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Renoir avait également reçu. D'autre dons, assurément, I le remplacent, mais rien ne le peut faire acquérir jamais.

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Les séjours bretons de Paul Gauguin sont plus intéressants par ce qu'ils préparent que par ce qu'ils donnent. Les tableaux de la période bretonne sont peints pour la plupart, comme on sait, sous l'influence et dans la manière de Pissaro. C'est en Bretagne que Gauguin devait abandonner cette manière, s'écarter de cette influence. M. Charles Chassé expose les faits. Avec une impartialité qui donne beaucoup de prix à son travail, il nous raconte ses « consultations ». Les témoins, les contemporains existent encore. Interrogés par M. Chassé, ils ont répondu. Quelques-unes de ces réponses frappent par leur naïveté, par leur vaniteuse candeur. D'autres, au contraire, touchent par leur fervente piété.

Les confidences et les souvenirs des vivants vont forcément du document au « ragot ». Mais le livre de M. Chassé est un livre impartial, désintéressé, respectueux. Ce n'est certes pas toujours le cas pour les livres consacrés à des hommes dont tous les contemporains n'ont pas encore disparu. Certains récits pittoresques, où l'auteur fait parler son personnage comme un crétin ou comme un charretier, donnent l'impression d'une vérité artificielle et faussée. On voudrait ne pas les avoir lus. Le livre de M. Chassé n'a rien de gênant. Pas une fois M. Chassé ne se hasarde vis-à-vis de son personnage. Il nous dit : « Voici ce que j'ai entendu; voici ce que l'on m'a écrit »; et de tous ces documents s'élève peu à peu la figure familière de Paul Gauguin, figure passagère et rapide, comme aperçue entre deux portes, et que, pour la connaître mieux et dans son ensemble, nous devrons aller chercher dans d'autres ouvrages, par exemple dans celui de Charles Morice, dans celui de Victor Segalen ou dans celui de Rotonchamps.

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On a beaucoup répété que Gauguin aimait la Bretagne et qu'il y alla souvent parce que son sang paternel était un sang breton. M. Chassé nous dit que cela n'est pas vrai. La mère de Gauguin, cela n'est pas douteux, était d'origine péruvienne; mais son père était originaire d'Orléans. Puisque ce n'est pas par atavisme que Gauguin aimait la Bretagne, par quel sentiment y était-il attiré ? Le fidèle ami de Gauguin, M. de Monfried, en a donné à M. Chassé la raison suivante : « Si Gauguin est allé en Bretagne, ce n'est nullement qu'il y fut attiré par l'art ou le style local. Il allait chercher, dans ce qu'il croyait un pays aux mœurs archaïques, une ambiance, une atmosphère différentes de nos milieux civilisés à outrance, afin de retourner, dans ses propres œuvres, à l'art primitif. » Une autre raison est le bon marché de la vie bretonne. Gauguin, on le sait, avant d'être peintre, fut agent de change. L'argent qu'il avait gagné en exerçant cette profession fila vite lorsqu'il ne l'exerça plus. L'un de ses historiographes prétend qu'il gaspilla quarante mille francs en achetant des rosiers rares pour orner le jardin de la maison qu'il habitait aux environs de l'Observatoire.

Toujours est-il que Gauguin, fort pauvre, est, en 1886, à Pont-Aven, région particulièrement douce de la Bretagne. M. Sérusier,le compagnon de Gauguin et le maître de M. Maurice Denis, dit qu'à cette époque, à la pension Gloanec, on pouvait vivre (gîte et nourriture) pour soixante-dix francs par mois.

Cette pension était alors fréquentée par des peintres sages et routiniers, lesquels considéraient l'élève de Pissaro comme un barbouilleur. Mais au second séjour qu'y fit Gauguin, revenant de son voyage à la Martinique (1888), la pension Gloanec possède ses « révolutionnaires ». C'est à ce moment que Gauguin fait le portrait

