomes. Et les dum-dum sur le champ de bataille ? Suffira-t-il de nous Russes le savent bien, qui pour nous prouver qu'ils ne voiler la face et de dire « nous n'y pouvons rien ». Je sont point ennemis de la science et que la vie reprend ne le crois pas. chez eux, nous ont annoncé, eux aussi, la découverte Ou bien les troupes de Moustapha Kémal et d'Ismet d'une comète. Ce n'est peut-être pas là, dira-t-on, ce pacha surprises par des moyens contre lesquels elles sont qui manquait le plus à la Russie, et le moindre grain de peut-être mal protégées — je n'en suis pas certaine mil eût bien mieux fait son affaire... reculeront pour mieux se battre, ou bien elles tiendront. le coup, ce n'est pas impossible. Dans les deux cas, se rinn figurer qu'elles demanderont grâce par la suite suppose Le prix d'une dépêche à Moscou. un incroyable aveuglement. L'on parle encore parfois pas souvent, du res te La Wolga Rossije vient de publier les tarifs télégra- des minorités chrétiennes. Celles que je viens de voir phiques pour les communications entre la Russie des en Anatolie désirent ardemment que tout ne soit pas Soviets et l'étranger. Un mot échangé avec l'Allemagne, mis en cuvre pour amener leur disparition totale. la Belgique ou la France, coûte 1.400 roubles, 2.400 avec A l'heure présente, les Anglais essaient, à Koniah, l’Angleterre, et 8.300 avec les Etats-Unis. pour la seconde fois en six mois, de provoquer un souLa Wolga Rossije ne dit pas si le trafic est intense. lèvement qui échouera comme les précédents ; mais combien d'Arméniens et de Grecs ottomans seront compro mis dans cette aventure ? Affaires Extérieures L'or anglais cause, en Anatolie, plus de ravages que les armées grecques. Ce ne sont pas les détachements La situation Orientale de Mehmed Halil, le Kurde, les agents britanniques cachés à Samsoun ou à Koniah qui détruisent les forces La décision que vient de prendre la Grèce ouvre une nationales, mais ils contribuent à l'éclosion de cette phase nouvelle de la crise orientale et cette date du formidable haine qui monte par tout l'Islam contre l'An26 juin 1921 fera époque dans une lutte dont il devient | gleterre et menace de nous confondre avec elle. impossible de prévoir la durée. En Turquie, le temps des luttes diplomatiques est Le 14 mai 1919, l'occupation de Smyrne par les passé. Chacun assume sa part des responsabilités, la Grecs, opérée sous les canons de l'amiral Calthorpe, ou- nôtre est grave : nous n'avons pas su protester. vrait officiellement les hostilités entre l'Angleterre et la En mai dernier, jusqu'au 26 juin même, l'accord Turquie des Turcs. En réalité, elles remontaient au len- franco-turc pouvait être conclu ; c'était le début de la demain de l'armistice, les Anglais ayant de suite engagé paix orientale ; aujourd'hui, par le fait de l'offensive la lutte en Anatolie avec les premiers contingents de grecque et de la provocation partie d'Athènes, des Moustapha Kémal. forces nouvelles entrent en jeu. Bientôt, elles submergeLa prise sensationnelle de Constantinople par l'ar- ront les hommes pleins de raison et d'énergie que j'ai mée britannique, le 16 mars 1920, l'arrestation arbi- vus récemment, soit à Eski-Chéir, soit à Angora. D'autraire des députés turcs, en pleine séance du Parlement, tres viendront, ceux-là ne voudront pas que la France la razzia opérée ce même jour sur tous les Turcs de reprenne en Orient son rôle de premier plan. L'inmarque, tout cela a groupé autour de Moustapha Kemal fluence française est encore la plus forte ; méconnaisles honnêtes gens de son pays. sant notre propre prestige, nous donnons à nos enneL'attaque grecque d'il y a un an, effectuée selon le mis l'occasion de redire : « Vous voyez bien, toujours mandat donné par les alliés, avec leur aide matérielle et à la remorque. » morale, ouvrit la phrase aiguë de la lutte présente. La colère contre l'Europe des Alliés qui, depuis deux . L'offensive de mars dernier dont j'ai suivi sur place ans, gronde par tout l'Islam, nous menace en première le développement et les conséquences eut ce résultat de ligne parce que nous avons profondément déçu tous galvaniser l'élan militaire de la Turquie, de créer une ceux qui comptaient sur nous. armée solide, ardemment patriote, ayant en elle ce qui J'imagine aisément ce qu'à Angora, aujourd'hui, donne la victoire, prête à tout lui sacrifier. Kemal pacha doit entendre :'« Chaque fois que vous essayez de traiter avec l'Europe anglo-franco-grecque, (1) Voir l'Opinion du 25 juin 1921. quel est le résultat? Une attaque plus violente que les ; ! 