Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[graphic]
[blocks in formation]

On avait coutume de croire que le cinéma adoucissait les mœurs. Il était rare du moins qu'on y manifestât bruyamment.

Mais les temps sont changés. L'autre semaine, c'était à la Russie rouge une bataille de sifflets et d'applaudissements.

La semaine dernière, on jouait El Dorado, un curieux mélodrame de Marcel Lherbier.

L'auteur, voulant rendre une impression de confusion d'où se dégage la vue précise d'une scène, avait troublé à dessein la photographie qui semblait ainsi s'éclaircir, peu à peu, s'équilibrer, se réaliser. C'était une intention un peu subtile pour le public.

Quelques spectateurs sifflèrent. Etait-ce une cabale? Un enthousiaste interrogea son voisin mécontent.

Hé bien quoi, si je siffle, c'est pour avertir l'homme de la projection que sa machine n'est pas au point! La preuve, monsieur, c'est qu'il vient de la remettre maintenant, on voit clair.

[ocr errors]

On projetait l'autre jour un film sur la vie et la mort du Gallito, qui fût un toréador célèbre en Espagne de 1914 à 1920. On s'émut encore.

Les adversaires des courses de taureaux témoignèrent leur horreur par des protestations véhémentes... D'autres spectateurs, silencieux, n'en pensaient pas moins que, si des us et des coutumes il ne fallait point discuter, en vérité de tels honneurs et un enterrement triomphal dépassaient notre mentalité française : ils ne pouvaient s'empêcher de songer aux dates, et qu'en ce temps-là, chez nous...

Et pourtant, ne s'est-il pas trouvé des gens, et de ceux que la course révoltait, qui applaudirent l'horrible scène de la mort du toréador?

De qui est-ce?

Cet auteur a contume de faire rire, en prêtant à ses personnages une conduite, un métier, une situation qui sont tout l'opposé de la conduite, du métier ou de la situation qui leur seraient naturelles. Il eut l'autre jour un bon mot, qui est bien dans cette manière et dont il fit lui-même les frais.

Le succès, qui ne l'a jamais quitté sur la scène, ne lui a guère servi dans son ménage. Ses malheurs ne se comptent plus...

Rencontrant dans un salon trois amis qu'il savait

avoir été aussi ceux de sa femme, il leur déclara avec le flegme qui le caractérise :

[ocr errors]

Mes amis, j'ai une grande nouvelle à vous annoncer vous l'êtes tous: j'ai couché avec ma femme cette nuit.

[ocr errors][merged small]

Un des derniers survivants de l'espèce des grammairiens épingla sa carte sous l'écriteau. Comme elle portait un quatrain, nous l'avons dérobée. Voici le quatrain du puriste, probablement déçu :

Franchement, Franck, est-ce un faux pas ?
Epargnez-nous ce chagrin, please.
Pour que nul ne s'en scandalise,
Invites, mais n'évitez pas.

Sur une candidature.

Nonobstant l'exemple d'Antoine
Dont Péchec eut tant de renom,
Ma femme me déclare idoine
A gouverner en Odéon.
Je crains que ma candidature,
Malgré l'appui d'un président,
Soit le début d'une aventure

Dont le terme pour moi n'aura rien de brillant.
Mais j'ai beau me crier: Gare!
Quand elle insiste à sa façon

Je ne peux résister à ses suggestions:
MORALITÉ

[blocks in formation]

Faut-il voir là un signe de rapprochement francoallemand? Alors que l'année dernière, c'était le théâtre anglais qui avait la vogue à Berlin, neuf théâtres de Berlin donnent maintenant des pièces françaises. Il se produisit même à l'une de ces représentations un petit incident dont plusieurs critiques berlinois se sont montrés choqués. Pour la première fois dans l'histoire du théâtre allemand, on a fait une ovation à un costume: celui que portait l'héroïne de l'Eternel masculin, de Coolus, une robe composée de brocart d'argent et de plumes d'autruche.

Un jeune auteur allemand a donné une adaptation très moderne de Manon Lescaut. C'est d'ailleurs la mode à Berlin que d'adapter des pièces anciennes au lieu d'en créer de nouvelles.

Mais cette mode-là ne vient-elle pas aussi de Paris?

Le roi d'Angleterre et le Pape.

Peu de gens ont été surpris en Angleterre de constater que le roi Georges, en répondant au Pape, l'eût appelé « Votre Sainteté » dans son télégramme.

