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et du Grand-Guignol, ce film y serait fort à sa place. Il vaut d'être vu par tout chercheur d'inédit, et étudié par les spécialistes.

Non plus qu'au théâtre nous n'aimons beaucoup les fous au cinéma. L'an dernier, l'effort intense et habile de Jean Borlin n'a pu réussir à nous faire goûter son ballet Maison de Fous, qui est tout à fait de même présentation scénique que certains épisodes de ce film. D'autres épisodes, non moins singuliers, promènent des personnages ayant notre aspect et nos mesures parmi de décors extravagants, lesquels en prennent une apparence de réalité, au moins en possibilité. C'est troublant. Il y a une vue de petite ville dont on pourrait dire que c'est une illustration de celle de La Bruyère... oui, mais par un peintre cubiste. Et aussi une inouïe kermesse où des chevaux de bois tournent comme des accessoires animés d'un de ces vieux tableaux en relief machinés par un mécanisme d'horlogerie. Et encore une rue à perspectives en zigzag et à maisons ivres, qui doit nous montrer la déformation supposée que crée une imagination de fou. Ce pourrait être une épreuve par l'absurde, assez épigrammatique, du cubisme.

Il peut n'y avoir rien de plus placide, et de plus angoissant à cause de cette placidité, qu'une histoire contée par un fou. C'est le cas de ce film, avec lequel on ne sait jamais où l'on en est, dans l'atmosphère du sens commun, ou dans les divagations convaincues ou persuasives, si bien qu'à la fin, la réalité revenant comme des profondeurs de l'écran, nous doutons de cette réalité au point que nous continuons à la voir avec les yeux déformateurs du fou. Et c'est pourquoi le décor de la cellule où on l'enferme réellement, reste projeté aux apparences que cette cellule est dans le récit fantasmagorique. Dernière subtilité qui a dérouté plus d'un spectateur et moi-même avant cette réflexion de l'escalier de sortie.

Tout de même avec quel plaisir j'ai repris contact avec le Paris précis, espérant bien n'y point rencontrer ces fantômes du somnambule, de la poupée, du docteur Caligari, j'allais écrire Coppélius, issus des contes allemands qui ont fait, d'ailleurs, les délices de la génération romantique! Et je songeais à l'intérêt qu'eût éprouvée sans doute Gérard de Nerval pour ce film hallucinant... Mais n'oublions pas qu'il nous prouva que cela peut conduire à la macabre rue de la Vieille-Lanterne. LEGRAND-CHABRIER.

La Littérature

Poésies

Il ne paraît plus guère de vers, il me semble. Ce n'est point sans doute que la race des poètes en vers so't morte; bien plutôt, c'est leur public qui n'est plus...

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Leur public? Ah! gardons-nous d'être semblables à ce vieillard laudator temporis acti: quand nous regrettons le passé si fort, c'est presque toujours par défaut d'informations précises et de réalisme dans l'imagination.

Quoi! Tout le monde sait que sous Louis-Philippe, par exemple, le génie courait les rues.

Le public contemporain ne s'en doutait pas. Et d'ailleurs il y avait un beau groupe d'individus géniaux; mais que ces écrivains fussent plus généralement doués de génie, voire de talent qu'à présent, je n'en crois rien (au contraire). Et tous ces préjugés plats et étouffants que nous ont peints, depuis les naturalistes, tant de romans << provinciaux »>, ces mœurs étroites qui ne sont plus à présent que celles de certains petits milieux provinciaux, songez que c'étaient alors celles des quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la société. Quand on imagine une époque du passé, on ne pense

guère qu'à quelques personnages typiques, quelques sociétés nobles et exemplaires; on oublie la foule, personnage muet, mais important. . aimait les

Du moins, sous Louis-Philippe, on

poètes. Nullement. Leurs œuvres ne se vendaient pas plus qu'à présent. Elles n'avaient aucune portée en dehors du cercle des lettrés, et, et, comme aujourd'hui, a n'étaient guère que les autres poètes qui s'y intéres saient: or, les écrivains étaient beaucoup moins nonbreux que maintenant. Quant aux snobs, ils se piquaient fort peu d'art et de littérature.

Pourtant,, vous avez dit tout le contraire dans les Dandys. Vous avez dit que sous Louis-Philippe, << un prix à l'Académie avait de l'importance et ren dait notoire », que le public « attendait un livre de vers de M. de Lamartine, comme il attend maintenant une première de Maurice Donnay »>.