7 avec 4 précédentes. Renoncez donc enfin à la chimère des so- ques autres, jusqu'à les forcer, mais il lui aurait plu de lutions pacifiques ». séduire celles que l'or ne pouvait corrompre ni la mort Les partisans de la lutte à outrance ont beau jeu effrayer. aujourd'hui . Elle est plus facile à conduire que la lutte Il en était là, qui se laissait dévorer par l'ennui, ou, partielle . Attaquer de toutes parts, ce que soit en Afrique pour lui échapper, se livrait à de telles extravagances du Nord, en Syrie-Cilicie, aux Indes ou en Irak, c'est qu'il en faisait rougir ses grenadiers, lorsque sa jeunesse plus facile que de dire « oui ici mais non là ». peut-être ou le prestige du vainqueur émurent dans ses C'était' tout récemment ; à Eski Chéir, je rentrais d'une fibres Mille Dé. Elle l'aima et fut heureuse; tous les phi longue excursion dans les lignes turques et déjeunais | losophes s'accordent à penser qu'en pareil cas la honte avec Ismet pacha, en tout petit comité. Il me disait ouvre au plaisir de vertigineux abîmes. La triste Dalila, à propos des Grecs : « Ils feront certainement une troi- qui n'aurait pour un empire coupé les cheveux de son sième offensive, peut-être une quatrième, une cinquième, amant, si la victoire y avait été suspendue, bravait en je ne les crains pas ; maintenant, je suis bien tranquille. face et sans rougir la colère de la ville. Ou si elle rouVous avez vu pourquoi ; mais que l'on se dise bien gissait, c'était par un affreux orgueil, dont le mouvement ceci en Europe : la note à payer devient considérable et devait à la fin ressembler à celui de la haine. Et sinon, ce n'est pas nous qui la règlerons. Je vous en ai fait si le remords la déchirait parfois, personne n'en a rien donner les chiffres, des fantaisies semblables à celles şu. C'est affaire aux dieux, point aux hommes. que nous venons de subir sont un gaspillage hors de Ceux de son pays, quel être au monde pourraient-ils saison. Vous savez avec quel soin nous dressons la liste hàïr, sinon elle, qui les a tous trahis ? Quand ils verdes dommages ; encore une fois, nous refuserons d'en saient leur sang pour garder leur terre et sur cette supporter la charge. Nous avons l'Islam entier terre les femmes de leur race, mères, amantes, filles, seurs, l'une d'elles s'est librement donnée à l'ennemi. Je venais de visiter les hôpitaux alors remplis de Cette chair de la patrie dont une parcelle avait fourn blessés , j'avais entendu les officiers turcs, j'avais éga- son corps, elle l'avait livrée à merci. Mais les soldats, lement entendu les officiers grecs couchés auprès d'eux. ses frères, l'ont lapidée lorsqu'ils ont repris, vainqueurs, Cela suffisait à tout faire comprendre. le sol envahi? Ou bien, les magistrats l'auront jetée dans En Turquie, quoi qu'il en soit, la partie anglo-grecque une prison, ils l'ont condamnée à perdre la vie ? est perdue. Allons-nous enfin condure cet accord franco- Les hommes du pays d'Occident ne sont pas si bruturc qui doit précéder des solutions plus difficiles ? taux, encore moins leur législation. Quand les troupes Quand aurons-nous une politique islamique clairement sont parties, en déroute; que l'empereur de la Chine avait menée ? lancées, ils n'ont pas tué Mlle Dé. D'autres l'auraient BERTHE-GEORGES GAULIS. brûlée vive. D'autres du moins l'auraient chassée de toutes parts jusqu'à ce qu'elle rencontrât sa vraie patrie, celle de l'étranger. Tranquille dans sa demeure, elle NOTES ET FIGURES a pu vivre avec ses souvenirs. Et les jours passant, c'est elle, chose admirable à redire, qui s'est trouvée lésée par La vierge folle. le mépris des siens. Alors elle a traîné devant un tribunal un scribe qui l'avait diffamée, M. Duh-Mur, et il a été Lorsque l'empereur de la Chine, derrière ses troupes, condamné. Condamné non parce qu'il eût menti, puisles plus nombreuses du monde et les mieux aguerries, qu’on