de Mme Satre, la femme du maire de Pont-Aven, por| trait que Degas acheta en 1891, à l'Hôtel Drouot. Cette Mme Satre, M. Chassé a causé avec elle. Elle lui a dit ceci « Gauguin était bien doux et bien misérable, et nous l'aimions bien. Seulement, à cette époque-là, sa peinture effrayait un peu. Il disait toujours à mon mari qu'il voulait faire mon portrait, si bien qu'un jour il l'a commencé [...] Quand il eut fini, il le montra d'abord à d'autres peintres qui s'en sont bien moqués et je l'ai su, si bien que, quand il est venu me l'apporter, j'étais déjà mal disposée, et ma mère m'avait dit : « Il paraît que des << peintres se sont battus, hier soir, à propos de votre por«trait. En voilà des histoires à votre sujet! » [...] Quand Gauguin me l'a montré, je lui ai dit : « Quelle horreur! >>> et qu'il pouvait bien le remporter, car je ne voudrais jamais de ça chez moi. Pensez à l'époque, et dans un petit endroit comme celui-ci! Gauguin était très triste, et il disait, tout désappointé, qu'il n'avait jamais réussi un portrait aussi bien que celui-là. J'ai su depuis qu'à la vente Degas, mon portrait, que j'ai refusé comme cadeau, s'est vendu pour plusieurs dizaines de milliers de francs... » Et comme M. Chassé fait remarquer à Mme Satre qu'elle a cependant accepté de conserver chez elle une marine de Moret, l'ami et disciple de Gauguin : « Oui, dit Mme Satre, mais c'était une marine, tandis qu'un portrait !... »

Le livre de M. Chassé est riche de pareils documents, qui valent par un pittoresque direct et savoureux.

En 1889, Gauguin quitte Pont-Aven pour le Pouldu, où il devait demeurer plus d'une année. Là, il s'installe dans l'auberge de Mlle Marie Henry. Mlle Marie Henry, fin lettré, écrit M. Chassé, s'est aimablement mis à ma par la suite, devint Mme Mothéré : « M. Mothéré, très disposition pour me donner tous les renseignements qu'il détenait et que lui ont fournis, non seulement sa femme, mais encore les amis de Gauguin qu'il lui a été permis de connaître. » La longue lettre de M. Mothéré est bien curieuse, tant par les renseignements qu'elle donne que par la manière dont elle les donne. Par cette lettre, nous voyons Gauguin à quarante-deux ans : « De taille élevée, le visage brun, l'aspect grave et imposant. [....] Sa démarche lente, son geste sobre, sa mine sévère lui donnaient beaucoup de dignité naturelle. [....] De ses pérégrinations de matelot, il avait rapporté quelques préceptes d'un pragmatisme rudimentaire qu'il résumait en une formule plus d'une fois inscrite dans ses œuvres ou sur les objets familiers qu'il aimait à décorer : « Vivent le vin, l'amour et le tabac ! »

Au Pouldu, Gauguin vivait avec un amateur relativement fortuné, Meyer de Haan, homme «< roussâtre et. difforme »>, fort chétif, que Gauguin dominait tout à fait. Ensemble, ils faisaient de la musique (mandoline et piano) ou bien, après le travail, le soir, ils jouaient aux dames, au loto. Ils travaillaient surtout beaucoup et se déplaçaient peu.

sur la

Petit à petit, autour de Gauguin, d'autres peintres: arrivent et se groupent : « Au milieu de l'été 1890, M. Mothéré raconte que la pauvre petite maisonnette du Pouldu abritait sous son toit Meyer de Haan dans la grande chambre, Gauguin dans la chambre cour (1), M. Sérusier dans la chambre sur la rue, M. Filiger dans l'atelier, la propriétaire dans le cabinet de toilette et la bonne dans la buvette. » M. Mothéré ne nous cache pas que le toit de la cuisine, régnant sous la fenêtre de Gauguin, permettait à ce dernier de gagner par ce chemin la buvette et la bonne : « Vivent l'amour, le vin et le tabac! >>>

(1) M. Bidou a décrit la chambre de Gauguin au Pouldu: « La chambre de Gauguin était ornée de l'Olympia de Manet, du Triomphe de Vénus de Botticelli, de l'Annonciation de Fra Angelico, d'estampes d'Outamaro et de décorations de Puvis de Chavannes. »

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On pourrait glaner encore, dans le livre de M. Chassé, d'autres anecdotes, d'autres petits traits, par la réunion desquels on ne prétend certes pas faire connaître Gauguin dans son intimité profonde, mais dans son apparence pittoresque.

Citons encore ces quelques propos tenus par M. Sérusier à M. Chassé : « M. Sérusier répétait à Gauguin cette phrase de Jules Lefebvre : « Un peintre doit être bête ; «faites bêtement ce que vous voyez. » Et Gauguin de répondre «Un peintre peut faire tout ce qu'il veut, « pourvu que ce ne soit pas bête. » Gauguin aimait aussi beaucoup à affirmer : « Le laid peut être beau, le joli, « jamais. » M. Sérusier raconte encore ceci : « Gauguin était très doux [....]. Je dois cependant avouer qu'il prenait grand plaisir à effrayer Séguin, très craintif de sa nature; quand Séguin, par exemple, posait les unes près des autres les couleurs complémentaires, Gauguin, qui condamnait le procédé, sortait tranquillement son revolver de sa poche, l'armait, le posait sur la table... et Séguin ne rapprochait plus les couleurs complémentaires. >>