Il y a soixante-dix ans, la chose ne paraissait point aussi simple, et il fallut de bien longues consultations pour que la reine Victoria fût autorisée à écrire : «< Très cependant, lui avait écrit en ces termes : « Sérénissime Eminent Monsieur (Most Eminent Sir) » à Pie IX qui, et très puissanie Souveraine Victoria, Illustre reine d'Angleterre ».

Peut-être Léon XIII se souvenait-il de cela quand, recevant au Vatican l'évêque anglican de Gibraltar, il lui dit avec un sourire ironique : « Je crois, Monseigneur, que je suis ici dans votre diocèse. »>

[graphic]

Effets de lumière.

Un pasteur de New-York, M. William Duthrie, s'avise que les couleurs, si elles peuvent ramener les criminels sur le droit chemin, peuvent tout aussi bien diriger les âmes vers la béatitude éternelle.

Il a donc fait installer dans l'église de St Mark'sin-the-Bowery, dont il est le recteur, des lampes électriques roses, bleues, vertes et jaunes.

[ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small]

Au fur et à mesure que se déroule le service, des lampes s'allument, d'autres s'éteignent, l'éclairage est tantôt vif, tantôt doux.

Le bleu et le vert doivent procurer la paix spirituelle. Le jaune et le rose provoquent une élévation morale parfaite.

Voilà de la liturgie moderne !

Affaires Intérieures

Les affaires d'Alsace et de Lorraine,

et le Commissariat général Incessamment, une interpellation sur les affaires d'Alsace-Lorraine mettra le gouvernement en demeure de présenter une solution.

La situation d'une Alsace-Lorraine séparée du reste de la France, n'ayant pas la même organisation administrative et judiciaire, et constituant une sorte de gouvernement général à la manière d'une colonie, ne saurait se perpétuer.. Non seulement les Alsaciens et les Lorrains ont fait connaître leurs sentiments sur ce point, mais la plupart des conseils généraux de France, au cours de leur dernière session, ont émis des vœux formels en faveur du retour au droit commun de nos départements recouvrés, en ce qui concerne l'administration et les chemins de fer.

C'est le bon sens même si des tempéraments peuvent être apportés dans l'application aux départements dont il s'agit, de la législation française de ces dernières années en ce qui concerne notamment les cultes, le régime fiscal et les institutions économiques et d'assistance, il n'y a aucune raison pour maintenir la double anomalie d'une division géographique arbitraire, issue de la seule force du traité de Francfort, et de la lourde, très lourde administration que constitue le commissariat général.

thique, en dépit de tout le tact du monde et des mains légères et souples de l'administration française ?

Je le veux bien et je l'ai reconnu. Lorsque les départements d'avant 1870 seront reconstitués, comme ils auraient dû l'être depuis longtemps, après une courte transition, il faudra quelque tempérament dans l'application de la législation. Metz et Strasbourg n'ont pas connu, dans des conditions politiques différentes, les mêmes luttes religieuses que le reste du pays, et ne sont pas prêtes peut-être à donner immédiatement à ces luttes la même sloution, du moins sous la même forme et dans le même esprit; les événements récents du parti populaire républicain nous montrent quelle est là-bas la bonne volonté et le large esprit des chefs, mais aussi avec quelle prudence il faut toucher à ces questions.

Le régime fiscal demande aussi peut-être quelque aménagement et surtout quelque transition. Enfin, chacun sait que là-bas une législation économique et sociale beaucoup plus avancée et plus complète que la nôtre, est depuis longtemps entrée dans les habitudes et les mœurs, et que loin d'en retirer, même provisoirement les bénéfices, il convient d'y voir un exemple sur lequel il faut nous modeler.

Cela justifie-t-il le maintien d'un commissariat général à Strasbourg? Je ne le crois pas, et personne ne le croit. Juger de l'opportunité de l'application immédiate de certaines mesures législatives ou réglementaires, ce n'est point administrer.

de

Les Alsaciens et les Lorrains ne sont de nouveaux venus dans la nationalité française. Ce sont des Français d'hier, de toujours, qui nous reviennent d'exil, et qui ne veulent connaître de gouvernement et d'administration que le gouvernement et l'administration leur pays. S'il est nécessaire de maintenir pour quelque temps encore une sorte d'office ou de bureau d'études, est-il nécessaire pour cela de perpétuer la lourde machine administrative d'un commissariat j'allais dire d'un gouverneur général ? Est-il nécessaire surtout et ceci importe que le siège de cet organisme soit à Strasbourg et non à Paris? Qui donc songerait à instaurer à Laon, à Reims ou à Lille un commissariat des régions libérées, et à retrancher pendant des années nos départements libérés, parqués à l'écart sous une admi

L'Alsace et la Lorraine ont

moins de ruines à relever que Lille, Arras, Soissons ou Reims. Elles n'ont besoin de personne, à Strasbourg, ni à Metz, surtout si de Strasbourg on prétend gouverner Metz ou vice versa.

