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qui en est fort proche. Il y a en ce moment de jeunes, musiciens qui, lassés du grandiloquent comme du précieux essaient de renouveler le style bouffe.

Or, dans cette recherche, par delà Rossini, ils arrivent inévitablement à Mozart. Ce qu'il y a assurément de plus singulier dans l'oeuvre dramatique de l'auteur de Don Juan, c'est la peinture de la vie, des caractères, des nuances les plus fugitives de sentiment par les moyens de la musique. Assurément, je ne dis pas une grande nouveauté : tous les critiques l'ont écrite, et M. de Curzon constate, précisément au sujet de l'Enlèvement au Sérail: « L'oeuvre avait dépassé tout ce qu'en attendait soit la curiosité populaire, soit la critique plus sévère des artistes. C'est que la vie y est intense, d'autant plus qu'elle naît ici de la continuelle vérité de l'expression. Chacun des personnages est tout de suite caractérisé par la musique même qui le baigne... Les amours de Belmonte et Constanze, où se lit toute la passion de Mozart fiancé, la grâce piquante de Blonde, l'insouciante gaité de Pedrillo, tout est évoqué avec une verve si constante et si appropriée, que même ce que nous appellerions les airs de facture et les exercices de virtuosité en prennent un sens inaccoutumé. »

et

Il est impossible d'en mieux juger. Mais ce réalisme de Mozart reste ignoré d'une bonne partie du public, et souvent des interprètes. Je ne dis rien des chefs d'orchestre, mais enfin, nous avons tous à ce sujet de fâcheux souvenirs qui ne sont pas fort éloignés. En jouant Mozart, on ignore trop souvent cette vérité humaine qui anime sa musique; et dans ses œuvres de théâtre, on néglige de voir le vrai caractère qui est celui d'une comédie musicale étonnamment vivante, variée et profonde.

en

Qu'on imagine des êtres soumis à cette loi gracieuse, que leurs émotions se traduisent naturellement chants. Ils ont, sous des noms humains, des âmes de fauvettes et de rossignols, et comme ceux-ci, ils exhalent en roulades leurs âmes éperdues. Les vocalises ne sont pas de la virtuosité, mais du lyrisme. Voyez l'air'que chante Constance, et qui porte le n° 11 de la partition. Elle proclame son amour, elle brave, elle prie, elle promet, et tout à coup, la musique pure se substituant à la déclamation, elle se met à piquer une série de là, puis un si, sur lequel elle appuie un trait, qu'elle recommence, et qui est, lui aussi, une gracieuse et triomphante prière. « Tu seras béni des cieux », dit-elle à Sélim. Mais elle ne le dit pas, seulement, elle le promet par vingt-deux doubles croches de suite, qui font le plus joli serment du monde.

d'abord, sous le masque, tenter sa maîtresse, est tout à coup repris par sa tendresse pour elle. C'est à peine si un Marivaux ou un Musset nous donnent parfois, par une espèce de miracle, oes doubles sens qui sont ici aisés et naturels. Musset, d'ailleurs, ne s'y est pas trompé, et il a reconnu, dans la sérénade de don Juan, cet art de dire deux choses, et de rebroder deux sentiments l'un sur

l'autre.

Voilà, je crois, comment il faut entendre l'Enlèvement au Sérail. C'est la fleur d'un art unique, où la fantaisie est une vérité subtile, et où les sentiments s'épanouissent en musique. Il est vrai qu'ils s'épanouissent librement, tout à leur aise, et sans hâte, et que nous sommes devenus des gens un peu plus pressés que Belmonte ou Sélim. Mais quoi? au moment où tous ces bouquets de notes naissent comme un printemps, ne voulezvous pas leur laisser le loisir de fleurir à leur gré, et de prendre un peu conscience d'eux-mêmes?

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L'Opéra-Comique a remis à la scène, avec beaucoup de goût et d'agrément, le Mariage de Télémaque, qui est une œuvre charmante. On se rappelle le joli sujet inventé par Lemaître et par M. Donnay. Il est temps de marier Télémaque. Hélène, rentrée à Sparte, a le dessein de lui faire épouser Nausicaa. On réunit les jeunes gens Mais Télémaque n'a d'yeux que pour Hélène. Celle-ci, qui est très sage et très bonne, feint de se laisser enlever et fait enlever à sa place Nausicaa voilée. Sur cette trame, il y a la double broderie d'un texte charmant et de la musique la plus spirituelle. Il n'y a rien de si varié que la partition de M. Claude Terrasse. Il parodie avec irrévérence le style de Meyerbeer et le style de Donizetti. Quelquefois, on croit entendre l'écho d'une ariette de Favart. A la fin du III, il y a une valse aussi molle que les plus molles valses viennoises. Et c'est un amusement de voir chatoyer ainsi, pour nous divertir, le fantôme des pensées qui émurent nos pères. Le compositeur va plus loin, jusqu'à la chanson populaire qu'il adapte et qu'il imite avec beaucoup de grâce. Qui ne se souvient de la farandole du Sire de Vergy?