En 1891, Gauguin part pour Tahiti une première fois. Il en revient deux ans après, avec quatre francs en poche. Mais il hérite d'un oncle d'Orléans (13.000 francs). Il mange cet argent à Paris, en compagnie d'Anne la Javanaise, rencontrée à Montmartre. Il portait alors une redingote bleue à boutons de nacre, un gilet se boutonnant sur le côté et dont le col était brodé de jaune et de vert, un pantalon mastic, un chapeau de feutre gris avec un ruban bleu de ciel, des gants blancs, un bâton décoré de sculptures et où une perle fine était enchâssée. Dans cette tenue, il revient, en 1894, en Bretagne. La Javanaise Anna est avec lui à Pont-Aven. Parfois il quittait son chapeau gris à ruban bleu de ciel, et, coiffé d'un bonnet d'astrakan, il se promenait, un singe ou un perroquet juché sur l'épaule... Un parcil costume, et cette société, scandalisèrent les Bretons. Les gamin s'attroupaient autour de lui. A Concarneau, Gauguin, une fois, gifle l'un d'eux. Le père de l'enfant et des marins intervinrent. Bagarre. Gauguin reçoit un coup de sabot qui lui casse la jambe. Pendant qu'on le soigne, la Javanaise retourne à Paris, dévalise l'atelier du peintre et disparaît. L'héritage de l'oncle d'Orléans est dissipé. Gauguin décide de repartir pour l'Océanie. Il écrit à son ami Monfried...Je pourrai alors finir mes jours libre et tranquille sans le souci du lendemain et sans l'éternelle lutte contre les imbéciles. » Gauguin s'embarque en 1895. Il ne devait jamais plus revenir en Bretagne. Mais cette Bretagne, là-bas, jamais non plus il ne devait l'oublier. Le dernier tableau auquel ait travaillé Gauguin, et que Mme Victor Ségalen possède actuellement, représente quelques chaumières couvertes de neige, et qui, frileusement, se groupent autour d'un clocher... >>

On peut assez facilement rêver sur cet « effet de neige», peint par Paul Gauguin, sans doute dévoré de nostalgie, peu de temps avant sa mort, dans les solitudes océaniennes où ce grand artiste s'était réfugié. JEAN-LOUIS VAUDOYER.

La Curiosité.

Un amateur de vieille roche

Quand ces lignes paraîtront, la pièce sera jouée. M Lair-Dubreuil, assisté de son quadrille d'experts, aura dispersé la fleur des collections de Gaston Le Breten, cet étonnant directeur général des musées de Rouen, dont l'activité suffisait à toutes les tâches.

Ce robuste Normand, aimable, accueillant, qu'on voyait assister aux grandes ventes parisiennes et figurer dans les comités d'organisation des expositions univer

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selles, fut conservateur du musée céramique, directeur du musée départemental des antiquités, directeur da musée de peinture et de sculpture. C'était un érudit passionné si ces deux termes souffrent d'être rapprochés Quand il n'achetait pas pour ses chers musées, il achetait pour son propre compte. Quelles luttes secrètes, quelles tempêtes sous ce crâne de collectionneur, quand 1 fallait choisir entre les deux parties! Il avait pour peser ses décisions une balance que je ne puis croire que très sensible. Mais je ne jurerais pas qu'il ne faussait pas involontairement les raisons qu'il mettan dans le plateau quand l'objet était par trop tentant et la trouvaille par trop avantageuse. Mais quel conservateur de musé n'a pas des peccadilles de ce genre sur la conscience? Le Breton, en tous cas, cachait les siennes.

«Ils étaient bien rares, écrit dans la Renaissance Camille Gronkowsky, ceux qui pouvaient pénétrer chez Gaston Le Breton et visiter sa galerie. Plus rares encore ceux qui étaient admis dans le cabinet de travail réservé au Moyen Age, à la Renaissance et aux Antiques. Quant aux deux chambres où il gardait pour lui seul la jouissance de ses dessins incomparables, nous n'exagérons pas en affirmant que l'on compterait sur les doigts d'une seule main le nombre de ceux qui y entrèrent pendant as dernières années. >>

Ces trésors ont été étalés pendant deux jours dans les salles de la Galerie Petit, pour la parfaite instrucmilliers d'oisifs de l'un et l'autre sexe. Pas tous cepention de quelques connaisseurs et l'ébattement de plusieurs dant. Il fallait conserver une réserve pour la seconde vente à l'Hôtel Drouot qui aura lieu dans une ou deux semaines. En outre le grand collectionneur, de veilleuse série céramique. Pierpont Morgan était passé son vivant, avait amputé ses collections de leur merpar là, comme à l'hôtel Foulc, de la rue Magdebourg comme à l'appartement de Bernard Franck, avenue du Bois-de-Boulogne, comme dans tant d'autres sanctuaires de l'art et de la curiosité. Les pièces inestimables polychrome à glaçures métalliques ont traversé l'Atlanqui avaient servi à documenter le traité de la Céramique tique, sans espoir de retour.