D'une part, 1' « Alsace-Lorraine » est une expression géographique qui ne signifie rien. Les arrondissements brutalement arrachés à la patrie en 1871 avaient été constitués l'Allemagne en territoire d'Empire, mais, nistration d'exception ? par depuis le retour à la France, on se demande si le maintien de cette circonscription arbitraire est plus absurde qu'injuste ou plus injuste qu'absurde. Les AlsaciensLorrains ne constituent pas un peuple. Il y a des Alsaciens et il y a des Lorrains, qui n'ont pas plus de raison d'être confondus dans une appellation unique que les Normands et les Bretons, par exemple, qui ont chacun leur tradition et leur culture propres, des intérêts divers, contradictoires parfois, et dont le principal lien commun est d'avoir souffert ensemble de l'exil, et vibré d'une même joie au retour dans l'unité française. Cette raison seule, que le commissariat général perpétue une expression géographique illogique, née de la force de l'ennemi, et qu'il faut arracher au plus vite du souvenir des hommes, suffit à condamner un commissariat qui règne à Altkirch et à Thionville.

Qui ne sait, ensuite, combien l'administration allemande a pesé lourdement sur le territoire d'Empire ! Qui ignore combien ces Alsaciens et ces Lorrains, si jaloux de leurs traditions et de leurs libertés, ont souffert sous la tutelle insupportable de tant de fonctionnaires, et se sont impatiemment débattus entre tant de rouages administratifs superposés et compliqués ? Fautil donc leur donner, à leur retour dans le sein de la patrie ancienne, en seul don de joyeux avènement, ce seul cadeau de fonctionnaires supplémentaires, et, circonstance aggravante, de fonctionnaires d'exception. Faut-il se hâter d'organiser solidement chez eux ce qui leur est précisément le plus agaçant et le plus antipa

Le bureau, très sommaire, dont l'utilité peut, en effet, se concevoir quelque temps, doit être à Paris. Et pourquoi ne pas le confier à un membre du gouvernement, par exemple à un sous-secrétaire d'Etat ? Qui ne voit combien la solution d'affaires, d'ailleurs peu nombreuses, serait hâtée et simplifiée par cette procédure supprimant un intermédiaire lent, inutile et coûteux. Disparition d'une union personnelle dont le nom même est fâcheux et rappelle les plus cruels souvenir. Disparition de bureaux encombrants qui donnent là l'apparence toujours un peu vexatoire d'un régime d'exception. Solution aisée et rapide des affaires par un homme qui, lui-même membre du gouvernement, pourrait les résoudre sans intermédiaire et avec le minimum de paperasseries. Harmonie de ces régimes tenant compte de tous les intérêts et de toutes les nécessités et donnant satisfaction aux légitimes désirs de ces populations très patriotes et trs généreuses, mais très réalistes aussi, et toujours soucieuses de solutions pratiques.

Que mettre en regard de ces raisons, pour contreba lancer le vœu si clairement, si nettement, si formellement exprimé des Alsaciens-Lorrains et de tous les Français ? Que mettre, sinon ce seul et déplorable argument de la difficulté, de l'effroyable difficulté, de l'inévitable difficulté qu'éprouve toujours ce pays à se débarrasser

[graphic]
[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors]

"Votre civilisation matérielle n'est pas une civilisation il n'y a d'autre civilisation, que celle des sentiments »..

Ainsi s'exprimait, tout récemment, un lettré japonais, interrogé par M. Hovelaque, dont les deux volumes sur les Peuples d'Extrême-Orient (2) font, par leur pénétration psychologique, leur intelligente sympathie, et leur clarté ordonnée, singulièrement honneur à la science française. Si le philosophe nippon pense que les sentiments ne jouent aucun rôle dans la vie occidentale, la première séance de la Conférence de Washington a dú lui causer quelque surprise.

