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Les Idées

Le professeur Freud et la Psychanalyse

On vient de traduire en français l'Introduction à la psychanalyse du professeur Freud (1). Ce qu'on a dénommé le freudisme est connu depuis assez longtemps et même dépassé. Ce large exposé, toutefois, permet de prendre une idée claire et complète, trop claire et trop complète, je crois, d'une doctrine qui mêle à un grain de sagesse beaucoup de folies.

Nous verrons comment, dans l'esprit de son fondateur, la psychanalyse s'oppose à la psychologie pour la compléter. Le professeur Freud- c'est lui que nous allons laisser parler désormais - part dans sa recherche de ce qu'il appelle les actes manqués. Il est arrivé à chacun de perdre le souvenir d'un fait, la mémoire d'un mot, ou d'égarer un objet. On a grand tort de ne pas accorder quelque attention à ces accidents, très significatifs quand on sait y regarder. Ils ont des causes, ainsi que les autres effets et ces causes s'affirment d'autant plus révélatrices et profondes qu'elles restent intimes et cachées. C'est à l'analyse, à la psychanalyse, d'aller les saisir dans l'inconscient où elles se dissimulent pour les manifester au grand jour de la conscience. On s'aperçoit alors des origines effrayantes où mènent des conséquences minimes. Si l'on a oublié le nom de quelqu'un, si on a laissé une lettre dans sa poche c'est qu'on ne voulait pas la mettre à la poste; si l'on n'a pas rendu, par mégarde, un livre prêté, c'est qu'on tenait à le garder.

Une autre étape de ces inquiétantes genèses se marque dans les rêves. Qu'est-ce qu'un rêve ? C'est, d'abord, une défense du sommeil. Le professeur Freud ne montre guère d'indulgence pour ce globe terraqué où il opère. «Par rapport à ce monde dans lequel nous sommes venus sans le vouloir, dit-il, nous nous trouvons dans une situation telle que nous ne pouvons le supporter d'une façon ininterrompue. Aussi nous replongeons-nous, de temps à autre, d'ans l'état où nous nous trouvions avant de venir au monde, lors de notre existence intra-utérine. >> Il arrive que des excitations psychiques viennent troubler cet état bienheureux. Le rêve intervient alors, et, les organisant, les empêche d'éveiller les dormeurs. Seulement des facteurs divers entrent dans cette organisation et lui donnent l'allure instable, déconcertante, puérile et absurde que nous lui connaissons .C'est, d'abord, une sorte de censure qui, s'exerçant contre des désirs inavouables, les contraint à ne s'exprimer que par des figures que traduit l'hallucination, et c'est ensuite, et surtout, le symbolisme qui pourvoit à cette traduction.

Déjà, remarque. Scherner, « le rêve cherche avant tout à représenter l'organe qui envoie l'excitation par des objets qui lui ressemblent », et l'on devine ce que cela peut donner. Ce sont, en effet, les tendances et les idées ou les désirs, à l'état de veille, par éducation, par convenance, par vertu acquise, les mieux comprimés, qui, rendus à quelque liberté par le sommeil, s'offorcent d'y réaliser leur règne. Or, il faut bien convenir que nul instinct n'est plus difficilement soumis ni plus âprement poursuivi, dans notre civilisation ascétique et monogame, que l'instinct sexuel. La plupart des rêves, s'non tous, s'avoueront donc de nature sexuelle et il suffira de les interpréter correctement pour s'en apercevoir.

C'est à cette interprétation que nous devrions venir maintenant. Mais nous ne l'aborderons pas. Nous reculons devant les développements ahurissants, cocasses, scabreux et scandaleux dans leur ingénuité ou leur ingéniosité qui découvrent dans l'innocent sommeil la terre des larves et des monstres. Allez au texte, si vous ne craignez point de vous instruire en bravant l'honnêteté. Vous y apprendrez ce dont vous rêvez quand en dor(1) Payot, éditeur.

mant vous vous promenez dans un parc ou vous vos accrochez aux saillies des maisons, vous saurez quelle singulières réalités dissimule la vision symbolique d' jardin, d'une chambre, d'une pendule ou d'un temple i colonnes, et ce que vous dites vraiment quand vo traitez une femme de « vieille boîte », ce qui est amin au professeur Freud.

Quel rêve échappera dès lors à l'exégèse érotique Rapportons-en un qu'on peut citer et sur lequel l'aute revient avec complaisance. Une dame, en songe, se rend au théâtre avec son mari. Une partie du parterre est vide. Le mari conte qu'une certaine Elise et son fand auraient bien voulu assister à la représentation, mais qu'ils en ont été empêchés, n'ayant pu trouver que de mauvaises places (trois pour une couronne). La dame pense que ce ne fut pas un grand malheur. Et c'est tout Qu'est-ce que cela signifie? Tout simplement, établit k professeur Freud, « la mésestime de la femme pour sOK mari et son regret de s'être mariée trop tôt... » Cette dernière hâte représentée par ce parterre vide, preuve qu'on a pris les places trop tôt! Je ne puis entrer dans les détails de l'opération de psychanalyse qui a donné cet étonnant résultat : ils en renforcent, à mon gré, le spécieux et l'arbitraire, loin de la justifier.