Hélas! j'ai tout à fait changé d'avis. Tout d'abord, a-t-on jamais vu en ce temps-là un prix littéraire causer un émoi de l'opinion comparable à celui du prix Goncourt ? Et je n'ai pas cité de réfé rence (par extraordinaire, car j'en ai cruellement abusé ailleurs) à cette affirmation concernant Lamartine; en réalité, je ne vois pas du tout qu'un recueil de Lamartine ait davantage agité les snobs, en son temps, qu'un volume de Mme de Noailles au nôtre. Le snobisme littéraire et artistique a fait des progrès considérables sous la Troisième République ; et tout snobisme est exaspérant, mais, entre tous, celui-là est le plus pardonnable. A part Hugo (et seulement quand il fut devenu illustre), les poètes romantiques les plus géniaux n'ont eu aucun succès de vente, faute de snobs littérai res en nombre suffisant; et pourtant, il fallait que bien peu d'exemplaires fussent achetés, en ce temps-là, pour qu'on parlât de succès. Car si vous voulez mon avis, il y a beau temps que le public ne lit plus les poètes en vers c'est depuis que les vers ont cessé d'être la seule langue littéraire, depuis que la prose est deve nue un style d'art et que la poésie a été regardée comme une langue auxiliaire, un style de luxe; enfin depuis le XVI° siècle environ. Longtemps encore après cette époque, le vers a conservé son prestige; mais de plus en plus il a perdu ses lecteurs. Au moyen âge, c'était la langue même de la littérature et il s'adressait à tout le monde. Mais depuis bien longtemps la poésie en vers n'intéresse plus vraiment (j'entends en dehors de tout snobisme d'art, de tout préjugé) qu'un nombre minuscule de gens, presque tous écrivains eux-mêmes, de techniciens enfin. Si donc les futures histoires de la littérature, quand elles arriveront au chapitre où l'on examinera la production intellectuelle au lendemain de la guerre, ne trouvent que bien peu d'oeuvres en vers à mentionner, ce ne sera pas la faute du public, car le public n'a plus, depuis quelques siècles, rien à voir à la poésie, et par conséquent le public de notre temps ne la goûte ni plus ni moins qu'aux meilleures époques du XIXe siècle : ce sera la faute des éditeurs. Les historiens de la littérature ne tiennent jamais aucua compte de l'influence des éditeurs sur le mouvement littéraire; ils ont grand tort, car elle est considérable. Mais l'influence des éditeurs, c'est celle public. Les éditeurs, en effet, sont commerçants; ils ne font que se conformer du mieux possible aux goûts de leur clientèle.

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du

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bien, mettons que ceux-là publieraient par mécénat quelques ouvrages qui ne seraient pas « de vente »> ; mais combien? D'ailleurs le mécènat présente un grand danger qui est d'imposer le goût du mécène. Par bonneur, les éditeurs n'ont sur les préférences du grand public que des informations fort générales : ils savent seulement que le grand public n'aime que les récits omanesques; aussi ne font-ils volontiers paraître que les romans. S'ils n'avaient pas même ces indications agues, ils publieraient autant de poètes et de philoso hes que de romanciers, et cela serait au mieux. Félicions-nous au moins qu'ils n'en aient pas de plus sûrs. Nous sommes bien loin de la poésie.

Revenons-y. M. Henri de Régnier nous en offre occasion. M. Henri de Régnier vient de publier ces ours-ci un recueil de poèmes, Vestigia Flammae, qui Fontient quelques-unes des meilleures pièces qu'il ai amais écrites, et cela veut dire qu'elles sont des plus elles. Car M. de Régnier, il est de ces poètes dont on eut dire :

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Apollon, à portes ouvertes,
Laisse indifféremment cueillir
Les belles feuilles toujours vertes
Qui gardent les noms de vieillir.
Mais l'art d'en faire des couronnes
Nest pas su de toutes personnes ;
Et trois ou quatre seulement,
Au nombre desquels on le range
Peuvent donner une louange
Qui demeure éternellement.