Enfin, après tous ces jeux de Protée, M. Claude Terrasse joue à être lui-même. Il a alors l'inspiration la plus aisée, le chant le plus agréable, des rythmes plaisants, de la couleur et de l'adresse.

Les Arts

HENRY BIDOU.

Ces vocalises, au moins celles de la musique italienne, Du quai Malaquais au Salon d'Automne

exaspéraient Berlioz, et l'on se rappelle comment il reproduisait celles où Desdémone déplore que son père l'abandonne, en substituant ce texte de sa façon : « Je m'en fiche pas mal, je m'en fiche pas mal. » C'est Legouvé qui raconte l'anecdote. Mais Berlioz peut avoir raison contre les Italiens, et tort contre Mozart. Il a certainement raison contre les virtuoses; mais ici la plus fantastique arabesque est un cri de la joie, de la douleur, de la colère et de l'amour. Nous sommes en présence d'êtres qui ont reçu ce prodigieux langage, et qui s'expriment par ces chants langoureux, éblouissants et moqueurs. Ils se décrivent eux-mêmes par le mouvement de leurs voix. Dans le rôle bouffon d'Osmin, chaque note est un aveu où l'on voit à plein le traître, le vaniteux, le subalterne et le brutal.

Ce langage vraiment divin est si souple qu'il peut traduire des nuances que les mots ne peuvent exprimer. Quelles paroles faudrait-il pour peindre la cajolerie, la fausse résignation, la contrition libertine du Batti, batti, bel Masetto? Et la plus fluide poésie nous donneraitelle l'équivalent de cet air charmant, qui est dans Cosi fan tutte, et qui, commencé en bouffonnerie, s'achève en tendresse, parce que celui qui le chante, après avoir voulu

III

Il y a, au Salon d'Automne, un certain nombre de peintres qui ne croient pas que l'on doive délibérément sacrifier la sensibilité à l'esprit, et qui considèrent qu'une œuvre d'art ne perd rien à contenir un élément de volupté qui décèle le tempérament et montre l'artiste obéissant à ses « dons ». On a cru longtemps que les «dons» seuls suffisaient à faire des peintres, des sculpteurs et des écrivains; nous avons subi, à cause de cette croyance, des milliers d'esquisses sans le moindre inté rêt. Nous sommes tout naturellement menacés aujourd'hui, par réaction, d'un danger contraire. On se méfie tellement du « morceau » auquel les sens seuls ont collaboré, que certains peintres prennent la précaution un tel de leur tableau est une « étude directe », c'est-à-dire peu enfantine de nous avertir, au catalogue, que tel ou un document destiné seulement à l'élaboration d'une œuvre définitive, recréée par le peintre loin de la nature, loin du modèle, dans les solitudes spirituelles de l'atelier.

() Voir l'Opinion des 5 et 12 novembre 1921.

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De tous ces artistes préoccupés par le style, par la composition, par une déformation réfléchie de la nature, les plus intéressants, ceux dont on peut le plus attendre, seront évidemment les moins doctrinaires, les moins asservis. L'art de demain, si tant est que l'on puisse le présager, sera probablement un art d'équilibre, où des parts égales seront faites au jeu intuitif des sens et au travail de contrôle et de choix du cerveau.

Une pareille évolution n'est certes pas nouvelle. Elle est seulement aujourd'hui plus rapide, plus fiévreuse qu'autrefois. A la sensualité de Fragonard succéda l'intellectualisme de David; après David, s'épanouit avec une force magnifique un art de conciliation et d'harmonie dont les représentants sont parmi les plus grands peintres français : Delacroix, Courbet, Corot, Ingres luimême.

On peut très bien considérer que, de nos jours, les impressionnistes ont joué le rôle qu'a joué de son temps un Fragonard. Les cubistes viennent ensuite tenir l'emploi des davidiens. Mais aurons-nous, demain, des artistes dignes d'être cités en équivalent aux grands noms que nous écrivions plus haut?