avouait au contraire, et Mlle Dé la première, qu'il s'établit dans les provinces septentrionales des pays avait dit vrai, mais parce que toute vérité n'est pas bonne d'Occident, il menait avec lui, pour qu'il se couvrît de à dire, ou parce que la lettre de la loi a prononcé. Comme gloire, l'aîné de ses fils, héritier présumé de sa couronne. s'il y avait encore des lois pour Mlle Dé, comme s'il Nous disons présumé au lieu de présomptif, non par devait y avoir pour elle, dans son pays, un foyer, et ignorance, ni pour attraper, au moyen de légères alté- seulement un lieu ? rations du vocabulaire, une couleur étrange. Les deux Sur les gradins du ciel, le peuple des morts plus mots ont commune la racine, et la différence de leur signification traduit la volonté du destin. Le jeune nombreux que les vivants, doit se demander si les hom mes d'Occident ne sont pas devenus fous. prince, en effet, devait être banni en même temps que son EUGÈNE MARSAN. père par la même révolution qui suivit chez leurs peuples mi étonnés la retraite d'une armée qu'ils croyaient invincible. Un café qui va disparaitre. L'on ne peut encore mesurer la sincérité d'une révolte C'est chose résolue : un magasin de nouveautés remà ce point imprévue que les sages des deux mondes con placera demain le café Véron, le vieux café Véron, qui seillent tous de s'en défier aux politiques responsables datait de la Restauration, à l'angle du boulevard de la paix de l'univers. Mais, au moment que les signes Montmartre et de la rue Vivienne. Comme le café Va . dont nous voulons parler se succédaient au ciel, les armes chette auquel s'est substituée une société de crédit, le café Véron était un café littéraire, mais il offrait, pour Le fils de l'empereur montrait un visage énigmatique. un café littéraire, une surprenante particularité dont Qui voulait lui plaire y voyait les traces et les lignes qui il n'y a jamais eu, sauf lui, et dont il n'y aura jamais trahissent la finesse de l'esprit. Les autres découvraient, plus d'exemple : je vous le donné en Inille; on y tradans les mêmes marques, la ruse, la violence et la lubri- vaillait! Au lieu de tenir ces propos contradictoires et cité. Ainsi les rois sont-ils exposés aux jugements contradictoires , aussi bien que le commun des êtres et tout définitifs qui attestent l'étourdissement de la jeunesse et de l'alcool, les habitués du café Véron écrivaient de même qu'ils le sont à mourir. Le prince de la Chine leurs articles et feuilletaient leurs bouquins . Plaignons en évitait la chance autant qu'il se pouvait . Il ne visitait pas volontiers les champs de bataille, il préférait à la les journalistes de perdre la quiète douceur de ce décor société des soldats brutaux, celle des filles. Il ne crai du Second Empire où la « copie » leur fut facile et prompte; plaignons aussi les rêveurs, les amoureux du Or, filles et femmes d'Occident lui marquaient généra- souvenirs. Paris d'autrefois qui venaient chercher là images et lement tant d'horreur qu'il en était surpris dans sa ranité . Il en avait acheté quelques-unes, de celles qui Et pourquoi ne plaindrions-nous pas également Véétaient déjà vendues au passant, il en avait effrayé quel ron? On lui joue un méchant tour. Son nom ne disp.:raîtra pas puisqu'il y a une rue et une cité Véron, mais. n'avaient pas encore décidé. goait point le scandale, mais de passer. il avait mérité qu'un café du boulevard nous conservat | La Littérature Paul Drouot (1) aspect sans le remuant, le truculent, le spirituel, le gourmet, le haut cravaté Véron? Nulle chance ne lui C'était une charmant jeune homme, à la figure la plus manqua; toutes les réussites il les obtint. Avec un égal | française; il ressemblait à un mince officier. Il était un bonheur il vendit des pilules, fonda la Revue de Paris, peu provincial, réservé, timide même, et comme retrandirigea l'Opéra, ressuscita le Constitutionnel, aborda la ché derrière un sourire aimable qu'il tendait entre les politique, publia romans, recueils et ces alémoires d'un indifférents et lui, non pas ironique le moins du monde, bourgeois de Paris que les éditeurs se disputèrent, que ni froid, ni volontairement distant, mais qui élevait la le public s'arracha, mais qui nous