Son influence sur notre génération littéraire a été la plus grande après celles d'Anatole France et de Mauice Barrès, et ce n'est pas peu dire; et il l'a exercée par ses vers seuls avant de l'exercer par ses vers et par sa prose. Peu importerait au reste, car ce n'est pas à eur influence qu'il convient de mesurer esthétiquement les écrivains. Mais il est agréable de le dire parce que 'estime qu'il y a lieu d'en être fier: c'est un bon naître.

Et non seulement à cause de la valeur de son œuvre, nais à cause de l'exemple de son évolution. M. de Régnier a débuté par le symbolisme. Or, symbolistes, n appelle ainsi tous les poètes novateurs qui florisaient au temps de la jeunesse de M. de Régnier, et bien eu étaient réellement enclins à développer des synoles. Mais lui, il l'était et il l'est toujours demeure. 1 aime à chercher un beau sens mystérieux à une. nage, à des apparences : les traces de pas sur le sable, n miroir, une bague...

L'anneau mystérieux de la chaîne éternelle
Qui me lie à jamais !.

On entend bien que je ne donne pas ce trait comme xceptionnel! Tous les poètes aiment les symboles. Mais c'est ce goût persistant de M. de Régnier pour ux, cette tournure d'esprit constante qui lui sont singu ers. Presque toujours son imagination s'ébranle pa ne impression visuelle, quelque image frappe sa vue ntérieure; alors il la regarde, il la fait miroiter, il lui rouve quelque signification belle et secrète : tel n amateur de pierreries ou de cristaux de roche se plaît mirer ses plus belles pièces, à les faire étinceler à la ueur du jour et à jouir des reflets qu'il en tire. Encor une fois M. de Régnier n'est pas le seul poète à goûter es symboles, mais il est l'un de ceux qui les goûtent le

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Il est doux de penser à la mort
Lorsque la vie est encor belle
Et lorsque l'Amour pose encor
Sur un cœur qui bat haut et fort
Sa double flèche
Aigue et fraîche
A pointe d'or.

Jamais on ne vit poète plus purement lyrique : ni drame, ni anecdote (il est loin des fragments épiques à, la manière de Hugo !), point d'idéologie, que saisje ? seulement le choc et le jeu des images et des. symboles animés par la musique, et c'est assez pour contenir tout cela, « tel qu'en songe ».

Amour! rends-moi pareil à ce Prince farouche
Qui se promène seul en son jardin fermé
Parce que doucement s'est posé sur sa bouche,

Avec une caresse, un souffle parfumé !

L'amour que célèbre M. de Régnier, c'est celui dont parle déjà le vieux Catulle:

Odi et amo. Quare id fasciam fortasse requiris ?
Nescio; sed fieri sentio, et excrucior.

en

Et pourquoi donc les vers de M. de Régnier éveillent-ils tant d'autres en la mémoire de son lecteur ? Ah! ce n'est point, certes, qu'ils ressemblent à ce qu'on a entendu avant lui sa personnalité est si forte, au contraire, son originalité si entière que beaucoup de jeunes poètes pour l'avoir beaucoup. Iu sont demeurés marqués de son sceau. (Qu'on se rappelle, avant la guerre, tant de poésies où l'on retrouvait jusqu'à ses habitudes.) Mais c'est que, comme les artistes puissants, il a toute une atmosphère qui s'impose dès qu'on ouvre un recueil de lui c'est un climat où l'on entre. Comme Marsyas, son héros, M. de Régnier prend sa lyre,

(Les cordes de métal vibraient, fortes et douces,
El l'écaille ronflait et sonnait sous son pouce),

et aussitôt le climat de la poésie s'épanouit en nous : les vers préférés fleurissent dans notre mémoire, les héros du rêve et de la légende y revivent... Comme «< Orpheus le doux ménétrier Jouant de flûte et de musette »>, le poète éveille et attire à lui

Les Muses, les neuf belles Fées

Dont les bois suivent les chansons...

L'imagination de M. de Régnier, quelle merveille! Tout se personnifie et s'anime en lui, et jusqu'aux idées les plus abstraites qui deviennent des allégories... Mais plutôt que d'analyser et de justifier, ne vaut-il pas mieux citer ?

Faites taire, là-bas, ce violon aigu,
Cesser cette flûte importune;

Voici que va bientôt, seule, dans le ciel nu,
En silence, monter la lune.

