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Avant de se séparer, la Chambre a fait un beau geste, elle a décidé que la revue du 14 juillet n'aurait pas lieu à cause des insolations possibles.

Le général de Castelnau, qui a fait décider cela, est le frère du troupier.

M. Morinaud aurait voulu que la revue fût tout au moins reportée au 4 septembre, on lui a refusé même cette consolation.

S « Cette Chambre de calotins, rageait un socialiste, devenu cocardier pour la circonstance, ne veut absolument pas fêter le 4 septembre. »>

D'autres pensaient tout simplement que M. Morinaud n'a le sens des vacances. pas

M. Outrey, lui, se consolait en pensant que la proposition de Castelnau ne s'applique qu'à la France et à l'Algérie et qu'il y aurait tout de même une revue du 14 juillet en Cochinchine, où l'on ne craint pas la chaleur. Seulement, il n'y sera pas.

Affaires Extérieures

INTÉRIM.

A propos de la prochaine Conférence

Une nouvelle réunion du Conseil suprême est en vue. Les chancelleries s'agitent, hommes d'Etat, diplomates et experts s'équipent pour la discussion.

Voici en vérité deux mois et demi écoulés depuis que l'auguste aréopage s'est, pour la dernière fois, séparé. Intersession d'une durée inusitée. Et, cependant, le monde a continué à tourner, les événements à suivre leurs cours et disent les pessimistes les peuples à pâtir des sottises des gouvernements. Quidquid deli Tant reges.. Les optimistes, eux, affirment et peutêtre n'ont-ils pas tout à fait tort que pendant cette intersession, et malgré le défaut d'oracles fulminés du haut du Sinai où trône le Conseil suprême, il a été jeté dans le champ de la politique internationale quelques fécondes semences. Certaines conversations directes franco-allemandes et franco-turques, franco-an

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glaises aussi ont eu lieu notamment qui... Mais ceci est une autre histoire,

Quoi qu'il en soit, et en dépit d'hésitations manifestées par le gouvernement français, le Conseil suprême va prochainement s'assembler. Sera-ce à Paris ou à Boulogne-sur-Mer ? A Paris probablement ; en tout cas sur notre sol. Et de cela nous ne pouvons que nous féliciter. On ne se rend, en effet, pas assez compte de l'influence qu'a exercé le lieu où elles se sont tenues sur les résultats des précédentes conférences. Si la dernière n'avait pas siégé à Londres, sans doute sir Alfred Mond, ministre de l'Hygiène, et certains autres membres du cabinet britannique dont les attributions n'ont avec la politique intérieure que de bien lointains rapports, ne se seraient-ils pas assis à la table du Conseil auprès de M. Lloyd George, et peut-être alors les conditions de l'état de paiement adressé à l'Allemagne eussent-elles été différentes et plus avantageuses pour la France.

Le théâtre de la prochaine réunion est donc connu : villa Belle ou Salon de l'Horloge. Les acteurs, pour la plupart, ne le sont pas moins. On remarquera un nouveau venu: M. Bonomi. On regrettera une disparition celle du comte Sforza, dont la fière carrure sera remplacée par la silhouette menue, et déjà familière, du marquis della Torretta. Peu d'hommes physiquement aussi dissemblables que ces deux-là. Le premier ressemble au Commandeur de quelque Festin de Pierre; le second paraît échappé d'une comédie de Goldoni, fine et spirituelle comme lui. Mais tous deux sont de la même école, et si le chef d'emploi a changé, le rôle, lui, du moins l'espérons nous, ne changera pas.

Last, but not least, un personnage nouveau: le colonel Harvey, ambassadeur de Etats-Unis à Londres et observateur au Conseil suprême. On sait, en effet, qu'à la suite de la demande qui lui en a été faite à l'issue de la dernière conférence, le gouvernement de Washington a consenti à désigner un représentant officieux auprès du Conseil des Alliés. Nous ne pouvons que nous en réjouir. En vérité, en 1921, tenter d'édifier une construction politique quelconque sans le concours du maçon américain, ce serait bâtir sur du sable. La présence du colonel Harvey à la prochaine conférence constitue un événement capital dont nous espérons que notre gouvernement appréciera l'importance et saura tirer les conséquences nécessaires.