Rien n'est moins sûr. Il y a de nos jours un tel émiettement, une telle confusion d'écoles, de tendances, de théories et de formules, que les artistes de demain dont es l'avenir gardera les noms seront sans doute quelques sans doute quelques individualités puissantes, lesquelles, artificiellement ratalse tachées par leurs contemporains à des groupes tempoceraires, seront comparables à ce que fut hier un Renoir a ou un Gauguin.

Comp

La postérité innombrable d'un douanier Rousseau est qprobablement une postérité stérile. Le Salon d'Automne 2pullule d'œuvres faussement naïves, à la fois par leur ruse et par leur maladresse, et dont on se prépare d'être ot tout à fait las. Il ne peut rien sortir de fécond de ces variations délicates et jolies faites sur les thèmes : devant-de-feu Louis-Philippe, enseigne d'auberge ou illustration du Musée des familles. Une petite vignette Ed'Image d'Epinal agrandie aux dimensions d'une grande toile ne sera pas forcément une grande composition. Ces passe-temps ingénieux frappent par une absence de vie, de spontanéité qui sera fatalement aussi vite ennuyeuse que les formules les plus « pompières » d'un Delaroche ou d'un Abel de Pujol. Sans doute étonnerait-on ces délicats calligraphes, ces subtils maniéristes en leur disant qu'ils ressemblent beaucoup plus à un élève de l'Ecole des Beaux-Arts qu'aux novateurs et aux indépendants qu'ils prétendent être. Au lieu de prendre leurs poncifs dans la collection des Prix de Rome du quai Malaquais, ils les ont découvert dans une érudition de bric-à-brac, en consultant le répertoire des marchands de curiosités: dessus de pendules, écrans, groupes de faïence Charles X, gravures Restauration, culs-de-lampe des Keepsakes toutes œuvres qui sont nées d'une sorte d'académisme vulgaire et abâtardi.

Ces adroits fantaisistes de la naïveté seront, demain, aussi délaissés que le furent, depuis vingt ans, tour à tour les symbolistes « rosicruciens » et les « intimistes >> issus de Whistler. Quand on reverra, dans deux ou trois lustres, en feuilletant les revues d'aujourd'hui, les reproductions de ces œuvres, on se dira: « Voilà ce qu'on goûtait en 1920 », et l'on sourira comme nous sourions devant les Georges de Feure ou les Carlos Schwabe de 1890, devant les Le Sidaner et les Caro-Delvaille de 1900.

Ce n'est donc pas à ces habiles mais paresseux «< bibelotiers » que nous irons demander la sève et la promesse du fruit. Nous nous garderons aussi, provisoirement, d'interroger certains théoriciens, non encore délivrés des cocons du cubisme, chrysalides qui ne peuvent pas volontiers se faire à l'idée de devenir papillons. Voyons plutôt du côté des isolés; choisissons quelques «< tempéraments >> ou quelques «< natures ». Interrogeons les œuvres de ceux qui ne cherchent pas le succès d'un matin, qui ne se soucient pas de la mode d'une heure, et qui, tout en étant « de leur temps », ne sont ni les esclaves ni les favoris du « Goût-du-Jour »; et, puisqu'il s'agit ici de peinture française, arrêtons-nous tour à tour devant les œuvres d'un paysagiste comme M. Dunoyer de Segonzac, d'un peintre de figures comme M. Jean Marchand, d'un « compositeur » comme M. Yves Alix.

X

Ces trois peintres se ressemblent par un même goût de la force, de la grandeur et du poids. Pour eux, la couleur n'est pas un élément de gaieté, mais un élément de puissance. Ne cherchez rien d'agréable, de joli, d'aimable dans leurs œuvres. Voici les teintes de la lave et celles de la terre calcinée, celles aussi de l'écorce, du sable et de la boue. Cette palette restreinte a la nudité pathétique de ces étendues de terre remuée où, pendant la guerre, serpentaient les tranchées et qu'étoilaient les trous d'obus. Les toiles de M. Dunoyer de Segonzac, même lorsque ce ne sont pas des toiles de guerre, nous font toujours songer à ces paysages du front, à ces paysages en quelque sorte géologiques, que l'horrible travail de l'homme avait presque rendus pareils aux contrées que le rêve imagine dans la préhistoire, alors que l'homme n'existait pas. L'art de M. de Segonzac a quelque chose de primitif, ou, mieux, d'originel, qui peut rebuter le spectateur pressé, mais qui nous semble être, grâce aux moyens les plus simples et les plus loyaux, quelque chose d'extrêmement nouveau.