L'auteur est plus heureux quand il aborde le cha pitre de la pathologie. Il a même là sa seule réussite incontestable. Voici comme il explique, d'après une doc trine reçue d'ailleurs avant qu'il ne l'adoptât, les symp tômes névrotiques. A des étapes diverses de la vie, et surtout dès l'enfance, certaines énergies fort naturelle mais antisociales et propres, par leur violence, à com promettre l'économie de la civilisation sont arrêtées par l'éducation, les mœurs, la loi ou la volonté avant d'avoir pu se dépenser en entier, et « refoulées » dans l'incor cient où elles demeurent latentes. Ce sont ces tendan dissimulées, mais toujours aux aguets, qui agissent dans le sommeil et qui se déchaînent dans les névroses. Elles se gardent bien de se déclarer et de se montrer telles quelles au moi conscient qui, aussitôt, trouverait quelque moyen de les réfréner de nouveau. Elles opèrent par substitution; elles provoquent des actes, absurdes en apparence, où elles se ménagent un moyen de se satis faire enfin; elles profitent du moindre accident physiclogique pour reprendre, sous un visage d'emprunt, une activité trop bien contenue. C'est ainsi qu'une jeune femme découvre dans le souvenir d'un incident d'une nuit conjugale le secret d'une inexplicable obsession.

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L'étiologie dicte la thérapeutique. Les symptômes tirent leur force de leur déguisement et il n'y a qu'à dis socier les éléments qu'ils combinent pour les voir s'éva nouir. C'est ce que pratiquait depuis longtemps M. Janet au moyen de l'hypnose. Il faisait remonter le sujet à des états ou à des crises psychiques situés parfois presque dans l'extrême enfance, il rectifiait là l'erreur mental ou le désordre qui venait de servir de base au processus morbide et il lui suffisait de reconnaître le mal pour guérir. L'originalité de Freud a été de remplacer k sommeil hypnotique par la psychanalyse dans cette opération.

Cette psychanalyse consiste d'abord à trouver un sens à des actes en apparence arbitraires et en dehors du vouloir. Elle débrouille la logique de l'inconscient. Tout effet à une cause, bien que cette cause parfois se dérobe, et si un acte nous apparaît sans raison, nous ne saurions de cela conclure qu'il n'en a point. La psychanalyse appétits inavouables se plaisent à s'envelopper pour se s'emploie à découvrir ces origines et ces filiations où des déchaîner ensuite et occasionner dans l'organisme des perturbations profondes. Et, en même temps qu'elle nous guérit, elle nous révèle à nous-mêmes en nous faisant connaître notre tempérament dernier et nos plus récents instincts.

Elle ne se meut pas, certes, avec la facilité ou la sûreté

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Capital et travail (1)

III

LA SOLIDARITÉ

e l'analyse prise dans le domaine du conscient ; elle La Vie Economique oit s'égarer et tâtonner et c'est à propos delle surtout u'il faudrait parler d'art. Ellle utilise toutes les resources de la symbolique, de la sémantique, de l'histoire, e la psychologie et déploie une merveilleuse et excesive sagacité. Le professeur Freud cite cet exemple: Il vait oublié le nom d'une ville voisine de Monte-Carlo. ans chercher davantage, il laisse venir à lui tous les hots qui se présentent. C'est, d'abord, Monte-Carlo, puis Piémont, Albanie, Montévideo, Colico. « Dans cette érie, remarque le patient, le mot Albanie s'impose le remier à mon attention, mais il est aussitôt remplacé par Monténégro, à cause du contraste entre blanc et noir. Je 'aperçois alors que quatre de ces noms de substitution Fontiennent la syllabe mon; je trouve aussitôt le mot Aublié, et je m'écrie: Monaco! >>

Je viens de clore mes observations sur la C. G. T., mon réquisitoire si l'on veut, par une définition de ses tendances; je les juge criminelles.

Reprenons maintenant la parole. Il y a dans la psyhanalyse un remède qui a sans doute rendu des services, t, dans l'ensemble du système du professeur Freud, les vues ingénieuses et profondes, mais aussi des abus riants et une sorte de métaphysique ou de mythologic où, s'il ne s'agissait pas d'une matière et d'une personmalité aussi sérieuses, on serait tenté de voir une « coossale » plaisanterie.