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L'ordre du jour de la session sera chargé. Sera-t-il épuisé ? C'est douteux. Un inconvénient des conférences entre chefs de gouvernement est que ces derniers, obligés qu'ils sont d'assumer, chacun dans leur capitale, de lourdes responsabilités, ne peuvent s'éterniser autour du tapis vert. Et il paraît probable que plusieurs des problèmes dont on espère qu'ils seront résolus par le prochain Conseil, n'y seront qu'effleurés, si même ils y sont abordés.

On

Une question, toutefois, sera à coup sûr traitée : celle de Haute-Silésie. Question irritante entre toutes. Plaie que le traité de Versailles a installée au centre. de l'Europe et qui a été s'envenimant jusqu'à ce que la gangrène s'y soit mise. Les médecins, alors, se sont précipités. On a diagnostiqué et disputé à tour de bras. Nous avons eu des docteurs Tant-Pis et des docteurs Tant-Mieux, sans compter quelques Diafoirus. s'est enfin à peu près entendu sur de « petits remèdes anodins, émollients, détersifs », qui ont à peine adouci «l'âcreté des humeurs >> l'assassinat du commandant Montalègre en est la preuve. La guérison est encore loin. Certains ont préconisé une opération hardie: il s'agirait de tailler dans le vif et de partager la partie la plus sensible: le bassin houiller. Là serait peut-être le salut. Mais d'aucuns de s'effarer : sec

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Le Conseil suprême est déjà intervenu dans le conflit gréco-ture, et son intervention n'a pas été particulièreefficace. On se rappelle les assises de Londres, à la fin de février, devant lesquelles comparurent, pour les Turcs apprivoisés » (l'expression est de M. Lloyd George), Tewfik pacha, vétuste et branlant comme l'ancien gouvernement de la Sublime-Porte lui-même, pour les Turcs sauvages », Bekir Samy bey, et, pour les Grecs, M. Calogeropoulos, prête-nom un peu falot de M. Gounaris, qui se démasqua vers la fin. Les Alliés, trônant: dans leur majesté, proposèrent une enquête, un arbitrage. Les Turcs acceptèrent, sous conditions. Les Grecs.refusèrent, franchirent le Rubicon. Le résultat le plus clair de la conférence fut de réconcilier Turcs apprivoisés et Turcs sauvages, de décider Constantin. à précipiter les événements, et de faire apparaître aux yeux de tous que le concert des Alliés n'allait pas sans dissonances.

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On connaît la suite l'offensive grecque et ses déboiboires; la superber qu'en ont acquise les Kémalistes le nouvel essai de conciliation tenté par l'Angleterre et la France à la suite de la visite du marquis Curzon à Paris; l'échec de cette tentative; l'armée d'Angora aux portes de Constantinople; la flotte hellène bombardant les côtes ottomanes; la liberté des Détroits menacée par les deux partis.

Les choses en sont là. La tâche du Conseil suprême ne s'est pas simplifiée depuis février. Smyrne et la Thrace orientale constituent maintenant pour Angora un minimum de revendications, déjà dépassé. Constantin peut, moins que jamais, renoncer de plein gré à ces provinces; il y perdrait sa couronne. Il tente, pour la conserver, d'entraîner les Alliés dans sa querelle.Pendant ce temps, les Balkans s'émeuvent. Là, encore, tandis que les médecins disputer, la maladie gagne... Le danger peut, pourtant, être encore conjuré si les Alliés savent se mettre d'accord. mais il n'y a plus un instant à perdre sur les grandes lignes d'une politique commune en Orient. Cette politique comporte un but l'établissement d'une paix sincère avec la Turquie; une méthode : la fermeté conciliante; une condition le ferme propos de ne pas s'engager, pour garder son trône au roi de Grèce, dans un conflit armé contre Angora ; une réservt enfin la liberté des Détroits.

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d'appliquer à l'Allemagne un certain nombre de mesures de contrainte : prélèvement sur ses exportations, occupation des ports fluviaux de la Ruhr, instauration, enfin, dans les territoires rhénans, d'un régime douanier spécial.

Les motifs invoqués étaient les manquements du Reich à l'exécution de certaines des stipulations les plus importantes du traité de Versailles jugement des coupables, désarmement, paiement de 20 milliards de marks or avant le 1er mai 1921.

Les scandaleux acquittements de Leipzig ont montré comment les Allemands entendaient le châtiment des crimes de guerre. Des présomptions qui vont s'accumulant chaque jour font penser que le désarmement n'est guère, en Bavière surtout, qu'une apparence. Enfin, les bons que nous a remis le gouvernement allemand ens paiement de sa dette échue perdront, à l'escompte, une fraction singulièrement importante de leur valeur no minale.

