Pour l'instant une situation fort trouble. Grisée par l'ascension momentanée dont je viens de dire la cause, la C. G. T. a commis la folie en 1920 d'enjoindre au gouvernement, sous menace de grève générale, de nationaliser les chemins de fer d'abord, puis les mines, les entreprises de distribution électrique, etc... La grève ayant échoué devant le bon sens de l'opinion et quelque fermeté des citoyens, le gouvernement a visé la C. G. T. au point vulnérable, l'inconciliabilité absolue entre ses actes réitérés et ses droits légaux, puis il a détendu son action devant la promesse des dirigeants d'évincer les bolcheviks. Le Congrès de Lille a donné quelques voix de majorité à M. Jouhaux et sans doute sera-t-il traité de bon Français pour avoir opportunément défendu son assiette au beurre. Que peut éprouver devant ce gâchis le citoyen soucieux d'évolution sociale pour le bien public du pays, mais mal placé pour juger par lui-même les lacunes ou défauts de la situation présente et les moyens d'y remédier ? Assurément son impression dominante sera que le problème d'aujourd'hui est surtout sinon exclusivement politique. Systématiquement confiant dans l'action gouvernementale, il excusera ses flottements, par les difficultés des conjonctures rencontrées et attendra que de nouvelles circonstances, nées du hasard, fournissent l'occasion d'une amélioration. S'il est soucieux de garder l'indépendance de son jugement et d'en faire usage, il pensera, en le déplorant, que la C. G. T. s'est donné comme programme de toucher à toutes les questions d'ordre social ou politique propres à entretenir ou à raviver la lutte des classes; qu'elle l'a fait dans un cabotinage éperdu au moyen de réunions publiques, d'allure assez violente pour forcer l'attention des salariés dissidents ou tièdes, et pour impressionner les citoyens non salariés; qu'elle se targue à tort d'incarner les tendances de la classe ouvrière, alors qu'elle ne tient mandat que d'une infime minorité; que dès lors l'opportunisme politique ne suffit pas pour excuser les gouvernements et Parlements successifs d'avoir traité la C. G. T. comme si elle était quelque peu qualifiée. Les trembleurs, les défaitistes d'hier diront qu'à tolérer les violences on évite les risques terribles de la répression. Peut-être, mais on encourage, ce faisant, les violences ultérieures, et ce n'est pas avec des tolérances et des compromissions, c'est avec de la fermeté d'attitude qu'on a coupé court, en 1918, aux velléités d'insubordination militaire qu'avait fomentée sinon la C. G. T., du moins son aile gauche. Et que pensera enfin le citoyen rêvant pour son pays d'un mieux social digne de l'effort qui lui a valu la victoire, s'il est à même d'y contribuer par une connaissance du fond des choses qui le soustraie à la suggestion des apparences ? Il pensera que si, dans les quinze années qui viennent de s'écouler, la C. G. T., cantonnée dans son rôle légal, avait groupé, non les violents parmi les salariés, qui sont une infime minorité, mais les bons citoyens tout court qui sont l'énorme majorité, il existerait chez nous comme en Amérique une fédération des travailleurs avec laquelle il serait possible de déterminer par une étude en commun la voie du progrès et de préciser les moyens d'y parvenir par étapes raisonnables. 11 si le progrès social doit pensera que être recherché par un conditionnement judicieux de la solidarité d'intérêts entre l'employeur et l'employé qui est dans la nature des choses et dans la tradition du pays, la solidarité verticale qu'il faut affermir a été cisaillée par les efforts de la C. G. T. en vue de créer artificiellement une solidarité horizontale entre tous les travailleurs qui est de l'utopie pure et simple dans l'ère présente. (A suivre.) La crise du logement La Chambre vient de voter le projet de loi sur les loyers. Elle avait dû abandonner la partie en juillet dernier, après une discussion si confuse que, personne n'y comprenant plus rien, on avait été contraint de s'en remettre au repos des vacances pour susciter la solution définitive vainement recherchée jusque-là. Certes, ce repos a été fécond, car on en est revenu avec 64 contre-projets et une centaine d'amendements. Autant dire que la Chambre s'est trouvée devant une situation encore plus trouble qu'au mois de juillet, et que le texte voté par elle ne manquera pas de lui revenir après avoir été sé rieusement amendé et remanié par le Sénat. C'est que la crise des logements qui règne à Paris et dans les grands centres depuis la guerre est maintenant entrée dans