Ne parlez plus ainsi de plaisir et d'amour,
L'amour, trop vite, devient peine ;

Du bonheur envolé le souvenir est lourd ;
L'homme est vain, la femme incertaine !

Ah! il n'est point malaisé de trouver d'autres strophes aussi délicieuses. Si vous en voulez à foison, il n'est que d'ouvrir le livre....

JACQUES BOULENGER

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La Musique

La reprise d'Ascanio

L'Opéra a repris Ascanio, de M. Saint-Saëns. Je ne croyais pas que cet ouvrage fût aussi mauvais.

Evidemment, c'est de la musique bien écrite. Les parties sont conduites avec beaucoup d'élégance et d'habileté, et l'orchestre, aéré, clair, et même un peu coloré, sonne bien. Mais si l'on est artiste dans la mesure où l'on apporte à l'humanité quelque beauté inconnue et quelque émotion nouvelle, l'auteur d'Ascanio n'a que le rang d'un manipulateur adroit. On a tout dit de son œuvre quand on a dit qu'elle était uniquement compo sée de formules qui à l'ordinaire ne lui sont pas personnelles.

Ceci est évident dans les développements, qui sont faits avec toutes les recettes de l'école. On ne saurait les comparer qu'aux tableaux de certains prix de Rome, qui jusqu'à la fin de leur vie, refont éternellement leurs exercices d'atelier. Mais les mélodies, pauvres, sèches et sans âme de M. Saint-Saëns ne sont elles-mêmes que des formules. Rien n'est vivant dans son œuvre ; vous n'y trouverez nulle part ce cri que la nature arrache à l'artiste, et qui est l'art même.

La première conséquence, c'est que tout arrive selon les usages fixés d'avance, et selon cette mauvaise tradition qui constitue l'art académique. C'est un amusement, en entendant Ascanio (et c'est même le seul), de voir comment tous les rites de la correction musicale s'accomplissent, sans que jamais aucune infraction vienne démentir les prévisions raisonnables. Rien n'est imprévu dans cette musique sans cœur.

La seconde conséquence de cette absence d'un sentiment vrai et profond, c'est que toute cette imitation factice des émotions est toujours fausse. Les passages qui visent au grand sont d'une emphase ridicule. Tout le rôle de Cellini en est là. Et quant aux passages de tendresse, ils sont d'une veulerie qui en masque à peine la sécheresse.

cutable. Quant aux artistes, on hésite toujours un pe à imprimer qu'ils sont très médiocres. Il en est même de tout à fait mauvais, et non parmi les moindres. Dr moins M. Journet a été acclamé quand il a chanté Enfants, je ne vous en veux pas, et Mlle Charny quand elle a chanté la chanson florentine. M. Coffin, qui char tait le rôle d'Ascanio, a eu sa juste part de succès

Mais vraiment, ne serait-il pas possible que tous acteurs (je ne vois d'exception à faire que por Mlle Charny) jouent d'une façon moins bouffonne. I ont l'air de faire une parodie d'opéra. Qu'est-ce qu cette façon pour le ténor de se tenir sur un pied, a avant, les yeux au cicl, et les bras à moitié étendus Qu'est-ce que c'est pour le baryton de serrer so cœur à deux mains, de prendre du ballant et de tourner en tous sens pour envoyer la note, selon la plus mauvais tradition italienne? Qu'est-ce que c'est pour la basse qu cette fausse noblesse, cette attitude, les pieds en équen et cet éternel développement de l'avant-bras? Et je t cite qu'un petit nombre de gestes; mais il y en a tout répertoire, aussi convenu que des exercices de cinque Au moment où la partition indique cantabile, le char teur se met face au public, une épaule en avant, et l dédie son air à la salle. La France est le seul pays o l'on joue dans ce style ridicule.

Et que dire de la mise en scène! La partition annon? qu'elle a été spécialement réglée par M. P. Gailbard S'il s'agit de celle que nous avons vue, il n'y a vraiment pas de quoi s'en vanter. A la fin du deuxième tableau les élèves de Cellini donnent l'assaut à l'hôtel de Nesles, qui est au fond de la scène. Voici comment les choses se passent. Quatre d'entre eux gravissent, et bien pén blement, le perron de la maison qu'ils assiègent. Ma tous les autres, et Cellini lui-même, tournent le dos à la place à prendre, et bien campés face au public, chanter éperdument « A l'assaut! à l'assaut! Enfonçons se arsenal! >>

Le dénouement n'est pas moins surprenant. En appre nant que le corps qui est dans le reliquaire est celui de Scozzone, la duchesse d'Etampes se tord les mains, s balance en tous sens, rentre la tête dans les épaules e donne les marques du plus violent désespoir. Or tout la cour de François Ier est sur la scène. Mais persone n'est censé voir la duchesse. Elle a beau se démener a premier plan, les seigneurs causent entre eux en afe tant la plus profonde indifférence.