était pas moins d'une qualité rare et charmante. On senCe qui constituait l'ensemble de la Galerie Petit n'en tait que chaque pièce avait été l'objet des prédilections d'un homme de goût, d'un connaisseur, qui les avait achetées, pour en jouir, et non pour en tirer une satisfaction de vanité ou de spéculation. Malgré moi, je revoyais dans cette même galerie la fameuse exposition s'allongeait en serpent tortueux des portes de la salle des toiles du financier Cronier, en 1906, quand la foule au trottoir du boulevard. C'était déjà M° Lair-Dubreuil qui officiait et c'était déjà la même dose de sottises débitées par le même torrent de curieux, avant et surtout après la vente :

- Vous savez, ce fameux Billet doux? Cronier l'avait payé 110.000 à Mme Jagerschmidt, la fille de Feuillet de Conches.

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Hum! Feuillet de Conches! N'est-ce pas le décou vreur de certaines lettres de Marie-Antoinette, qui depuis...

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Douteux, vous dis-je, la tête pourrait être repeinte Et le Gainsborough dont vous ne parlez pas? Oh! celui-là, je vous le passe.

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- Et dire qu'on nous représente ce Cronier comme un descendant de la grande lignée des amateurs d'autretois, un des derniers fermiers-généraux! Il avait acheté 75.000 francs une pendule à musique qui a fait 3.000 à la vente.

Parbleu! On nous rebat les oreilles des tableaux qui ont doublé de prix et personne ne parle de ceux qui se sont effondrés.

Comme le Concert dans le Parc et la Collation à

la fontaine, payés jadis 600.000 francs et adjugés 180.000.

Et le Lorgneur attribué à Watteau, tombé de 250.000 à 6.500.

Placement de père de famille.

- Cronier n'avait pas plus de flair pour les huiles que pour les sucres.

On serait bien embarrassé pour faire de semblables rapprochements avec les joyaux réunis par Gaston Le Breton. Le catalogue est vierge de pédigrees; la plupart des objets reçoivent pour la première fois le baptême des enchères. Je parierais cependant qu'aucun n'aurait été payé par l'avisé connaiseur le dizième des sommes que les avisés connaisseurs vont débourser pour les posséder. Non, pas même cette adorable Vierge à l'enfant en ivoire, du XIV° siècle, ces terres cuites de Corneille et de Molière par Caffieri, ce savoureux dessin de J.-A. Peters, repréEsentant Collé lisant ses comédies à sa femme, ni cette miniature en émail de Hall, qui est bien la merveille du genre et que son heureux possesseur considérait, je crois à bon droit, comme unique. La miniature du musée Jacquemart-André, donnée au célèbre miniaturiste, est à cent coudées de ce chef-d'œuvre de grâce et de ce tour de force de technique.

Après le plaisir de posséder des pièces belles et rares, vient la satisfaction de les avoir achetées « pour un morceau de pain ». Un grincheux dirait même que pour la majorité des collectionneurs cette seconde condition passe avant la première.

Enquêtes

HENRI CLOUZOT.

Enquête sur la situation financière (1)

M. LEON CHAVENON On sait quelle part le savant directeur de l'Informa L'interview tion a prise à la polémique « monétaire ». qu'on va lire met bien des choses au point.

N'attendez de moi l'exposé d'aucun système.

Il est évident, dès maintenant, que tous les dogmes ou principes économiques antérieurs à 1914 ne s'adaptent plus aux événements. Les constructeurs qui fondent leurs projets sur ces anciennes bases sont forclos. Il n'y a plus à lutter contre les événements, mais bien à les suivre et interpréter leurs suggestions avec une souplesse attentive.

QUELS SONT LES FAITS

La transformation de l'économie de guerre en celle de E paix exige, dans le monde entier, un laps de huit à dix années. En France, nous avons, en outre, la plaie des régions dévastées à soigner. C'est un supplément d'effort, de travail et de production qui nous incombe.

