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eux aussi, que l'homme fût le premier sujet de l'art, mais ils n'exigeaient pas qu'il fût absolument le seul et ils goûtaient littérairement, ils considéraient comme des œuvres d'art les Epoques de la nature ou les Entretiens sur la pluralité des mondes, tandis que M. Boylesve paraît peu disposé à admettre que la Cité antique ou Belphegor puissent être comparés esthétiquement à Madame Bovary ou au Lys rouge. Pour lui, l'art littéraire ne peut avoir un autre objet que l'homme, et non pas vu objectivement et pour ainsi dire scientifiquement, étudié du dehors à la façon cartésienne des classiques, jugé, dominé ; mais au contraire aussi subjectivement que possible, l'artiste tendant à se fondre à son sujet, à s'identifier à lui, à en épouser la vie. M. Boyles ve écrit que « les accidents de l'état social ou des mœurs, comme l'esclavage antique, la féodalité au moyen âge, ou le merveilleux scientifique de nos jours », et à plus forte raison les « découvertes scientifiques », « n'ont de valeur [esthétique] que dans la mesure où ils influencent notre manière de penser et de sentir »>, c'est-àdire qu'en tant que milieux, décors au seul et unique thème de la littérature qui pour lui est l'homme, et cela donne à croire qu'il ne serait pas précisément disposé à admettre, comme nos pères, que les Principes de la physique de Newton ou l'Esprit des lois sont des œuvres d'art au même titre que la Nouvelle Héloïse ou Paul et Virginie.

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- Dites plus simplement que pour M.Boylesve les seuls sujets de l'art en prose (le théâtre à part), ce sont ceux qui pourraient être traités dans des romans, ou plus simplement que la littérature en prose, c'est le roman. C'est bien naturel. Mais ne trouvez-vous pas fort agréable de voir un de nos meilleurs et même un de nos grands romanciers protester contre le matérialisme de notre littérature romanesque ? Ce qu'on appelle couramment « la vie », c'est ce morne réalisme minutieux qui a triomphé, durant si longtemps, et triomphe moins mais triomphe encore. Quand on vous dira d'un roman que « c'est de la vie », attendez-vous :

1° Que les héros en seront aussi instinctifs, aussi élémentaires, aussi proches de la « nature » que possible petites femmes, hommes sans critique, enfants (on sait la multitude des souvenirs d'enfance publiés actuellement); les âmes élevées, les hautes intelligences, les consciences très lucides, « ce n'est pas de la vie » ;

2° Que les milieux qui s'y trouveront représentés seront fort bas, non pas toujours dans l'échelle sociale, mais dans l'échelle intellectuelle et morale ;

3° Que le roman sera entièrement débarrassé de toute réflexion morale et même de toute remarque intellectuelle, de toute intervention visible de l'intelligence ;

4° Que le plus noir pessimisme y règnera, et que tout y sera vu en noir.

adroite et imprévue, tout cela est d'une grâce et d'une bonne grâce à la Charles Nodier. (Quelle injustice nous faisons paraître, à mon avis, envers le délicieux auteur des Sept châteaux du roi de Bohême !)

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C'est que M. Boylesve possède ce don mystérieux de conter, sans lequel le plus beau style et les plus belles inventions du monde sont comme rien. Et il pourrait être le romancier qu'il est sans être conteur le moins du monde. C'est ici que la distinction du conte et du roman (1) prend toute sa valeur ; j'y tiens d'autant plus que M. Boylesve la fait lui-même sur la liste de ses propres œuvres, il a grand soin de séparer ses récits en romans et en contes, et ne croyez pas qu'il accorde pour cela la moindre importance à leur longueur : la Leçon d'amour dans un parc qui forme un gros in-12, il la classe parmi les contes, et le Meilleur ami, qui n'est guère qu'une nouvelle, parmi ses romans; c'est que M. Boylesve estime qu'il y a entre le conte et le roman une différence de nature. Il a bien raison : elle est si certaine que beaucoup de très grands romanciers, tels Balzac ou Zola, empêchés par leur tempérament, n'ont jamais fait un véritable conte; ce qu'on nommerait ainsi, ce ne sont que des romans plus courts. M. Boylesve, lui, possède les deux veines.