Malgré tout, une tendance se dessine, chez nos alliés, nettement favorable à l'abrogation des mesures de contrainte. En France même, l'opinion est à ce sujet divisée.

Nous estimons, quant à nous, que, tant que les motifs qui ont décidé, en mars, les Alliés à user de rigueur, n'auront pas intégralement disparu, les sanctions devront être maintenues. Les sanctions économiques surtout, les plus efficaces et les plus malaisées, une fois levées, à appliquer de nouveau. Peut-être, cependant, certains adoucissements pourraient-ils leur être appor tés. Le régime douanier actuel des territoires rhénans serait, par exemple, modifié en tenant compte du fait que la totalité du produit des douanes allemandes va être affecté à la garantie du paiement des annuités. Mais le principe doit demeurer sauf. Et ces adoucissements, eux-mêmes, devraient être subordonnés au maintien, à la tête des affaires du Reich, d'un cabinet composé d'hommes de bonne volonté.

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Malgré certaines rumeurs fâcheusement contraire, nous voulons espérer que, sur ce point, nos représentants au Conseil suprême demeureront inébranlables.

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Et ceci nous ramène à la hâte fébrile dans laquelle se. déroulent ces réunions de chefs de gouvernement. Ceux qui en ont été témoins demeurent, assure-t-on, confondu de la précipitation avec laquelle y sont improvisées les plus graves décisions: un projet, longuement mûri, a été apporté par une délégation. Il ne plaît pas à l'unanimité du Conseil. On discute. On cède. On con cède. Bientôt, du texte primitif, presque rien ne demeure. Il en faut bâtir un autre. Renvoi aux experts. Cependant le temps a marché. Tel ministre songe que son Parlement attend de lui, avec impatience, une déclaration; tel autre qu'une grève réclame son arbitrage. Les experts, pressés, harcelés, mettent debout, dans des séances qui se prolongent jusqu'à l'aube, un nouveau projet... qui leur est retourné, en miettes, par le Conseil. Sisyphes modernes, ils se remettent à la tâche. Un troisième, un quatrième projet sont ains bâclés, dans une fébrilité croissante. Il faut cependant aboutir. Sinon, que diraier les Chambres ? Que dirait la presse ? Et l'on aboutit; on adopte un texte, on publie un communiqué satisfait, et on se sépare... quitte à s'apercevoir bientôt que la solution imaginée est inapplicable, et à recommencer le même jeu dans une autre capitale.

Ce sont là inconvénients inhérents au principe même du système des conférences. Mais, en outre, celle qui va

prochainement s'assembler présente pour nous, Franpour nous, Français, un danger particulier. C'est, pour parler franc, que nous risquons d'y être mis, sur la plupart des questions, en minorité. N'oublions pas, en effet, que les délégués belges ne participeront sans doute pas aux débats relatifs à la Haute Silésie et à l'Orient. Et, si l'on peut espérer que l'Italie partagera, sur le second de ces problèmes, les vues de la France, cela est, en ce qui concerne le premier, et surtout depuis la chute du cabinet Giolitti, plus douteux. Quant aux sanctions, on dit que les Belges eux-mêmes...

Nous entendons bien que le Conseil suprême est une assemblée diplomatique, et que les décisions ne s'y doiest-ce vent pas prendre à la pluralité des voix. Mais en raison de la formation parlementaire de ses membres? c'est un fait qu'une tendance contraire s'y est fréquemment manifestée.

Aussi, dans l'intérêt tant des affaires du monde que de celles de la France, à ces réunions à grand spectacle qui satisfont ia badauderie des foules, nous préférons, parce que nous les croyons plus fécondes, les ti négociations par la voie diplomatique traditionnelle, les conférences de techniciens, voire les conversations à deux entre ministres des affaires étrangères.

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Le gouvernement français ne paraît pas éloigné de se ranger à cette opinion. Et il ne semble pas qu'il ait rien fait, au contraire, pour hâter la réunion d'un Conseil suprême que M. Lloyd George aurait voulu voir en convoqué dès la fin de mai...

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du:

de

Maintenant cette réunion est décidée. Elle n'était The guère évitable. Elle ne sera en tout cas pas entièrement stérile, puisque, préface de la conférence de Washington, elle marquera le retour, dans une place demeurée trop longtemps inoccupée, du représentant de l'Amérique. Et si nos plénipotentiaires savent convaincre ce dernier de la rectitude, et de la modération de la politique française, peut-être n'aurons nous pas trop à déplorer de voir à nouveau s'assembler, parmi les rouges et les ors du Salon de l'Horloge, le conclave laïque des maîtres de l'heure.