Toute exégèse appelle inévitablement la fantaisie et, souvent, les imaginations et les similitudes les plus extravagantes. La psychanalyse ne manque pas à cette règle du jeu. Nous venons de l'entendre interpréter un songe, et nous avons laissé entrevoir de quelle façon elle use de la symbolique amoureuse. Avouons-le. Le profane qui ouvrirait ce livre croirait à une mauvaise plaisanterie. Pour quelques rapprochements exacts il devrait subir mille extravagances capables de déconsidérer le maître et la doctrine si on ne les regardait pas comme les excès d'une conviction trop bien assise et d'un zèle scientifique assez étroit.

Mais il y a plus. Le professeur Freud fait de sa médecine un système et presque une morale qu'il asseoit sur une base fort incongrue. Toutes ces tendances que la conscience enchaîne et que le rêve ou la névrose délivrent il les rattache à l'instinct génésique, à ce qu'il appelle la libido. La libido de Freud, c'est un peu la tréponémie de M. Léon Daudet, le pittoresque en moins. Elle est partout et à l'origine comme dans le cours du développement humain. Elle épanouit le nouveau-né en train de sucer le sein maternel; elle s'étend à chaque acte et à chaque portion de l'être, elle pousse obscurément le frère vers la sœur et la fille vers le père. Et ainsi l'inceste se trouve naturellement au début de l'amour.

Le professeur Freud déduit sans broncher ces conséquences excessives. Il y arrive par une systématisation à outrance, et en étendant le signe de la volupté à toutes les pauvres joies corporelles qui nous sont accordées sous le règne de notre corps. Parti d'une vue juste et d'une pratique ingénieuse, il s'est laissé porter par ses documents et ses découvertes ; il n'a su résister au désir d'en construire le monde ; il a réuni dans sa pensée la science moderne au caractère national et mis de la musique viennoise sur des paroles allemandes, si j'ose risquer ce jugement irrespectueux.

Il soulève des questions fort amples et où nous n'entrerons pas. Car le moyen, en quelques pages, de traiter de la nature de l'amour ou du rôle de l'inconscient ? Sur ce dernier point, cependant, nous hasarderons une remarque. Il nous semble que, faute de la définir et délimiter, on accorde une importance bien décisive à cette part de nous-mêmes qui nous échappe. On y veut voir l'individu tout entier et la suprême réalité humaine. On oublie, encore ici, qu'il faudrait distinguer l'acte de la puissance, et que l'organisé, c'est-à-dire la conscience, se place au-dessus du chaos des impressions, des tendances ou des appétits, et peut-être a plus de sens. GONZAGUE TRUC.

Qu'elle vise de tous ses efforts un état de choses où elle s'interposerait entre les entreprises et les travailleurs comme intermédiaire unique ayant qualité pour fournir aux premières le concours des seconds; je le comprends. Farvenue à ce résultat, elle en tirerait gros profit pour son influence et avantages pour ses porteparoles. Mais je ne puis comprendre qu'il y ait dans la masse des citoyens de sang-froid, de l'hésitation ou de la timidité à constater que pareil état de choses serait funeste au pays.

Il ne pourrait être créé qu'au prix de l'anéantissement de la première de nos vertus nationales, l'aptitude à la solidarité entre les citoyens voués par les circonstances à la pratique de la même tâche, quelles que soient leurs conditions sociales respectives. Vertu transmise de génération en génération depuis les origines de la France, qui a mobilisé ses fractions distinctes ou hostiles contre l'agression étrangère, à l'appel de Vercingétorix; qui lui a permis, la défaite subie, de figurer devant le vainqueur, non comme une colonie à exploiter, mais comme une humanité prête à s'assimiler avec profit l'acquit romain dans le domaine intellectuel et moral; qui dans toutes les heures dures de notre histoire nous a permis d'opposer à l'envahisseur une nation en armes faisant masse vers le but des volontés individuelles de tous, chefs de tous rangs et soldats; qui s'est magnifiquement extériorisée devant l'agression de l'Allemagneen 1914 et a fourni la miraculeuse endurance dont la victoire est issue.

Vertu purement militaire, dira-t-on? Non; peut-on lire l'histoire civile de notre pays sans voir que les tendances individuelles à la solidarité sont à la base de la « familia » de l'époque gallo-romaine, comme des groupements féodaux qui se sont formés plus tard.

Mais je m'arrête dans une voie qui m'entraînerait hors de mon domaine et j'y rentre.