Non seulement le Carrosse aux deux lézards verts est un conte, mais c'est un conte moral. Pourtant il ne ressemble guère à ceux du XVIII° siècle. Ce n'est pas qu'il ait moins de sens, il en a davantage au contraire, ou plutôt de plus complexes. Les contes de Voltaire ne sont qu'idées habillées d'un très mince tissu qui les voile à peine ce sont des démonstrations logiques. On ne supporterait plus cela aujourd'hui on n'est plus si intellectuel. Il faut que l'action, les héros et les péripéties vaillent par eux-mêmes, et en dehors du sens abstrait, qu'on souhaite, sinon plus profond, plus varié. Et ma foi ce n'en est pas plus mal.

Moi, ce que je préfère dans le conte de M. Boylesve, c'est frère Ildebert. Il figurerait fort bien dans l'Eau de Jouvence de Renan.

Mais Gillette Tant-Mieux et Gillonne Tant-Pis sont charmantes. Et avez-vous remarqué que la seconde a toujours plus de choses à dire et à écrire que la première ?

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Aussi quel plaisir d'entendre M. Boylesve déclarer que Le Théâtre

«la véritable littérature est la littérature invraisemblable »>!

«Voyons, dit-il, ne prenez-vous pas en pitié tous ces écrivains qui se donnent un mal affreux pour agencer d'une manière véridique des séries compliquées de faits, lesquels, si bien imbriqués qu'ils soient, ne signifient rien du tout ? Que m'importent mille faits ingénieusement combinés qui ne fournissent aucune lumière à mon esprit, aucune émotion durable à mon cœur ? Je vous en prie, croyez-moi ce ne sont pas les faits qui doivent être vraisemblables, c'est le sens qui se dégage des images présentées à vos yeux. Si je vous dis qu'aidé d'un diable je soulève tous les toits de Paris ou de Madrid et vous montre la vie des hommes que ces couvertures abritent, le fait est nettement incroyable, mais ne nuit en rien au caractère véridique de l'histoire... >>

Assurément ! Et on est heureux de cet idéalisme.

En somme, ce conte du Carrosse aux deux lézards verts est fort réussi. La façon dont il débute, puis dont ces remarquers préliminaires (sur lesquelles nous venons d'appuyer bien lourdement) s'enchaînent au récit, puis celle dont l'histoire se déroule, légère et

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JACQUES BOULENGER.

Monsieur Codomat "

Je voudrais avoir un théâtre... je n'y engagerais comme acteurs que des auteurs dramatiques. C'est un délice de les entendre jouer leurs pièces, pourquoi ne joueraient-ils pas aussi bien celles des autres? Nous avons M. Sacha Guitry, M. Jean Sarment et le dernier né à la scène, M. Tristan Bernard. La troupe, dites-vous, manque de femmes... mais pourquoi n'userions-nous pas de rôles travestis? Certains auteurs s'en tireraient peutêtre assez bien... Dans l'antiquité, les femmes ne montaient point sur les planches, cela n'a pas nui aux chefsd'œuvre qui sont parvenus jusqu'à nous. Les femmes ne se sont point gênées pour s'exhiber en page, en jeune premier; que les hommes leur rendent, si je puis ainsi parler, la monnaie de leur pièce. Au régiment, au collège, on se passe très bien de ces dames et si la solen(1) ... Mais Part est difficile, 1re série, p. 179 sq.

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nité des représentations n'est pas excessive, leur gaieté | jolis et les costumes de cette amusante époque sont écla

est souvent énorme.

tants et variés. J'ai fort mal entendu la pièce de M. Paul
Fort que les interprètes bredouillent et je crois que c'est
dommage car les bribes de texte qui sont parvenues jus
qu'à moi m'ont paru remplies de fort bonnes et belles
choses.
CLAUDE ISAMBERT.

M. Tristan Bernard nous a enchantés dans le rôle de M. Codomat qu'il vient d'interpréter au théâtre des Mathurins. Quelle sobriété et quelle finesse! Quelle joie d'entendre un acteur parler comme s'il inventait ce qu'il dit... et c'est qu'il a justement inventé son texte il y a un peu longtemps, voilà tout! Je ne saurais trop louer M. Tristan Bernard d'avoir exclu de son jeu les gestes et la trépidation dont les professionnels abusent pour La Curiosité. nous communiquer une gaieté ou une émotion qu'ils ne comprennent, ni ne partagent. Ils sont comme les gens qui sonnent nerveusement au téléphone, la demoiselle agacée ne leur répond jamais! Pas de communication, telle est la sanction! Pour nous, public, ces expédients maladroits détruisent tous les effets sur lesquels un auteur est en droit de compter et c'est ainsi, que, bien souvent, j'ai éprouvé une grosse déception en voyant représenter une œuvre que je ne connaissais et que je n'admirais que par la lecture.