bonne volonté une phase critique que la combinée des propriétaires, des locataires et des pouvoirs publics se démontre incapable de conjurer. Les dispositions provisoires accumulées depuis quatre ans pour en ajourner la solution sont devenues elles-mêmes insuffisantes, et il faut bien se résigner à en finir. Aucune des solutions qui furent proposées jusqu'ici n'est satisfaisante, pas plus celle de la commission que les autres. M. Bonnevay l'a reconnu lui-même dans la discussion, à la séance du 18 novembre; mais il a ajouté : « Nous tournons en rond, finissons-en, il est temps de se prononcer! >>> La Chambre en effet s'est prononcée; la loi votée s'intitulera : « Loi portant fixation définitive de la législation sur les loyers ». Titre d'une dangereuse ambition! Quelle lor peut-être définitive, en cette matière, sinon le code civil xi-même? En réalité, le problème est trop complexe pour qu'on puisse se vanter de le résoudre par une loi; on se débat lamentablement au fond d'un cul-desac, soigneusement aménagé par les dispositions législatres exceptionnelles nées de la guerre, qui ont soustrait au eu normal et coutumier de nos habitudes sociales tout une série d'opérations juridiques; par malheur, ces opérations se trouvent être justement de l'usage le plus ourant-qui soit, tout le monde, ou peu s'en faut, étant propriétaire ou locataire. Pour mettre fin à cet embouteilage, il faudrait non seulement revenir au droit commu, mais remettre les relations entre propriétaires et locatires à la place qu'elles devraient occuper normalement dans la vie économique, conformément à la vieille lo immuable de l'offre et de la demande. Cette marcharlise fort courante qu'est le logement a été à un moment donné artificiellement soustraite à l'évolution des lois économiques, et maintenant qu'on se trouve acculé, sous peine des troubles sociaux les plus graves, à la fairerentrer dans le rang, on ne peut plus retrouver sa place ni lui faire rattraper le temps perdu. Avant la guerre, le nombre des locaux acants était très restreint, bien qu'à chaque terme beaucoup d'appartements fussent à louer; mais les échanges se faisaient facilement, grâce à l'appoint de ce petit nombre de locaux vacants qui permettait le roulement. Dès avant la fin des hostilités, tout a été occupé, soit par le réfugiés des régions dévastées, soit par les étrangers, sut surtout par les banques, les garages, les cinémas et les nombreuses Sociétés nouvellement formées auxquelles il n'est pas possible de refuser le droit de cité. De sorte qu'au jourd'hui l'embouteillage est complet, algré les plus récentes statistiques qui n'accusent qu'an accroissement infime de la population. L. C. D'autre part, l'augmentation cons aérable des charges de la propriété bâtie a contraint les propriétaires à éver considérablement le prix des loys, et à l'expirati 1 de chaque contrat de location les ccupants sont renacés soit de subir une majoration, ce leurs revenus, nsiblement diminués par la guerre ne leur permettent pas 6 de supporter, soit d'être jetés dans la rue sans pouvoir | mement liée au rétablissement de la situation économi trouver à se loger ailleurs. que générale. Les pouvoirs peuvent y pourvoir partiellement en favorisant les constructions d'habitations a bon marché, l'exode des populations ouvrières en dehors des grands centres, en aidant les œuvres philanthropi Pour parer à ce danger social très grave, puisqu'il atteint, depuis l'expiration du moratorium, les 3/4 de la population de Paris et des grandes villes, le législateur n'a rien trouvé de mieux que de suspendre artifiques qui consentent les sacrifices nécessaires pour loger ciellement la date d'expiration des locations; il s'est ingénié, dans une série de lois successives, à faire bénéficier de ces prorogations non seulement les locataires antérieurs à la guerre, mais toute une série d'autres plus - ou moins atteints par les conséquences de la guerre. - Puis, les échéances arrivant malgré tout, et aucune solution n'ayant été découverte, il a prorogé les prorogations, se proposant au moins d'échelonner les départs forcés, pour empêcher un soulèvement d'opinion. Em- barqué dans cette voie, il n'a plus de raison de s'ar- rêter. La loi actuelle, qui prétend être la dernière, recule encore les échéances jusqu'au 1er octobre 1924, en com- pensant le préjudice causé aux propriétaires par des augmentations de loyer, source de procès innombrables! Elle interprète le point de départ des prorogations non encore expirées dans le sens le plus favorable à leur durée, et l'article 1oo