HENRY BIDOU.

De Trouillebert à Corot

On a excusé la partition sous le prétexte qu'elle était de 1890, et qu'elle avait du mérite pour son temps. Certes, il serait injuste de méconnaître la place que tient M. Saint-Saëns entre les symphonistes; la symphonie avec orgue est très agréable et ne manque pas d'une certaine grandeur; il a probablement contribué à maintenir en France le goût d'une facture classique; enfin, il a rendu les services que les Parnassiens ont rendus dans le règne des lettres. Mais tout cela ne fait point que la représentation d'Ascanio marque une date dans La Curiosité. l'histoire du théâtre lyrique. Elle est au contraire, même pour son époque, extrêmement vieillotte, avec des airs détachés, qui n'ont aucun rapport ni avec le caractère de celui qui chante, ni avec le moment de l'action. Ce sont des romances de salon, accompagnées de dessins d'orchestre qui sont, eux aussi, sans rapport avec le drame. Cette mauvaise musique est en même temps du mauvais théâtre. En 1890, il n'y avait aucune excuse à entendre si mal le drame musical. C'est la façon dont l'entendait Halévy; elle est heureusement tout à fait désuète aujourd'hui. Les derniers ouvrages qu'on montés n'étaient pas tous bons; mais tous du moins cherchaient à faire participer et les voix et l'orchestre à la vie du drame. Pour retrouver de nos jours les méthodes de M. Saint-Saëns, il faut descendre jusqu à l'opérette, où on les retrouve dégradées, mais reconnaissables. On se demande d'où vient la musique de M. Christiné ; n'en cherchons pas ailleurs l'origine. Historiquement, Ascanio est un chaînon entre la Reine de Chypre et les Petits païens.

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M. Raynaldo Hahn a très bien conduit l'orchestre, et mis en valeur tout l'agrément ornemental, qui est indis

C'était une bonne figure de peintre, toute ronde Ds lunettes. Un tempérament de laborieux, qui traval sur nature, comme les anciens de 1830. Il promenait so chevalet à travers champs, accompagné de son épors une aimable femme, qui fumait, dit-on, le cigare et pipe comme George Sand. Il venait de vendre à l'Hot Drouot, le 20 avril 1883, une quarantaine de toiles s gnées de son nom, à consonance un peu ridic Trouillebert. Les enchères avaient produit la bagata de 15.000 francs.

Un mois plus tard, un article du Figaro, répété l'envi par la presse française et étrangère, lui donna une célébrité soudaine et imprévue et faisait de s nom la personnification du faux en peinture modeme Que s'était-il passé ? L'aventure ordinaire.

Trouillebert, qui n'avait jamais été l'élève de Cort peignait dans la manière du maître de petits paysag fins, moirés, nacrés, de belle pâte et de bonne fact

De vrais Corot d'Italie ! disaient des amis Dour

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tter. Dans le courant de juin 1883, Alexandre Dumas , qui se piquait de connaissances en peinture, acheta Bez Georges Petit une Fontaine des Gabourets signée rot, dont l'aspect l'enchanta. Il la paya 12.000 francs s'empressa d'en faire les honneurs aux visiteurs de galerie.

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On se récria d'admiration et Meissonier fit sa partie ns le concert d'éloges. Dumas rayonnait. Par malheur quidam, dont personne, pas même Eudel, n'a retenu nom et qui n'est autre que ce fâcheux, ce gaffeur votaire toujours prêt à révéler au mari son infortune jugale et au collectionneur le truquage dont il est time, glissa doucement au grand dramaturge :

S.

un.

Vous avez là un bon Trouillebert, monsieur Du.

Vous voulez dire un Corot ?

