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goût à Brest, si les loisirs manquent pour aller jusqu'à Moscou.

Le maire a bien pu aller présenter les excuses de la municipalité marxiste au consul des Etats-Unis pour l'attentat de la semaine passée. Sa meilleure excuse aura été, sans doute, de rappeler au diplomate américain que les mêmes communistes qui lapidèrent les fenêtres de son consulat, formaient, il y a deux ans, la garde d'honneur du président Wilson à son départ définitif pour l'Amérique.

« Et moi aussi, je suis logicien », fait dire Goethe à Méphistophélès.

ALBERT KÉRAGNEL.

Un Apôtre: Marcelin Albert.

il prononce des paroles d'apaisement, après quoi il se rend au Palais de justice et il est incarcéré. Peu de temps après intervient la mise en liberté provisoire, préludant à la détente générale et complète. Alors s'ouvrait la phase résolutive de la crise viticole, au cours de laquelle la loi allait intervenir pour conjurer un fléau générateur de misère.

Depuis, sauf pour de courtes apparitions dans les colonnes des journaux, Marcelin Albert était resté silencieux. Dans une retraite où il évoquait certainement les souvenirs d'une période tragique, il s'est éteint parmi la naturelle mélancolie sans doute d'une vieillesse qui pouvait cependant se dresser fière et calme.

Marcelin Albert est mort: c'est un souvenir qui se dissipe, souvenir de grandes journées et de l'animateur La Littérature qui les pénétra de sa flamme.

L'apôtre du vin n'avait pas attendu la rude crise de 1907 pour sonner l'éveil. Il avait fait des conférences dès 1900 pour signaler le péril de la mévente. Sous son impulsion, les vignerons d'Argeliers avaient, dès 1905, accompli de publiques démarches pour sauver la vigne méridionale. Pendant deux ans, Marcelin Albert, infatigable, multiplie ses ardentes interventions. En février 1907, il se hausse à un rôle plus large quand il télégraphie au président du conseil : « Le Midi se meurt. Au nom de tous, ouvriers, commerçants, viticulteurs, maris sans espoir, femmes prêtes au déshonneur, enfants sans pitié, preuve fraude est faite. La loi du 28 janvier 1903 la favorisa: abrogez cette loi. Voilà l'honnêteté. » Le 11 mars, ceux d'Argeliers vont déposer devant la commission d'enquête. De ce jour-là la croisade commençait. Elle avait son prédicateur à la parole enflammée et son apôtre à l'action résolue sa physionomie ascétique, ses yeux ardents, son regard qui semblait inspiré lui donnaient un aspect tout à fait original.

Alors va commencer la période des meetings encore présente à nos mémoires.

Successivement, Bize, Ouveillan, Coursan, Capestang, Lézignan, attestent la ferme décision de la viticulture en détresse de sortir de la situation cruelle de la mévente, dont la fraude est la grande responsable.

A Narbonne, les manifestations prennent un caractère plus ample: 50.000 personnes sont réunies, brandissant des pancartes où sont inscrites les revendications essentielles. A Béziers, plus de 150.000 personnes sont accourues et ce chiffre grossit démesurément, à Perpignan, à Carcassonne, à Nîmes, pour atteindre, à Montpellier, le nombre fabuleux de 500.000. Qui ne se souvient du spectacle historique de la cité, capitale du Languedoc viticole envahie par une foule vibrante? Nous revoyons encore Marcelin Albert, dominant la multitude, la haranguant parmi des acclamations sans fin, maître de l'heure, semblait-il, le sachant mais n'ayant pas cessé d'envisager le seul intérêt de la vigne dont la cause, à ses yeux, devait être finalement sauvée par les voies légales.

Ces journées marquent l'apogée de Marcelin Albert. Quelle que soit l'opinion qu'on se soit formée du caractère de ce simple paysan d'Argeliers, il faut rendre hommage à la simplicité démocratique de ce militant de la viticulture: il a secoué de leur torpeur les pouvoirs publics et les a contraints d'agir.

Le ministère Clemenceau fait arrêter les grands chefs d'un mouvement dont la nécessité de principe ne pouvait être mise en doute. Mais Marcelin Albert reste introuvable; depuis le 19 juin, les recherches sont infructueuses. Le 23, il va se constituer prisonnier au cabinet même du président du conseil. De retour à Argeliers,

Autour des prix

J'ai fait connaissance de M. René Maran l'an passé. C'est le jeune homme le plus aimable et le plus sympathique. Il était venu me voir pour me demander de lire le manuscrit du roman auquel l'Académie Goncourt vient d'attribuer son prix par cinq voix contre cinq (le président ayant voix prépondérante). Je ne manquai pas de le faire, et je fus frappé, d'une part, par l'intérêt de curiosité que présentait l'ouvrage et, de l'autre, par sa naïveté, au sens ancien du mot, par le naturel, non point tant de style que d'imagination (car on sent bien que M. Maran a lu nos bons auteurs, mais la ferveur, la ressemblance sans transposition de ses peintures frappent) avec lequel il exprimait ce qu'il avait connu au cœur de l'Afrique.