oblige les locataires à participer, à partir du 1er janvier 1923 aux charges et à l'entretien des immeubles. Cette dernière disposition semble avoir été prise bien légèrement! Elle aboutit à donner à chacun des locataires un droit de contrôle sur toute la gestion de l'immeuble qu'ils habitent, sur l'opportunité des travaux d'entretien, et même sur les contrats de location passés avec leurs colocataires. Autant dire qu'elle enlève au propriétaire la libre disposition de son bien, sous le contrôle des tribunaux, qui ne pourront jamais suffire à la tâche! Mais indépendamment de ces graves dangers, la loi projetée ne résout pas la difficulté. C'est, au même titre que les précédentes, une loi d'expédients, nécessitée par l'échéance des prorogations au 1er avril 1922. Elle les échelonne jusqu'au 1er octobre 1924... et après? Le résultat certain est une aggravation nouvelle de la crise; ute car cette crise provient non pas de la cherté des loyers propriétaires et locataires seraient vite d'accord sur ce point, s'il y avait un nombre suffisant de locaux vat cants, mais justement de cette pénurie de locaux vacants, autrement dit de l'impossibilité de satisfaire les besoins soit des gens sans logement, soit des locataires obligés ou désireux d'échanger leur appartement contre 아 S 1 un autre. Pour protéger les premiers, la loi est impuissante ; on ne peut songer à expulser les banques et les bureaux, ni -même, comme dans certaines villes d'Allemagne et de Bohême, à comprimer la population, en obligeant les occupants à se contenter d'un nombre de pièces déterminé. Il faut attendre que des constructions nouvelles s'élèvent dans les villes et les banlieues. sans bénéfice ou même à perte les classes pauvres. L'effort accompli jusqu'ici tant par le Parlement que par le département de la Seine et les municipalités est en tous points digne d'éloges, et se continuera. Mais pour satisfaire les besoins de la très grande majorité des victimes de la crise, c'est-à-dire de ceux qui cherchent à changer de logement, quitte à payer une augmentation raisonnable de loyer, le projet en cours me paraît absolument inefficace, pour ne pas dire fort nuisible, puisqu'il va juste à l'encontre du but proposé. Si nous ne pouvons entrevoir actuellement la possibilité d'une solution définitive, je croirais volontiers à l'efficacité d'un palliatif qui aurait l'avantage de respecter les droits et intérêts de chacun,en évitant de nouvelles lois d'exception : Il s'agirait de la création d'offices municipaux chargés, sous l'autorité et le contrôle désintéressé des pouvoirs publics, de mettre en rapport les locataires désireux d'échanger entre eux leurs appartements, et de faciliter les transactions avec les propriétaires, évidemment intéressés à changer de locataires pour augmenter les loyers. Ces offices joueraient le rôle des locaux vacants qui avant la guerre rendaient possibles les échanges, empêcheraient les augmentations exagérées, serviraient d'arbitres entre les parties, supprimeraient tous les intermédiaires sans scrupules, les marchands de meubles et les pots-de-vin, enfin régulariseraient par la publicité des prix le marché des loyers. La municipalité de Paris l'a si bien compris, sous l'impulsion du très distingué rapporteur général du budget départemental de la Seine, M. le conseiller FrançoisLatour, qu'elle vient de mettre un semblable projet à l'étude. Il faut en attendre, je crois, les meilleurs résultats. Toutefois, le vœu émis par M. Latour conclut à ce que << le Parlement autorise la création d'un office municipal des échanges de logements », par une loi réglant les conditions dans lesquelles les propriétaires pourraient être tenus de seconder son effort. Ne serait-il pas plus simple de créer sans intervention législative un organisme dépendant directement des autorités municipales ? Les intéressés trouveraient dans le Code civil et dans la législation sur les loyers les armes suffisantes pour contraindre les propriétaires qui, en s'opposant sans motifs légitimes aux échanges, commet. traient des abus de droit susceptibles d'être redressés par les tribunaux. Mieux vaudrait insérer dans la loi actuellement soumise à l'examen du Sénat une clause Pour les autres, plus on reculera les échéances, en enlevant aux gens l'intérêt qu'ils peuvent avoir à chercher ❘ lérée instituée par l'article 11 du projet. un logement à leur convenance, plus les échanges seront restreints. Plus on échelonnera les départs par petits paquets, plus il sera difficile aux expulsés de trouver à se loger ailleurs, et ils