A quoi pourrait-on comparer ces trois paysages massifs et fuligineux, exubérants et épais comme des touffes d'arbres, et qui semblent animés par la pulsation natu. relle et irrésistible qui anime le flot de la marée ou le cours du torrent? A côté d'eux, les admirables sous-bois de Courbet paraissent timides et limités et font songer à un inventaire. La suppression presque totale du sujet, cette espèce d'allusions aux formes, rapproche, dans ses intentions, l'art de M. de Segonzac de la musique. Malgré nous, nous pensâmes souvent, en regardant ces toiles à la fois si simples et si étranges, à certaines pièces de Chopin qui ne sont plus que des mouvements intérieurs fiévreusement extériorisés, à certaines parties heureuses de l'orchestre de Berlioz, qui ne sont plus que des effusions surgies en même temps du fond de l'âme et du fond des sens.

Par sa solidité presque un peu agressive, par cet esprit de sacrifice qui donne à ses toiles un sorte de gravité panthéiste qui évoque, mais dépouillé de tout esprit de musée ou de bibliothèque, le Centaure de Maurice de Guérin, on pourrait dire que l'art de M. de Segonzac procède, sans aucune parenté profonde, de l'art impressionniste. Mais tandis que les impressionnistes scmblent toujours chercher à quitter la terre, à s'envoler, à s'évanouir, M. de Segonzac pèse de tout son poids sur cette même terre, l'écrase et la possède ; il semble entrer en elle, se promener en elle, pareil au combattant qui avançait dans le boyau d'accès, qui vivait dans la tranchée, et qui, pendant des heures, n'avait pour seul spectacle que cette terre blessée, éventrée, laquelle, sous ses fraîches et brutales déchirures, semblait découvrir le corps de Cybèle assassinée.

M. Jean Marchand n'a pas cet excès, cette fougue. Son art dépend davantage de la réflexion, de la préméditation. Mais, comme M. de Segonzac, il ne recherche pas le

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détail, l'accident. Il obéit à un instinct de classicisme souvent encore maladroit et gauche, mais non point pauvre, ni hésitant.

La Maternité de M. Jean Marchand est le succès du Salon. On a reproché à cette belle toile une présentation conventionnelle, un désaccord entre la figure très réelle et un fond d'atelier, et peut-être, en effet, pourrait-on rêver une harmonie plus naturelle et plus profonde entre le sujet et son enveloppe. Mais ce désir de généraliser une œuvre, de lui donner à la fois une puissance plastique et, pour ainsi dire, une puissance sentimentale, montre une préoccupation trop rare parmi les jeunes peintres pour n'être pas louée et encouragée. Il existe, en art, un idéalisme de la vérité, que l'on nommait «< beauté », aux temps où l'on n'avait pas encore remplacé le mot « laideur » par le mot « caractère ». Certes M. Marchand (du moins dans la toile qu'il expose au Salon d'Automne) n'embellit pas le corps humain selon les procédés faciles et fades d'un académisme de chromo; mais cette jeune mère plaît aux yeux par la grâce robuste de ses formes, par l'équilibre de ses mouvements. Peut-être un jour cesserons-nous de voir sur les murs du Salon les attristantes « guenipes» que nous devons à Degas, les Vénus d'asile de nuit que nous devons à M. Vallotton, lesquels, procédant d'un poncif» à rebours, ont fini par nous faire regretter parfois les nymphes de savon de Bouguereau et les oréades de baudruche de Luc-Ollivier Merson.