J'imagine, en effet, que bien peu d'Européens connaissent les mœurs de ces populations de l'Afrique-Equatoriale française qu'on nous montre dans Batouala. Et si quelques «< pionniers de la civilisation » ou quelques explorateurs nous ont peut-être décrit ces peuplades de Bandas, ç'a été, certainement, soit d'un point de vue scientifique, ethnologique, géographique, que sais-je? soit d'un point de vue commercial et pratique; ce n'a pas été d'un point de vue de romancier. M. Maran n'est pas un savant ni un commerçant; il est un romancier. Il a vécu auprès de ses modèles; il sait leur langage; il connaît leurs usages; probablement il n'est pas le seul. Mais il a pénétré leurs âmes, il a fait revivre celles-ci en lui et il nous les offre, telles qu'il les imagine et certainement telles qu'elles sont; et c'est la première fois qu'on nous montre ainsi les indigènes d'Afrique du dedans pour ainsi dire, qu'on nous exprime ce qu'ils sentent et ce qu'ils pensent, qu'on les prend pour héros d'un roman, au lieu de nous les faire voir du dehors, en nous décrivant leurs aspects et leurs mœurs pittoresques comme un décor; ainsi (oh! toutes proportions gardées!) Kipling a fait revivre les bêtes de la jungle déjà souvent décrites par les naturalistes. Aussi me parut-il, après avoir lu Batouala, que c'était là, à tout le moins, un document d'une valeur et d'un prix extrêmes.

Les noirs primitifs de l'Oubangui ignorent tout à fait notre pudeur. L'amour tient dans leur vie une grande place, puisqu'ils sont des êtres vivants; mais il n'est pour eux qu'un appétit sexuel auquel ils n'ont su ajouter encore aucun ornement. M. Maran devait les peindre ainsi; il l'a fait, crûment, et il a eu raison. Il avait même donné dans son manuscrit primitif certaines précisions de détail oserai-je dire techniques? - et employé quelques termes d'une inexactitude inutile, puisqu'ils n'étaient pas indispensables. Il n'y a eu qu'à

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le lui faire remarquer pour qu'il me permît de rayer ou d'adoucir légèrement quelques phrases. Les juges de l'Académie Goncourt ont montré que le livre n'y perdait rien.

En le recommandant, le 27 août dernier, aux lecteurs de l'Opinion, nous y signalions une sorte de ferveur qui émeut malgré qu on en ait. Et non seulement celle du romancier pour son sujet, mais encore une certaine ferveur d'apostolat. M. René Maran est un homme de couleur. Il a fait d'excellentes études au lycée de Bordeaux; il est à présent administrateur colonial; c'est un meilleur Français, et infiniment plus utile à notre patrie, que beaucoup de ses concitoyens. Mais s'il existe des René Maran, est-ce une raison pour conclure, avec le congrès de la race noire qui s'est réuni, il y a peu de temps, à Londres, à Bruxelles et à Paris, à l'égalité

intellectuelle des races humaines?