semblent aujourd'hui, même barrière qu’on dresse par des phrases de politesse à parler franc, assez décolorés. Véron eut des idées conventionneile. Ses yeux clairs et comme transparents multiples, excellentes souvent; il s'occupa d'entreprises donnaient jour sur son âme, mais la préservaient autant très diverses et les mena à bien. Bref, pour un peu, nous que mille mètres de l'eau la plus pure. Il avait toujours serions tentés de le comparer à Beaumarchais. Il n'a l'air un peu préoccupé et tourné en dedans, vers quelque été que Véron; ce n'est point déjà si mal. secret intérieur; ses poèmes nous ont dit pourquoi : ; On répétait ses mots; on guettait ses moindres faits aimait, il souffrait, sa sensibilité était infinie, et il ne et gestes; on le fêtait et flagornait sans cesse; même s'appliquait pas à la dominer le moins du monde; au on l'aimait. Oui; Véron qui, après sa mort, a réalisé contraire, il s'y abandonnait de toute sa volonté et il ce tour de force de faire travailler des littérateurs l'excitait contre lui-même, étant romantique et secrèteréunis dans un café, a obtenu, vivant, cet autre prodige ment persuadé que 'rien n'est beau comme de souffrir. de n'être point accusé malgré la faveur du sort. Et, Je ne l'ai pas assez intiniement connu pour me dire son ce qui étonne davantage qu'un tel résultat, il n'était ami, mais sa droiture, sa valeur, sa douceur, sa noblesse . point indigne d'une sympathie ordinairement réservée d'âme paraissaient dans toutes ses contenances, et à d'affables fripouilles. Le contentement de soi, cet épa- c'était un charmant Français. Il avait publié en 1905, nouissement un peu vulgaire que la foule appelle à 19 ans, un premier volumes de poèmes, plein de probonhomie, et qui lui permet de tolérer ou de pardonner messes, la Chanson d'Eliacin; puis, en 1908, la Grappe les succès dont ils naissent, exprimaient chez Véron de raisin ; en 1910, Sous le vocable du chêne ; et il l'optimisme de sa chance fidèle sans doute, mais aussi semblait vraiment le poète le plus doué de sa généra' la joviale humeur d'un brave homme. Ne trouvait-il pas tion. le temps d'être généreux? Il épargna la misère, non Lorsque la guerre éclata, il avait 28 ans. Il fut mobisans discrétion, à beaucoup d'artistes; le premier, il fa- lisé au 152® régiment d'infanterie, je crois. Sa très mauvorisa le relèvement des trop modestes salaires du petit vaise santé lui valut d'être proposé pour le service auxipersonnel des théâtres, des choristes et des musiciens liaire à la première visite des médecins-majors. Mais d'orchestre;, à la Société des gens de lettres il vers z Paul Drouot était l'arrière-petit-fils du général Drouot, anonymement des sommes importantes destinées à des le « sage de la Grande Arınée » ; certes, a-t-il dit quelsecours ou à des prix littéraires. Un brave homme, vous que part, dis-je. Certe autrefois dans ma famille, Est-ce parce qu'il fut un brave homme qu'il ne man On fit du pain et du bon pain. qua même pas à ses triomphes de pouvoir conserver, à La gueule d'un four qui rutile quarante années durant, l'inimitable cuisinière Sophie? A nis sa touffent dans mon seisa Il convient, au moment où va disparaître le café Véron, Puis quelqu'un vint, qui fut de taille d'associer Sophie à la mémoire de son maître. Véron A parler victoire au canon ? doit à Sophie un peu de sa gloire, beaucoup de ses Depuis on entend la mitraille. succès, et donc il lui doit un peu beaucoup son café, Tonner sourdement dans mon nom. sa rue et sa cité. Sophie ne se contentait pas de posséder les plus éminentes qualités du cordon bleu et de Un Drouot ne pouvait rester à l'arrière quand la régner jalousement sur l'ordonnance de la chambre à France était en danger. Paul demanda d'être versé dans coucher, elle s'occupait en outre du département des le service armé, et il partit le 8 décembre 1914 pour affaires extérieures et donnait des audiences politiques. rejoindre le zo bataillon de chasseurs à pied. Le 20 déQuand, après la révolution de février, le Constitutionnel cembre, il monta aux tranchées pour la première fois; eut pris une grande importance en soutenant l'élection mais, à peine arrivé, il y fut pris d'une si grave crise du prince · Louis-Napoléon, la demeure de Véron fut de rhumatismes, et accompagnée d'une telle fièvre, qu'on assaillie d'inutiles et d'importuns autant que de per dut l'envoyer à l'hôpital pour quelques jours. Quand 11 sonnages considérables. Sophie ouvrait, recevait les vi- en sortit, encore fiévreux, le commandant Madelin, sop siteurs, et, madrée Normande, avec ce même fair qui chef, le garda près de lui en qualité de secrétaire , et bientôt le sensible Paul Drouot se prit pour ce beau rendait sa cuisine sans défaut, devinait la qualité et soldat d'une amitié ardente. 