resteront où ils sont de gré ou de force. L'embouteillage sera encore intensifié, et par suite, les prétentions des propriétaires augmenteront pour les quelques locaux qui viendront par hasard à être libres. attribuant compétence de ce chef à la juridiction accé Alors, à quoi bon reculer encore, puisqu'il faudra un jour revenir coûte que coûte au droit commun ? En réalité, le problème ne peut pas être résolu par une loi. Il se résoudra de lui même quand le coût de la construction permettra de loger à des prix raisonnables le surcroît de population dans des immeubles neufs, et de rétablir la marge de locaux vacants nécessaires aux échanges. Ce jour là on reviendra automatiquement à l'application du droit commun. Mais c'est une perspective encore très lointaine, inti Par contre, on peut se demander si l'intervention de la municipalité ne préjudicierait pas illégalement aux droits des particuliers, notamment des agences de location, et si une loi ne serait pas nécessaire pour en consacrer le caractère d'utilité publique. Je ne le crois cependant pas. Les agences de location ont pour objet de faciliter la location des locaux vacants, moyennant une rémunération, et non de mettre gratuitement en rapport des locataires actuellement nantis, qu'elles ne peuvent atteindre faute de l'autorité et des moyens suffisants. Au reste, il s'agit d'organisations d'intérêt général, essentiellement temporaires et destinées à remédier à des perturbations nées de la guerre. Le Conseil d'Etat s'est maintes fois prononcé sur la question pour déclarer parfaitement valables des initiatives de ce genre. M. ARCHAMBAULT. LETTRES Feuillets de la Semaine Distribution de prix Deux heures; chez Mme la duchesse de Rohan. Les journalistes attendent dans un grand salon or et cerise ; quelques-uns toujours armés de leur parapluie. On fume. avec un grand Une dame agitée, châle espagnol vert indien par-dessus une robe noire, traverse la pièce très Ce n'est pas encore commencé. vite. Nous attendons toujours plusieurs de ces dames. » Aussi la salle du vote demeure-t-elle grande ouverte. Toutes les académiciennes de chez Hachette parlent à la fois. On se croirait près d'une volière. Ah! C'est un Ah! formidable qui couvre les pépiements. Deux nouveaux électeurs viennent d'arriver: « Nous sommes en retard, demandent-elles, surprises ? D La dame au châle vert appelle maintenant trois de ses confrères qui fumenti dans le cabinet de travail. Elles reviennent sans hâte, la cigarette aux lèvres et en traversant le salon or et cerise, prennent cet air d'imperceptible supériorité ordinaire aux très jeunes officiers qui circulent parmi des groupes de soldats dans une cour de caserne. Le comité est réuni. Nous avons entendu se refermer la porte de la salle de vote. Un reporter intrépide s'approche à petits pas et tend l'oreille. Mais il s'enfuit tout de suite. Une dame vient de sortir. Elle porte un manteau de fourrure que certain croit en léopard, un énorme collier de perles et elle sourit, elle sourit infatigablement, sans oublier de scrrer très fort sous son bras une liasse de papiers enfermée dans une reliure aux armes. Je suis obligée de partir, messieurs. Je vais faire une conférence aux Annales. Je suis la duchesse de Rohan, précise-t-elle. Un journaliste très grand de taille se précipite et tout à fait Comédie-Française : Duchesse, avez-vous quelques pro nostics? Il n'a pas dit Mme la duchesse. Je ne sais rien, je ne sais rien, répond la bonne duchesse. Vous m'excusez, Messieurs ? Comment donc ! siffle le gentleman qui tout à l'heure appelait Geffroy, Geoffroy. - Moi, dit quelqu'un sans rire, j'ai un tuyau. J'ai vu ce matin un photographe d'Excelsior ; il m'a confié quon avait déjà a cliché » Escholier. Il s'élève des protestations : Pierre Loti, Anatole France, Lavisse, Cochin, de Curel, Mgr Duchesne étaient absents, ainsi que M. Clemenceau qui, n'ayant pas encore été reçu, ne peut prendre part aux élections ; enfin deux voix manquaient encore, MM. pro-Jean Aicard et Boutroux étant décédés. La majorité requise pour l'élection était de 14 suffrages. Il se tait. Une jeune fille est entrée un papier à la main. Résultat du premier tour, clame-t-elle. Cantegril: 10 voix Avec les cinq du prix Goncourt, ça lui en fait six. Pardon, mademoiselle, Mlle Per nette Gille est-elle négresse ? Non, monsieur, c'est une blanche. Et comme une blanche vaut deux noires, elle aura le prix. Ah! Cantegril, insiste-t-on. Le joyeux garçon aux lumières fait une proposition. « Tout à l'heure, à la sortie, tous à l'Intérieur. On va aller le