L'âme de tout être hur ain est en partie «< collective >>, c'est-à-dire qu'elle compte des sentiments, des instincts inconscients qui lui son. communs avec l'humanité passée et présente et qui la lient à celle-ci dans l'espace et dans la durée. C'est en ce sens qu'on peut dire que toute collectivité a une âme. Qu'une foule se forme, voyez naître son âme collective: ceux qui la composent deviennent aussitôt la proie possible de sentiments, d'impulsions, d'enthousiasmes, de paniques, de cruautés, etc., qui les étonneront dès qu'ils seront redevenus des isolés et dès que leur âme consciente et, pour ainsi parler, individuelle reprendra le dessus sur leur âme collective et inconsciente. Choisissez trois ou quatre mille personnes les plus intelligentes, réunissez-les dans une salle de spectacle, par exemple, elles réagiront à fort peu de choses près comme un public ordinaire. Un grand orateur, c'est essentiellement un homme qui sait parler à l'âme collective, qui sait toucher, émouvoir (c'est-à-dire, en ce cas, persuader), entraîner une foule, une assemblée; ce n'est pas du tout la même chose que d'entraîner un individu; chaque député peut s'en rendre compte lorsqu'il lit à part soi les morceaux d'éloquence qui l'ont troublé au Parlement. Et les foules ne se constituent pas seulement par la réunion des corps : elles se forment souvent d'individus séparés dans l'espace et dans le temps, mais dont l'inconscient répond de façon analogue. Ainsi, qui nierait que toute nation bien établie, fixée depuis un temps assez long ait son âme collective, son esprit national: qu'il y ait un esprit français, par exemple, un esprit anglais, un esprit russe, qui se manifestent dans la littérature, les mœurs, le langage à travers les siècles? et que, même, il y ait un esprit protestant, un esprit militaire, un esprit ecclésiastique, etc.? Toute collectivité a son âme à plus forte faison, les races ont la leur. Certes il est souvent bien malaisé de découvrir l'âme française dans un Français quelconque il n'en est pas moins vrai que l'âme française existe et qu'il y a, dans le passé comme dans le présent, certaines manières de sentir, de penser, de réagir qui sont proprement française.De même que la vérité générale et «transcendante », est sur un autre plan que les vérités particulières et que l'on peut blâmer le romantisme, par exemple, et goûter passionnément les œuvres romantiques; de même la collectivité est une chose, l'individu une autre, et nous ne pouvons pas conclure de l'une à l'autre. Si même M. René Maran, et une quantité d'autres hommes de couleur, mais considérés individuellement, nous paraissent ne différer nullement de nous psychologiquement, il n'en est pas moins vrai que la race dont ils font partie a son âme et sa psychologie qui ne ressemblent en rien à celles de notre race blanche. Or il faut le dire la race noire, même civilisée, en Amérique, ne s'est pas montrée jusqu'à présent l'égale de la race blanche à aucun point de vue, ni socialement, ni politiquement, ni intellectuellement; inutile d'insister sur une vérité que toutes les protestations en sens contraire

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n'empêcheront pas d'être évidente. Mais si même k collectivité des blancs est supérieure à celle des noin cela ne saurait nullement permettre à aucun individ blanc de se considérer a priori comme supérieur à u individu noir. Tout cela est pour moi évident.

D'ailleurs, bien qu'il annonce l'intention de prendr plus tard parti dans la « question nègre », M. René Maran se contente dans Batouala de déplorer certaine pratiques coloniales à l'appui desquelles il cite des faits et des chiffres troublants et affreux. Ils ne surprendront au reste pas trop. Que des Européens, parfois d'assez faible éducation ou au moins de culture médiocre, st trouvent par la force des choses munis d'un pouvoir d'empereur romain, et sous un climat amollissant, sans divertissements, c'est bien dangereux. La tyrannie absolue corrompt toujours: il faut une âme bien forte pour lui résister. On ne s'étonnera pas qu'elle ait été néfaste à bien des fonctionnaires et militaires coloniaux, qui étaient la proie d'un ennui écrasant. Ce qui seule ment est certain, c'est que les pires Français n'ont pas fait plus mal que les Anglais (au contraire) et surtout qu'ils n'ont jamais atteint, il s'en faut, les Allemands N'en doutons point pourtant : si M. René Maran donne suite à ses projets sans prendre la peine d'indiquer la très soigneusement et visiblement, ses livres seront dan gereusement exploités contre nous.

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M. René Maran étant présentement en Afrique, il n de soi qu'il n'a pas intrigué auprès de ses juges, et a le couronnant ceux-ci ont montré qu'ils ne se laissent toucher par aucune campagne de presse et par aucunes sollicitations privées. On le savait, mais ils l'ont ainsi rappelé. D'autre part, tout de même qu'en distinguant l'an passé un instituteur inconnu, M. Ernest Pérochon, le académiciens des Goncourt ont, cette année, en donna leur prix à un jeune fonctionnaire qui vit au cœur de l'Afrique, porté un coup fort propre à enchanter l'opinion publique. Reconnaissons en effet qu'en procédant ainsi, ils font exactement ce que l'on attend d'eux: révéler les talents nouveaux, et qu'en outre leurs candidats doivent frapper l'imagination. De tels choix ne pourront que rendre l'Académie des Goncourt plus populaire. Naturellement, cette considération est fort loin de l'esprit des Dix. Mais elle n'en est pas moins

exacte.

Il y a trois semaines, nous rendions compte ici de l'Epithalame, de M. Jacques Chardonne (1), qui a obtenu le même nombre de voix que Batouala, et nous nous promettions de revenir sur cette œuvre qui est d'une grande importance par sa nouveauté esthétique, comme par la valeur des observations sur lesquelles elle est fondée, plutôt que par sa réussite. Ce ne sera pas encore pour aujourd'hui. Je voudrais plutôt signaler d'autres romans qui auraient été fort dignes de l'honneur du prix Goncourt, et notamment la Cavalière Elsa, de M. Pierre Mac Orlan (2), qui, lui aussi, a obtenu cinq voix sur dix à l'un des tours du scrutin.