Depuis plusieurs jours, dans toutes les églises et dans tous les collèges, des voix se sont élevées pour démontrer l'importance historique qui s'attache à la journée du samedi 12 novembre 1921, pour éveiller l'attention, émouvoir les sentiments et dicter des prières. L'ensevelissement du soldat inconnu qui restera le symbole religieux de la guerre mondiale, est apparu comme la dramatique préface du premier Congrès qui se soit réuni sur le sol américain. Il ne s'est pas réuni dans une salle écartée et silencieuse, mais en contact direct avec la foule américaine. Et c'est dans une atmosphère vibrante que le président Harding s'est levé pour parler. Sa religieuse éloquence est animée du même frémissement qui, lentement, sous l'action de facteurs multiples, finit par ébranler des milliers d'êtres humains.

de la

"...L'appel, qui a été lancé, n'est pas seulement l'appel des Etats-Unis, mais bien plutôt celui du monde las guerre, qui lutte pour la reconstitution d'une terre, qui a faim et soif de meilleures relations réciproques, c'est l'appel de T'humanité, qui demande à grands cris à être soulagée et qui est dévorée du désir de posséder enfin une paix durable... Qu'ils l'aient exprimé ou non, des centaines, des milliers d'Américains ont évoqué la cause inexcusable de la guerre, les dépenses incalculables, les inexprimables sacrifices et les indescriptibles chagrins qu'elle a causés, et cette question restait à jamais posée : « Comment l'humanité peut-elle se justifier, et comment Dieu peut-il pardonner? » La haine humaine ne demande pas le paiement d'un tel impôt... »

Cette société puritaine a dû surprendre quelque peu les diplomates européens, leur réalisme laïque et leur sécheresse distinguée. Ils auraient tort, cependant, de sourire et de railler. Si Harding reprend exactement les formules de Wilson, c'est qu'il comprend la force agissante de cet idéalisme sentimental. Les peuples sont infiniment las, las de souffrir et las de lutter. Leur résignation, cependant infinie, est à bout. Les masses ont soif de paix, non pas d'une paix précaire et partielle, mais d'une paix durable et totale. L'homme d'Etat, qu'elles entoureront de leurs acclamations et soutiendront de leurs volontés, est celui qui paraîtra vibrer au souvenir de ces souffrances et au contact de oes aspirations. Celui-là pourra se retourner vers ses alliés, réclamer leur concours et imposer des concessions avec l'autorité que donne l'approbation passionnée d'un peuple unanime.

(1) Voir l'Opinion du 5 novembre.

(2) La Chine, Le Japon. E. Flammarion, 1921.

M. Hughes vient de le prouver. « Le pape baptiste », censeur véhément des scandales financiers, magistrat d'une autorité incontestée, arrivé par son caractère autant que par son intelligence aux premiers rangs du barreau et de l'Etat, a démontré qu'il était un habile manouvrier. Il a su profiter de cette atmosphère morale et d'une révélation dramatique pour dicter sa volonté américaine.

Cette volonté est redoutable. Elle exige l'égalité entre les deux flottes britannique et américaine. Elle condamne la marine japonaise à ne pas franchir un niveau inférieur. Elle prétend fixer, pour les trois catégories d'unités navales, grands cuirassés, vaisseaux auxiliaires et sous-marins, le tonnage qu'aucun des pays, dans un délai de trois mois, ne pourra plus dépasser. La durée d'existence et l'importance du tonnage, prévue pour les cuirassés, sont rigoureusement déterminées. Les effectifs de remplacement sont prévus et réduits. Pendant dix ans, la concurrence maritime est ligotée, avec la rigueur qu'autorise la législation et qu'approuve la magistrature américaine.

Quelques chiffres permettront d'apprécier la vigueur de ce tour de vis.

Tonnage autorisé

1° Capital ships: Nombre

Grande Bretagne

Japon

[blocks in formation]

Tonnage Tonnage de remplacement. 20 Navires auxiliaires croiseurs légers et destroyers...

3° Sous-marins
4° Porte-avions

450.000 90.000 90.000 40.000 80.000 80.000 48.000

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]
[graphic]

M. Hughes déclara sans sourciller, que ces trois Etats auront à détruire en trois mois 66 cuirassés, soit 1 million 877.000 tonnes. Les 618.000 tonnes de dreadnoughts américains, qui doivent être réduits en poussière, représentent la bagatelle de 380 millions de dollars, 4.503 millions de francs ! Et ce en comptant pour cinq millions 15 cuirassés anciens, jaugeant 227.000 tonnes.

On voit bien que les Américains voient grand. Et je comprends que les diplomates européens soumis à plus de prudence, plus de discrétion, plus de parcimonie, aient eu un petit frisson d'épouvante, en entendant parler M. Hughes.