Pas du tout, je dis un Trouillebert parce que c'en

'ai honte de raconter la fin de l'anecdote tant elle semble à toutes les aventures de mystifications artises. Dumas va frapper à la porte de Trouillebert, de Navarin, n° 20. Il y trouve le pendant de son her » Corot, et l'artiste de lui dire :

En effet, j'avais peint deux pendants. J'ignorais que l'autre était devenu. On l'a signé Corot? C'est n possible. Cela se fait si souvent !

Dumas n'en demanda pas plus long. Il courut chez orges Petit, qui, malgré son coup d'œil d'expert, ait cru posséder un vrai Corot. Les 12.000 francs ent remboursés, et les deux compères, connaisseur et pert, jugèrent prudent de ne pas ébruiter l'affaire. in espoir! Un ami de Trouillebert ayant conté venture dans un grand journal de province, il fallut blir les responsabilités Le tableau malencontreux reit en sens inverse la filière de ses vendeurs. Georges tit, qui l'avait coté 12.000 francs à Dumas, le reassa à MM. Tedesco frères qui l'avaient payé 4.000 à marchand de tableaux nommé Cordeil, qui lui-même tenait d'un amateur, M. de Mure (ou un nom approant) qui ne dit jamais de qui il l'avait reçu et garda silence prudent.

Je le répète, c'est l'aventure banale. Mais les protanistes étaient de marque. Un dramaturge célèbre, prince de l'expertise! La risée fut universelle. Tous 1 possesseurs de Corot tremblèrent et on put craindre moment qu'après avoir pris des Trouillebert pour Corot, on prît des vrais Corot pour des Trouille

t.

Lorsque le bruit fut apaisé, les choses reprirent leur re. Les œuvres du maître de Ville-d'Avray conti

rent leur marche ascendante en France et en Amé1e. Celles de son sosie tombèrent dans l'oubli, et il urut sans avoir connu d'autre gloire que d'avoir un I jour été pris pour un grand peintre. Mais de temps Wutre les marchands continuèrent à se repasser de ses leaux « Corotisés » et tentèrent, pas toujours avec cès, de les écouler à des amateurs naïfs. M. Sarlin, n'était pas de ce nombre, et dont la fameuse colion de l'Ecole de Barbizon a connu récemment de es enchères, fit saisir en 1908 un Soir qu'on lui avait posé pour 75.000 francs.

et qui voyait la nature comme Corot, ce qui n'est déjà pas si mal.

Une «Ile sur la Loire » a été adjugée 5.000 francs, le « Matin, environs de Chinon », 4.500 francs, « Paysage bords de la Vienne », 4.050 francs, « Le Soir, bords de la Viene », 4.700 francs. Il y avait même à la vente un «< Etang de Ville-d'Avray »! Chose curieuse : les toiles se sont vendues pour ainsi dire à l'inverse de leurs dimensions. Est-ce la crise du logement ou réellement les amateurs ne veulent-ils plus de grands morceaux? La Fortune, tableau de 2 mètres sur I m. 50, n'a pas dépassé 600 francs, la Captive, 720 francs, la Baigneuse 780 francs, Eurydice 580 francs.

Les tout petits paysages étaient d'ailleurs charmants. et l'on pourrait peut-être citer plus d'un Corot qui n'approche pas de la manière de ces Trouillebert.

Il y a en effet Corot et Corot. Le bon maître, quand il s'est mis à travailler pour les marchands, leur en donnait pour leur argent. Quand il peignait à Barbizon, les « copains » qui le rencontraient en forêt, lui criaient au passage :

« Eh! Corot! à combien en es-tu déjà ce matin, de tes barbouillages?

C'est le cinquième! répondait-il.

Ces impressions hâtives, sont, on le comprend sans peine, du gibier à faussaires. Certains y ont excellé à tel point que Corot, qui était la bonté même, ne les désavouait pas trop ouvertement.

On lui présenta un jour un, Etang de Millemont sur lequel des doutes s'étaient élevés.

Le vieux maître s'enquit du prix de vente, qui était de conséquence, puis il dit simplement :

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C'est fort bien, à peine y a-t-il quelque chose qui ne marche pas dans la forme de la lettre T.

Une autre fois, un amateur lui apporta un savoureux « Coucher de soleil dans les bois de Meudon » sur lequel tout le monde se récria.

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Quel bijou! Quelle merveille d'air et de lumière! Comme on reconnaît bien votre pinceau!