Monsieur Codomat qui est un brave homme est aussi gérant d'immeubles. Du moins les circonstances l'ont fait tel. Il serait tout aussi bien un homme d'affaires et même un peu canaille si l'occasion lui en était donnée. Il saisit l'unique cheveu de celle-ci, qui se présente sous la forme d'une fuite d'eau. Une jeune personne de mœurs libres, mais de caractère tranquille, a obtenu d'habiter l'une des maisons bourgeoises que gère M. Codomat. Précisément celle qu'il habite lui-même. La salle de bain de cette jeune personne, inondée par la faute des tuyaux bouchés (et ceci regarde le propriétaire) amène la visite de M. Codomat qui vient constater les dégâts. Clotilde qui a de l'ordre, a aussi des économies ; la respectabilité du gérant lui inspirant confiance, elle lui raconte sa vie et M. Codomat lui offre de s'occuper de ses affaires.

Clotilde est la maîtresse d'un gigolo « plein de pèze » comme l'on dit dans ce milieu particulier. Codomat lui donne quelques conseils, car Clotilde ne sait guère tirer parti d'une situation aussi avantageuse. Peu à peu les rapports d'affaires prennent un autre caractère et Clotilde devient la maîtresse du gérant.

Les poteries d'André Méthey

Si la qualité d'ancien est la plupart du temps celle que recherchent avant tout les collectionneurs, la règle souffre des exceptions. Non seulement les amateurs d'art moderne sont nombreux dans la peinture, la sculp ture, la gravure, la médaille, le livre, mais encore les plus et souvent les plus avisés risquent des incursions dans le domaine des objets d'art. Ils n'ont pas toujours lieu de s'en repentir.

audacieux

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Leur récompense est double. Ils tirent de la pièce ori ginale et inédite un plaisir que les formes trop connus du passé ne suffisent plus à leur procurer. Leur sensibi lité s'émeut devant des recherches techniques où depuis vingt ans nos artistes décorateurs ont fait plus d'efforts créateurs que tous les pasticheurs du XIXe siècle. Ils ont par surcroît la satisfaction assez rare j'en conviensde voir leurs acquisitions prendre une valeur de collec tion qu'il faut souvent plusieurs générations pour donner aux objets d'usage.

C'est le cas des poteries d'André Méthey, dont l'ex position rétrospective au Musée Galliera vient de s'ou vrir, source de regrets et d'envie pour les uns, de satisfaction et d'orgueil légitime pour les autres. Une ving taine de collectionneurs ont suffi pour réunir cette éblouissante sélection: un nombre à peu près égal n'a pas répondu à l'appel de Mme Méthey, qui a organisé cette manifestation d'art et de souvenir .C'est entre ces amateurs privilégiés qu'est partagée aujourd'hui l'au vre céramique la plus personnelle, la plus variée, la plus abondante des temps modernes. Je ne parle pas musées, qui ne possèdent que des pièces ordinaires o n'en possèdent pas du tout, et attendent que les Méthey atteignent le prix des Palissy pour en faire l'acquis tion.

des

en toute sin

Ce n'est pas sans intention que je rapproche le nom du potier de Saintes de celui du potier d'Asnières Non que je les mette sur le même plan cérité, ce n'est ni les coquilles, ni les poissons puérile ment moulés par l'inventeur des « rustiques figulines de Catherine de Médicis que je préfère trouve d'autres points communs, qu'il me plaît ici de faire ressortir.

mais je leur

La même devise aurait pu leur servir : «< Povreté e pesche les bons esprits de parvenir ». Si Méthey n'a pas brûlé son mobilier pour chauffer son four, trois fois, à ses débuts, l'indigence le contraignit à lâcher l'art pour gagner son pain. Trois fois, il revint au feu pour y pu ser de nouvelles forces, comme la salamandre légen