Les compositions de M. Yves Alix sont vouées, comme les paysages de M. Dunoyer de Segonzac et les figures de M. Jean Marchand, aux teintes gravement chaleureuses de la pierre meulière, du bois et du pain brûlé. Ces trois artistes préfèrent à la polychromie éclatante d'un Véronèse et d'un Delacroix, les camaïeux dorés d'un Corrège, les sobres et austères harmonies d'un Zurbaran. Une pareille peinture vieillira-t-elle sans déboires? Cela n'est pas certain, et peut-être ces peintres seraient-ils sages d'éclaircir et de diversifier un peu leur palette. D'autre part, certaines recherches d'ordre, d'unité, de simplicité nécessitent sans doute quelques sacrifices, préconçus et momentanés. L'important est que M. Yves Alix semble posséder, derrière ce que sa volonté nous laisse voir, ces dons naturels, cette richesse, cette ressource qui éveillent l'espérance. Par son goût de l'accent presque caricatural, par sa tendance à dégager d'une figure (un matelot, un paysan) son style naturel, si l'on peut dire, M. Yves Alix rappelle soit Daumier, soit Millet. Non point qu'il ressemble en quoi que ce soit à ces deux maîtres. M. Yves Alix est résolument de son temps. Mais, comme M. de Segonzac et comme M. Marchand, il semble dédaigner les nouveautés faciles, ou, du moins, les dominer; et tous trois paraissent posséder des qualités natives d'invention, d'observation et d'expression assez fortes pour résister à l'ivresse intellectuelle et parfois fatale des doctrines et des théories.

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de plus en plus

train de prendre réellement un sens vague... C'est toujours ainsi que naissent les mots déso bligeants, en économie politique et ailleurs.

Mes correspondants sont donc fondés à prendre leurs précautions envers un mot qui n'est pas encore une injure, Dieu merci, mais qui pourrait le devenir. On ne sait jamais...

- Moi, inflationiste? me dit M. Aubriot. Il me semble qu'inflationiste signifie « celui qui crée de l'in. flation ». Or l'inflation, après six ans d'une gestion infla tioniste, est un fait bien acquis et toujours actuel. Notre dette flottante ne s'accroît-elle pas, chaque jour, de 60 millions de Bons de la Défense? Voilà de bel et bon inflationisme. Remarquez seulement que ce n'est pas moi qui suis ministre.

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Je suis le contraire d'un inflationiste, me dit à son tour M. Corréard. Le système que je préconise est précisément dirigé contre l'inflation stérile de la «< finance d'Etat ». Je propose de transformer cette inflation en une fourniture de crédit aux 'entreprises productives. Si l'on veut absolument conserver à cette opération le nom d'inflation, je le regrette, mais il y a là, certainement, une confusion autour d'un terme à peine français, d'ailleurs.

- A peine français, en vérité, puisqu'il nous vient d'Angleterre... Quant à moi, simple témoin, il me semble que voilà, au moins en perspective, un premier heureux résultat de notre enquête : la... déflation d'un mot creux. Mais donnons la parole à nos correspondants :

PAUL AUBRIOT

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La dette de la France s'élève à 300 milliards.

Sa créance sur l'Allemagne à 52 0/0 de 132 milliards de marks-or, soit environ 250 milliards de francs-papier actuels.

Cette créance est garantie par le traité de Versailles. De récents accords viennent de préciser, d'une manière que je crois avantageuse, son mode de paiement. Les accords de Wiesbaden nous garantissent, dès mainte nant, une rentrée de 7 milliards de marks-or, si nous voulons bien les prendre en nature. Cela couvre déjà une vingtaine de milliards de francs-papiers. La France n'a-t-elle pas le droit d'escompter cette créance pour faire face à ses obligations immédiates dont les pensions et les réparations?

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Je ne propose pas autre chose que cet escompte. Mais cette vaste opération de crédit, artificielle, en somme, ne va-t-elle pas désorganiser le rythme des affaires privées déjà si mal en point? Ces billets de ban

que, si solidement gagés qu'ils soient, ne vont-ils pas, aussitôt mis en circulation, provoquer les maux classi ques de l'inflation fiduciaire ?

L'inflation est déjà un fait acquis. Cependant le crédit de la France n'est pas en danger. Nous avons 38 milliards de papier-monnaie en circulation et, de plus, 70 milliards de Bons de la Défense nationale. La plus grande partie de ces Bons a été créée postérieurement à l'armistice.

L'inflation! mais on n'a jamais cessé de la pratiquer. On a suspendu l'émission des billets mais non celle des Bons de la Défense. L'inflation, elle est toujours notre système de trésorerie. Que l'on émette des Bons à court terme ou des billets, le résultat est le même.

Ce système, pendant la guerre, se justifiait, quoi qu'il eût été possible de l'éviter au moyen d'une politique financière un peu différente de celle qui régna tout le temps des hostilités, notamment si, imitant l'Angleterre, nous avions exigé que l'impôt fournît à l'essentiel de nos besoins. Mais ce système ne saurait durer. L'inflation de la dette, onéreuse, doit être peu à peu transop formée en une inflation monétaire qui, elle, est sans Adanger à condition que l'on veille à l'emploi rationnel des fonds ainsi créés.

