-17 décembre 1921 L'OPINION 683 Ix aussi, que l'homme fût le premier sujet de l'art, mais adroite et imprévue, tout cela est d'une grâce et d'une s n'exigeaient pas qu'il fût absolument le seul : et ils bonne grâce à la Charles Nodier. (Quelle injustice nous oûtaient littérairement, ils considéraient comme des faisons paraître, à mon avis, envers le délicieux auteur euvres d'art les Epoques de la nature ou les Entretiens des Sept châteaux du roi de Bohême !) uur la pluralité des mondes, tandis que M. Boylesve C'est que M. Boylesve possède ce don mystérieux araît peu disposé à admettre que la Cité antique ou de conter, sans lequel le plus beau style et les plus belles elphégor puissent être comparés esthétiquement à inventions du monde sont comme rien. Et il pourrait 1 adame Bovary ou au Lys rouge. Pour lui, l'art lit- être le romancier qu'il est sans être conteur le moins du éraire ne peut avoir un autre objet que l'homme, monde. C'est ici que la distinction du conte et du roet non pas vu objectivement et pour ainsi dire scientifi- man (1) prend toute sa valeur ; j'y tiens d'autant plus quement, étudié du dehors à la façon cartésienne des que M. Boylesve la fait lui-même : sur la liste de ses lassiques, jugé, dominé ; mais au contraire aussi subjec- propres cuvres, il a grand soin de séparer ses récits en ivement que possible, l'artiste tendant à se fondre à son romans et en contes, et ne croyez pas qu'il accorde pour sujet, à s'identifier à lui, à en épouser la vie. M. Boy- cela la moindre importance à leur longueur : la Leçon esve écrit que « les accidents de l'état social 'ou des d'amour dans un parc qui forme un gros in-12, il la moeurs, comme l'esclavage antique, la féodalité au moyen classe parmi les contes, et le Meilleur ami, qui n'est guère ige, ou le merveilleux scientifique de nos jours », et qu'une nouvelle, parmi ses romans ; c'est que M. Boyà plus forte raison les « découvertes scientifiques », lesve estime qu'il y a entre le conte et le roman une dif( n'ont de valeur [esthétique] que dans la mesure où ils férence de nature. Il a bien raison : elle est si certaine influencent notre manière de penser et de sentir », c'est-à- que beaucoup de très grands romanciers, tels Balzac ou dire qu'en tant que milieux, décors au seul et unique Zola, empêchés par leur temperament, n'ont jamais fait thème de la littérature qui pour lui est l'homme, et cela un véritable conte ; ce qu'on nommerait ainsi, ce ne donne à croire qu'il ne serait pas précisément disposé sont que des romans plus courts. M. Boylesve, lui, posà admettre, comme nos pères, que les Principes de la sède les deux veines. physique de Newton ou l'Esprit des lois sont des oeuvres Non seulement le Carrosse aux deux lézarits verts d’art au même titre que la Nouvelle Héloïse ou Paul et est un conte, mais c'est un conte moral. Pourtant il ne Virginie. ressemble guère à ceux du XVIII° siècle. Ce n'est pas Dites plus simplement que pour M.Boylesve les seuls qu'il ait moins de sens, il en a davantage au contraire, ou plutôt de plus complexes. Les contes de Voltaire ne Soin de l'art en prose (le théâtre à part), ce sont ceux qui pourraient être traités dans des romans, ou plus sont qu'idées habillées d'un très mince tissu qui les simplement que la littérature en prose, c'est le roman. voile à peine : ce sont des démonstrations logiques. On C'est bien naturel. Mais ne trouvez-vous pas fort agréa- ne supporterait plus cela aujourd'hui : on n'est plus si ble de voir un de nos meilleurs et même un de nos intellectuel . Il faut que l'action, les héros et les péripégrands romanciers protester contre le matérialisme de ties vaillent par eux-mêmes, et en dehors du sens absnotre littérature romanesque ? Ce qu'on appelle cou- trait, qu'on souhaite, sinon plus profond, plus, varié. Et ramment « la vie », c'est ce morne réalisme minutieux ma foi ce n'en est pas plus mal. qui a triomphé, durant si longtemps, et triomphe moins, Moi, ce que je préfère dans le conte de M. Boymais triomphe encore. Quand on vous dira d'un roman lesve, c'est frère Ildebert. Il figurerait fort, bien dans que « c'est de la vie », attendez-vous : l'Eau de Jouvence de Renan. 