Mme Codomat ferme les yeux, ayant constaté que les affaires de son mari vont beaucoup mieux depuis qu'il s'occupe de celles de la dame de l'entresol; quant au gigolo, il finit par s'éprendre de la fille de Codomat. Celui-ci qui ne s'en doute point lui déconseille le mariage et lui représente qu'il ne peut abandonner la délicieuse Clotilde. Mlle Codomat apprend à son père que c'est elle la fiancée hypothétique. Aussitôt, ému par les larmes de sa fille, le bon, l'excellent père de famille essaie de persuader Clotilde d'aller se régénérer en province. Celle-ci n'y tient pas du tout lorsque le gigolo, toujours généreux, annonce qu'en la quittant, il lui laisse 30.000 francs de rente. Décidée à rester à Paris, Clotilde prend en souriant cette rupture dorée, tandis que M. Codomat songe à corriger son gendre de sa folle prodigalité. Le tact et la bonhomie de M. Tristan Bernard dans ce rôle tout en nuances lui ont donné son véritable caractère; les autres interprètes sont assez bons. La pièce est charmante, elle est accompagnée sur l'af- La matière favorite de Méthey est aussi celle de Pa fiche la Souriante Mme Beudet dont le succès fut lissy, l'argile, la terre nue ou recouverte d'un engobe, grand l'année dernière lorsqu'elle fut représentée au corée d'émaux et vernissée. Mais seul le potier d'AsniëNouveau-Théâtre. M. Jacques Baumet y est toujours excellent, la pièce revue au bout d'un an reste aussi profonde, aussi exacte et aussi belle qu'à la première audition. Malheureusement Mlle Géniat a fait de ce rôle si discret, si en dedans, une lamentation éclatante. Je ne crois pas qu'il faille le comprendre ainsi. Je serais étonné que les auteurs, MM. Denys Amiel et André Obey l'eussent écrit dans cet esprit.

par

Louis XI curieux homme est un charmant spectacle, remarquablement bien monté à l'Odéon. Les décors sont

daire.

res connut cette « frénésie de couleur », ce

fougueux

dans l'émouvante notice qu'il a consacrée à son am jaillissement d'invention » dont parle Marcel Sembat Méthey, tout en les admirant, ne s'est jamais senti attiré vers les céramiques à grand feu où, après les Japo nais et les Coréens, tant de beaux artistes ont réalisé d'admirables recherches de forme et de matière. Il lui

seule

fallait toute la gamme des couleurs et non pas ment les quelques tons qui résistent aux hautes tempé ratures. Il essaya du grés, mais il s'évada bien vite de

cette matière froide et insensible. Il courut aux stanni- | celle-là, c'est vraiment vouloir jouer la difficulté, car ce fères, aux terres vernissées.

Il avait trouvé son véritable terrain.

On est littéralement stupéfait de la maîtrise de cet œuvre, réuni ici pour la première fois depuis 1910. Les mots sont impuissants à le décrire, plus encore les formules esthétiques. Comment démêler les inspirations, les méthodes, les influences, les techniques dans cet ensemble extraordinaire, où l'on ne découvre, comme dans l'atelier d'un peintre, que la liberté absolue d'inspiration?

Certes, des modèles, il en eut: poteries antiques, arabes, persanes; faïences de Rhodes, surtout, dont l'éclat de couleur et la largesse de décor l'impressionnèrent. Il trouva des « animateurs » dans la compagnie des peintres qui fréquentaient son atelier: Maurice Denis, DeFrain, Vlamink, Van Dongen, Matisse, Friesz et d'autres « fauves ». Mais de ces influences du passé et de l'avenir il ne garda qu'une impression, une vision changeante. Il recréait avec une sensibilité aiguë, et que l'inexorable maladie - avivait encore, sans doute, tant de perceptions diverses. Et comment analyser un art qui se modifiait pour ainsi dire au jour le jour, emporté par des élans d'invention qui lui faisaient abandonner la trouvaille de la veille pour la découverte du moment?

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Je ne dis pas que dans cette exposition de Galliera une pièce ne ressemble pas à une autre. L'artiste lui-même a produit des pendants bien peu - et répété dans des tons qui lui plaisaient certaines formes particulièrement heureuses. Mais tout cela est si varié, si personnel, qu'il faudrait emprunter, pour le définir, des épithètes louangeuses aux arts d'imagination, à la poésie, à la musique, si l'on n'avait étrangement abusé de cette confusion des genres, depuis Jean Lorrain et les esthètes des environs de 1900.

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Une période, cependant, se distingue nettement dans cette infatigable production, et c'est la dernière, celle où des corps souples de femmes et de déesses, des chasses d'animaux fantastiques, modelés en émail gras et puissant, se détachent sur des fonds gris ou bleutés d'une distinction suprême, celle où des rouges incomparables orgueil de l'artiste incendient des coupes ou des plats larges comme des boucliers. Il était arrivé à l'apogée de son talent. La mort seule l'a arrêté. Mais plus heureusement que pour d'autres, son œuvre n'aura pas eu à franchir cette ère redoutable de quarante ou cinquante ans qui sépare, pour les pièces de collection, l'ancien du démodé. Il aura atteint du premier coup les hautes cotes de la curiosité et la bonne fortune des amateurs avertis qui s'en sont emparés à une époque où le nom d'André Méthey était, pour ainsi dire, inconnu, est un bel exemple à donner aux moutons de Panurge qui réservent exclusivement leurs prodigalités pour les enchères retentissantes de l'Hôtel Drouot ou de la Galerie Petit.