Corot, qui avait dépisté le faux du premier coup d'œil, allait et venait dans l'atelier, visiblement agacé et dissimulait de son mieux son impatience. Ayant enfin trouvé ce qu'il cherchait, il vint placer, sans avoir l'air de le faire exprès, un bout d'étude de « quatre sous » à côté du fastueux coucher de soleil.

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L'effet fut foudroyant. Le petit bijou faisait paraître lourd, sombre et boueux le postiche tant admirê. Eh oui, il n'est pas mal ce coucher de soleil, disait le bon peintre. Beaucoup de talent... charmante composition...

L'amateur s'empressa de le faire disparaître et prit congé sans demander son reste.

Enquêtes

HENRI CLOUZOT.

Enquête sur la situation financière (1)

IV

M. JULES DECAMPS

Chef des études économiques à la Banque de France, M. Decamps est moins un théoricien qu'un technicien de sa science.

Toutes ces anecdotes viennent de refleurir à l'occasion la vente de la succession de Mme Trouillebert à tel Drouot, où une cinquantaine de toiles de son ri ont fait 55.265 francs, chiffre qui n'est pas exaLa situation qu'il occupe, et la mission d'informaé, mais qui donne cependant une moyenne de 1.000 tion dont il est chargé par la Banque l'incitent à conncs par numéro. En 1883 cette moyenne ne dépassait sidérer d'un regard objectif et aussi réaliste que pos375 francs. La vacation avait attiré une belle cham-sible les phénomènes du crédit et de l'échange. L'opi e et la plupart des peintures ont été achetées par ; amateurs qui les conserveront, il faut l'espérer, ns leur galerie. Ces acquéreurs, gens de goût, dont Debray est un des principaux, ont été bien inspirés, r au demeurant Trouillebert était un artiste sincère

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LA CRISE ÉCONOMIQUE ET LA SITUATION MONÉTAIRE MISE AU POINT HISTORIQUE

Oui, me dit M. Decamps, je connais les arguments inflationistes... L'inflation, excitant de la production... Mais veuillez me répondre: Est-ce que la crise économique a été provoquée par une diminution quelconque des billets en circulation? A-t-on brûlé un seul des 38 milliards de papier qui constituent les moyens de paiement mis à la disposition du public? On ne peut pourtant pas augmenter indéfiniment ce chiffre... Si l'excitation de la production n'est pas suffisante, à l'heure actuelle, qu'y peut le ministre, qu'y peut la Banque de France!

A-t-on, à un moment quelconque, effectué un resserrement systématique du crédit? Citez-moi un négociant, un industriel offrant des garanties sérieuses, auquel la banque refuse du crédit?

Si l'on constate depuis mai 1920 un dégonflement des prix, ce n'est pas à une déflation inexistante qu'il faut l'attribuer mais à l'arrêt de l'inflation, ce qui est tout à fait différent.

Reportons-nous aux événements.

Le plus gros accroissement du papier-monnaie a eu lieu durant l'année 1919 et le premier trimestre 1920. La circulation des billets de la Banque de France s'est accrue de 10 milliards, durant cette période, passant de 28 milliards 1/2 à 38 milliards 1/2. Cette augmentation provenait uniquement des avances à l'Etat.

Mais ces avances, ivons-en la destination. Une partie a servi à retirer les billets allemands qui se trouvaient en Alsace et en Lorraine quand nous en prîmes possession. Une autre partie a servi à remplacer dans nos départements libérés les coupures de toute sorte créées pendant l'invasion. D'où il suit qu'en tenant compte des besoins plus grands résultant de l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine et de la reprise du trafic dans les départements libérés, les 10 milliards remis à l'Etat sous forme de billets ne sont pas tous des parasites de la circulation monétaire : une grande partie d'entre eux est simplement venue remplacer d'autre papier retiré de la circulation.

Mais la hausse des prix qui s'est manifestée au lendemain de l'armistice est encore due à un autre facteur dont on n'a pas assez fait état. Je veux parler de la remise en circulation, par les paysans, d'environ II milliards 1/2 de francs consacrés par eux à l'achat de terres, entre les mois de juillet 1919 et juillet 1920.