1° Que les héros en seront aussi instinctifs, aussi — Mais Gillette Tant-Mieux et Gillonne Tant-Pis élémentaires, aussi proches de la « nature » que possi sont charmantes. Et avez-vous remarqué que la seconde ble : petites femmes, hommes sans critique, enfants (on a toujours plus de choses à dire et à écrire que la presait la multitude des souvenirs d'enfance publiés actuel- mière ? lement) ; les âmes élevées, les hautes intelligences, les - C'est que le blâme inspire plus que la louange. consciences très lucides, « ce n'est pas de la vie »; En somme, la fantaisie de M. Boylesve est heu2° Que les milieux qui s'y trouveront représentés se reuse. Et c'est bien dangereux, la fantaise. A combien ront fort bas, non pas toujours dans l'échelle sociale, de romanciers n'a-t-elle pas cassé les reins ! mais dans l'échelle intellectuelle et morale ; C'est qu'ils étaient trop lourds pour elle. 3° Que le roman sera entièrement débarrassé de toute Louons donc M. Boylesve de pouvoir écrire Maderéflexion morale et même de toute remarque intellectuelle, leine jeune femme et le Carrosse aux deux lézards verts. de toute intervention visible de l'intelligence ; C'est un homme extraordinaire. 4° Que le plus noir pessimisme y règnera, et que tout JACQUES BOULENGER. 'y sera vu en noir. Aussi quel plaisir d'entendre M. Boylesve déclarer que « la véritable littérature est la littérature invraisem. Le Théâtre blable » ! Monsieur Codomat," « Voyons, dit-il, ne prenez-vous pas en pitié tous écrivains qui se donnent un mal affreux pour agences d'une ma. Je voudrais avoir un théâtre... je n'y engagerais nière véridique des séries compliquées de faits, lesquels, si comme acteurs que des auteurs dramatiques. C'est un bien imbriqués qu'ils soient, ne signifient rien du tout ? Que délice de les entendre jouer leurs pièces, pourquoi ne m'importent mille faits ingénieusement combinés qui ne four joueraient-ils pas aussi bien celles des autres? Nous Kissent aucune lumière à mon esprit, aucune émotion durable mon coeur ? Je vous en prie, croyez-moi : ce ne sont pas les avons M. Sacha Guitry, M. Jean Sarment et le dernier faits qui doivent être vraisemblables, c'est le sens qui se dégage né à la scène, M. Tristan Bernard. La troupe, dites-vous, des images présentées à vos yeux. Si je vous dis qu'aidé d'un manque de femmes... mais pourquoi n'userions-nous pas diable je soulève tous les toits de Paris ou de Madrid et vous de rôles travestis ? Certains auteurs s'en tireraient peutmontre la vie des hommes que ces couvertures abritent, le fait est nettement incroyable, mais ne nuit en rien au carac être assez bien... Dans l'antiquité, les femmes ne montère véridique de l'histoire... » taient point sur les planches, cela n'a pas nui aux chefs d'oeuvre qui sont parvenus jusqu'à nous. Les femmes Assurément ! Et on est heureux de cet idéalisme. ne se sont point gênées pour s'exhiber en page, en jeune En somme, ce conte du Carrosse aux deux lézards verts est fort réussi. La façon dont il débute, puis parler, la monnaie de leur pièce. Au régiment, au col premier; que les hommes leur rendent, si je puis ainsi dont ces remarquers préliminaires (sur lesquelles nous lège, on se passe très bien de ces dames et si la solend'appuyer bien lourdement) s'enchaînent au récit, puis celle dont l'histoire se déroule, légère et (1) ... Mais l'art est difficile, 1to série, p. 179 sq. 2 ces à m yenons. : nité des représentations n'est pas excessive, leur gaieté | jolis et les costumes de cette amusante époque sont écla . est souvent énorme. tants et variés. J'ai fort mal entendu la pièce de M. Paul M. Tristan Bernard nous a enchantés dans le rôle Fort que les interprètes bredouillent et je crois que c'est de M. Codomat qu'il vient d'interpréter au théâtre des dommage car les bribes de texte qui sont parvenues jus Mathurins. Quelle sobriété et quelle finesse ! Quelle joie qu'à moi m'ont paru remplies de fort bonnes et bells d'entendre un acteur parler comme s'il inventait ce qu'il choses. dit... et c'est qu'il a justement inventé son texte il y a CLAUDE ISAMBERT. un peu longtemps, voilà tout ! Je ne saurais trop louer M. Tristan Bernard d'avoir exclu de son jeu les gestes et la trépidation dont les professionnels abusent pour La Curiosité. . nous communiquer une gaieté ou une émotion qu'ils ne comprennent, ni ne partagent. Ils sont comme les gens Les poteries d'André Méthey qui sonnent nerveusement au téléphone, la demoiselle agacée ne leur répond jamais! Pas de communication, Si la qualité d'ancien est la plupart du temps celle telle est la sanction! Pour nous, public, ces expédients que recherchent avant tout les collectionneurs , la règle maladroits détruisent tous les effets sur lesquels un au souffre des exceptions. Non seulement les amateurs teur est en droit de compter et c'est ainsi, que, bien sou d'art moderne sont nombreux dans