11 l'accompagnait le jour les intentions des nouveaux venus. En diplomate consommée elle servait auprès des humbles et des magni- que le commandant fut tué; c'était le 8 mai 1915, durant l'offensive du bataillon en Artois. Avec deux autres fiques les intérêts de son maître. Peu de gens, du reste, chasseurs, il alla chercher son chef hors de la tranchée trouvaient grâce à ses yeux. Elle en voulait surtout à Sainte-Beuve qui avait refusé, sous des prétextes insuf et le ramena, et pour cela il fut proposé pour la médaille fisants selon elle, de faire un article dans le Moniteur militaire, que d'ailleurs, on ne lui accorda pas. sur les Mémoires d'un bourgeois de Paris et qui avait Je n'ai pas la médaille, écrivit-il à sa mère. Si vous saviez été nommé sénateur lorsque Monsieur ne l'était pas; combien ma citation à l'ordre clu corps d'armée me fait plus deux griefs impardonnables ! Quelle ire serait la vôtre, de plaisir, étant plus juste, plus méritée ! Je n'insiste pas, vous me connaissez. En réalité, on donne tant de médailles Sophie, si vous voyiez démolir le café de Monsieur! A. DE BERSAUCOURT. (1) La chanson d'Eliacin, La grappe de raisin (La Phalan ge), Sous le vocable du chêne (Dorbon aîné), Derniers vers L'abondance des matières nous oblige à renvoyer (La belle Edition), Eurydice deux fois perdue (Société litté raire de France). Cf. dans la Revue hebdomadaire des 22 et au prochain numéro la fin de l'intéressant article de 29 janvier 1921, une notice signée J.-L. V., et Paul Drouot M. Maurice Spronck : Le Congrès des Cheminots. et la guci?c par Paul Régnier. X aux estropiés, qu'on ne peut pour ainsi dire plus en donner Pourtant, dans cette parnassienne Grappe de raisin, d'autres, sauf dans des cas très exceptionnels. Cent fois non, il ne nous fait pas encore sentir toute la qualité de son je ne vaux pas la médaille. Qu'on la donne aux héros guoti-. talent. Il faut ouvrir Sous le vocable du chêne pour diens, perpétuels. Ma santé, mon tempérament ne me per apercevoir quels étaient les trésors de son coeur. Evidemmettent pas cette continuité dans le sublime. ment, l'auteur de ce second' recueil a connu des émotions Voilà notre modeste Drouot. Hélas ! le 9 juin , un qui l'ont bouleversé et que celui de la Grappe n'avait obus tomba sur le poste de commandement où il se pas encore éprouvées à ce point : quelque amour maltrouvait avec son nouveau chef de bataillon, les télé heureux... Mais amour et malheur, pour un Drouot, phonistes et les autres secrétaires, et l'éclat qui le frappa n'est-ce pas la même chose ? en plein cæur a détruit une de nos espérances françaises . Aussi bien ne célébrait-il pas lui-même prophétiquement la beauté de sa mort, quand il écrivait en On voit par ses lettres et par les renseignements 1910 ces vers magnifiques : que nous donne son biographe que Paul Drouot s'était Et je sentais en moi renaître, flot suave converti en 1914 et qu'il était devenu à la guerre un De fordre fraiche et de vieux vin, le sang des braves catholique fervent. Ce n'est pas surprenant, de lui. Qui Dont nous ne portons plus aujourd'hui que le nom sait s'il ne se fût point quelque jour consacré au service Et qui, sous la mitraille et parmi le canon, de Dieu, comme on nous le fait entendre ? Ainsi il eût Fusillant, fusillés, repus, gorgés de gloire, achevé harmonieusement sa courbe, et qu'on excuse Soupiraient du souci de la seule, victoire, Marchaient jusqu'à leur dernier reste de chaleur, cette vue littéraire) le jeune abbé Drouot, après l'amant Et ne tombaient que frappés d'une balle au cœur ! déchiré- que nous allons voir, eût fait un héros parfait pour Lamartine ou pour Musset. Si jamais il y