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X

Il ne s'agit pas, vous comprenez bien, de jeter des milliards de nouvelles coupures dans la circulation, à tort et à travers, comme on l'a fait jusqu'à présent.

Avant tout, la nouvelle monnaie devra servir aux réparations de nos régions dévastées. De ce côté, par conséquent, aucun billet ne sera mis en circulation qu'en vertu d'une opération économique (fabrication et emploi de matériaux) qui, sans cette mise en circulation, ne se fût point réalisée ou, du moins, eût été reportée à une date ultérieure, sine die. Nos départements du iq Nord peuvent témoigner que cette perpétuelle remise s à demain est devenue règle courante. Donc, sur ce chadon pitre, la mise en circulation de nouveaux billets provoque une accélération du trafic général. On ne peut pas dire qu'elle est faite hors de propos ni sans besoin, ce qui est l'argument majeur des économistes.

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Ensuite, l'argent nouveau doit servir à retirer la dette flottante. Dans ce cas, qu'y aura-t-il de changé au point de vue de l'inflation fiduciaire ? Réfléchissez un instant :

les Bons qui constituent cette dette sont, en grande partie, souscrits par les banques qui placent ainsi sans efforts les dépôts effectués par leurs clients. (La Société Générale posséderait de 2.800 à 3.000 millions de Bons de la Défense. L'ensemble des banques en posséderait 20 milliards.) Si, au moyen d'argent nouveau, l'Etat rachète ces bons à leur échéance, comme c'est son droit, je dis qu'il n'y aura rien de changé dans l'organisme du crédit public. Par contre : 1° le budget est soulagé d'une charge annuelle d'intérêts de trois milliards; 2° le bane quier est privé de sa «< commission » de placement des Bons; il est également privé des bénéfices qu'il arrive à combiner, sur le dos du client, entre le taux que lui sert l'Etat pour les Bons (5 0/0) et celui qu'il sert lui-même aux clients pour les dépôts ainsi convertis en Bons, soit 1 ou 2 0/0. En quoi, s'ils veulent bien se contenter d'opérations strictement bancaires - notamment l'escompteles relations du banquier et de son client, c'est-à-dire, en définitive, le crédit, sont-elles troublées ?

Mais si, à l'annonce de votre émission, un run se produit? Si le client retire son argent?

La panique est toujours la panique. Qu'arriveraitil aujourd'hui si les prêteurs exigeaient le remboursement des Bons au lieu d'accepter les consolidations périodiques ?...

Evidemment, l'Etat serait pris entre ce dilemne : ou bien édicter un moratoire, ou bien rembourser par l'argent de la planche aux billets.

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Enfin, à la faveur de cette émission, nous pourrions rendre au marché financier de nos titres de rente la liberté et l'élasticité, et l'Etat amortirait progressivement (par rachat ou conversion) sa propre dette.

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Ce sont là les avantages du système. Vous n'en ignorez pas les inconvénients?

Certes. Mais il ne faut pas se dissimuler que l'Etat, de concert avec les banques, devrait maintenir une certaine discipline dans la circulation monétaire, prendre des mesures contre la thésaurisation et la spéculation qui sont les deux fléaux consécutifs à l'inflation monétaire.

Cependant, je persiste à penser que si on procédait aux émissions de monnaie par tranches successives, en laissant à la production le temps de « prendre son régime » après l'accroissement de rendement que chaque dose de ce stimulant ne manquerait pas de susciter, peu à peu l'intensité des échanges atteindrait, sans secousses, le degré nécessaire pour absorber la nouvelle circulation monétaire.

Et, à ce moment, la prospérité générale permettrait un tel accroissement des recettes fiscales qu'un excédent budgétaire finirait bien par se produire. Cet excédent s'ajoutant aux rentrées de la dette allemande serait affecté à l'amortissement des billets émis.

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L'on peut donc, même dans mon système, envisager le retour plus ou moins lointain à la circulation libre de l'or... devenu simple monnaie d'appoint.

Un jour viendra, en effet, où l'or pourra être remis en circulation sans que l'on ait à craindre sa concurrence à une monnaie de crédit définitivement installée dans sa fonction.