la peinture, la sculpvent, j'ai éprouvé une grosse déception en voyant repré- ture, la gravure, la médaille , le livre, mais encore les plus senter une cuvre que je ne connaissais et que je n'admi audacieux – et souvent les plus avisés — risquent des rais que par la lecture. incursions dans le domaine des objets d'art. Ils n'ont Monsieur Codomat qui est un brave homme est aussi pas toujours lieu de s'en repentir. gérant d'immeubles. Du moins les circonstances l'ont Leur récompense est double. Ils tirent de la pièce ozi fait tel. Il serait tout aussi bien un homme d'affaires et ginale et inédite un plaisir que les formes trop connus même un peu canaille si l'occasion lui en était donnée. du passé ne suffisent plus à leur procurer. Leur sensibiIl saisit l'unique cheveu de celle-ci, qui se présente sous lité s'émeut devant des recherches techniques où depuis la forme d'une fuite d'eau. Une jeune personne de vingt ans nos artistes décorateurs ont fait plus d'efforts meurs libres, mais de caractère tranquille, a obtenu créateurs que tous les pasticheurs du XIX° siècle. Ils ont d'habiter l'une des maisons bourgeoises que gère M. Co par assez rare j'en conviens – domat. Précisément celle qu'il habite lui-même. La salle de voir leurs acquisitions prendre une valeur de collede bain de cette jeune personne, inondée par la faute tion qu'il faut souvent plusieurs générations pour dondes tuyaux bouchés (et ceci regarde le propriétaire) ner aux objets d'usage. amène la visite de M. Codomat qui vient constater les position rétrospective au Musée Galliera vient de sa C'est le cas des poteries d'André Méthey, dont l'exdégâts. Clotilde qui a de l'ordre, a aussi des économies ; | vrir, source de regrets et d'envie pour . la respectabilité du gérant lui inspirant confiance, elle l'envie pour les uns, de satislui raconte sa vie et M. Codomat lui offre de s'occuper faction et d'orgueil légitime pour les autres. Une ving . de ses affaires. taine de collectionneurs ont suffi pour réunir cette Clotilde est la maîtresse d'un gigolo « plein de pèze » éblouissante sélection : un nombre à peu près égal n'a comme l'on dit dans ce milieu particulier. Codomat lui pas répondu à l'appel de Mme Méthey, qui a organisé cette manifestation d'art et de souvenir .C'est entre ces donne quelques conseils, car Clotilde ne sait guère tirer parti d'une situation aussi avantageuse. Peu à peu les amateurs privilégiés qu'est partagée aujourd'hui l'quvre céramique la plus personnelle, la plus variée , la plus rapports d'affaires prennent un autre caractère et Clo abondante des temps modernes. Je ne parle pas des tilde devient la maîtresse du gérant. Mme Codomat ferme les yeux, ayant constaté que musées, qui ne possèdent que des pièces ordinaires on les affaires de son mari vont beaucoup mieux depuis atteignent le prix des Palissy pour en faire l'acqua n'en possèdent pas du tout, et attendent que les Méthey qu'il s'occupe de celles de la dame de l'entresol ; quant tion. au gigolo, il finit par s'éprendre de la fille de Codomat. Ce n'est pas sans intention.que je rapproche le non Celui-ci qui ne s'en doute point lui déconseille le mariage et lui représente qu'il ne peut abandonner la déli du potier de Saintes de celui du potier d'Asnières Non que je les mette sur le même plan cieuse Clotilde. Mlle Codomat apprend à son père que cérité, ce n'est ni les coquilles, ni les poissons puérik c'est elle la fiancée hypothétique. Aussitôt, ému par les ment moulés par l'inventeur des « rustiques figulines ? larmes de sa fille, le bon, l'excellent père de famille de Catherine de Médicis que je préfère — mais je leur essaie de persuader Clotilde d'aller se régénérer en pro- trouve d'autres points communs, qu'il me plait ici de vince. Celle-ci n'y tient pas du tout lorsque le gigolo, faire ressortir. toujours généreux, annonce qu'en la quittant, il lui laisse La même devise aurait pu leur servir : « Povreté et 30.000 francs de rente. Décidée à rester à Paris, Clotilde pesche les bons esprits de parvenir ». Si Méthey n'a pas prend en souriant cette rupture dorée, tandis que M. Co- brûlé son mobilier pour chauffer son four, trois fois, à domat songe à corriger son gendre de sa folle prodi- ses débuts, l'indigence le contraignit à lâcher l'art pour galité. Le tact et la bonhomie de M. Tristan Bernard gagner son pain. Trois fois, il revint au feu pour y pudans ce rôle tout en nuances lui ont donné son véri- ser de nouvelles forces, comme la salamandre légettable caractère; les autres interprètes