M. Mac Orlan s'est créé la spécialité du roman d'aventures. A vrai dire, tous les romans sont d'aventures; et l'idée même que M. Mac Orlan se fait du genre le montre, car elle a beaucoup varié. Au début, M. Mac Orlan prenait à la blague son propre goût pour les his toires d'aventures, comme si cette survivance des préfé rences de son enfance était une curiosité qu'il fallait faire excuser en la plaisantant le premier: de là ses premiers récits qui sont humoristiques (La Maison du retour écœurant; La Chanson de l'équipage). Puis il prit confiance et esquissa une apologie ironique et une théorie du genre (Petit manuel du parfait aventurier),

(1) Stock éd.

(2) Nouvelle Revue Française éd.

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fit paraître A bord de l'Etoile matutine. Je dois dire ue j'avais cru, en lisant ces tableaux de piraterie, ces scènes de genre » maritimes, ces portraits de genlshommes de fortune, réunis par un lien assez lâche, ue si l'action principale manquait (le milieu étant paraitement rendu), ce n'était pas exprès. Mais pas du out. On voit par Léonard et Maitre Jean Mullin, qui uivit, comme par la Cavalière Elsa, que M. Mac Orlan rétend fournir à son lecteur un cadre, un champ probice à la songerie, et lui laisser le soin de proonger, d'achever, de rêver l'action à sa guise. Au noins il y réussit fort bien, et il faut avouer que la avalière Elsa crée dans l'esprit de celui qui lit le ivre une impression trouble fort propre à mettre en ranle l'imagination (quand on en a). Les caractères es personnages sont comme inachevés. C'est fort rafné.

Si l'on n'a pas couronné l'an passé Ariane jeune fil usse, de M. Claude Anet, qui est un délicieux roman, I ne pouvait être question d'élire cette année Quand la erre trembla... (1). C'est là surtout un recueil de souveirs des débuts de la révolution russe, fort vivants, il st vrai, mais où manquent justement l'invention pro prement romanesque et les délicieuses silhouettes l'Ariane. En revanche, et puisque Louis Codet (2) et Louis Hémon (3) sont morts, et que le règlement porte que le prix doit être décerné à un auteur vivant, je suis surpris que l'on n'ait point parlé davantage de M. Louis Chadourne dont le roman est tout à fait remarquable (4). C'est aussi un récit d'aventures, mais bien différent de ceux de M. Mac Orlan. Si M. Chadourne évoquait quelque souvenir, ce serait celui de Stevenson. Nul doute que nous ne le retrouvions bientôt.

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Les dames chargées de distribuer le prix Femina au nom de la maison Hachette ont élu M. Raymond Escholier, attaché au cabinet de M. Briand et conservateur du musée Victor-Hugo.

Cantegril est l'histoire d'un joyeux aubergiste du Midi, bon buveur, farceur, paillard et trousseur de filles. Certains chapitres ressemblent un peu à des fabliaux du moyen âge et à des contes « gaulois ». Ils sont d'ailleurs de la bonne grâce et de l'aisance. Mais le livre ne va vraiment pas très loin. Au reste il n'y prétend pas.

Celui de Mlle Pernette Gille, que nous signalions il y a quelques mois, et qui a obtenu dix voix sur onze, est plein de grâce et de finesse (5). Les dames du prix Femina n'ont pas voulu couronner une femme c'est dommage. JACQUES BOULENGER.

Le Théâtre

"Aimer" - "Lorsqu'on Aime" - "Chéri"

Aimer vient de remporter un vif succès à la ComédieFrançaise. Ce titre est assez vague, M. Paul Géraldy y tenait cependant, pixisqu'il lui fut disputé et qu'il l'a maintenu.

Trois personnages seulement, le mari, la femme et l'autre.

Qui dit sujet éternel, dit aussi sujet rebattu. On aime de mille façons différentes, mais, pour ainsi dire, toujours en pensant à soi; les personnages de M. Paul Gé(1) Bernard Grasset éd.

(2) La Fortune de Bécot (Ed. de la Nouvelle Revue Française; voir l'Opinion d'avril 1921).

(3) Maria Chapdelaine (« Les Cahiers verts » sous la direction de D. Halévy; B. Grasset éd.).

(4) Terre de Chanaan (A. Michel).

(5) Mon amour (A. Michel éd.).

raldy n'y manquent point, les manifestations de l'égoïsme diffèrent, le fond demeure. La pièce a plu et plaira longtemps, parce que tout le monde peut la comprendre et aussi à cause de l'élévation apparente et voulue des caractères. Je dis, apparente, car leurs résolutions à tous trois sont dictées par la plus naïve préoccupation d'eux-mêmes, et voulue, parce que l'un d'entre eux au moins, le mari, vise au sublime et croit y atteindre.