Je suis convaincu que l'or ne redeviendra jamais la commune mesure des marchandises dans le troc général ractéristique à cet égard. L'évolution de la monnaie depuis sa création est ca

La monnaie, à l'âge du troc, est la marchandise ellemême. L'usage de l'or en tant que monnaie-étalon n'est, à mon sens, qu'un moment de transition pour aboutir à la monnaie signe pur. Ce genre de monnaie, nous le l'effet de commerce. connaissons déjà, c'est le chèque, la lettre de change,

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Cette transformation de la monnaie peut être conçue, en effet, dans le trafic national, mais il semble que l'or doive conserver son rôle classique dans les échanges internationaux...

- Ce n'est pas fatal. Il suffirait que les gouvernements s'accordent pour établir des bureaux de change ou même que l'un d'entre eux, y ayant plus d'intérêt que l'Angleterre ou les Etats-Unis, prenne l'initiative de fonder un tel bureau.

Ce bureau centraliserait toutes les demandes de moyens de paiement de ses nationaux, et y pourvoirait de son mieux en achetant à l'étranger toutes les valeurs sur la France. Une telle institution serait au moins aussi efficace que notre Office de « Crédit à l'exportation »>, doté de 25 pauvres millions de capital, c'est-à-dire voué, par avance, à l'impuissance absolue. Un tel bureau constituerait en outre, contre la spéculation, un élément régulateur de premier ordre. Evidemment, ses opérations pourraient un jour l'amener, dans l'intérêt général, à subir un déficit. Mais un léger courtage sur les opérations fournirait bientôt une assurance efficace contre ce risque.

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l'ai souvent répété, il faut le courage de l'intelligence comme le courage du cœur... »

Je crois qu'il n'a jamais été prononcé sur les problèmes de notre temps de paroles plus profondes que celles-là. Pour la première fois, un homme ose mettre en parallèle le courage intellectuel et l'autre... Imaginer résolument des solutions neuves à des problèmes neufs, c'est, pour un chef, dans tous les domaines techniques, faire acte de courage.

M. Corréard qui connaît à merveille, professionnellement, le mécanisme financier, est plein de ce courage.

<<< Avant toute chose, dit-il, il nous faut détacher des liens qui nous attachent aux théories économiques de 1914. La situation au milieu de laquelle nous nous débattons est nouvelle. Elle appelle donc des solutions nouvelles.

Ecartons tout de suite cette question oiseuse des « économies ». Sans doute le gaspillage doit être refréné. Mais ce n'est là qu'une question d'ordre. S'il est vrai, comme l'a dit M. Herriot à la tribune, mardi dernier, que l'administration militaire réclame de nouveaux hangars d'aviation alors que les anciens sont abandonnés, il n'y a pas là d'économie à réaliser, mais un désordre à faire disparaître. En dehors de cela, quelles économies seraient possibles?

Les dépenses du budget s'élèvent à 24 milliards. Dans ce nombre 12,5 milliards sont destinés au service des intérêts de la dette. Sur les 11,5 autres milliards, 5 sont afférents au budget de la guerre et de la marine, 6,5 au budget civil. De ces derniers milliards du budget civil, un tiers est destiné aux services des transports, postes, chemins de fer, etc.; les deux autres tiers comprennent les frais de perception, l'instruction publique, l'entretien des routes, etc. Nos fonctionnaires sont trop nombreux mais leurs traitements sont tout à fait stricts. Ici encore pure question d'ordre. En torturant ces chiffres yous pourrez donc obtenir une compression de quel que cent millions. Mais qu'est-ce que cela ? Une bouchée de pain rognée sur le train de maison d'un Rothschild.

Le problème reste entier. Il est le suivant.

La France supporte, du fait de la guerre, une charge de 590 milliards de francs. Il s'agit de trouver un mode d'amortissement capable d'éteindre cette dette colossale.

La répartir sur les générations futures par le moyen classique de l'emprunt ? Ceci implique l'évaluation préalable des facultés d'épargne de la France. Avant la guerre on évaluait le revenu total des Français à 40 milliards. En chiffres actuels, ce revenu peut être estimé 100 milliards de francs-papier. La faculté d'épargne de la France actuelle, affaiblie, n'est pas la même que celle de la France d'avant 1914: admettons cependant qu'à force de restrictions, cette faculté puisse, comme auparavant, être fixée à 10 0/0 des revenus. C'est donc 10 milliards que l'on peut, au grand maximum, diriger vers l'emprunt. Dans ces conditions, la consolidation recherchée s'échelonne sur 30 ou 40 années !