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J'en réponds. Si cela vous intéresse, voici comment je l'ai obtenu : j'ai comparé les droits d'enregistrement sur les transferts d'immeubles avant la guerre et durant la période en question. En tenant compte du tarif des taxes, le produit de l'impôt, qui est passé de 200 millions (avant 1914) à 547 millions (1919) et à 794 millions (1919-1920), révèle bien un mouvement de fonds de 11 milliards 1/2. Cela comporte une plus-value de 7 à 8 milliards sur le trafic normal. Tel est l'ordre de grandeur de la thésaurisation paysanne durant la

guerre.

Pendant les hostilités, cette thésaurisation a constitué un palliatif efficace de l'inflation fiduciaire. Par contre, la libération soudaine de cette circulation thésaurisée a bouleversé tout l'équilibre des prix, aussitôt après l'armistice.

Ajoutez à cela le stockage pratiqué par les mercantis, thésaurisation d'un autre genre, accentuant la hausse des produits par raréfaction. Aussitôt que la baisse s'est dessinée, ces stocks sont venus encombrer le marché.

D'autre part, la production finissant de se transposer du plan de la guerre à celui de la paix, déversant une

foule de produits sur le marché déjà en position a tique, transformait la baisse en débâcle.

Tel est le mécanisme de la crise économique actu dont certains signes heureux permettent d'entrevoir à fin.

LA POLITIQUE DES BANQUES

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Remarques que cette crise s'est déclanchée au ment où le crédit jouait à plein et où il n'était pas m tout question de réduire la circulation monétain Les banques n'ont resserré les crédits, en 1920, qd près l'accentuation du dégonflement des prix. D'aq leurs plutôt que de resserrement, il vaudrait mieux pa ler d'une demande, de la part des banques, de garam supplémentaires en raison de la perte de valeur de celles déjà déposées. Enfin, il suffit d'une minute réflexion pour s'assurer que les banques n'avaient aucti intérêt à la déflation, source, pour elles, de multip re difficultés.

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POLITIQUE DE LA BANQUE DE FRANCE Maintenant, peut-on dire que cette déflation, oppose à l'intérêt des banques privées, soit au contraire d rable pour la Banque de France et désirée effective ment par elle?

Les bilans de l'Institut national

répondre.

d'émission va

Au début de janvier 1919, la circulation des bille est de 37.660 millions. Au mois de mars 38.500 mil lions. La crise se déclanche, la circulation tend à a menter. En juillet 1920, la marge d'émission est acc par disposition légale on use de la faculté d'accro sement et le 4 novembre le bilan inscrit 39.646 millions

Voyons, concurremment, l'escompte et les avances Au mois de mars, en pleine hausse du marché) portefeuille n'atteignait pas 2 milliards et les avan dépassaient à peine 2.500 millions. Au mois de novem 1920, en pleine crise, le portefeuille d'escompte est 3.660 millions, les avances au commerce dépassent a core deux miliards. Et l'indice des prix, entre as de dates, accuse une diminution de 100 points, ce ajoute encore une plus-value relative aux chiffres les derniers.

Non, vraiment, la Banque de France n'a jamais fa à sa mission de soutien du crédit public. LA CRISE ÉPURATRICE

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Que faut-il pènser, dans ces conditions, des mandes qui s'élèvent, çà et là, dans le public des faires, en vue d'un accroissement de la circulation nétaire?

Il est certain qu'un nouveau flot de papier naie aurait bien sur les affaires l'effet qu'on en aft Mais combien cela durerait-il? un ou deux trimest Le temps, pour quelques gens d'affaires mal définis rafler une fortune, d'aggraver l'embarras de la prod tion, et une nouvelle crise serait nécessaire de nouveau un réajustement des prix. Or, celui-ci a tant de mal à s'opérer aujourd'hui, qu'on peut do du résultat de l'expérience, si on la renouvelle.

pour

En 1913, les indices des prix par catégories de chandises variaient entre 106 et 120, sans grand par conséquent, autour de l'indice moyen qui était 115. En avril 1920 les mêmes indices varient entre et 1.115 pour un indice moyen de 679. L'écart to fait anormal de l'échelle des indices en 1920, vo meilleure preuve du désordre du cycle économie Croyez-moi, la crise actuelle aura été une dure le mais elle aura épuré le marché : et cette épuration 6 loin d'être achevée.

Tenez, le Salon de l'Automobile vient de se te L'industrie de l'automobile plus que d'autres, esto chée par la crise. Savez-vous combien de marques

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