Hélène et Henri sont mariés depuis dix ans. Ils s'aiment toujours mais d'une affection tranquille qui, sans doute à cause de cette tranquillité, ne semble pas revêtir un caractère d'éternité.

Hélène s'ennuie, son mari pour la distraire introduit chez lui son ami Challange. Celui-ci s'éprend de la jeune femme et lui propose de l'épouser, si elle veut bien divorcer.

L'imprudence de l'époux est un peu trop classique! Il me semble qu'un mari, dépeint comme très intelligent, pouvait inventer autre chose pour amuser sa femme. Il faut bien croire qu'un instinct secret l'avertit que ses ressources personnelles sont épuisées, puisque Hélène est lasse la première; aussi, très inconsciemment passet-il la main... il en est temps.

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Cependant, Hélène, dont l'esprit n'est point préparé à semblable aventure, Hélène s'affole devant le sentiment nouveau qui l'envahit, il y a lutte et lutte déchirante entre l'instinct brutal qui lui dicte de tourner la première page de sa vie et la raison, les idées dont on l'a pétrie, qui lui conseillent de ne point le faire; elle veut aimer son mari, elle l'assure à Challange, comme si l'on aimait exprès, tandis que celui-ci lui affirme que le changement est la loi du bonheur, qu'il faut connaître tous les pays, l'Asie, l'Afrique, que sais-je? Il use de bien pauvres arguments, car le changement ce n'est point le bonheur, ce n'en est que la recherche... Toutes ces banalités suffisent pourtant à troubler une femme qui a vécu à la campagne; Hélène subjuguée, éblouie, va se décider à suivre Challange.

Henri s'étant aperçu des sentiments d'Hélène, lui offre de choisir entre lui et Challange : elle est libre, il ne la retiendra pas malgré elle. Un tel procédé peut sembler généreux, mais le rôle d'Henri est si maladroitement et si brutalement conjugal, il est tellement dénué de toute tendresse, de toute douceur, que l'on comprendrait assez bien qu'Hélène ne décidât point en sa faveur. Seulement, Challange possède exactement les mêmes défauts, il ne dit point une parole qui ne présage des discours tout semblables à ceux d'Henri, et sans doute dans moins de dix ans ! Le second acte se termine cependant par la séparation décidée des époux. Henri donne vingt-quatre heures à Hélène pour faire ses malles.

Troisième acte. Hélène est seule chez elle et réfléchit. C'est le soir. Challange survient, il entre par le jardin, il prétend l'emmener immédiatement, mais tous les souvenirs d'Hélène sont là qui la retiennent, toute sa vie passée, toutes ses habitudes, son mari dont elle connaît

les qualités et les travers, toutes les certitudes en somme de son existence se dressent devant elle; Challange, c'est le risque, c'est l'inconnu, ce n'est sans doute pas le bonheur. Cette scène est belle, c'est la plus émouvante et la mieux venue. Hélène est une femme honnête et ordinaire; elle a vécu abritée, protégée par son mari: elle fera son devoir et restera chez elle. Ceci est conforme à sa nature et c'est la solution la plus facile qu'elle choisit. D'ailleurs le personnage de Challange est si effacé, si peu attrayant, que la résolution d'Hélène paraît sage. Quant au mari, il ne semble pas qu'on lui fait un grand sacrifice, il accueille sa femme comme une coupable et lui parle avec une dureté qui ne semble pas la choquer beaucoup.

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Le rideau tombe sur un geste symbolique d'Henri

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rallumant le feu. Le foyer est intact... pour combien de temps ?

Le public a fait un accueil chaleureux à cette pièce, un peu trop chargée de tirades et de banalités.

Mlle Piérat a donné un tel accent au personnag d'Hélène, son rôle est si important que l'on imagine difficilement ce que deviendraient ces trois actes, s'ils étaient privés d'une telle interprète. M. Alexandre est suffisant dans le rôle du mari, M. Hervé ne sauve pas celui de Challange qui est bien ingrat. Les décors de M. Drésa, surtout celui du second acte, sont fort jolis.

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Lorsqu'on aime, joué en ce moment au théâtre du Gymnase, nous montre un homme mûr, trop mûr même, marié depuis peu de temps avec une très jeune personne. Celle-ci a rompu, pour épouser le duc de Valore, avec le jeune et charmant Jacques Bréhant.

Son ex-fiancé devient son amant.

Cependant, une Américaine belle et milliardaire se toque de Jacques Bréhant. Celui-ci ne songe point à refuser ce Pactole et veut rompre avec la duchesse pour épouser Mme Darche.