La guerre m'a rendu évident, à moi et à tous les chefs d'entreprises, qu'en France la solidarité du haut en bas n'est pas d'ordre uniquement national et militaire. Tous, nous avons reçu avec émotion les appels de nos anciens collaborateurs blessés, prisonniers, évacués au loin, ou ceux de leurs femmes, désemparées par l'absence des maris. Tous, nous avons constaté que, en s'adressant à nous, pour un service matériel ou pour un réconfort moral, nos ouvriers ou leurs femmes obéissaient à un sentiment tout naturel à leurs yeux; et quand une correspondance régulière s'est établie, chaque lettre nous apportait un rappel de la solidarité pré-existante, une manifestation d'attachement au foyer et à l'usine, indivisément.

Concevrait-on, cela étant, que les relations des entreprises avec leurs travailleurs omettent dans les années à venir ce qui s'est passé dans les années récentes? Concevrait-on que les entreprises dont la conduite vis-à-vis de leurs travailleurs était avant la guerre commandée par ces notions, adoptassent maintenant une autre ligne? Non seulement elles sont nombreuses, mais elles sont le plus grand nombre de beaucoup et ce qu'elles ont fait précédemment, d'instinct, au jugé, il faut qu'elles persistent à le faire, méthodiquement.

L'esprit de solidarité doit fournir à la base des rapports entre employeurs et employés; c'est ce que j'expliquerai dans ce qui me reste à dire.

(1) Voir l'Opinion des 10 et 17 décembre.

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RAPPORTS ENTRE EMPLOYEURS ET EMPLOYÉS

Le personnel d'ingénieurs, de comptables, d'agents de toute nature payés au mois n'est pas en cause ici; ses rapports avec la direction de l'entreprise dont il dépend ne soulèvent présentement aucune question sociale et c'en est une, la plus grave, que j'ai à traiter ici. Mais le terme « employés » dont je dois user dans son acception économique, en opposition avec le terme << employeurs »>, sert aussi à désigner la collectivité de ce personnel.

Pour éviter toute amphibologie, je m'astreindrai à dire «< ouvriers », quand il ne pourra s'agir que d'ouvriers et à ne jamais dire « employés » que lorsqu'il s'agira des ouvriers et du personnel non ouvrier à la fois.

Devant l'économie politique, les rapports entre employeurs et employés reposent uniquement sur le contrat de travail, promesse de salaires, contre promesse de labeur.

Mais il ne suffit pas qu'il y ait concordance entre le taux du salaire et la valeur du labeur pour que l'équilibre social subsiste ou évolue vers le mieux. Et s'il évolue vers le pire d'une manière continue, voici ce qui en résulte une loi qui gouverne tout l'univers veut que dans tout phénomène d'opposition de deux potentiels, si leur inégalité s'accroît régulièrement, il vient un moment où le phénomène prend une allure catastrophique; tels l'éclair dans l'orage, ou la rupture du barrage devant la crue. Hors du domaine physique, le terme « potentiel >> me paraît pouvoir être employé pour désigner l'ensemble des intentions et facultés d'agir d'une collectivité. S'il y a opposition entre les intentions d'agir des employeurs et des employés, si elle persiste et s'accentue, la grève ou la révolution est au bout, atteignant l'équilibre social, au détriment du bien public.

Il faut donc pour le bien public, qu'il existe chez l'employeur et l'employé, entre qui intervient un contrat de travail, des intentions non opposées; elles constituent ce que j'appelle les clauses tacites du contrat de travail et j'en donne ci-après une définition qui me paraît répondre aux conditions de vie sociale faites à notre pays par les facultés, les traditions de sa race, et contre laquelle d'ailleurs je n'ai pas, bien qu'en ayant cherché, recueilli d'objections.

1° Chez l'employeur, volonté d'améliorer par tous moyens en son pouvoir, l'ambiance matérielle et morale dans laquelle l'employé fournira son labeur, afin que son effort puisse être plus profitable avec moins de peine.

2° Chez l'employé, volonté de fournir, dans la limite de ses aptitudes, la quantité de labeur correspondant au salaire promis, et de le fournir d'une qualité propice au but visé par l'employeur, c'est-à-dire le plus souvent au rendement en production.

Que telle soit l'intention, latente parfois, mais toujours susceptible d'extériorisation, de la généralité des ouvriers français, c'est l'évidence même pour quiconque a mis la main à la pâte.

Au lecteur étranger de tous points aux questions ouvrières, et qui aurait trop lu d'écrits socialistes pour admettre qu'un patron soit préoccupé de l'ambiance matérielle et morale de ses ouvriers, je rappellerai deux faits : d'abord le mouvement qui a entraîné depuis vingt ans nombre d'entreprises à supporter des dépenses énormes pour construire des habitations ouvrières saines, voire confortables. Puis, l'initiative prise à Grenoble au cours de la guerre et maintenant imitée partout en France, de servir aux ouvriers qui supportent des charges de famille (naissances, allaitement, enfants en bas âge) un subside indépendant du salaire.