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JACQUES CARLES.

NOTES ET FIGURES

La Fontaine et Chateau-Thierry.

Dimanche, minuit. Assis à la terrasse du Café du Commerce, devant la Marne, à l'éclat d'ardoise mouillée, osé-je dire que je rêvais ? Un souffle éventait l'espace. J'en goûtais la fraîcheur.

Sous les yeux, la courbe du fleuve. Convexe la vieille ville tient dans cet arc. Derrière moi, la colline, plus noire que verte dans l'ombre. Je n'ai qu'à tourner la tête pour découvrir le miroir que les Boches ont étoilé de cent coups. Deux ponts légers traversent, de ces ponts militaires qui semblent faits de rien, et ils portent des armées. Le plus important, accroché à la dernière pile de l'ancien pont. Et sur ma gauche, la statue.

Sous les tilleuls académiques, savez-vous ce que La Fontaine regarde ? Il contemple la cote 204. Il a la face tournée vers le bois Belleau. J'imagine que si la pierre s'animait, La Fontaine frotterait d'abord sa jambe blessée. Et puisque j'en suis à inventer des miracles, j'imagine qu'il parlerait. Ce serait à Maúcroix, son cher MauCroix, qu'il tutoyait, ayant avec lui gardé les manières du temps de Louis XIII.

Tu peux voir, dirait-il, que je suis content. On m'aime ici. Ils connaissent mes fables, qui servent, comme je l'ai voulu, à les garder un peu, dans les hasards de ce monde où la méchanceté ne voudra jamais chômer. Tu as admiré tout à l'heure ces barques lumineuses

qui ont suivi le fil de la rivière, battant parfois l'onde obscure d'une rame assez lente. Elles étaient chargées de mille lanternes fragiles, de celles que nos Français. ont empruntées à Venise. Cependant, les feux de Bengale teignaient les blanches maisons du quai et dans le ciel brillait soit l'éclair des fusées, soit leur pluie d'étincelles. Il y avait, dans la file de ces bateaux, un grand héron couleur de ciel et de flamme, que les petits mouvements du flot berçaient doucement. Une autre de ces barques portait, comme à Bar, dans les Pouilles, l'autel de Saint-Nicolas, ma propre image, j'ai honte à te le dire, très bien bariolée et toute rayonnante aux flambeaux. Tu l'auras vue, et l'inscription, dans ce cartouche « A notre Jean! » C'est ainsi qu'ils m'appellent. Ils m'appellent tous Jean, sans plus, cela est vrai, comme si j'étais pour chacun de mes concitoyens un frère. M. le Maire élu de Château-Thierry a fort bien fait de le dire aux Parisiens qu'il avait priés.

C'était un ministre d'Etat et deux de ces messieurs de l'Académie, dont le second, M. Robert de Flers, n'a pas soufflé mot. Je lui en sais gré. Ses yeux me parlaient, qu sont les plus gais du monde, et ainsi il ne m'a pas déconcerté, comme M. Léon Bérard et M. Alfred Capus.. On ne met aucune discrétion dans les louanges qu'on me donne. Figure-toi qu'un écrivain, des bons juges qu'il y ait aujourd'hui en fait de poésie, me déclare le plus grand des poètes, à son gré, dont je suis bien chagrin, malgré que j'en aie, si je songe à notre Racine...

M. Capus a mon fauteuil à l'Académie: son sourire cache une sagesse intrépide et quand il se rit des fauxsemblants, c'est pour les avoir pénétrés. Je te dirais pourtant que son audacieux génie a trop de foi dans la fortune du genre humain. Ou bien c'est un air qu'il se donne, pour l'exemple et pour entraîner les courages. Quant à M. Bérard, je l'aime aussi, bon lettré comme il

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est:

La querelle des Anciens toujours ouverte, les plus honnêtes gens de la terre se laissent piper aux mauvais arguments. Ne manque pas d'écouter à l'église demain, où les bons chanteurs de la ville entonneront mon Dies ira, ne manque pas d'écouter M. le curé de La FertéMilon. Il est de ceux qui m'ont pardonné mes péchés, il connaît ce que j'ai pu faire, et la glose; il ajoute à tant de doctrine, les vues d'un esprit juste. Pourtant il y brode je ne sais quel préjugé gothique dont je suis bien fâché, parce que les nouveaux Modernes s'en accommodent trop bien .Il s'agit de rejeter l'héritage de Rome et le grec. Ils veulent que l'on ne sache plus Platon! Leur rage a retiré de l'enseignement même le latin. Pour le grec, je serais savant aujourd'hui, moi dont vous moquiez l'ignorance. Loué soit donc M. Bérard qui s'oppose à si noire folie! Le chevalier Pidoux, mon parent, a eu bon nez de lui prédire l'Académie.