Inconsciente et égoïste selon l'usage, la duchesse de Valore menace de se suicider, parle de « son » bonheur, de « son amour », de « sa » vie brisée, sans d'ailleurs songer une seconde qu'elle a, jeune fille, plaqué Jacques pour épouser le duc. On est même un peu étonné qu'il ne le lui rappelle pas.

Cependant le duc est fort épris de sa femme, il

n'ignore point sa liaison, il la supporte... Il a malgré cela encore quelques petits plaisirs. Aussi, lorsque son frère, le vieux général, veut lui ouvrir les yeux, il lui répond « Je sais ». Le vieux militaire en demeure stupide.

Le duc, ayant appris le mariage probable de Jacques Bréhant, va chez lui et le menace de lui brûler la cervelle s'il n'épouse pas la duchesse à laquelle il veut rendre sa liberté. Celui-ci affirme qu'il n'est pas l'amant de Mme de Valore. Aussitôt la duchesse paraît et avoue. Le duc s'en va. Sa femme restée seule avec Jacques, se rend compte qu'elle n'est plus aimée, que les dollars

américains existent seuls pour Bréhant. Ecœurée elle s'enfuit, décidée à ne le revoir jamais.

Le dernier acte se compose d'une seule scène entre les deux époux qui se réconcilient en pleurant.

La pièce est assez bien jouée par M. Arquillière et Mme Jeanne Provost, les autres interprètes sont suffi

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Avec Aimer nous étions chez des bourgeois, gens timorés qui ne cèdent point aux tentations. Lorsqu'on aime nous a transportés dans le plus grand monde où l'on préfère le repentir aux regrets; Chéri se passe dans ce qu'on est convenu d'appeler le demi-monde où l'amour se pratique autant comme agrément que comme métier.

Chéri, comédie en trois actes par Mme Colette et M. Léopold Marchand, représentée au théâtre Michel, est tiré du beau roman de Mme Colette

Le premier acte est charmant. Nous voyons Chéri, fils de Mme Peloux, adopté, gâté, entretenu par Léa qui est une amie de celle-ci. Nous apprenons que le jeune Chéri est méchant, paresseux, et assez pratique. Un de ses amis, sardonique et envieux, Dumond, est bien silhouetté par M. Maurice Bénard. La scène est amusante et observée. Cependant, survient la mère Pe

loux. Elle déteste Léa qui a gardé un aspect presqu jeune. C'est une mauvaise nouvelle qu'elle qu'elle apporte aussi sa joie perce-t-elle à chaque phrase: Chéri va s marier; Chéri est riche et va épouser la fille d'une aut demi-dame dont la réussite ne fut pas moindre que ce de Mme Peloux. La jeune personne est charmante, chement dotée... Léa fait front, paraît ne tenir nulk ment à Chéri.

Second acte. Le rideau se lève sur un tableau d'ur irrésistible drôlerie: les trois vieilles amies de M Peloux jouent aux cartes. Mmes Ellen Andrée, Jeanr Cheirel, Madeleine Guitty et Rachel Hoffman ont réz lisé un ensemble d'une cocasserie et d'une laideur inouies On attend le jeune ménage. Le voici. Tout de suite Edmée trouve la maison antipathique et la scène entre elle et Chéri qui commence amoureusement, finit par une discussion violente. Chéri a regretté les gâteries et la bonté de Léa depuis qu'il en est séparé; sa femme est une enfant, il est trop égoïste pour se contenter de son inexpérience pleine de gentillesse et de bonne volonté. Lorsqu'elle s'avise de montrer un peu de jalousie au sujet de Léa, Chéri s'enfuit en claquant les portes et va rejoindre sa Noune comme il l'appelle. Là il retrouvera la tendresse intelligente et complaisante dont il a besoin.

Léa, tout en portant très beau, a souffert. Elle hésite à accueillir Chéri ; cependant son amour est le plus fort et elle ouvre encore une fois les bras à son mauvais enfant. Edmée qui a toute l'audace de la jeunesse, ar rive au milieu de la nuit chez Léa, celle-ci la reçoit d nie la présence de Chéri. Edmée refuse de la croire e réclame son mari, d'abord avec douceur, ensuite ave violence; Léa comprend qu'elle ne pourra lutter da vantage, qu'il faut se résigner à paraître ce qu'elle est une vieille femme. Chéri repartira avec Edmée et to bourgeois dont ils ont le caractère. deux fonderont sans doute une de ces famille de

La pièce n'a pas l'âpreté du roman. Les auteurs ont développé la partie sentimentale et adouci quelques angles; telle qu'elle est, elle a plu et le mérite. L'inter prétation est très bonne, Mmes Jeanne Rolly, Jeanne Cheirel et Germaine de France, MM. Armand Bour et Pierre de Guingand, sont justement applaudis chaque

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A mesure qu'on entend plus souvent une musique déjà connue, on reconnaît mieux l'extraordinaire pouvoir de l'exécutant sur l'œuvre qu'il interprète. Ces transfor mations sont la forme la plus générale de l'intérêt qu'o peut prendre aux concerts. Elles donnent un plaisir de curiosité, irritant et mélancolique. On voit les belles ma ses captives danser au gré de celui qui commande, et changer de visage, dociles et indignées.