Pour ces réparations, nos dirigeants veulent absolument compter sur les paiements allemands et l'on a inscrit ces paiements au budget comme s'ils étaient certains, sous la rubrique « dépenses recouvrables >>. Certes, la politique extérieure doit tendre, de toute son énergie, à obtenir ce recouvrement. Mais il serait d'une prudence élémentaire de prendre nos dispositions en vue des << retards » éventuels de l'Allemagne. Ce n'est pas là du pessimisme... Est-ce que l'Allemagne a versé hier, 1er décembre, les 85 millions de marks-or qu'elle devait donner en acompte sur l'échéance du 15 janvier 1922? Et voici que l'Angleterre s'apprête à remettre en question le règlement même de ces réparations, à accepter peut-être un moratorium à long terme au bénéfice de nos débiteurs...

(1) Voir l'Opinion des 5, 19 et 26 novembre et du 3 décembre.

Qui tranchera cette question? La Commision des Réparations? Nous y disposons d'une voix sur cinq. L'Angleterre a tout intérêt à la reprise du mark. La baisse du mark est loin d'être funeste à l'industrie allemande. Par contre, elle gêne considérablement les concurrents anglais de cette industrie. Les hommes d'affaires du parti républicain d'Amérique, actuellement au pouvoir, ont partie liée, sur ce point, avec les Anglais. Je précise: l'Angleterre, l'Amérique ont tout intérêt à la reprise du mark, à celle même du franc. Mais l'Angleterre, l'Amérique, ont-elles l'intention de nous aider à éteindre notre dette intérieure? Pour en revenir aux réparations, l'Italie ne marche pas avec nous, est-il besoin de le dire. La Belgique, que nous avons indisposée par notre politique douanière tandis que l'Angletere semble lui offrir au contraire tout son appui économique et financier, la Belgique s'interrogera avant de voter pour nous. Le moratorium admis par les Anglais, non par amour de l'Allemagne, mais par intérêt purement anglais, semble donc inévitable.

Voilà ce que la Chambre a refusé d'envisager. Elle a clos le débat financier à la manière de l'autruche, en fermant les yeux sur le danger.

COMMENT SORTIR DE LA?

Cependant la réparation de nos régions dévastées exige environ 150 milliards à répartir, disons-nous, sur huit exercices. Ajoutons à cela 250 milliards déjà dépen sés pour la guerre. Ces chiffres sont visibles, je pense Allons-nous refuser de les considérer froidement ? Allons-nous continuer à nous en remettre à l'emprunt à court terme, et quasi-clandestin, du soin de combler les déficits passés et futurs? N'est-ce point assez de 80 milliards de Bons de la Défense, dont le remboursement est devenu, d'ores et déjà, tout à fait impossible, bien que ce soit le droit strict des porteurs de l'exiger d'un moment à l'autre?

Et si l'on consolide par des emprunts périodiques cette vaste dette flottante au fur et à mesure qu'elle s'accroîtra, peut-on assurer qu'on ne touchera pas bientôt le fond même de l'épargne française? Et la charge des intérêts constituant, dès maintenant, la plus lourde part de nos dépenses ordinaires aggrave encore cette politique. Cette politique, enfin, dirige sur des valeurs d'Etat improductives et onéreuses, un capital essentiellement nécessaire à l'industrie afin de rétablir la fourniture au pays des choses les plus indispensables à sa vie.

Il faut donc sortir de là.

Quel que soit le système employé, vous devez commencer par FAIRE DU CRÉDIT.

Or, cette opération, voilà ce que nos adversaires appellent « de l'inflation ». « La richesse ne se crée pas d'une manière aussi simple, disent-ils. Le fiat de l'Etat n'est pas doué de la toute puissance économique que vous lui attribuez. Une telle politique n'est qu'une illusion dangereuse. »>

En effet, la richesse ne se crée pas sans travail, mais de même qu'on ne peut aujourd'hui travailler sans le concours d'une puissance immatérielle qui s'appelle la technique, de même la production ne va pas sans une autre force du même ordre, le crédit. Et le crédit, n'en déplaise aux économistes les plus classiques, le crédit hormis la confiance se fait ; le crédit se crée de rien mutuelle des intéressés.

Si vous pensiez le contraire, voyez d'un peu près ce qu'est, en Angleterre, une « banque d'émission de chèques », ou en Allemagne une « acceptation de banque ». Ces institutions et procédés, dont nous n'avons aucun équivalent en France, sont de véritables « fabriques de crédit ». Le mot n'est pas de moi mais de M. Withers un écrivain monétaire qui fait autorité de l'autre côté du détroit.

Choisissez donc, pour la France, le mode de fabri

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cation de crédit qu'il vous plaira. Peu m'importe. Mais il ne faut nier ni la situation lamentable de nos affaires, ni la nécessité d'en sortir.