sont assez bons. daire. charmante, fiche par la souriante Mme Beudet dont le succès fut lissy, l'argile , la terre nue ou recouverte d'un engobe, di La matière favorite de Méthey est aussi celle de Pa grand l'année dernière lorsqu'elle fut représentée au corée d'émaux et vernissée. Mais seul le potier d'Asnič Nouveau-Théâtre. M. Jacques Baumet y est toujours excellent, la pièce revue au bout d'un an reste aussi | res connut cette « frénésie de couleur », ce fougueur profonde, aussi exacte et aussi belle qu'à la première dans l'émouvante notice qu'il a consacrée à son ami audition. Malheureusement Mlle Géniat a fait de ce rôle si discret, si en dedans, une lamentation éclatante. attiré vers les céramiques à grand feu où, après les Japo Méthey, tout en les admirant, ne s'est jamais sent Je ne crois pas qu'il faille le comprendre ainsi. Je serais nais et les Coréens, tant de beaux artistes ont réalisé étonné que les auteurs, MM. Denys Amiel et André Obey l'eussent écrit dans cet esprit. en toute sin d'admirables recherches de forme et de matière. Il lai fallait toute la gamme des couleurs et non pas Louis XI curieux homme est un charmant spectacle, ment les quelques tons qui résistent aux hautes tempe remarquablement bien monté à l'Odéon. Les décors sont ratures. Il essaya du grés, mais il s'évada bien vite de seule un des cette matière froide et insensible. Il courut aux stanni- , celle-là, c'est vraiment vouloir jouer la difficulté, car ce fères, aux terres vernissées. genre d'exposition est bien le moins propre à révéler le Il avait trouvé son véritable terrain. moindre effort et le plus petit progrès. Celle-ci dénote On est littéralement stupéfait de la maîtrise de cet certes les meilleures intentions, mais enfin ce n'est qu'une cuvre, réuni ici pour la première fois depuis 1910. Les exposition de vieux-neuf, sans originalité, sans noumots sont impuissants à le décrire, plus encore les for- veauté, quant au fond et à la forme. Du déjà vu et soumules esthétiques. Comment démêler les inspirations, vent du pire... Ah! ces livres d'étrennes ! les méthodes, les influences, les techniques dans cet ensemble extraordinaire, où i'on ne découvre, comme Connaissez-vous rien d'horrible, D'affreux, d'ignoble, odieux, dans l'atelier d'un peintre, que la liberté absolue d'ins Affligeant, inadmissible, piration? Atroce, ignominieux Certes, des modèles, il en eut : poteries antiques, arabes, persanes ; faiences de Rhodes, surtout, dont l'éclat Comme ces livres d'étrennes de couleur et la largesse de décor l'impressionnèrent. Il Eperdument rouge et or trouva des « animateurs » dans la compagnie des pein Qui donneraient des migraines A des boas constrictors ?... tres qui fréquentaient son atelier : Maurice Denis, Derain, Vlamink, Van Dongen, Matisse, Friesz et d'autres Raoul Ponchon n'est heureusement pas seul de son « fauves ». Mais de ces influences du passé et de l'avenir avis. Je sais des éditeurs - à commencer par celui qui il ne garda qu’une impression, une vision changeante. cita ces vers en un Congrès du Livre - qui désireraient Il recréait avec une sensibilité aiguë, et que l'inexorable voir le public mieux instruit de leur labeur et de leurs maladie-avivait encore, sans doute, tant de perceptions succès. Que n'organisent-ils alors des expositions propres diverses. Et comment analyser un art qui se modifiait à faire valoir la sûreté de leur goût et les ressources de pour ainsi dire au jour le jour, emporté par des élans leur métier? d'invention qui lui faisaient abandonner la trouvaille A priori, ce n'est pas impossible et voici longtemps de la veille pour la découverte du moment ? déjà que certains s'en préoccupent. La question a été Je ne dis pas que dans cette exposition de Galliera minutieusement étudiée, un plan d'action très précis a une pièce ne ressemble pas à une autre. L'artiste lui-même même été établi, il paraît au point. Il est vraiment a produit des pendants - bien peu – et répété dans temps d'envisager sa réalisation. des tons qui lui plaisaient certaines formes particuliè Voici l'essentiel du programme dressé par rement heureuses. Mais tout cela est si varié, si per- membres les plus actifs de la corporation, M. Paul Gillon, sonnel, qu'il faudrait emprunter, pour le définir, des aujourd'hui président de la Maison du Livre, tel qu'il épithètes louangeuses aux arts d'imagination, à la l'a exposé au Congrès de 1917 : poésie, à la musique, si l'on n'avait étrangement abusé 1° Tous les ans, en décembre, organiser une exposide cette