Il était fort curieux, par exemple, de comparer la façon dont M. Koussevitzky, par exemple, dans un des beaux concerts qu'il a donnés à l'Opéra, a conduit l'ouverture d'Egmont, et celle dont M. Pierné, au Châtelet a conduit, samedi dernier, la cinquième symphonie. Ce qui donne le caractère au jeu du chef d'orchestre russe c'est le parti-pris de considérer chaque fragment de l'œuvre, chaque incise, chaque motif, comme un être vivant et doué d'expression - et de porter cette expres sion à un maximum d'émotion. Observez une simple suite de séquences: pour un chef d'orchestre français a ne sera guère qu'un motif qui se répète à la façon d'une grecque dans une bordure ou d'un bouquet sur une étoffe. Pour M. Koussevitzky, chacune de ces séquences a une voix propre ; c'est un cri, qui ne se confond ave

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aucun autre ; et cette voix doit sonner pathétiquement. | Ainsi, comme dans la vie, rien ne se répète. Un esprit d'individualisme et une ferveur lyrique animent toute l'interprétation.

Celle de M. Pierné est exactement opposée. Je parle surtout ici de l'allegro qui fait le premier mouvement. Que reste-t-il de ce tragique appel? Que reste-t-il de cette éloquence, pressante, de ce discours émouvant qui est le propre du langage beethovénien ? Jamais la musique n'a été si près de la parole. Au Châtelet, au contraire, on croirait que ce grand homme n'a rien à nous dire, et qu'il s'amuse à tracer en ondes sonores les formes d'un dessin vide. Essayons d'éliminer la part qui revient à l'orchestre, lequel a été très mou et très savoureux. Mais il y a certainement aussi une intention de celui qui le dirige. Là aussi, il y a dès le début un développement en séquences. On dirait que, tout au contraire de ce que nous avons entendu à l'Opéra, il y a cette fois un parti-pris d'enlever à chacune sa signification musicale et pour ainsi dire personnelle. Le thème initial lui-même a perdu son accent pathétique pour n'être plus qu'une certaine figure et ligne musicale. Et l'exécution continue, c'est vraiment le cas de le dire, en retirant à l'ouvrage tout le sens profond qu'il peut avoir. Là où le chant, perdant son caractère saccadé et nerveux, s'allonge avec un emportement passionné, l'orchestre du Châtelet en fait quelque chose de gracieux, de ballonné et d'indifférent. Le musicien a écrit une ode, l'orchestre joue un ballet.

L'erreur est d'autant plus significative qu'elle est très fréquente chez les interprètes français des classiques allemands. Il y a chez nous une tendance à tout ramener aux lignes et à redessiner Beethoven dans l'esprit de M. Ingres. Les Allemands se gardent bien de commettre cette erreur. Elle est d'autant plus singulière que le lendemain, le même orchestre a donné une exécution magnifique de la Symphonie de Franck: une exécution vivante et ressentie et d'un style pathétique juste le contraire de l'interprétation de la veille. Je ne parle pas des fragments de Berlioz qui étaient au programme. Les instruments les jouent tout seuls, avait la fougue que - Colonne avait donnée à son orchestre.

Il y avait, au concert du samedi, une partie du programme qui était singulièrement amusante. M. Pierné y avait réuni quelques exemples de l'humour musical. Le premier était une plaisanterie musicale pour quatuor et deux cors, de Mozart. C'est un morceau charmant et divertissant. Autant qu'on puisse s'en rendre compte par une seule audition, il me semble que le comique musical vient là d'une double origine. Il y a d'abord toute une part d'espièglerie, gargouillades des cors, fautes d'harmonie, et, pour cadence finale, l'accord saugrenu qui terminerait un concert de chats. Il y a ensuite un amusement de parodie, qui est de l'essence même du comique musical. C'est une sorte d'« à la manière de »>, où le développement vide est raillé avec beaucoup de grâce on dirait un petit vieux concerto, si petit, si vieux, si falot, un fantôme de concerto qui se met à jouer tout seul au fond du passé, avec le calme profond des ombres qui sont mortes depuis très longtemps, et qui ne sont pas pressées. Et comme l'auteur de cette blague est tout de même Mozart, tout à coup, comme malgré lui, un flot de musique vivante envahit cette ombre, dont le cœur se met à battre.