Avant les discours, on l'avait mené, les Académiciens avec lui, chez moi, où l'excellent M. Pommier a bien su haranguer son monde. Ensuite, ils sont allés déjeuner, enfin leurs voitures sans chevaux ont brûlé les pentes du château. Ils ont là-haut écouté les acteurs de la ComédieFrançaise, qui, dans le théâtre de verdure, ont déclamé la Coupe enchantée, et chacun sa fable. Les gens de Chaury ont fait de leur mieux aussi, menant en ville, un bruit du diable, tu l'as entendu.

Si j'avais été là, sous forme palpable, sans doute n'aurais-je su que faire. J'aurais du moins embrassé Mlles Bovy, Nizan et Dussanne, celle-ci deux fois plutôt qu'une, pour sa peine. Car elle a si bien dit la fable que j'aurais moi-même choisie, les Loups et les Brebis, tu sais :

La paix est fort bonne en soi
J'en conviens: mais de quoi sert-elle.
Avec des ennemis sans foi?

large ne rafraîchit pas les fronts en sueur, l'odeur des algues et de la saumure ne cingle pas les narines, mais qu'importe ! L'illusion féconde ne transforme-t-elle pas, au gré de l'imagination, les choses et les gens ? Et la Seine ne prend-elle pas figure d'Océan, quand passe en sifflant un remorqueur suivi de cinq ou six chalands et quand l'eau jaunâtre du fleuve se ride de vagues clapotantes comme les flots marins que sillonnent les voiliers ?

Regarde, Maucroix, regarde les filles et les garçons danser dans la poussière du Jeu de Paume. Plus d'une fillette aura demain sa voix éteinte dans sa belle gorge, pour avoir trop ballé et respiré le sable volant dans l'air. Regarde-les encore au Champ-de-Mars, qui chevauchent hardiment les chevaux de bois, les gorets, et ces gros oiseaux d'Afrique à long cou, dont la plume parait déjà nos dames. Je ne reproche pas à ces enfants de danser ni de rire. Au contraire, je crains pour eux. Ces ruines de la guerre que j'ai décrites, je ne pensais pas qu'elles désoleraient un jour ma ville natale. E trois ans passés, elles ne sont pas réparées encore. Je crains pour eux, Maucroix, je crains la fourbe d'un ennemi qui La Littérature ressemble à mes loups.

EUGÈNE MARSAN.

Les plages de Paris.

A peine les premiers souffles de l'été commencent-ils à brûler l'asphalte des rues, les Parisiens n'éprouvent plus qu'un désir: fuir la capitale et goûter sur les côtes de l'Atlantique, de la Manche ou de la Méditer

ranée la brise rafraîchissante de la mer aux cent voix...

Mais aujourd'hui, il faut compter avec le prix des voyages et des auberges dans la moindre desquelles un séjour coûte aussi cher que dans les palaces d'antan, et comme la qualité de nouveau riche n'est malheureusement pas aussi fréquente que certains vaudevellistes voudraient nous le faire croire, nombreux sont les malheureux que l'impécuniosité et la dureté des temps attachent, par les caniculaires chaleurs, aux rivages de la

Seine.

Nécessité rend, dit-on, ingénieux. Il le faut croire. Allez vous promener sur les quais, dont Paris à bon droit peut s'enorgueillir, et vous constaterez qu'il est loisible, à bon marché, sans déplacements lointains et onéreux, de connaître en pleine ville les douceurs de l'existence sur les plages marines. Sur les bords du fleuve, en effet, au port royal devant le Louvre, devant l'église Saint-Gervais, à la pointe de l'île Saint-Louis, des monceaux de sable alternent avec des charrettes à bras, des futailles et des blocs de pierre. Ce sont les plages de Paris. A deux heures de l'après-midi, quand le soleil fait miroiter la Seine, les familles habitant les quartiers sombres et trépidants du Marais, du Sentier, voire de la Montagne Sainte-Geneviève, descendent vers le fleuve.