HENRI CLOUZOT.

L'Expansion du Livre Français

Les expositions du livre

La mode est aux expositions techniques, révélatrices des efforts et des progrès d'un art ou d'une industrie. Tout comme l'automobile, le jouet ou le mobilier, le livre devrait avoir la sienne, ou plutôt les siennes car l'expérience (faite aux environs de 1905) a montré que le cadre d'une exposition de librairie ne saurait être trop limité.

Hors l'exposition annuelle du Salon d'Automne, où le public peut admirer les bois de nos livres de luxe, qu'avons-nous donc aujourd'hui ? La seule exposition de livres d'étrennes du Cercle de la Librairie et organiser

genre d'exposition est bien le moins propre à révéler le moindre effort et le plus petit progrès. Celle-ci dénote certes les meilleures intentions, mais enfin ce n'est qu'une exposition de vieux-neuf, sans originalité, sans nouveauté, quant au fond et à la forme. Du déjà vu et souvent du pire... Ah! ces livres d'étrennes! Connaissez-vous rien d'horrible, D'affreux, d'ignoble, odieux, Affligeant, inadmissible, Atroce, ignominieux

Comme ces livres d'étrennes
Eperdument rouge et or

Qui donneraient des migraines.

A des boas constrictors ?...

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Raoul Ponchon n'est heureusement pas seul de son avis. Je sais des éditeurs à commencer par celui qui cita ces vers en un Congrès du Livre qui désireraient voir le public mieux instruit de leur labeur et de leurs succès. Que n'organisent-ils alors des expositions propres à faire valoir la sûreté de leur goût et les ressources de leur métier ?

A priori, ce n'est pas impossible et voici longtemps déjà que certains s'en préoccupent. La question a été minutieusement étudiée, un plan d'action très précis a même été établi, il paraît au point. Il est vraiment temps d'envisager sa réalisation.

Voici l'essentiel du programme dressé par un des membres les plus actifs de la corporation, M. Paul Gillon, aujourd'hui président de la Maison du Livre, tel qu'il l'a exposé au Congrès de 1917 :

1° Tous les ans, en décembre, organiser une exposition générale des livres de l'année, classés par catégories et genres d'édition, permettant au public de se faire une idée précise du travail accompli et des résultats obtenus. Parallèlement à l'exposition des livres français, entreprendre une exposition de livres étrangers, autorisant toutes comparaisons techniques et artistiques.

2o Dans le courant de l'année, tous les deux ou trois mois, organiser une exposition spéciale, dont le programme serait élaboré par un comité composé de professionnels, d'artistes et de bibliophiles. Le cadre de ces expositions temporaires serait volontairement limité et leur objet pourrait varier à l'infini, l'accueil fait en 1917 à l'exposition des gardes de livres organisée au Pavillon de Marsan étant un sûr garant de leur succès.

L'auteur du projet insistait avec raison sur les avantages matériels de ces expositions, favorisant par émulation les progrès de l'industrie du livre et lui préparant une clientèle de plus en plus avertie et étendue. Et il citait l'exemple de la Belgique, ce petit pays qui est un des premiers dans l'art du livre et l'organisation de la librairie. Il existe en effet à Bruxelles une institution beaucoup moins connue que l'énorme entreprise de Leipzig, mais de tous points parfaite : c'est le musée du Livre créé il y a une quinzaine d'années et qui a puissamment contribué à développer l'instruction des professionnels et à faire l'éducation du public. Il y est parvenu en organisant pour les premiers une exposition technique permanente de tout ce qui se rattache à la fabrication du livre, y compris matériel et machines, et pour le public une série d'expositions spéciales extrêmement variées et qui ont eu une grande vogue. C'est ainsi que dans l'année 1913, neuf expositions successives ont été réalisées : expositions d'estampes, d'art photographique, de documentation par l'image, de livres d'art, de livres d'enseignement, de livres scientifiques, de livres liturgiques, de xylographie, de la production belge en 1912. A ces expositions ont participé et collaboré de hautes personnalités littéraires et artistiques, les autorités gouvernementales et toute l'industrie du livre s'est heureusement ressentie de leur grand succès.