De la même préoccupation sont nées les améliorations dans l'éclairage, la ventilation et le chauffage des ateliers, la création en annexe à l'usine, de réfectoires et de

bains douches; l'organisation de coopératives, d'écoles ménagères, de goutes de lait, etc...

Je n'entre pas dans les détails; cela m'entraînerat trop loin. Mais je tiens à marquer que toutes les dépe ses de cette nature qu'une entreprise peut s'impose doivent être envisagées comme n'offrant pour elle qu'un seule contre-partie possible, l'amélioration indirecte d rendement de la main-d'œuvre. La philanthropie, a effet, n'est qu'un moteur de faible efficacité et ne cons titue d'ailleurs pas une faculté courante des société anonymes. Le chef d'entreprise a donc la charge d'ap précier si une initiative à fins d'amélioration d'ambiance sera ou non payante; et c'est fort délicat. Mais je dois dire, après vingt ans d'expérience, que l'on peut ave profit voir large en ces matières, lorsque les ouvriers sont dans l'ensemble quelque peu sensibles à la notion de solidarité entre employeurs et employés.

X

La forme du contrat de travail est chez nous éminemment fruste. L'employeur annonce son intention d'embaucher à tel prix, pour telle spécialité ; l'ouvrier accepte ou refuse.

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Les taux d'embauchage étaient, avant la gare, SUbordonnés à l'offre et à la demande, mais dans une certaine mesure seulement. Evidemment, le chef d'en treprise qui ne parvenait pas à embaucher, élevait ses offres ou les réduisait quand les demandes abondaient, mais si les fluctuations ainsi réalisées dans les taux d'em bauchage reproduisaient l'allure d'ensemble des phéno mènes économiques qui gouvernent l'activité des entreprises, c'était à échelle fort réduite. Si rien ne freine les effets de l'offre et de la demande sur les cours en Bourse des valeurs industrielles - et l'on sait quel soubresauts ils subissent il existe au contraire frein aux variations excessives dans le taux des salaires, et c'est la notion de solidarité. Le temps des sa laires de famine est révolu; au XX° siècle le chef d'entreprise admet implicitement que le salaire doit fournir à l'ouvrier, non seulement de quoi vivre, mais aussi de quoi satisfaire asez largement à ses goûts: goûts d'épar gne parfois, mais pas assez souvent par malheur, goûts de vie large, qu'a traduits depuis trente ans une trans formation complète des habitudes ouvrières en matière de nourriture, de vêtement, de mobilier; goûts impé rieux de distractions, dont témoignent les recettes formidables des cabarets et des cinémas dans les régions industrielles. Aux yeux des chefs d'entreprise. les va riations dans le taux des salaires dans le sens d'une diminution ne sauraient affecter que la part des salaire destinés à la satisfaction de ces goûts, et encore dan: une mesure restreinte, sous peine d'altérer l'ambiance morale nécessaire à la qualité du travail.

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Aussi bien, qu'arrive-t-il lorsqu'une entreprise se voit contrainte par les circonstances économiques de resser rer sa dépense en salaires ? Elle cesse d'embaucher, et, ne compensant pas les départs, dont la proportion est assez grande dans beaucoup d'industries, voit ses effetifs s'alléger. Au besoin, elle réduit, d'accord avec ses ouvriers, la durée du travail quotidien, plutôt que réduire les salaires horaires, et ne licencie qu'à la de nière extrémité. A la fin de la crise, l'entreprise a pâti, considérablement parfois, et les ouvriers qu'elle a conservés à son service, en vertu de la notion de solidarité, n'ont subi qu'une simple restriction dans la possibilité de dépenser pour la joie de vivre.

A cela, qui ne saurait être sérieusement contesté, on objecte que, à côté des ouvriers à qui l'entreprise a conservé des occupations, il ya ceux qui, l'ayant quittée, ont été déçus dans leur intention de s'embaucher ailleurs. Et l'on agite le spectre du chômage. Ce n'est pas en France un spectre terrible. Lorsqu'au début de 1921 01 parla d'une crise de chômage dans l'industrie mécani

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The parisienne, une Société Métallurgique de l'Est en constitution proposa d'embaucher 100 mécaniciens, et vrit une liste qui fut vite remplic. L'embauchage ne evait devenir définitif qu'après une semaine de stage ayé à plein salaire dans un atelier parisien. Il ne s'y résenta que 40 stagiaires au lieu de 100 et il n'en resta e 8 à la fin de la semaine.

Le chômage industriel est une maladie grave pour Angleterre qui ne recule pas devant les remèdes les us périlleux pour y obvier. En France, l'agriculture i, suivant la formule consacrée, manque de bras, et i en réalité réclame du paysan résolu à y gagner un fort incomparablement plus grand que celui de l'ouier dans l'industrie, constitue vis-à-vis du chômage dustriel le rôle d'un volant. Elle ne paie pas les saires de l'industrie, mais, d'autre part, l'ouvrier qui y emploie n'a pas la possibilité de dépenser aussi larement qu'il le fait quand il travaille dans une usine. (A suivre.) L. C.