féliciter pour se payer sa tête. D On ne crie plus là-dedans ; c'est très grave, annonce un maigre jeune homme aux écoutes. Le secrétaire revient : deuxième tour: Cantegril: 10 voix Pauvre Chardonne ! Une jeune femme arrive du dehors en courant. Elle rit, ses joues sont rouges et une grande plume verte retombe sur son manteau de petit gris. C'est la charmante princesse Murat. Elle entre dans la salle du Conseil et en sort tout de suite, en riant plus fort. Et voici derrière elle, une dame, puis une autre dame. Elles lancent d'un ton de défi : Can Non, quelle blague ! Vous avez lu jeudi le successeur de Jean Aicard. son Cantegril, c'est pitoyable. Navrant! Au-dessous de tout! Oui, mais il est chef adjoint du président du Conseil. Hugo. Conservateur du musée Victor Victor Hugo l'a pistonné. Lumière ! crie un joyeux garçon qui tourne le commutateur et jette sa ci Après sept tentatives vaines, elle a ajourné cette élection sine die. MM. André Rivoire, Gustave Guiches et Camille Le Senne avaient retiré leurs candidatures. Restaient candidats MM. Abel Hermant., Louis Madelin et Georges de Porto-Riche. Vingt-sept académiciens seulement ont voté; MM. les maréchaux Joffre, Le prix Goncourt Un grand salon divisé en deux par une tenture. D'un côté derrière une table chargée de bouteilles d'eaux minérales, les académiciens. De l'autre des assiettes sales et les journalistes. Un maître d'hôtel fort cordial vous introduit en appuyant la main sur votre épaule. Et l'on attend devant ce rideau derrière lequel il se passe quelques chose. Par intervalle il s'entr'ouvre pour laisser passer un dixième de l'Académie. Ils sont très aimables ces messieurs. Léon Daudet s'empresse, Geffroy explique, J.-H. Rosny aîné plaisante. Oui. Messieurs, c'est un noir, un noir intégral, les revuistes de fin d'année ne nous en voudront pas. Ils pourront nous représenter avec un anneau dans le nez distribuant notre prix. Il avoue pourtant être désolé que Pierre Mac Orlan n'ait pu obtenir le Goncourt. « Il a du talent affirme-t-il. Alors, récapitule un reporter assis dans un plat d'endives, 5 voix à Chardonne, 5 voix à René Maran. Je ne comprends pas. Oui, ma voix compte pour deux précise M. Geffroy. Et timide, très gentil, en s'excusant presque: « je suis président. D Pour l'adolescence Une nouvelle collection vient de paraître sous ce titre Bibliothèque de l'ado lescence. Quatre volumes sont déjà « sortis » et qui comprennent chacun de larges coupures faites dans les œuvres de Henri de Régnier. André Gide, Edgar Poë et Mme Colette. Les directeurs veulent faire connaître au jeune public les écrivains qui ne figurent pas dans les programmes scolaires ; ce qui ne les empêche pas de tenir une place considérable dans la littérature de ce temps. R MB V Mais pourquoi les désigner sous ce nom les auteurs « vivants » ? Vivants entre guillemets est pris ici dans un sens que les lecteurs de la collection ne trouveront pas dans le dictionnaire ; et il ne faut pas s'en plaindre. Qu'importe, l'initiative est des plus heureuses. Ces livres en effet, qui sont de véritables anthologies : s'adressent aussi bien aux « grandes personnes qui n'ont pas le temps de tout lire. D'autre part, un curieux concours a été ouvert, il y a quelques mois, par un grand magasin de nouveautés et qui s'adresse, lui aussi aux adolescents. -Mais aux adolescents auteurs, capables même d'illustrer leur propres œuvres. Deux académiciens ont été chargés, avec plusieurs de leurs confrères, d'examiner ces envois. Quelques-uns, paraît-il, sont tout à fait intéressants. Plaignons quand même le pauvre petit lauréat qui va entrer dans les rangs des enfants prodigues. Qui se souvient aujourd'hui de cette jolie petite fille dont la gloire fut contemporaine de l'exposition de 1900 et qui, à dix ans ayant publié déjà plus de quinze brochures, sombra depuis dans le théâtre et finit enfin par dispa Le centenaire de Molière en Italie L'Université de Bologne s'apprête à célébrer solennellement le centenaire de Molière. Une cérémonie à laquelle sont invités, outre les autorités de la ville et de la région, l'ambassadeur de France, le ministère français de l'Instruction publique et nos principales Universités, aura lieu le 15 janvier prochain dans l'Aula Magna de l'antique Université. Le grand auteur comique français sera également commémoré par le Comité bolonais de l'Alliance française, par l'Université populaire et par le Cercle Universitaire où notre collaborateur, M. Henri Bedarida, chargé de cours à l'Université, présentera en une série de conférences les principaux aspects du génie de Molière. Au Salon d'Automne La seconde séance de cinéma au Salon d'automne eut le même intérêt que la première. On y retrouva toute l'activité de M. R. Canudo. La conférence de M.H.