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Ce que la Belgique la Belgique a fait, M. Paul Gillon jugeait que nous pouvions le faire et proposait même de profiter de ces expositions pour faire faire au public des conférences par des spécialistes compétents, afin de l'initier peu à peu aux beautés et aux difficultés de l'art typographique, de lui apprendre à discerner les mérites d'une belle édition, d'en faire en un mot un public de connais

seurs.

Est-il besoin de dire qu'un tel programme ne souleva aucune objection? Ses grandes lignes furent adoptées d'enthousiasme. Quelques additions furent apportées à ret intéressant projet, ne faisant qu'en renforcer l'esrit M. Georges Moreau par exemple demanda qu'à l'occasion de chaque exposition on organisât une rétrospective du même genre; M. Guerlin émit le vœu que fût créé un Salon annuel du Livre où seraient décernés des grands prix de reliure, de gravure, etc., afin de créer une profitable émulation entre artistes du livre; on décida enfin que la création d'un musée du Livre serait mise à l'étude au congrès suivant.

Ce congrès a été celui de 1921 et il n'y a point été question de Musée du Livre. Pour une bonne raison: en 1917, la question du local se posait, inquiétante. En 1921, la Maison du Livre étant fondée, elle ne se pose plus c'est dans ses bâtiments qu'auront lieu les expositions futures; une salle a été spécialement aménagée à cet usage et il faut souhaiter qu'elle ne tarde pas trop à se garnir. Tout nous fait espérer que, dans le courant de l'année prochaine, commencera là une série d'intéressantes manifestations d'art.

Le principe des expositions est en tout cas intelligemment conçu. C'est celui qu'ont appliqué les Allemands à leur foire d'automne de Francfort en 1920, calqué d'ailleurs sur une idée française, réalisée, si je ne me trompe, durant la guerre dans une exposition américaine. Il consiste à présenter des bibliothèques spéciales à telles ou telles catégories de personnes. On a vu à Francfort, par exemple, des bibliothèques de dames, 'd'enfants, d'autres où étaient réunis les livres nécessaires à un médecin, un écrivain, un journaliste, un architecte, etc... Une exposition rétrospective présentait même aux curieux le cabinet de travail d'un érudit du XVIe siècle.

Dès maintenant, nous pourrions réaliser des exposr tions de ce genre. L'idée est dans l'air : on fête en ce moment le centenaire de Flaubert et dans l'exposition qu'on a faite des souvenirs de l'écrivain figurent les planches de l'édition illustrée de ses œuvres complètes que l'on prépare. La rétrospective s'imposait peut-être y a-t-on songé ?

S'ils s'y étaient pris à temps, nos éditeurs avaient encore une heureuse façon de célébrer le tri-centenaire de Molière, en réunissant les plus belles éditions de ses œuvres du XVIIe siècle à nos jours. Des expositions de ce genre seraient très courues du public et, en même temps que des manifestations artistiques intéressantes, constitueraient pour eux la meilleure des publicités, puisqu'il faut toujours voir le côté prosaïque des choses.

Les essais tentés à l'étranger depuis la guerre sont singulièrement encourageants. En 1920, par exemple, nos maisons d'édition classique ont prêté leur concours à une exposition de livres pédagogiques français, pour laquelle fut rédigé un excellent catalogue, contenant des notices de MM. Ernest Lavisse, Lucien Poincaré et Fernand Buisson: n'eussent-elles pas été aussi bien inspirées d'organiser chez nous une exposition analogue pour instruire le public des difficultés où elles se débattaient, à une époque où il était si fort irrité contre elles? Au début de cette année, à Bruxelles, le Cercle littéraire et artistique n'organisa-t-il pas ure exposition des plus beaux livres français modernes, sous la présidence de M. de Margerie, notre ambassadeur, et du ministre des sciences et arts, M. Destrée ?

L'étranger d'ailleurs nous devance. Tout dernièrement à l'occasion du XII congrès sioniste tenu à Carlsbad, une exposition internationale du livre juif a eu lieu en Allemagne. Préparée par la « Société pour l'édition à Berlin », « l'Edition israélite » et « l'Edition interna tionale», elle a réuni nombre de publications récentes. en hébreu et en russe et le plus possible d'ouvrages alle. mands, anglais et français ayant trait au problème juif. Les Italiens sont occupés à monter une grande foire internationale du livre à Florence; les éditeurs de tous les pays sont invités à y participer. A côté des stands nationaux, il y aura des expositions particulières corsacrées à l'illustration, à la reliure, à l'affiche, à la pho tographie, et on espère déjà que cette foire pourra se tenir périodiquement tous les deux ans.