confusion des genres, depuis Jean Lorrain et tion générale des livres de l'année, classés par catégories les esthètes des environs de igoo. et genres d'édition, permettant au public de se faire Une période, cependant, se distingue nettement dans une idée précise du travail accompli et des résultats obcette infatigable production, et c'est la dernière, celle tenus. Parallèlement à l'exposition des livres français, où des corps souples de femmes et de déesses, des entreprendre une exposition de livres étrangers, autorichasses d'animaux fantastiques, modelés en émail gras sant toutes comparaisons techniques et artistiques. et puissant, se détachent sur des fonds gris ou bleutés 2° Dans le courant de l'année, tous les deux ou trois d'une distinction suprême, celle où des rouges incom- mois, organiser une exposition spéciale, dont le proparables - orgueil de l'artiste — incendient des coupes gramme serait élaboré par un comité composé de profes ou des plats larges comme des boucliers. Il était arrivé sionnels, d'artistes et de bibliophiles. Le cadre de ces à l'apogée de son talent. La mort seule l'a arrêté. Mais expositions temporaires serait volontairement limité et plus heureusement que pour d'autres, son quvre 'n'aura leur objet pourrait varier à l'infini, l'accueil fait en 1917 pas eu à franchir cette ère redoutable de quarante ou à l'exposition des gardes de livres organisée au Pavillon cinquante ans qui sépare, pour les pièces de collection, de Marsan étant un sûr garant de leur succès. l'ancien du démodé. Il aura atteint du premier coup L'auteur du projet insistait avec raison sur les avanles hautes cotes de la curiosité et la bonne fortune des tages matériels de ces expositions, favorisant par émuamateurs avertis qui s'en sont emparés à une époque lation les progrès de l'industrie du livre et lui préparant où le nom d'André Méthey était, pour ainsi dire, in- une clientèle de plus en plus avertie et étendue. Et il connu, est un bel exemple à donner aux moutons de citait l'exemple de la Belgique, ce petit pays qui est Panurge qui réservent exclusivement leurs prodigalités un des premiers dans l'art du livre et l'organisation de pour les enchères retentissantes de l'Hôtel Drouot ou la librairie. Il existe en effet à Bruxelles une institution de la Galerie Petit. beaucoup moins connue que l'énorme entreprise de LeipHENRI CLOUZOT. zig, mais de tous points parfaite : c'est le musée du Livre créé il y a une quinzaine d'années et qui a puissamment contribué à développer l'instruction des professionnels L'Expansion du Livre Français et à faire l'éducation du public. Il y est parvenu en or ganisant pour les premiers une exposition technique perLes expositions du livre manente de tout ce qui se rattache à la fabrication du livre, y compris matériel et machines, et pour le public La mode est aux expositions techniques, révélatrices une série d'expositions spéciales extrêmement variées et des efforts et des progrès d'un art ou d'une industrie. qui ont eu une grande vogue. C'est ainsi que dans l'anTout comme l'automobile, le jouet ou le mobilier, le livre née 1913, neuf expositions successives ont été réalisées : devrait avoir la sienne, ou plutôt les siennes car l'expé-expositions d'estampes, d'art photographique, de docurience (faite aux environs de 1905) a montré que le mentation par l'image, de livres d'art, de livres d'encadre d'une exposition de librairie ne saurait être trop seignement, de livres scientifiques, de livres liturgiques, limité. de xylographie de la production belge en 1912. A ces Hors l'exposition annuelle du Salon d'Automne, où expositions ont participé et collaboré de hautes personle public peut admirer les bois de nos livres de luxe, nalités littéraires et artistiques, les autorités gouvernequ'avons-nous donc aujourd'hui ? La seule exposition de mentales et toute l'industrie du livre s'est heureusement -livres d’étrennes du Cercle de la Librairie et organiser ressentie de leur grand succès. Ce que la Belgique a fait, M. Paul Gillon jugeait que L'étranger d'ailleurs nous devance. Tout dernièrement , nous pouvions le faire et proposait même de profiter de à l'occasion du XII° congrès sioniste tenu à Carlsbad ces expositions pour faire faire au public des confé- une exposition internationale du livre juif a eu lieu en rences par des spécialistes compétents, afin de l'initier Allemagne. Préparée par la « Société pour l'édition peu à peu aux beautés et aux difficultés de l'art typo- à Berlin », « l'Edition israélite » et « l'Edition interna. graphique, de lui apprendre à discerner les mérites d'une tionale», elle a réuni nombre de publications récentes belle édition, d'en faire en un mot un public de connais- en hébreu et en russe et le plus possible d'ouvrages alle seurs. mands, anglais et français ayant trait au problème juif. Est-il besoin de dire qu'un tel programme ne souleva Les. Italiens soat occupés à monter une grande foire inaucune objection? Ses grandes lignes furent adoptées ternationale du livre à Florence ; les éditeurs de tous d'enthousiasme. Quelques additions furent apportées à les pays sont invités à y participer. A côté des stands ret intéressant projet, ne faisant qu'en renforcer l'es- nationaux, il y aura des expositions particulières corarit : M. Georges Moreau par exemple demanda qu'à sacrées à l'illustration, à la reliure, à l'affiche, à la pho l'occasion de chaque exposition on organisât une rétros- tographie, et on espère déjà que cette soire pourra se pective du même genre; M. Guerlin émit le veu que fût tenir périodiquement tous les deux ans. créé un Salon annuel du Livre où seraient décernés des A quand la foire internationale du Livre à Paris ? On grands prix de reliure, de gravure, etc., afin de créer voudrait pouvoir poser la question. Ce serait aussi inté une profitable émulation entre artistes du livre; on dé4 ressant en son genre que les Jeux Olympiques. Malhercida enfin que la création d'un musée du Livre serait reusement nous n'en sommes pas à envisager des manimise à l'étude au congrès suiyant. festations aussi larges. Contentons-nous, pour le moment, Ce congrès a été celui de 1921 et il n'y a point été d'organiser des expositions nationales. Nous avons question de Musée du Livre. Pour une bonne raison : encore fort à faire pour y arriver. en 1917, la question du local se posait, inquiétante. En C'est dommage. Le public, qui ne s'en rend peut-être 1921, la Maison du Livre étant fondée, elle ne se pose pas assez compte, verrait immédiatement que nos édi. plus : c'est dans ses bâtiments qu'auront lieu les exposi- teurs, s'ils ont beaucoup parlé, ont aussi beaucoup trations futures ; une salle a été spécialement aménagée vaillé ces trois dernières années, qu'ils ont su conserver à cet usage et il faut souhaiter qu'elle ne tarde pas trop les grandes traditions de l'art typographique et qu'en à se garnir. Tout nous fait espérer que, dans le cou- dépit des difficultés de l'heure, la production française rant de l'année prochaine, commencera là une série d'in- de notre temps fait encore par le monde figure très téressantes manifestations d'art. honorable. Il apprendrait aussi à connaître la Maison Le principe des expositions est en tout cas intelligem- du Livre, qui a déjà tant fait pour lui. ment conçu. C'est celui qu'ont appliqué les Allemands à leur foire d'automne de Francfort en 1920, calqué GEORGES GIRARD. d'ailleurs sur une idée française, réalisée, si je ne me J'ignorais, lorsque j'ai parlé dernièrement to projet trompe, durant la guerre dans une exposition améri- d'un fichier de la critique littéraire, que ce pro i ti était caine. Il consiste à présenter des bibliothèques spéciales en voie de réalisation. à telles ou telles catégories de personnes. On a vu à Le service des Euvres françaises à l'étranger le la Francfort, par exemple, des bibliothèques de dames, rue François-Ier, qui a déjà tant fait pour notre e xhand'enfants, d'autres où étaient réunis les livres néces sion intellectuelle, a en effet réuni tous les éléments it dis saires à un médecin, un écrivain, un journaliste, un pensables à l'établissement d'une liste des principe nx architecte, etc... Une exposition rétrospective présentait critiques littéraires du monde entier, avec mention des même aux curieux le cabinet de travail d'un érudit du journaux où ils écrivent. XVIe siècle. En outre, le même service, reprenant l'idée du receuDès maintenant, nous pourrions réaliser des exposr- sement intellectuel préconisé à la Semaine du Livre , tions de ce genre. L'idée est dans l'air : on fête en ce rédige un répertoire sur fiches de toutes les personnes moment le centenaire de Flaubert et dans l'exposition susceptibles de s'intéresser au livre français et de qu'on a faite des souvenirs de l'écrivain figurent les plan- l'acheter. ches de l'édition illustrée de ses oeuvres complètes que On conçoit les services que rendront ces répertoires l'on prépare. La rétrospective s'imposait peut-être à la corporation du livre. C'est là une cuvre conside y a-t-on songé ? rable, accomplie en silence et qui sera éminemment utile S'ils s'y étaient pris à temps, nos éditeurs avaient encore une heureuse façon de célébrer le tri-centenaire de Molière, en réunissant les plus belles éditions de ses La Vie Economique cuvres du XVII° siècle à nos jours. Des expositions de ce genre seraient très courues du public et, en même Capital et travail (1) temps que des manifestations artistiques intéressantes, constitueraient pour eux la meilleure des publicités, II puisqu'il faut toujours voir le côté prosaïque des choses. Les essais tentés à l'étranger depuis la guerre sont LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL singulièrement encourageants. En 1920, par exemple, La C. G. T. est présentement un amalgame de Chama nos maisons d'édition classique ont prêté leur concours bres syndicales, les unes régionales qui ont pour centres à une exposition de livres pédagogiques français, pour et pour effigies les Bourses du travail , d'autres corpo laquelle fut rédigé un excellent catalogue, contenant ratives et, en même temps, restreintes à une fraction des notices de MM. Ernest Lavisse, Lucien Poincaré et Fernand Buisson : n'eussent-elles pas été aussi bien corporatives , mais englobant toute la corporation définie de chaque corporation, d'autres enfin également inspirées d'organiser chez nous une exposition ana Son but légal, comme celui de toutes Chambres syz logue 'pour instruire le public des difficultés où elles dicales, est, aux termes de la loi de 1884, d'étudier en se débattaient, à une époque où il était si fort irrité commun les intérêts économiques des adhérents, contre elles? Au début de cette année, à Bruxelles, le Le but affiché dans les statuts est plus ambitieux Cercle littéraire et artistique n'organisa-t-il pas ure Voici les termes mêmes de l'article Ier : exposition des plus beaux livres français modernes, sous < La C. G. T. groupe, en dehors de toute opin:0 la présidence de M. de Margerie, notre ambassadeur, et du ministre des sciences et arts, M. Destrée? (1) Voir lOpinion du 10 décembre. politique, philosophique, ou religieuse, les travailleurs C. G. T. pouvait. légalement et devait honorablement conscients de la lutte à mener pour la disparition du faire de l'internationalisme dans l'état de semi-guerre patronat et du salariat. » de l'Europe ne s'étant pas posée: ni à Lille ni: précés. La tendance proclamée en plus d'une circonstance demment à aucun moment. publique est tout simplement la destruction de l'Etat». Tout cela est, on: le voit; bien éloigné de la loi de 1884. Devant les principes, la C. G. T. n'est donc qu'une Les études économiques n'ont jamais été qu'un prébande d'insurgés. Il est vrai que, de tout temps, elle texte pour donner du volume à une organisation qui, a joui d'une mansuétude extraordinaire, car ce n'est devenue assez puissante, essayera de peser sur les pour qu'après bien des excès que le gouvernement lui a rap voirs publics ét sur l'opinion en faveur des ambitions: pelé, assez mollement d'ailleurs, qu'il y a une loi pour des chefs et des passions attisées par eux chez les adhétous rents. Que fût-il arrivé d'une Confédération groupant les Il est humain qu'il en soit ainsi, et la phrase que je catholiques « conscients de la lutte à mener pour la viens d'écrire ne pourrait-elle pas s'appliquer, en disparition » de l'irréligion, ou d'une autre groupant y changeant seulement quelques mots, à la campagne les citoyens « conscients de la lutte à mener pour la qui a valu aux jésuites dans le passé la domination de destruction de la propriété ». ? l'Europe monarchique ou à celle par laquelle la francCe phénomène appelle un peu d'histoire (1). maçonnerie a tenté et tente encore de pratiquer une mainmise sur l'Europe démocratique. Mais ce qui est contre nature c'est que les pouvoirs X publics et l'opinion aient si peu résisté. La loi du 25 mai 1864 a porté abrogation des articles Ministres et parlementaires sont imbus du préjugé du Code pénal qui caractérisaient le délit de coalition qu'il est opportun de plier momentanément devant la et condamnaient ainsi les grèves, quelles qu'en soient violence, et lorsqu'il leur faut, selon leurs errements habiles causes et l'allure. Les groupements ouvriers, dont tuels, aplanir une contestation au moyen d'une formule, le but était d'exercer une influence sur les conditions ils acceptent les termes des violents, afin de n'être pas du tra vail et qui s'étaient jusque-là camouflés en sociétés accusés par eux de se comporter en vils