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Actualités Scientifiques

L'onde hertzienne, nouveau fluide social Le Radio-Club de France a donné, jeudi, au théâtre es Champs-Elysées, une première audition publique de éléphonie sans fil. Cet effort de vulgarisation, très méitoire, se renouvellera certainement. De toute manière, 1 faut l'encourager. On ne saurait donc trop féliciter M. Givelet, président du Club, initiateur de la manifestation, ni M. Bouvier, ingénieur en chef de la station de T. S. F. de Sainte-Assise, qui assurait la transmission, ni M. Lallier, de la Société radio-électrique, dont es travaux sur place, au théâtre, ne durèrent pas moins de quinze jours. Mais ceci dit, me sera-t-il permis d'a vouer la grande déception que, personnellement, je eti rai du spectacle?

Cette déception, je l'ai analysée à loisir.

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D'abord, on était au théâtre. Le théâtre suppose la rie, donc l'émotion. De l'émotion, certes, nous en avions. Nous étions émus, pour la plupart, d'un sentiment quasi nystique, celui qu'éprouvent les étudiants de première innée, à leur entrée au cabinet de physique. Or, dès que la mécanique se mit à fonctionner, simulant un orhestre, l'émotion fit place à une forte sensation de biarre, à un étonnement renversé « n'est-ce que ça ? » - à cette gêne, enfin, qui nous a tous saisis, jadis, en présence du premier phonographe nasillard ou du prenier film papillotant. Devant toute mécanisation de la ie, surtout si cette mécanisation, à ses débuts, est encore nforme, n'est-ce pas, en effet, comme un malaise inime, comme une pudeur sourde qui vous étreint? C'est rès désagréable, mais cela vous rappelle bien vite au éel il n'est pas question d'esthétique, ici, mais de uriosité la curiosité d'un fait nouveau.

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Ce fait est celui-ci la musique entendue sur la scène st jouée, en réalité, à 40 kilomètres de là et sa transnission se produit non seulement en dehors de tout anal matériel, mais encore de telle manière que n'importe qui, placé n'importe où dans un certain rayon, peut l'entendre. Il suffit, pour cela, d'une antenne et l'un appareil analogue au vulgaire téléphone.

Par conséquent, si cette musique n'est pas parfaite, si elle n'est même (admettons-le) que du bruit, au moins elle cesse d'être « le plus cher de tous les bruits ». Et si les morts entendent le « sans-fil », les mânes de Théophile Gautier, revisant la célèbre définition dont il est, je crois, responsable, conviendront du très bas prix de revient d'un tel concert, répandu à profusion, en tous sens, dans l'espace. Ils n'en auront, il est vrai, que pour leur argent.

Déjà, nous dit-on, il existe, en Amérique, un service musical populaire à la portée de quiconque possède un récepteur. Toujours en Amérique, on aurait actionné par sans-fil des hauts parleurs installés au balcon du dixième étage et répétant fidèlement, mot à mot, le discours du speaker dans tel retentissant combat de boxe. Certes, j'entends d'ici la voix de ce speaker américain : elle doit gagner à la transmission. J'entends moins bien un adagio de Beethoven. Toutefois le fait est là, scientifique ou social, à votre gré la portée de la voix humaine est désormais illimitée... A la condition de disposer de quelques watts d'énergie électrique, d'alternateurs à haute fréquence tournant à 6.000 tours-minute, de batteries condensatrices capables de foudroyer un troupeau dé boeufs, de bobines de self-induction rivalisant avec des piliers de cathédrale, et, enfin, de 30 kilomètres de fil disposés en antennes sur des mâts de 250 mètres de hauteur, à la condition de disposer de tout cela, vous pouvez faire un discours en prenant, dès maintenant la nation, demain l'univers, pour auditoires. Comment est « montée » cette expérience exigeant une usine au départ et si peu de chose à l'arrivée? Imaginez, pour commencer, que tout se passe par téléphone avec fil ordinaire. L'orchestre (mais cet orchestre est un phonographe) joue devant le cornet transmetteur, à Sainte-Assise. La plaque vibrante de ce cornet agite de la « grenaille » de charbon interposée dans le circuit électrique. Les mouvements de cette grenaille personne ne sait au juste comment cela se produit modifient l'intensité du courant téléphonique précisémen dans le même sens et dans la même mesure que les modulations sonores. Le courant communique donc ces variations d'intensité à l'électro-aimant récepteur dont la plaque vibrante, répétant les mouvements de sa sœur au départ, rend alors, exactement, tout ce que celle-ci enregistre.