Quelque moyen que l'on choisisse, on aboutit à l'accroissement des moyens de paiement. Cet accroissement a des inconvénients que nous n'ignorons point, mais il est des mesures à prendre contre ces inconvénients. Il ne s'agit plus de jeter à tort et à travers des billets de banque dans la circulation, comme on a fait inconsidérément en 1919 et 1920. On pourrait exiger, pour le bon emploi du nouvel argent, des garanties efficaces. Celles que Probus a introduites dans son projet parais. sent fort raisonnables et méritent d'être étudiées avec attention.

On peut aussi concevoir une émission de papiermonnaie remise directement à l'industrie française sur la garantie de son propre actif. Ne serait-ce point naturel puisque l'industrie serait la première à bénéficier de l'opération? Pour cela, toutefois, un minimum d'organisation collective serait indispensable entre les grandes firmes industrielles. Il est impossible de laisser l'industrie française s'éteindre faute d'une telle organisation intérieure.

D'ailleurs je ne réclame pas une chute indéfinie de l'unité monétaire. J'estime, au contraire, qu'un accroissement actuel de la circulation fiduciaire devrait aboutir à une stabilisation prochaine.

L'histoire économique nous montre des exemples d'une telle stabilisation: rappelez-vous la revalorisation du rouble sous le ministère Witte. Le rouble était à 4 francs, il est tombé à 2 fr. 66. Cela a-t-il ruiné la Russie d'alors ?

LE DEVOIR DU GOUVERNEMENT

Le ministre des Finances représente aujourd'hui un pouvoir absolu, dont les moindres actes se répercuteni aussitôt dans l'économie nationale tout entière.

Bien que ce soit là un fait observé d'ordre tout moderne, notre ministère des finances demeure, par son organisation, ses méthodes, ses principes, ce qu'il était sous le baron Louis. Mais un Louis, comme un Colbert, du reste, n'aurait aujourd'hui qu'une préoccupation; l'essor de l'industrie nationale; une dilatation de la production non une compression de la richesse acquise, quelle qu'elle soit.

Pensez-vous que Colbert épargnerait nos modernes Fouquet dans leurs fortunes de guerre ?

Pardon un profiteur de la guerre n'est pas forcément un concussionnaire, surtout quand ce profiteur est une firme industrielle.

de

On a voulu récupérer par l'impôt les bénéfices guerre. On n'a fait que détourner les bénéfices industriels vers un remploi inconsidéré en augmentation de capital. L'industriel s'est forgé ainsi une entrave très lourde, qui eût été moins lourde, probablement si l'Etat lui avait laissé une plus grande liberté. D'autant que le petit commerçant, avec ou sans boutique, mais sans main-d'œuvre spécialisée et l'intermédiaire sans frais généraux, (oublions les parasites), ont facilement échappé à ce fameux impôt. Ce sont eux, pourtant, les vrais profiteurs de la guerre. Pour consolider leur fortune rapide ils n'ont eu que la peine de convertir titres de rente au porteur qu'ils ont gagné au jour le jour, ou, encore, dans une spéculation instantanée. Mais il n'est pas trop tard pour atteindre cet argent, à son

tour.

en

D'ailleurs, le gouvernement a des devoirs encore plus positifs que cette justice comptable.

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lieu de s'efforcer à des compressions insuffisantes pour
ne pas dire malsaines (quand elles consistent à refuser
d'alimenter les forces vives de la nation, l'instruction
publique, par exemple), ils se rendraient compte que la
liaison naturelle établie par les événements entre l'éco-
nomie nationale et les finances publiques devrait
retrouver dans les méthodes administratives. Ils convo-
queraient les Etats généraux de la production... Comité
cela
économique, Chambre professionnelle, appelez
comme il vous plaira, cet organisme serait écouté dans
ses vœux, et ses suggestions étudiées.

Je crois bien que les événements nous forceront d'arriver enfin là où un grand ministre aurait trouvé naturel de fixer le point de départ de son gouvernement.

M. L'INGENIEUR

Notre enquête, sur le point d'être close, n'aura pas eu l'honneur de recueillir un seul avis de banquier. Ce n'est pas faute à nous d'avoir sollicité cet avis.

Il se pourrait toutefois que la réponse de M. l'Ingé nieur, publiée ci-dessous, expliquât le silence de M. le Banquier. Aussi bien, qui n'entend qu'une cloche... et celle-ci sonne tellement juste!