A quand la foire internationale du Livre à Paris? On voudrait pouvoir poser la question. Ce serait aussi inté ressant en son genre que les Jeux Olympiques. Malheu reusement nous n'en sommes pas à envisager des manifestations aussi larges. Contentons-nous, pour le moment, d'organiser des expositions nationales. Nous avons encore fort à faire pour y arriver.

C'est dommage. Le public, qui ne s'en rend peut-être pas assez compte, verrait immédiatement que nos éditeurs, s'ils ont beaucoup parlé, ont aussi beaucoup tra vaillé ces trois dernières années, qu'ils ont su conserver les grandes traditions de l'art typographique et qu'en dépit des difficultés de l'heure, la production française de notre temps fait encore par le monde figure très honorable. Il apprendrait aussi à connaître la Maison du Livre, qui a déjà tant fait pour lui.

GEORGES GIRARD.

J'ignorais, lorsque j'ai parlé dernièrement projet d'un fichier de la critique littéraire, que ce prot était en voie de réalisation.

Le service des Œuvres françaises à l'étranger le la rue François-Ir, qui a déjà tant fait pour notre an sion intellectuelle, a en effet réuni tous les éléments it lis pensables à l'établissement d'une liste des principaux critiques littéraires du monde entier, avec mention des journaux où ils écrivent.

En outre, le même service, reprenant l'idée du recen sement intellectuel préconisé à la Semaine du Livre, rédige un répertoire sur fiches de toutes les personnes susceptibles de s'intéresser au livre français et de l'acheter.

On conçoit les services que rendront ces répertoires à la corporation du livre. C'est là une œuvre considé rable, accomplie en silence et qui sera éminemment utile

La Vie Economique

Capital et travail (1)

II

LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL La C. G. T. est présentement un amalgame de Chambres syndicales, les unes régionales qui ont pour centres et pour effigies les Bourses du travail, d'autres corpo ratives et, en même temps, restreintes à une fraction définie de chaque corporation, d'autres enfin également corporatives, mais englobant toute la corporation.

Son but légal, comme celui de toutes Chambres syndicales, est, aux termes de la loi de 1884, d'étudier en commun les intérêts économiques des adhérents.

Le but affiché dans les statuts est plus ambitieux Voici les termes mêmes de l'article Ier :

« La C. G. T. groupe, en dehors de toute opinion

(1) Voir l'Opinion du 10 décembre.

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La loi du 25 mai 1864 a porté abrogation des articles du Code pénal qui caractérisaient le délit de coalition et condamnaient ainsi les grèves, quelles qu'en soient les causes et l'allure. Les groupements ouvriers, dont - le but était d'exercer une influence sur les conditions du travail et qui s'étaient jusque-là camouflés en sociétés de secours ou de crédit mutuel, furent désormais tolérés et mêrne encouragés.

Lorsque intervint la loi de 1884 sur les syndicats, 587 syndicats ouvriers, dont 237 à Paris et 350 en province, avaient déjà une existence de fait. Ils résistèrent d'abord et deux ans après le vote de la loi il n'existait encore que 280 syndicats s'y étant conformés.

Mais un congrès de syndicats ouvriers, réuni en 1886 à Lyon, décida en principe la création d'une Fédération nationale des Syndicats corporatifs, et pendant que celle-ci s'organisait, naissaient en divers centres des groupements de syndicats régionaux. Le choix fort habile du terme de « Bourse du travail » pour désigner ces groupements leur valut, là où la politique était ardente, des subventions municipales qui leur permirent de s'installer largement dans leurs meubles.

Dès lors, l'application de la loi de 1884 ne rencontra plus de résistance, et les syndicats pullulèrent. Les politiciens socialistes s'efforcèrent de pénétrer, pour les manier, les syndicats corporatifs, tandis que les syndicats régionaux subissaient plus ou moins l'influence des anarchistes.

Il en résulta des luttes et finalement, en 1906, au Congrès d'Amiens, une amalgation des uns et des autres syndicats dans la C. G. T., dont la «< charte » proclamait le caractère révolutionnaire du but visé et désignait comme moyen de lutte « la grève générale expropriatrice ».