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Maintenant, supprimez le fil, ou plutôt n'en conservez que deux tronçons, l'un au départ, l'autre à l'arrivée, deux tronçons que vous dresserez en l'air au moyen d'un mât ce seront des « antennes ». Remplacez, au départ, le courant de la pile classique par un courant à très haute fréquence obtenu au moyen d'alternateurs ultra-rapides. L'antenne parcourue par ce courant va se mettre à vibrer électriquement et à ébranler ce milieu hypothétique destiné à supporter nos explications plutôt que les vibrations elles-mêmes l'éther. Dans cet éther, une « onde » s'établit. Cette onde arrive à Paris à la vitesse de 300.000 kilomètres-seconde. Là, elle met en vibration, à son tour, toutes les antennes << accordées » sur elle. L'antenne du théâtre, disposée à cet effet, se met donc à vibrer selon des courants alternatifs de même période que ceux du départ. Le contact est établi entre Sainte-Assise et Paris, mais c'est tout. Il ne s'est encore rien passé. L'onde hertzienne entretenue, de longueur constante, que nous venons de décrire, va simplement tenir lieu du conducteur métallique pour la transmission du phénomène sonore.

Voici comment :

A Sainte-Assise, le microphone transmetteur devant lequel on parle, modifie, dans l'antenne émettrice, l'intensité du courant alternatif. Cette variation se reproduit aussitôt dans l'antenne réceptrice. Le phénomène, s'il se produit 870 fois en une seconde correspond au la du diapason. Le récepteur vibrera donc sur ce ton comme le transmetteur. La voix, l'orchestre, le bruit n'étant que des combinaisons plus ou moins compliquées d'ondes sonores élémentaires, le problème, résolu pour une note donnée, l'est pour toutes les combinaisons de notes et de timbres.

Toutefois, une difficulté se présente.

Si, au départ, l'énergie transmise par l'antenne est très puissante il n'en est pas de même à l'arrivée. Comme tous les phénomènes transmis dans l'espace

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d'une manière symétrique autour d'un centre, l'effet décroit en raison inverse du carré de la distance. Cette décroissance est tellement rapide que l'énergie restante serait, à l'arrivée, imperceptible sans des dispositifs spéciaux, d'une sensibilité aussi mystérieuse qu'inouïe : les détecteurs.

Le premier détecteur inventé fut le tube à limaille de Branly ce tube rempli de limaille de fer et très mauvais conducteur électrique en temps ordinaire, devient au contraire, bon conducteur sous l'influence des ondes hertziennes. En interposant ce tube sur un circuit auxiliaire, le passage ou l'arrêt du courant indiquera, par conséquent, la présence ou l'absence des ondes. Grâce à ce dispositif, on peut donc établir, à distance, des «< signaux » télégraphiques, mais ces signaux, saccadés, ne sauraient atteindre à la souplesse nécessaire pour la transmission des modulations sonores : celles-ci exigent en effet de variations périodiques allant de 200 à 2.000 par seconde.

D'autres détecteurs furent inventés. Mais arrivons tout de suite au plus merveilleux de tous, le définitif, de l'avis des techniciens: la lampe audion de Deforest. La lampe audion est la chose théoriquement la plus simple.

Imaginez une lampe ordinaire. Le filament incandescent émet des électrons comme tout filament rougi électriquement. Captez ces électrons, dans une de leurs directions, au moyen d'une petite plaque de métal très voisine du filament, et reliez cette plaque au circuit vous observez aussitôt que la plaque est parcourue par un courant électrique dérivé du courant principal. Interposez maintenant entre la plaque et le filament une grille métallique minuscule. Envoyez dans cette grille des courants alternatifs (électrisant par conséquent cette grille tour à tour positivement et négativement) voici ce qui se passe à l'instant de la phase négative, les électrons jaillissant du filament vers la plaque, à travers la grille, sont repoussés par celle-ci; le courant ne passe plus. Quand la phase, au contraire, est positive, les électrons passent et le courant se reproduit. Ce courant est donc à la merci des alternances imposées à l'électricité de la grille. Reliez donc cette grille à l'antenne de réception et ce sont les courants alternatifs de l'onde hertzienne qui régleront eux-mêmes le passage des électrons à travers la grille, autrement dit qui régleront le courant entre le filament et la plaque. Or, ce courant, fourni par une source auxiliaire, peut être donné aussi fort que l'on veut. Et voilà comment une oscillation électrique imperceptible dans l'antenne, se transforme en l'oscillation d'un courant de quelques centaines de volts. La sensibilité est conservée mais l'effet est immensénient amplifié.