réactionnaires, de secours ou de crédit mutuel, furent désormais tolérés mais ils accompagnent leur vote d'une restriction menet même encouragés. tale sur les suites qu'il comportera. En fait, ils esquivent Lorsque intervint la loi de 1884 sur les syndicats, Ces suites pour une part, mais ils en arrivent ainsi à con587 syndicats ouvriers, dont 237 à Paris et 350 en pro- sentir au hasard un certain pourcentage de concessions, vince, avaient déjà une existence de fait. Ils résistèrent et les concessions font boule de neige. d'abord et deux ans après le vote de la loi il n'existait Cela me semble constituer de déplorables mours puencore que 280 syndicats s'y étant conformés. bliques. Je n'ai pas, évidemment, l'esprit politique. Mais un congrès de syndicats ouvriers, réuni en 1886 Quant à l'opinion publique, elle témoigne vis-à-vis à Lyon, décida en principe la création d'une Fédéra- des campagnes de la C. G. T. d’un sadisme anarchique. tion nationale des Syndicats corporatifs, et pendant que Elle y est d'ailleurs encouragée par la presse, sans qu'on celle-ci s'organisait, naissaient en divers centres des puisse discerner si celle-ci s'astreint à satisfaire les goûts innés de ses lecteurs ou bien si elle les a créés. Il est habile du terme de « Bourse du travail » pour désigner stupéfiant en tout cas de voir les journaux de toutes ces groupements leur valut; là où la politique était nuances rendre si copieusement et si sérieusement compte ardente, des subventions municipales qui leur permirent de ce qui se passe sur les tréteaux des congrès où cabode s'installer largement dans leurs meubles. tinent les ténors de la C. G. T. et de ne les voir pour Dès lors, l'application de la loi de 1884 ne rencontra. ainsi dire jamais faire la moindre allusion aux ques tions de fond. plus de résistance, et les syndicats pullulèrent. Les politiciens socialistes s'efforcèrent de pénétrer, pour les En voici une sur laquelle il n'y a certainement pas manier, les syndicats corporatifs, tandis que les syndi- un citoyen sur 1.000 qui possède des lueurs. Quel est cats régionaux subissaient plus ou moins l'influence des le nombre des adhérents de la C. G. T. ? Eh bien, sur anarchistes, 6 millions environ de salariés, la C. G. T. pouvait, en Il en résulta: des luttes et finalement, en 1906, au 1914, aligner 300.000 adhérents vrais, c'est-à-dire Congrès d'Amiens, une amalgation des uns et des autres payants, soit 5.0/0. En 1921, ils sont deux fois plu's, syndicats dans la C. G. T., dont la « charte. » procla- mais après avoir atteint, dans l'intervalle, un total de mait le caractère révolutionnaire du but visé et désignait 2 millions, ce qui implique une très forte régression par comme moyen de lutte « la grève générale expropria- rapport à la situation extraordinaire qu'avait créée la guerre. Les adversaires de la veille ne désarmèrent pas et, Extraordinaire est le mot. Au début de la guerre, sous bénéfice de pas mal d'évolutions et de changements quand le pays se levait comme un seul homme, la , d'étiquettes, la C. G. T. n'a jamais cessé de contenir une C. G.T.a eu la démence de déclarer qu'elle prêterait (sic) droite et une gauche ; avec cette différence pourtant que ses hommes parce que la guerre lui paraissait juste. Puis les politiciens cessèrent d'exercer une influence sur les elle a entrepris de canaliser la guerre en négociant syndicats corporatifs pour en subir une de leur part, avec l'ennemi à Kienthal et à Zimmerwald. Le gouvercomme contre-partie sans doute de subsides, électoraux. nement a offert un portefeuille à son leader, M. Jou haux ; sur son refus, il a laissé M. Albert Thomas confier à la C. G. T. le bureau des sursis pour le gérer de la manière suivante : arbitraire insolent vis-à-vis des Aujourd'hui, la gauche se groupe sous le drapeau com- employeurs, tous fournisseurs de matériel de guerre muniste, et la grosse question qu'a tranchée à une faible suivant marchés subordonnés à la promesse du rappel majorité le congrès tenu à Lille en juillet et en août de leurs collaborateurs essentiels : servilité vis-à-vis des 1921 était de savoir si la C. G. T. adhérerait à l'Inter syndiqués de la veille ou du lendemain qui s'enganationale bolchevik ou à l'autre, celle de savoir si la geaient sérieusement à payer leurs cotisations (plus de 50 millions pour une seule année). (1) Cf. un article de M. Rémy Roure, dans le Génie civil du Encore une fois, quel rapport peut avoir tout cela 23 juillet 1921. avec la loi de 1884 ? Et qu'en résulte-t-il ? 4 trice ». X |