En tout cas, l'ingénieur qui va parler ici, tout en dési rant garder l'anonymat, n'est pas une entité (que le leteur se rassure!), mais une personnalité bien vivante. Une bonne partie de son existence est consacrée à la manœuvre d'un corps d'armée d'ouvriers et d'au moins un bataillon d'employés, munis, les uns et les autres, de l'artillerie industrielle la plus moderne.

L'économie de la nation est en proie à un malaise grave, et ce malaise est fait de ceci : il n'existe, en France, aucun lien rattachant solidement la finance à l'industrie.

On admire que l'industrie allemande continue à prospérer en pleine crise financière, voire en pleine débâce monétaire. Je n'entrerai pas dans la discussion des rapports qui peuvent exister entre le change et l'exportetion. C'est une question d'économie politique où je me déclare incompétent. Mais il suffit de considérer combien, depuis bien avant 1914, la finance et l'industrie allemandes sont fonction l'une de l'autre pour n'être pas étonné que leur faisceau résiste à toute épreuve.

CRÉDIT INDUSTRIEL EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE En Allemagne, le crédit à l'industrie est pour ainsi dire illimité. Mais ce n'est pas le crédit tel que le conprennent nos banques.

Chez nous, la notion de crédit est inséparable de celle de garantie. Et, pour une banque française, les garanties ne sont suffisantes que si elles sont surabondantes.

Un exemple: Je veux parler des émissions d'obligations collectives, garanties par l'Etat, au bénéfice des sinistrés du Nord. Il s'agit de faire la une émission de l'ordre de grandeur du capital social des industries à relever. Le crédit nécessaire est donc, en l'espèce, bien supérieur au crédit commercial dont les industries intéressées peuvent légalement jouir, même groupée Aussi les banques qui ont consenti à faire cette émission demeurent incapables de le fournir en temps voulu.

En effet. Dans la reconstruction progressive des usi nes comme dans leur remise en marche, il y a un rythme obligatoire. La construction d'un bâtiment nouveau entraîne sa garniture en marchines; l'achat des machines entraîne leur fonctionnement et ce fonctionnement

l'écoulement des produits. Cela se fait comme par ondes successives, d'un rythme continu. C'est à la continuité de ce rythme que la trésorerie bancaire ne peut suffire De par leur organisation actuelle, les banques sont obli

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Nous parlions de grands ministres. Mais aujourd'hui, ni Louis, ni Colbert ne se contenteraient, pour gouverner, de l'organisme qui paraît suffire à M. Doumer. Augées de subordonner l'époque des émissions à des conlieu de se confiner dans des équilibres de chiffres de plus en plus précaires, fictifs, et d'ailleurs instables, au

sidérations d'ordre public et de toutes sortes de facteurs étrangers à la marche de l'affaire industrielle.

D'où un retard. Ce retard entraîne des solutions provisoires. Le rythme de croissance est rompu.

Autre exemple, plus général. Si une firme industrielle ou un groupe de firmes, en fonctionnement normal, demande aux banques une avance de fonds pour une fabrication dont le devis est établi et le bénéfice prévu, la réponse est la suivante: « Fournissez soit des gages personnels, soit la garantie collective de toutes les industries du groupe. D'ailleurs, ajoute la banque, le crédit que nos règlements nous permettent de vous offrir doit rester sensiblement au-dessous de ces gages et de ces garanties. »>

En Allemagne, il en va autrement. De tout temps, la banque allemande a fourni le crédit aux industrieis non pas en fonction de l'actif mis en gage mais sur 2 une appréciation critique de l'avenir de l'industrie envisagée, sur la perspective du bénéfice. La banque alle mande prévient sans cesse les besoins de l'industrie allemande. La nôtre place l'industrie nationale au même rang que le client ordinaire et, presque toujours, après 1'acheteur de rentes.

LE DEVOIR DE LA BANQUE FRANÇAISE

Dans le passé, nos banques ont toujours traité les choses de l'industrie comme une matière première à leur disposition, qu'elles pouvaient traiter à leur gré et d'après leur seul intérêt.

N'envisageant pas leur rôle social, les banques refusaient de comprendre que l'ensemble de la production du

pays ne peut fonctionner si l'ensemble de la finance ne fournit pas à l'ensemble de l'industrie l'ensemble des crédits nécessaires. Et cette solidarité, cette nutrition mutuelle de la finance et de la production, n'est-ce pas le fondement le plus solide de toutes les affaires, même des bancaires?

La méthode bancaire française exigeant des garanties surabondantes pour ouvrir le crédit ressemble d'assez près à celle d'une Compagnie de transport qui refuserait de faire partir un bateau ou un train qui n'aurait pas son chargement complet en marchandises et en voyageurs. Mais les Compagnies de transports n'agissent pas ainsi. Elles savent que par-dessus le bénéfice immédiat d'un billet de voyageur il existe un intérêt majeur : le trafic à entretenir, la « ligne » à sauvegarder.