eut un poète, c'est lui. Il paraît qu'on dice, en effet, ce qui étonne d'abord, c'est la force, la Lorsqu'on ouvre Sous le vocable du chêne ou Eurya retrouvé dans ses papiers, outre les vers d'un recueil posthume et les fragments d’Eurydice deux fois per qu'il s'est découvert et affirmé, l'auteur de la Grappe fraîcheur et la spontanéité de son romantisme. Dès due, deux nouvelles, puis le début et les notes d'un de raisin a retrouvé sa vraie école, qui est celle de 1830. roman, le Pavillon dans la rivière. On serait curieux de Il sent, il chante comme elle. S'il ne nous dit pas qu'il les voir, tant il semble que les idées et les images qui se est « maudit », c'est que, tout de même, c'est trop passé formaient dans cette jeune tête ont toujours dû être de mode ; mais il ne s'en faut guère ; et il se complaît purement lyriques dans sa tristesse, il la savoure, il s'en délecte, et l'on La Grappe de raisin ne comprend que des pièces de sent qu'il en est fier ! deux strophes , et l'originalité du poète y apparaît à peine Pardonnez-moi ces mouvements de folie dit-il dans Euryencore ; mais que d'agréments déjà ! dice, l'ai toujours été un enfant bizarre. Alors que vous D'AVENTURE tendiez aux miens vos bras gaiement ouverts, déjà je vous Je suis au bord des mers un triste anachorète. fuyais, je me cachais de vous pour satisfaire à l'amertume de Hier j'ai parlé grec avec un vieux dauphin mon naturel. Quand je pouvais saisir un instant de bonheur, Qui remontait vers Chypre, Il craignit la tempête ; je le happais si fort qu'il n'en restait dans ma main forcenée Même rocher nous abrita jusqu'au matin. que des cris, des tourments, une douleur nouvelle. Il m'a dit de sa voix argentine et flûtée : Surtout, il reprend avec fraîcheur étonnante « Salue pour moi le caprijède et l'aegipan, l'équation romantique : amour = souffrance. Depuis un Car je fais la suprême et double traversée siècle et plus, elle est devenue pour nous une sorte Sur Cocéan des eaux et sur celui des temps i. d'axiome, il faut bien le reconnaître. Pourtant, l'amour, Drouot ne sera jamais un très subtil musicien impres- c'est l'inquiétude sans doute, mais la joie n'est pas sionniste : ce sont les mélodies de la poésie du repos parfait .On avait pensé durant des siècles qu'aimer, XIX° siècle qu'il nous fait entendre. Même dans ce livre et avec toute la force possible, ce n'est pas exclusivement qui est , pour ainsi dire, le plus extérieur, le plus décora- souffrir, que c'est jouir aussi, et que la passion même est tif et le plus parnassien, celui où il se montre le plus une source de plaisirs autant que de douleurs. J'entends virtuose, ce n'est que bien rarement qu'on trouvera des bien que de la littérature entière, s'élève un concert de plaintes et des gémissements : et ce sont les amants qui Je franchirai ta cour mauresque, lamentent. Mais c'est que l'amour-passion en soi est Maison de la plume et de l'air, le plus déplorable sujet : rien de moins esthétique ; il Où bombillent mille arabesques, ne devient intéressant littérairement que pour autant Divins caprices de l'éclair. qu'il rencontre des obstacles ; c'est son conflit, sa lutte Et mon luth formera des stances vec le devoir, la jalousie, l'indifférence et des empêSur tes grâces de jouvencel, chements de toutes sortes qui captivent ; satisfait, Palais qui fus par le silence épanoui sans contraintes, l'amour est comme les peuples. Ciselé dans un arc-en-ciel. heureux : il n'a pas d'histoire. Les classiques lentenNon , Drouot n'est pas de ces subtils poetae minores. daient ainsi : leurs récits et leurs drames d'amour ont, C'est sur la grande lyre qu'il s'est essayé dès son pre- pour thème, non pas cette passion même, mais ses mier jour. Sans doute il abonde dans la Grappe de combats. Pourtant ils sont loin de considérer amour et raisin en vers gracieux, en idées charmantes, comme douleur comme des synonymes. Ce n'est que depuis un celle-ci : Va, dit-il à sa Muse en lui avouant son impuis- peu plus d'un siècle, je pense, qu'on voit un être devenir sance et sa stérilité poétique d'un soir, malheureux du moment qu'il aime, et parce qu'il aime, Va montrer tes anciens colliers à toi miroir ! et même si son sentiment n'est point