-A. Legrand sur l'état actuel de la production cinématographique française fut violente et pessimiste. Ce cri d'alarme quant aux conditions matérielles sera-t-il entendu ? On nous montra ensuite des fragments de films sur quelques thèmes choisis selon les formules esthétiques séculaires. Ainsi l'on put comparer les diverses manières de traduire un sujet analogue. L'idée était heureuse. Elle ne pouvait qu'être esquissée en ce lieu. Mais elle mériterait d'être reprise car c'est un excellent et probant moyen de propagande pour ce septième art qu'est le cinéma, ou qu'il veut devenir. C'est un des noms qu'on aura le plus prononcés pendant ce Salon d'Automne qui s'achève. Cela commence par une histoire, comme dans certains chapitres de Vasari : le petit garçon n'imaginait rien de plus beau que de peindre. Couvrir une toile avec des pâtes colorées lui semblait aussi prestigieux qu'au petit Pierre Nozière corriger des épreuves. Son père, un dimanche, le conduisit jusqu'auprès d'un étang où voguaient deux canards. L'enfant emportait un châssis préparé par lui-même et tendu d'un simple calicot. Il avait glané, qui sait où, quelques vieux tubes de couleur et des pinceaux. Le bleu qu'il mit sur la toile vit son huile bue et devint un affreux pâté dans un cerne abominable; et l'enfant pleura. Il avait beaucoup à apprendre. Patiemment il attendit la fuite des ans ; et quand il fut enfin adolescent rien ne prévalut contre son désir. Il faut qu'il vienne à Paris. Il faut qu'il entre chez J.-B. Laurens ; il faut qu'il pénètre chez Bonnat. Tant d'obstination le menait enfin aux Beaux Arts où des récompenses l'attendaient. Comme tant d'autres, c'est alors seulement, qu'en mauvais élève, il s'en fut un jour voir les impressionnistes de la salle Caillebotte, au Luxembourg. En sortant il ééait dégoûté de l'école. Barat-Levraux peignit à partir de ce moment quelques toiles, dont un beau portrait clair, nacré, vaporeux. La dame qui l'avait posé le refusa ; le peintre avait eu l'insolence de ne pas avantager encore le décolleté, qui par lui-même était pourtant fort honnête. C'est alors que Barat-Levraux fit une redoutable, mais inéluctable découverte : celle de Cézanne. Avec la fureur d'abjuration d'un néophyte, il répudia les claires blandices de l'impressionnisme. Il ramena la gamme de ses tons à quelques ocres, quelques terres, des veris sombres, un bleu. Jusqu'à ce moment, peinture caractérisait par le sombre recueillement, par le vigoureux ascétisme de aspect. Les gran sa des se son masses d'arbres, les troncs, les monts, les personnages, les perrons étaient indiqués par delarges taches d'un pigment épais et granuleux. Barat-Levraux alla très loin dans cette voie et, faillit s'y égarer. Ses couleurs toujours si chaudes par elles-mêmes, mais prises toujours sur le bas du clavier finissaient malgré la vivacité de chacune d'elles par laisser à l'œil un souvenir d'ombre, de force contractée, d'étouffement. Il retourna vers plus de liberté. De sa dernière campagne, en Provence, il rap porta des natures mortes, des poissons surtout, dont les volumes affilés ou aplatis en losanges miroitants lui fournirent l'occasion de toiles fort nouvelles. Barat-Levraux est rasé, correct, son œil se plisse et sourit, avenant, sa voix un peu métallique, sans le moindre accent, fait reconnaître en lui l'homme de la région de Blois, du vieux pays de Loire, affable et raisonneur. Elle s'élève, avec des inflexions amusantes, dans l'atelier vaste et sobre, bien or donné, bien harmonisé dans le gris foncé, un peu dur; du gris fer presque. ROBERT REY. wm Un musée Henner Notre excellent confrère M. Emile Dacier nous apprend dans le Bulletin de l'Art ancien et moderne (supplément, comme on sait, de la revue du même nom que dirige M. André Dezarrois), que la famille du peintre Henner a fait l'acquisition d'un hôtel, 41, avenue de Villiers, où elle se propose d'installer un important ensemble d'œuvres du maître. Oh! triomphe de l'Individualisme! Nous avions le musée Gustave Moreau; le musée Cazin vient de s'installer à Equihen. Nous bénéficierons donc bientôt d'un musée Henner. La gloire d'Henner y gagnera-t-elle? N'estil pas fort bien représenté dans le Luxembourg et suivant ses différentes étapes? La Liseuse de la collection Chauchard ne résume-t-elle pas avantageusement toute la fin d'une rière qui sombra dans une