Ce rôle de la parodie, ou, plus simplement, de l'imitation, nous le retrouvons chez la plupart des comédiens vraiment bouffes ; l'Etoile, de Chabrier, dont on donnait samedi l'ouverture, est une satire de la musique d'opéra du milieu du siècle ; et toute l'œuvre de Claude Terrasse est animée de la même verve railleuse. Mais, au fait, comment la comédie musicale ne serait-elle pas fondée sur l'imitation ? Toute la musique repose sur cette base. Et comment en serait-il autrement ? Cet art fugitif où

chaque moment efface le précédent, ne peut donner l'idée d'une suite et d'un ensemble qu'en rappelant dans la minute présente la minute enfuie. L'imitation, l'appel au souvenir, si l'on veut, est sa suprême ressource contre cettre destruction immédiate, constante, d'une mesure par la mesure qui la suit. Et en s'amusant à la parodie, la musique cherche les raisons de son rire dans ses propres raisons de vivre.

M. Pierné a complété ce programme par les charmantes petites Pièces montées de M. Erik Satie .C'est le mélange le plus vivant de grâce, de cocasserie et d,humour. Il y a un dialogue de deux instruments, certainement le mâle et la femelle, qui se racontent des choses, et qui échangent des motifs, d'une façon humaine, trop humaine, comme dit Nietzche. Il y avait aussi des plaisanteries de M. Stravinski. Mais j'avoue qu'elles m'échappent un peu.

Des œuvres que ces deux premiers mois de concerts nous ont fait connaître, la plupart sont d'une importance réduite. M. Koussevitzky nous a fait entendre une œuvre de M. Konagger sur le combat des Horaces et des Curiaces. On l'attendait avec curiosité, M. Konegger étant un des mieux doués parmi les musiciens nouveaux. S'il faut être sincère, je suis bien obligé de confesser ma déception. Il y a des qualités certes, mais représentez-vous l'apparence la plus révolutionnaire et la musique la plus classique un membre de l'Institut avec un faux nez. J'avoue que je ne comprends guère comment l'art s'arrange de cete discordance entre la forme et le fond. Faut-il un style nouveau pour ne rien dire de neuf ? Voilà du moins la première impression. Mais, enfin, je reconnais volontiers qu'il serait fâcheux de juger M. Konegger sur une partition, et cette partition même sur la foi d'un seule soirée.

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On a appris, dimanche, la mort de Camille SaintSaëns. Devant la tombe ouverte, tous les sentiments font place au respect. Celui qui a aimé son art a un caractère sacré. A ce moment solennel, la vie qui l'abandonne le remet à la postérité. Celle-ci jugera, autant qu'elle est capable de juger, c'est-à-dire avec bien des variations encore, des engouements passagers et d'injustes mépris. Mais enfin c'est à elle qu'appartient la sentence, et l'heure n'est pas à la critique.

Toute l'histoire de la musique est un long conflit entre ce qu'on pourrait appeler la musique formelle et la musique ressentie ou, si l'on veut, inspirée. C'est ce duel que Bach nous a montré entre Phoebus et Pan; et c'est de ce duel encore qu'est faite l'aventure des Maîtres Chanteurs. Or Saint-Saëns est un des maîtres, le plus grand, si l'on veut, de la musique formelle. C'est là ce qui empêche de souscrire à l'opinion qui fait de lui on l'a imprimé le plus grand musicien français du XIX siè cle, ce siècle qui a vu Berlioz.

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Cependant quand, à la fin des Maîtres Chanteurs, le peuple acclame la musique inspirée, Wagner lui-même, par la voix de Hans Sachs, prend soin de rendre justice au parti vaincu. Verachtet mir die Meister nicht, und ehret ihre Kunst. Ne méprize pas les maîtres et honorez leur art. Cette grave et belle parole revient à l'esprit devant la tombe de Saint-Saëns. Honorons un art si parfait. Celui qui disparaît a commandé au peuple immense des sons,. il les a connus et il leur a commandé. Il les a assemblés en motifs, qui se sont multipliés, assemblés, élevés à sa voix en édifices charmants et magnifiques. Il les a assouplis et disciplinés; et il leur a imposé les formes parfaites qui plaisaient à son génie ; il a ordonné les timbres dociles qui, sur son ordre, accroissaient leurs effets. Il a fait avec les mille voix de l'orchestre de grands temples frémissants, dont la majesté, même vide, assure sa mémoire; et il a été le bon ouvrier de son ouvrage.

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HENRY BIDOU.

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