Tout ceci a été controversé entre les intéressés, au début de la guerre.

La collectivité des industriels et la collectivité des banques se sont mises en rapport dans des réunions privées. Aux remontrances des industriels les banquiers ont répondu d'assez haut : « Nous avons fait ce qui nous a plu; nous avions à considérer les besoins de notre clientèle, non les vôtres! Inutile de faire des projets d'ensemble ni des devis d'avenir. D'ailleurs, vous pouvez compter sur notre bonne volonté pour faire le nécessaire quand il concordera avec l'utile, de notre point de vue. »>

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Les industriels ont répondu « Faites attention à oeci: Qu'est-ce qu'une Société de crédit? C'est une Société dans laquelle on engage trois ou quatre cents millions dont le quart seulement libérable de suite. On installe des bureaux, on met en marche tous les rouages classiques de la banque. Est-ce bien difficile? Nous ne croyons pas exagérer en disant que l'effort cérébral exigé pour cela est environ le dixième de celui dépensé par un chef d'industrie. Dès lors, nous croyez-vous incapables d'accroître d'un dixième cet effort cérébral qui est précisément le nôtre? Que diriez-vous si nous mettions en commun toutes les garanties que vous exigez de nous sans, d'ailleurs, en fournir vous-mêmes d'équivalentes à l'ensemble de vos clients. Le mécanisme

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du crédit n'est plus un secret pour personne et l'on sait assez que son facteur principal n'est autre que la confiance publique. Et cette confiance que vous manœuvrez parfois assez imprudemment, pensez-vous que le public nous la refuse? Quant aux employés et aux directeurs indispensables, nous pourrions aussi bien vous emprunter les vôtres, pour commencer... >>

Devant un langage aussi nouveau, les banquiers ont compris et consenti à causer. Les banques ont reconnu le principe de leur rôle social et l'impossibilité de s'y soustraire dans le régime économique nouveau issu de la guerre.

Maintenant tout cela est passablement oublié!

Néanmoins, il en reste quelque chose. Dans leur élan passager de solidarité, les grandes banques et les grandes firmes industrielles ont « échangé » de notoires administrateurs. Le conseil de la Société Générale comprend désormais trois ou quatre chefs d'industrie. La Banque des Pays du Nord, une des plus intelligentes, a fourni un administrateur à la Compagnie de SaintChamond; elle en a reçu, d'ailleurs, un autre en échange.

Cette conséquence demeure très insuffisante au fond, mais elle est très importante dans la forme. Les banques ne peuvent plus dire : nous ignorons la position de l'industrie. Elles y sont mêlées.

Il ne reste plus qu'à instaurer une méthode nouvelle, adaptée aux besoins de la production, une méthode permettant la reconstruction du pays et même construction économique d'une perfection inconnue.

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Au point de vue économique, le pays doit tendre à se former en agrégats d'entreprises, chaque agrégat ayant pour armature une solidarité verticale entre tous ses membres. D'autre part une solidarité horizontale doit s'établir entre tous ces agrégats. Ainsi chacun tirera du voisin et fournira au voisin le maximum de profits.

Au lieu de s'hypnotiser sur son chapitre « Profits et pertes », la banque doit prendre en considération ces tendances inhérentes à toute économie nationale moderne. Elle doit se dire si je ne donne pas satisfaction à ces tendances, il y aura dans le pays une perte de potentiel dont je subirai les premières conséquences.

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Parler ainsi n'est qu'expliciter l'évidence. Mais c'est l'évolution qui est pénible, non l'examen critique. Le gouvernement qui, seul, est qualifié pour aider à cette évolution prend, du fait de son inertie, une responsabi

lité redoutable.

Une solidarité invincible est en voie de formation dans le pays celle que crée l'industrie. Cette solidarité existe non seulement entre patrons, non seulement entre ouvriers, mais encore entre patrons et ouvriers dès que ceux-ci s'aperçoivent de la valeur technique et de la fonction indispensable de ceux-là. De cette solidarité on peut tout attendre, de grands résultats, mais aussi de grandes exigences. Il est des chefs d'industrie, surtout parmi les sinistrés, à tel point solidaires de leur personnel qu'ils pourraient, s'ils le voulaient (et ils ne veulent pas, étant d'excellents citoyens) provoquer l'émeute pour contraindre le pouvoir à l'action. Ceci ne constitue pas une menace, mais la mesure d'une force organisatrice qu'il convient de diriger.

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