La maman a revêtu un costume de toile blanche, s'est armée d'une ombrelle claire et parfois d'un pliant, tandis que les enfants la suivent porteurs de seaux et de pelles.

On descend sur les berges du fleuve. Plusieurs familles sont déjà installées. On se reconnaît, on se salue au passage, souvent même on installe son pliant à côté de ceux des premiers arrivés et l'on bavarde en tricotant. Les relations sont si rapides au bord de la mer... Pendant ce temps-là. les bambins gambadent autour de leurs mères. Une casserole défoncée, trouvée sur la

berge, une paire de vieilles chaussures pêchées miraculeusement dans le fleuve, alimentent leurs jeux. Ils se poursuivent à travers les charrettes abandonnées et les tonneaux. Puis, à genoux ou bien allongés sur le sable brûlant entremêlé de cailloux, d'escarbilles et de morceaux de mâchefer, ils construisent au milieu des exclamations et des rires de superbes pâtés et d'impressionnantes forteresses.

Il arrive quelquefois qu'un garçonnet plus hardi que les autres s'avance jusqu'à la languette de terre où des laveuses à grands coups de battoirs frappent le linge, et trempe prudemment dans l'eau bouillante d'écume savonneuse, son pied nu.

Ce sont les plages de Paris... Evidemment, le vent du

Trois romans(1)

JEAN DORSENNE.

Il suffit d'ouvrir un des livres de M. François Mauriac pour s'assurer qu'il est un esprit infiniment distingué; je l'ai écrit naguère (2), et son nouveau roman, Préséances, ne peut que confirmer cette impression. M.Mauriac a une horreur naturelle, je ne dirai pas de la banalité et de la vulgarité (cela va de soi), mais des voies explorées : son originalité est savoureuse. Elle l'est parce qu'elle réside dans l'invention beaucoup plus que dans l'expression. Certes on ne saurait les dissocier absolument, et il faut bien qu'une « pensée » vraiment neuve se manifeste sous une forme fraîche. Mais de combien de nos jeunes écrivains actuels on pourrait dire que toute leur originalité consiste en une certaine bizarrerie, et purement extérieure! Ce n'est point là le cas de M. Mauriac: nul ne se pique moins que lui d'une forme d'art singulière; seulement, aucun trait des héros et des fables qu'il invente n'est jamais facile et « déjà vu ». Dans une très belle statue, il n'est pas une ligne qui ne soit expressive, vibrante de sens et de sentiment, bref qui indiffère; ainsi les héros de M. Mauriac. Et sans doute cette valeur des moindres lignes d'une sculpture n'est pas la seule condition de sa beauté; il en est d'autres; mais elle en est une des conditions nécessaires. Le jour où M. Mau riac aura trouvé le moyen, non seulement de nous atteindre, mais de nous atteindre constamment au plus profond, et de nous faire dire, non seulement : « Comme c'est intéressant ! » mais : « Comme c'est essentiel ! » où il aura su élire toujours le plus important, le principal, le plus humain, bref composer (intérieurement et extérieurement) de cette façon mystérieusement sûre qui est celle des plus grands artistes, alors il écrira un chef-d'œuvre. Il est de ceux qui en ont l'étoffe, j'en suis persuadé, et à qui il n'en a manqué encore que la façon.

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Fait de la sorte, M. Mauriac n'est pas, disions-nous l'an passé, de ces gros et puissants romanciers qui peignent à tour de bras la vie courante, digne à leurs yeux de tout intérêt pour ce seul motif qu'elle est «< la vie » mots sacrés par lesquels on veut aujourd'hui tout justifier et où tient tout le credo de notre époque, et qui ne se proposent d'autre dessein que de copier avec toutes les ressources de l'art ce qu'il y a de plus. « quotidien » et ordinaire autour de nous. Il choisit volontiers le délicat, voire le rare et presque l'exceptionnel; jamais on ne vit auteur plus éloigné du réalisme naturaliste, et en cela il est bien de sa génération. Car ce n'est pas qu'elle soit plus intellectualiste que les précédentes, je crois, et qu'elle ait perdu cette admiration exclusive des naturalistes pour l'instinct, leur conviction que le plus beau, le seul sujet de l'art, ce sont les êtres et les milieux les plus élémentaires, les plus étroitement commandés par l'inconscient bier au contraire,

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