contrarié, Mais ses strophes les plus heureuses, ses plus beaux comme si l'amour, par son essence, était douleur, uni-: mens sont larges et rendent les accents de la grande quement, et non douleur et joie. Mais on sait que les romantiques ont dressé des autels à la douleur, comme à Elle bondissent par les champs, les jeunes sources, l'amour; ils ne les ont pas seulement trouvés beaux, comme on avait toujours fait, ils les ont déclarés dieux Leurs bouches vont s'étreindre et leurs seins se confondre, et même fétiches ; et, ils ont admis que souffrir, comme Et noblement guidées par un fleuve à l'æil vert, aimer, marque la noblesse de l'âme. Ne nous étonnons Lewers cristallines voix se plairont à répondre donc pas d'entendre le romantique Drouot chanter la Aux appels tout-puissants que se jettent les mers. « saine » douleur et le « saint » amour comme deux, une le pièces de ce genre : i : poésie Х au génies jumeaux. Les adorer et les confondre, comme tes » vagissants d'aujourd'hui : il sait que l'art résulte il fait, c'est devenu une règle pour nous. de la soumission de l'inspiration à une discipline stricte, et d'abord à celle du langage ; il contraint durement Sous le vocable du chérie est un recueil touffu, ses plaintes et ses cris à se modeler en paroles, et clai rement enchaînées; il veut que sa musique intérieure même inégal, et supérieur pourtant à la Grappe de rai prenne une forme intellectuelle et plastique ; il coule sin. On y trouve parfois de cette éloquence un peu creuse son sentiment dans le moule de la raison : c'est ainsi ou verbeuse, et lucanienne, qui est le défaut de l'école qu'il crée sa statue. Mais elle est toute faite d'émotion romantique; des jeunesses aussi les squelettes, p. 42), et de musique, et elle vibre et frissonne à l'air comme des préciosités tout à fait « 1816 » (les pieds nus « qui une flamme qu'on aurait sculptée. n'ont d'aucune obscurité chaussé leur neige », p. 50 ) ; Chacun de ces morceaux, ou plutôt chacune de ces des rocailles (« à ton sol je ne puis encor rien ratta notes (car nous n'avons pas le droit de considérer ces cher », p. 30), etc.; et jusque dans les plus belles pièces pages comme achevées, et nous ignorons si un tel artiste (celle des pp. 57-60 ou les pres Souvenirs, p. 99 et n'aurait su leur donner une beauté supérieure encore) siv.) des faiblesses. Mais le lyrisme et la sensibilité est un poème ; et rien de plus propre à faire sentir y emportent tout. comment un poète et un prosateur conçoivent différemLa valeur des idées poétiques, des trouvailles de ment le même objet que ces proses de Paul Drouot. Lui, Drouot est extrême ; parfois, ce n'est pas tant l'har il est là, comme un saint Sébastien transpercé par les monie, le vers même qui sont beaux, que l'inspiration. mille flèches de ses impressions, et qui n'explique pas sa C'est mnon cærir qui frémit du désir éperdu passion, qui l'exprime, qui la parle : De donner à ses battements d'immenses ailes, Déjà, debout, les yeux collés aux folles vitres d'un rapide, dira-t-il. Ou bien ce haï-kai : tu as observé les brillants fils télégraphiques. Un calme (le chef de train) ne s'aperçoit de rien, mais Toi ! Vous cueillez une rose, et moi, je vois la iner ! Tu les as vus haleter, s'éparpiller, transir, bondir comme un Et encore : archet sur la chanterelle de l'horizon. Ils meurent, tournoient, Bah ! qu'un vers soit ou non d'éternelle mć moire ressuscitent, touchent le sol, le ciel, battent l'air. Ils fléchisSi la cendre des morts est faite de leur chair ! sent, s'étalent, sursautent ; et chaque poteau flagellé résiste et tremble. Plus haut, plus bas, plus haut qu'il ne faut, Sous ie vocable du chêne, c'est encore un rude et jamais remis de leurs fatigues, dispos ou non ! La danse et ardent recueil de jeunesse. Mais Eurydice deux fois le vin les animent, ou ce rythme inventé par moi ! Ils perdue, qui est de la même veine, est d'un maître. crient et nul ne les entend ! Ils saignent, et l'on voit Ce devait être une sorte de roman poétique, une suite travers l'herbe, les marronniers, les villages, les meules, la de poèmes en prose plutôt. M. Henri de Régnier, dans nuit, et le parfait éclat des astres ! la préface qu'il a donnée à l'ouvrage, l'appelle « admi- Ce n'est pas un virtuose sans pareil, comme Ju les rable ». Il a raison. Depuis longtemps une pareille force Tellier, comme Toulet, qui, sa pensée fixée, en combane élégiaque et lyrique ne s'était manifestée. Si Paul les mots à froid avec un art merveilleux. Il cloue son Drouot demeure (et je le crois), ce sera par Eurydice sentiment tout vif, comme un papillon palpitant sur sa deux fois perclue. Et pourtant nous n'en possédons que planchette; tout son effort est à puiser dans sa des fragments en désordre, à peine assez pour qu'on affective profondément, et toujours plus profondément, devine l'affabulation qui devait les grouper. Peut-être puis à traduire en langage clair ses trouvailles, à nous Eurydice, terminée, aurait égalé, comme on l'a dit, l'In communiquer ses vibrations, ses concordances mystétermezzo de Heine. Il suffit d'en lire les huit ou dix rieuses. Car toujours il s'arrête au point exact au delà premières pages sur l'attente de l'amant, qui semblent duquel son expression, trop personnelle, deviendrait achevées, pour en tomber d'accord. incompréhensible, et c'est là où il diffère de nos jeunes Le classement des fragments, tel que « des mains vi- poètes » de l'inconscient. Il n'est que hardi, il n'est gilantes et pieuses » l'ont fait, paraît pourtant bien dis pas obscur, quand il dit : cutable ; et, dans un ordre meilleur, le livre semblerait Ah ! l'été pour un homme du Nord ...] et le trépignenı ent, plus beau encore : de même les Pensées ont gagné, de la rage, l'insomnie, quand la nuit, dans la saison agissante, nos jours, à être mieux ordonnées. Par cette disposition tord sur les moissons son corps de juive jusqu'à ce que le coq malheureuse des morceaux, le caractère du héros prend crie : « L'aurore ! » L'aurore et elle s'avance, coiffée de quelque bizarrerie inhumaine : il paraît souffrir et faire clochettes et de fils de pourpre. souffrir avec une sorte de sadisme, dirait-on pour un Tel est ce poète. De sa lutte pour rendre mélodie usepeu plus. Puis voilà, à la fin de la première partie, ment et clairement le plus passionné de lui-même réquand nous l'entendons crier son amour depuis le sulte la beauté de son oeuvre. Eurydice dellx fois perelue, début, qu'il découvre qu'il aime ! Voilà... Mais c'est ce sont les battements mêmes d'un grand cæur, mais toute une étude critique qu'il faudrait pour restaurer transposés dans notre langue commune. Les fragments Eurydice deux fois perdue. Laissons-la aux chartistes que j'ai cités sont des moins touchants ; c'est par hasard. de l'avenir Il ne se peut qu'on lise dix pages de ces chants D'ailleurs, d'être ainsi, selon toute apparence, mal d'amour et de douleur sans être profondément ému. ordonné, le livre souffre relativement peu, car ce n'est JACQUES BOULENGER. pas l'ouvrage d'un psychologue, mais d'un poète, encore un coup, qui chante, et non d'un romancier qui Post-scriptum. Dans un article paru ici le 28 mai, analyse et conte. Paul Drouot est bien loin de raffiner j'ai rendu compte (assez pauvrement) de l'un des precritiquement sur lui-même, et d'observer ou de narrer ; miers livres de M. Charles Maurras, qu'on vient de il ne cherche pas à découvrir, à noter patiemment, réimprimer, le Chemin de Paradis. J'ai dit que « ordicomme l'auteur de Volupté, comme celui de Mon amour, nairement la critique néo-classique ne nie pas la beauté des nuances nouvelles, des traits exquis et justes et de ce qui contredit sa morale » ou plutôt sa politique, touchants ; son livre est le fruit de toutes les forces car « des esprits aussi fins et cultivés que M. Maurras obscures qui font un poète ou musicien, et et M. Lasserre sont incapables de ne pas voir la beauté que l'on nomme l'inspiration ; c'est presque un pur cri où elle est »; mais qu'elle paraît fort influencée рах des du caur, aussi peu que possible un effort de la con- considérations d'utilité, et qu'on en a bien le senti ment science. Aussi peu que possible seulement, car Paul quand on lit, par exemple, telle note du Chemin e Drouot, certes, ne s'abandonne par lyriquement, comme Paradis où Nietzsche est dédaigné et même ignoré d'une un Guillaume Apollinaire et tant d'autres jeunes « poès | façon surprenante. vic (( : un |