Si vous disposez en série plusieurs de ces lampes à trois électrodes (filament, grille, plaque) de manière que la plaque de la première lampe se relie à la grille de la seconde dont la plaque, à son tour, se reliera à la grille de la troisième, et ainsi de suite, vous obtenez une amplification de l'effet hertzien pouvant le multiplier jusqu'à un million de fois. Ce coefficient était celui adopté par les ingénieurs du théâtre des ChampsElysées

Quel récepteur téléphonique refuserait d'enregistrer des variations d'intensité ainsi remises à la portée de sa grossière inertie?

En fait, le récepteur téléphonique disposé sur la scène jeudi dernier consistait en un appareil dit «< magna vox », tout à fait semblable à un récepteur ordinaire, sauf que ses dimensions sont plus grandes et que les spires de son électro-aimant sont parcourues par un courant de 300.000 volts.

Gargantua étouffant de colère et n'arrivant pas à prononcer distinctement, telle fut pour moi l'image pénible évoquée par ce « magna vox »>.

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Encore une fois, si je me laisse aller à donner mo impression, j'en demande pardon aux fervents de téléphonie sans fil et je souhaite, dans l'intérêt de k technique, que ces expériences se renouvellent fréques ment. Mais nous avions déjà le phonographe, le ciném le piano mécanique j'aimerais bien que la T. S délaissât une carrière aussi encombrée. Ses destinées utilitaires sont immensément plus vast que son esthétique. Que la Tour nous envoie chaque m tin un journal parlé; que la Bourse donne aux homm d'affaires, minute par minute, les variations de sa cote que les ingénieurs enfin perfectionnent la télémécaniqu et le nouveau fluide transformera la structure sociale de l'univers.

Mais veillons au danger de cette puissance.

Prenons un exemple: la guerre. Demain, chacun des adversaires pourra diriger à son gré, sans aucun risque, de monstrueuses aéro-torpilles à la mélinite ou aux ga et les diriger sur la capitale de son ennemi, sur tel point de cette capitale : la Banque ou le Ministère. Si l ennemis comprennent, avant toute expérience, que telles opérations guerrières se neutralisent, que l'offenvoilà, comprendront-ils ? Ne savait-on pas, dès 1914, que sive n'empêche pas la riposte, ils désarmeront. Mais la guerre ne pouvait que détruire ?

On ne saurait trop méditer ces choses. Que vaudrait un superdreadnought devant un sous-marin invisible, sans équipage, pouvant, à cause de cela, naviguer à de profondeurs insoupçonnées, tandis qu'il serait ding par un aéroplane, invisible lui aussi, à quelque dour mille mètres de hauteur ?

Ce ne sont plus là des visions à la Wells. Ce n'est pas un « anticipateur » qui lança d'Ostende contre le monitors anglais, au moment de la bataille des Fla dres, ce moderne brûlot automobile chargé de trinit toluol. Un aéroplane le guidait, et le monitor visé ent toutes les peines du monde à l'arrêter par un tir de barrage. Or, cela c'était hier.

Si, demain, l'homme n'assume pas la responsabilité morale de ses propres inventions mécaniques, s'il n'exige pas d'elles un rendement social optimum, il se pourrait que notre scientisme à tourniquets, antennes et ficelles de tous genres, nous ramenât aux errements du XIXe sièce du « stupide XIXe siècle ». Cette expression, un peu dur mais, à tout prendre, exacte, est celle de M. Léon Daude dans un article remarquable de la Revue Universelle.

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La science actuelle a besoin de recueillement plus que de réclame. Que ses ingénieurs ne s'imaginent pas connaître les « ondes » électriques parce qu'ils en o écrit les équations. Pour utiliser ces équations, ils sont obligés d'y introduire à tout instant le signe algébriq des imaginaires. Une telle nécessité constitue, à la fors un avertissement et un symbole. Une vibration électriq est absolument impensable d'une manière claire et tincte dans notre géométrie actuelle. Nous réalisons intelligiblement et sensiblement, la vibration pendulair ou encore la vibration élastique du diapason. La vie tion linéaire de la corde de violon s'imagine assez Nous commençons à être embarrassés dans la théor des houles, ondulations superficielles à deux dimension Nous expliquons la vibration sonore à trois dimensions au moyen de variations de pressions du milieu gazet Mais « l'onde électromagnétique » (ou lumineuse) exig pour une explication pleinement intelligible, les quatr dimensions de l'espace-temps d'Einstein. Or, cet espace temps, s'il est, mathématiquement, intelligible, n'est pas sensible à l'expérience: il échappe au sens commun. Ea sorte que l'ingénieur manipule et mesure avec précision de terribles purs symboles.

L'esprit, au lieu de s'enorgueillir du résultat méca nique, devrait chercher à vaincre l'humiliation de ne pas comprendre. Que c'en soit donc fini de la religion de la science: la culture scientifique y gagnera. JEAN LABADIE.

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