industrialisation un peu navrante ? Un musée Henner, en somme, pourquoi faire ? car Nul n'ignore que l'Allemagne, comme les grands prodigues, a un gros train de maison, et n'hésite pas à engager des dépenses productives, quand il s'agit de développer l'outillage national, et de développer la puissance industrielle du pays. Le rachat à caisse ouverte des réseaux d'Etat allemands par le Reich est une des preuves de la prodigalité du gouvernement d'Empire: en 1919, le gouvernement central, en rachetant les réseaux, endossait leurs dettes, qui étaient de l'ordre des dizaines de milliards. Depuis, la flotte de commerce, les ports, les mines les réseaux de chemins de fer ont trouvé dans le Reich un banquier complaisant, et peu regardant, qui n'hésitait pas à dépenser pour le compte du pays l'argent des réparations. Parmi les grands projets de canalisation dont l'exécution se poursuit, malgré les charges du traité, figure la jonction du Rhin au Danube par une voie d'eau à grande section qui emprunterait sur une partie de son parcours le Main canalisé. Les travaux vont commencer à bref délai. Une « Société par actions du Rhin et du Danube par le Main » vient de se constituer entre le Reich, la Bavière et les communautés intéressées. La voie, d'eau aura une longueur totale de 607 kilomètres d'Aschaffenbourg, point extrême de la navigation vers l'amont du Main, à Kelheim, sur le Danube, et de 707 kilomètres du confluent RhinMain à Passau, au voisinage de la frontière tchéco-slovaque. Elle sera accessible aux péniches rhénanes de 1.500 tonnes, et sa profondeur moyenne atteindra 5 m. 25. La première période des travaux comprend la canalisation du Main d'Aschaffenbourg à Würtzbourg et la régularisation du Danube entre Ratis- | bon et les machines agricoles représen- | campagne que vient de couronner, tent les trois quarts des importations. Puis viennent le papier, les grains de semence, les cuirs et chaussures, etc., et quelques locomotives. Aux exporta❘tions figurent surtout des bois et des bonne et Passau. Les dépenses relatives On voit que le Reich est le principal actionnaire; pour apprécier l'importance de sa participation, au point de vue des intérêts allemands, il suffit de savoir qu'on escompte une baisse de 46 0/0 dans le prix des transports des charbons de la Ruhr acheminés vers la Bavière, et de 70 0/0 pour les blés ache minés de Belgrade à Cologne, une fois terminés les travaux de grande envergure. La valorisation du café au Brésil Le pays qui produit 75 0/0 de la quantité de café consommée dans le _ monde entier serait fort désireux de contrôler les cours, et de lutter contre la baisse du café, par la « valorisation > de cette denrée (valoriser, c'est retirer de la circulation une certaine quantité de stocks, les entreposer, et émettre du papier-monnaie dont les stocks constituent la garantie). Par cet achat fictif, le gouvernement qui se charge généralement de l'opération, soutient les cours et fournit des disponibilités aux producteurs gênés par la mévente. Le projet brésilien de valorisation consiste à nommer une commission composée des principaux producteurs, qui consentira des prêts aux agriculteurs, retirera, au besoin, certaines quantités de café du marché, dirigera la propagande, réprimera la fraude etc... Une émission de papier-monnaie garanti par les stocks existants permettra le finan. cement du projet. C'est là de l'inflation déguisée : aussi la mesure menace-t-elle d'être préjudiciable au change brésilien, déjà mal en point. Cependant l'annonce du pro jet, dont l'application entraînerait une hausse factice des cours, hausse tempo raire sans doute, a provoqué de nom breux achats de la part des importateurs étrangers. Il est probable que cette fiè vre tombera vite. Le principal vendeur est l'Angleterre (32,6 0/0 de l'ensemble des exportations). Puis viennent, dans l'ordre, l'Allemagne et les Etats-Unis. malheureusement trop tard et d'une manière imparfaite, l'accord d'Angora, publie dans la Collection des problèmes d'aujourd'hui que dirige M. Alfred DE TARDE, le plus intéressant résumé de ce qu'elle a vu et de ce qu'elle sait sur les nationalistes turcs et Mustapha Kemal. C'est tout l'exposé de ce qui s'est passé en Turquie depuis l'armistice. Mme Gaulis est à peu près seule à le Français, et certainement l'unique femme de chez nous, qui soit allée à Angora. On aura une idée de la déchéance | savoir, étant à peu près seule parmi les profonde de l'industrie russe en comparant les chiffres de la production de fonte en 1913 (257 millions de pouds) et en 1920 (7 millions de pouds) soit à peine 112.000 tonnes. La Russie est retournée à deux siècles en arrière : sous le règne de Pierre-le-Grand, elle produisait 6 millions e tdemi de pouds de fonte. Au 1er avril 1921, les réserves de fer ne dépassaient pas le chiffre dérisoire de 9 millions de pouds, soi 144.000 tonnes, pour une population d'environ 130 millions d'âmes. Un grand journal anglais, l' Observer », évalue à 1 milliard 800 millions d'âmes le chiffre total de la population mondiale, qui continuerait à s'accroître. Sur ce chiffre, les Asiatiques comptent pour plus de moitié. Castagnol, par André LAMANDÉ. Ancien étudiant, devenu rôtisseur, Cas tagnol fait fortune; il fait aussi profession de mépriser les ouvrages de l'esprit. La cause de l'intelligence est défendue par M. Velinière qui est un membre de l'Institut ridicule et qui la défend fort mal. Son fils tombe amou reux de Huguette Castagnol et tout se termine comme vous pensez. Les personnages sont à dessein aussi conventionnels que ceux d'une pièce classique du dernier siècle. Cela permet à l'auteur une fantaisie qui est fort agréable. Et le roman, bien mené, est bien écrit. Poulos en Italie, par Louis LEFEBVRE (Renaissance du Livre). Un paysan français conte sa campagne d'Italie. On lui souhaiterait moins de naïveté apprêtée et des souvenirs Les faits les plus frappants que permettent d'établir les calculs, nécessaire- | plus pittoresques. Les « Virages de ment approximatifs d'ailleurs, du sta tisticien anglais, se trouvent être la congestion de l'Inde, de la Chine, et du Japon et le vide relatif de l'Amérique et de l'Océanie. En particulier, la population de l'Australie, qui ne dépasse pas 7 millions et demi d'individus, dont les trois quarts sont des blancs, est sensiblement la même que celle du grand Londres. La métropole est aussi peuplée que le dominion, et la ville de Glasgow compte autant d'habitants que la Nouvelle-Zélande. Au total, la population de l'Empire britannique s'élève à 447 millions d'âmes. Ainsi le quart des habitants du globe a juré fidélité à la couronne britannique, et 18 millions de blancs répartis dans les possessions anglaises, y compris les Boers, les Canadiens français, représentent notre race. C'est peu, et la répartition actuelle peut paraître paradoxale. On notera que le dernier recensement de l'Allemagne accusait 60 millions d'habitants; les Etats-Unis voient leur population s'accroître constamment, et le revenu par tête d'habitant y est le plus élevé du monde, de beaucoup. Fait qui apporterait une confirmation à la thèse de la caducité et du déclin de l'Europe. CE QU'ON LIT pouds d'exportation, soit 88.000 ton nes. Il n'est pas étonnant que la balance soit déficitaire, car la Russie est loin de produire assez pour ses besoins. Le char ROBERT FABRE. wwwm Le nationalisme turc, par Berthe GEORGES-GAULIS (Plon, 5 fr.) Notre collaboratrice, dont nos lecteurs ont la terre », qui font suite à sa narration, sont la meilleure partie du volume. Jean de Bilhères-Lagranlas- cardinal de Saint-Denis, par Charles SAMARAN. (Champion). La « Bibliothèque du xv° siècle» s'enrichit de cette étude sur un diplomate du temps de Louis XI et Charles VII. Le cardinal de BilhèresLagranlas mena la lutte diplomatique contre l'Espagne et joua un rôle impor tant dans la préparation de l'expédition d'Italie, avant de représenter le roi de France à Lyon. Cette savante mono graphie est d'une lecture très agréable. « amie ». П L'Angleterre et nous, par le colonel Charles GAUTHIER (Plon). C'est un livre sincère où l'auteur déplore que nous marchions comme on dit, à la remorque de l'Angleterre. Il établit un véritable réquisitoire contre notre montre fort clairement qu'elle n'a j mais poursuivi que son propre intérêt. sans porter la moindre attention as nôtre, depuis les préliminaires diplomatiques de la guerre jusqu'à maintenant, et toujours, et partout. Cela est fort exact. Mais le colonel Gauthier préco nise l'emploi de la « manière forte Hélas! c'est qu'il oublie qu'il faut pour le pouvoir utilement, être le plus fort, et nous ne le sommes pas, bies loin de là. Militaire, le colonel Gauthier ne tient compte que d'une force : l'ar mée. Il en est d'autres, économiques et financières, qui aujourd'hui commandent presque, sinon tout à fait, à la première. Il faudrait que le colonel Gauthier reprît la question de ce point de vue et conçût que les questions diplomatiques, par exemple, ne sont plus aujourd'hui, pour les trois quarts, que suivi dans ces colonnes la prophétique | des questions économiques et financières |