Les adversaires de la veille ne désarmèrent pas et, sous bénéfice de pas mal d'évolutions et de changements d'étiquettes, la C. G. T. n'a jamais cessé de contenir une droite et une gauche ; avec cette différence pourtant que les politiciens cessèrent d'exercer une influence sur les syndicats corporatifs pour en subir une de leur part, comme contre-partie sans doute de subsides électoraux.

X

Aujourd'hui, la gauche se groupe sous le drapeau communiste, et la grosse question qu'a tranchée à une faible majorité le congrès tenu à Lille en juillet et en août 1921 était de savoir si la C. G. T. adhérerait à l'Internationale bolchevik ou à l'autre ; celle de savoir si la

(1) Cf. un article de M. Rémy Roure, dans le Génie civil du 23 juillet 1921.

C. G. T. pouvait légalement et devait honorablement faire de l'internationalisme dans l'état de semi-guerre de l'Europe ne s'étant pas posée ni à. Lille ni précé demment à aucun moment.

Tout cela est, on le voit, bien éloigné de la loi de 1884. Les études économiques n'ont jamais été qu'un prétexte pour donner du volume à une organisation qui, devenue assez puissante, essayera de peser sur les pouvoirs publics et sur l'opinion en faveur des ambitions. des chefs et des passions attisées par eux chez les adhé

rents.

Il est humain qu'il en soit ainsi, et la phrase que je viens d'écrire ne pourrait-elle pas s'appliquer, en y changeant seulement quelques mots, à la campagne qui a valu aux jésuites dans le passé la domination de l'Europe monarchique ou à celle par laquelle la francmaçonnerie a tenté et tente encore de pratiquer une mainmise sur l'Europe démocratique.

Mais ce qui est contre nature c'est que les pouvoirs publics et l'opinion aient si peu résisté.

Ministres et parlementaires sont imbus du préjugé qu'il est opportun de plier momentanément devant la violence, et lorsqu'il leur faut, selon leurs errements habituels, aplanir une contestation au moyen d'une formule, ils acceptent les termes des violents, afin de n'être pas accusés par eux de se comporter en vils réactionnaires, mais ils accompagnent leur vote d'une restriction mentale sur les suites qu'il comportera. En fait, ils esquivent ces suites pour une part, mais ils en arrivent ainsi à consentir au hasard un certain pourcentage de concessions, et les concessions font boule de neige.

Cela me semble constituer de déplorables mœurs publiques. Je n'ai pas, évidemment, l'esprit politique.

Quant à l'opinion publique, elle témoigne vis-à-vis des campagnes de la C. G. T. d'un sadisme anarchique. Elle y est d'ailleurs encouragée par la presse, sans qu'on puisse discerner si celle-ci s'astreint à satisfaire les goûts innés de ses lecteurs ou bien si elle les a créés. Il est stupéfiant en tout cas de voir les journaux de toutes nuances rendre si copieusement et si sérieusement compte de ce qui se passe sur les tréteaux des congrès où cabotinent les ténors de la C. G. T. et de ne les voir pour ainsi dire jamais faire la moindre allusion aux questions de fond.

En voici une sur laquelle il n'y a certainement pas un citoyen sur 1.000 qui possède des lueurs. Quel est le nombre des adhérents de la C. G. T. ? Eh bien, sur 6 millions environ de salariés, la C. G. T. pouvait, en 1914, aligner 300.000 adhérents vrais, c'est-à-dire payants, soit 5 o/o. En 1921, ils sont deux fois plus, mais après avoir atteint, dans l'intervalle, un total de 2 millions, ce qui implique une très forte régression par rapport à la situation extraordinaire qu'avait créée la

guerre.

Extraordinaire est le mot. Au début de la guerre, quand le pays se levait comme un seul homme, la C. G. T. a eu la démence de déclarer qu'elle prêterait (sic) ses hommes parce que la guerre lui paraissait juste. Puis elle a entrepris de canaliser la guerre en négociant avec l'ennemi à Kienthal et à Zimmerwald. Le gouvernement a offert un portefeuille à son leader, M. Jouhaux; sur son refus, il a laissé M. Albert Thomas confier à la C. G. T. le bureau des sursis pour le gérer de la manière suivante: arbitraire insolent vis-à-vis des employeurs, tous fournisseurs de matériel de guerre suivant marchés subordonnés à la promesse du rappel de leurs collaborateurs essentiels : servilité vis-à-vis des syndiqués de la veille ou du lendemain qui s'engageaient sérieusement à payer leurs cotisations (plus de 50 millions pour une seule année).

Encore une fois, quel rapport peut avoir tout cela avec la loi de 1884 ? Et qu'en résulte-t-il ?

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