Et cela au moment où l'industrie réclame le plus possible de capitaux pour refaire son outillage... Où les prendra-t-elle, puisque l'Etat, dans notre hypothèse, se réserve toute l'épargne? Disons simplement que la méthode de l'emprunt conjointe à celle des impôts, même soutenue par de vagues économies, est vouée à l'insuccès et ne signifie rien d'intelligible devant le problème que nous envisageons.

La question financière n'est plus résoluble aujourd'hui par combinaisons arithmétiques ni par règles de trois. C'est un principe nouveau qu'il faut y introduire. Voici celui que je propose.

Il faut instaurer à l'intérieur du pays ce que j'appelle des finances productives. La finance productive est celle qui se reproduit elle-même, dans une résonance perpétuelle, dans une sorte d'auto-fécondation.

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Par exemple:

Si l'Etat français avait employé 100 millions de plus qu'il n'a fait, au défrichement ou au déblaiement des pays dévastés, ces 100 millions (les eût-il fabriqués avec du papier) eussent, à leur tour, déjà donné un rendement de 100 o/o dans le cycle de la production française. Ces 100 millions de déblaiement auraient permis de produire chaque année pour 100 millions de francs de plus de blé, de betteraves, de lait ou de produits qu'il faut acheter à l'étranger. Voilà la perte, la perte certaine ! Ce n'est pas une bonne gestion financière que celle d'un Etat qui a reculé devant une augmentation de sa dette à la Banque de France pour réaliser le déblaiement en question.

Cependant, faisons cette concession aux critiques des économistes et reconnaissons les graves dangers de prêts directs de la Banque à l'Etat. Je prétends qu'il est pos sible d'inaugurer un système qui évite le danger de l'avance directe en donnant l'assurance de ne pas faire servir les moyens exceptionnels de crédit à D'AUTRES FINS QU'AUX DEPENSES GAGÉES SUR LA RECONSTITUTION OU LE DEVELOPPEMENT DE NOTRE OUTILLAGE NATIONAL.

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Les indemnités dues aux sinistrés seront payées par des Sociétés d'intérêt national, autorisées à constituer leur capital en rentes sur l'Etat. Ces rentes serviront de garantira à la Banque le remboursement de ces avances, gage à des AVANCES par la Banque de France. L'Etat ce qui, supprimant les risques, permet à la Banque de se contenter d'un très faible intérêt.

La Société ayant payé les sinistrés encaissera, d'autre tissement des INDEMNITÉS dont l'Etat est débiteur enpart, les annuités correspondant aux intérêts et à l'amorvers eux. Ces annuités seront employées : 1° à payer, aux lieu et place de l'Etat, l'intérêt dû aux rentiers; légère différence servira de prime aux actionnaires de 2° à l'amortissement de la dette envers la Banque. Une

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la Société.

Lorsque le capital sera complètement amorti, la Société fera remise à l'Etat des titres de rente, comme conséquence du paiement intégral des annuités..

D'une manière analogue, des Sociétés d'intérêt national pourront se former, ayant pour objet soit d'équi per les forces hydrauliques, soit de construire des hab tations économiques, etc. Des variantes pour l'amortis sement des avances reçues seront adaptées à chaque cas particulier.

d'avance, les indemnités aux sinistrés et les dépenses Pratiquement, la solution revient à payer par voie budget que la charge d'annuités. concernant les grandes œuvres, tout en ne laissant au

Comment s'établira la compensation de ces as nuités dans le budget?

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D'abord

par la recette annuelle des versements a entreprises mêmes ainsi créées lemands et aussi par les bénéfices que procureront les

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Et comment tout cela ramènera-t-il l'ordre?

Quand, dans un demi-siècle, la période d'amortissement du capital des Sociétés d'intérêt national sera close, toute la dette de l'Etat employée à la formation de ce capital sera elle-même amortie.

La dette intérieure se bornera donc aux titres de rente qui n'auront pas participé à l'opération en question Son total sera de l'ordre de grandeur de 100 milliards, montant proportionné à l'équilibre nouveau, reliant à ce moment-là les prix courants et la trésorerie d'Etat. Et la France sera prospère parce qu'on aura aménagé ses ressources, au moyen des finances productives. être instauré, l'appui de l'opinion publique. Peut-elle ca Ce système tout à fait technique exigerait, per saisir la portée?

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-Le bon sens suffit pour juger ma proposition. Elle est accessible à tous. En pareille matière, l'opinion, pre

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