Le peuple français, du moins, ne partagera pas ieurs angoisses. Même si cette rivalité navale n'eut pas eu, comme la précédente, pour conséquence inévitable ane nouvelle guerre, elle ne pouvait, en tout cas, que rendre la paix précaire. Or, une paix durable reste un intérêt

[ocr errors]
[ocr errors]

français. Cette concurrence avait pour résultat de désermer surtout les petits Etats : l'accord restitue à leurs marines une valeur d'appoint. L'égalité des deux flottes britannique et américaine, assure l'équilibre mondial et empêche toute hégémonie. Les économies, ainsi réalisées sur le budget des constructions neuves, accroîtront les disponibilités en capitaux, dont l'Europe ne peut se pas ser. L'entente, enfin, si elle se réalise, ne permettrait-elle pas de constituer, sous une forme plus ou moins souple, une véritable Ligue de la Paix ?

Si MM. Harding et Hughes ont été, pour des raisons d'ordre sentimental et politique, pour donner satisfaction à l'opinion publique et réaliser le bloc américain, violents et audacieux sur la question du désarmement, ils ont été, au contraire, prudents et presque conciliants, dès qu'ils ont abordé les questions asiatiques. Certaines formules, dont ils se sont servis et qui ont passé presque inaperçues du public français, mais non des auditeurs japonais, méritent d'être relevées.

Le président Harding, au cours de son discours inaugural, s'est exprimé comme suit :

«Le monde demande qu'il soit médité sagement sur l'état de choses existant et qu'on se rende compte qu'il ne saurait y avoir de remède sans sacrifice... de la part de tous. Je ne veux pas parler ici de l'abandon des droits, de la restriction de la liberté, de la contestation des aspirations, ni du refus de reconnaître les nécessités nationales. La République des Etats-Unis ne demanderait pas cela, non plus qu'elle voudrait le donner. Il n'est besoin qu'aucune fierté soit humiliée, qu'aucune nationalité soit engloutie... Il n'est que juste de reconnaître les besoins différents et les situations particulières.

Et c'est presque la formule de l'accord Lodéi-Lansing, qui reconnaissait et les besoins spéciaux du Japon et ses intérêts particuliers en Chine.

M. Hughes a fait un pas de plus et a donné comme objectif à la Conférence

« de profiter de l'union pour essayer d'aboutir à une entente commune en ce qui concerne les principes de la politique à Suivre en Extrême-Orient et, par ce moyen, diminuer considérablement, et, si c'est possible, faire disparaître entièrement toutes les causes de conflit, qui pourraient être discernées. »

Une entente sur les principes : elle est infiniment moins difficile à réaliser, remarquèrent, en souriant, les commentateurs japonais, qu'une entente sur des cas concrets. D'ailleurs, désireux de faciliter cet accord, M. Hughes a proposé de ne point ajourner l'examen des questions asiatiques, de les aborder en même temps que le problème du désarmement, mais de les confier à « plusieurs commissions ». Il morcelle les débats dangereux, afin d'atténuer le conflit éventuel.

Toutes ces précautions, toutes ces atténuations témoignent d'un effort très net pour éviter, en ce qui touche la Chine, toute intransigeance et trouver une transaction. Si le Japon accepte, à quelques amendements près dictés par la prudente Angleterre, le programme américain de désarmement naval, il peut espérer, au prix de déclarations de principe, sur l'intégrité territoriale et la porte ouverte, sauvegarder l'œuvre accomplie et consolider la pénétration réalisée. Or, les Nippons sont trop fins pour être incapables de mesurer à leur juste valeur les réalités militaires et les réalités économiques.

Les armements de tout ordre restent une force éphémère : ils sont à la merci d'un déficit, d'une majorité, d'une découverte. L'équilibre économique est une force féconde : il assure la discipline intérieure, il facilite le labeur inventif ; il permet les coûteuses improvisations. L'effort militaire n'est point un but, mais un moyen. A quoi servirait-il de lancer, sans relâche, de nouvelles unités, avec l'espoir d'acheter, à ce.prix, le droit de poursuivre l'infiltration en Chine, si ce droit ne se heurte à aucune interdiction? La limitation des armements, d'ailleurs, loin de les supprimer, les consolide. Elle la

met à la portée des petits Etats. Elle compense la quantité par la qualité. Elle réduit la marge des supériorités, sans pour cela interdire de contrebalancer les infériorités numériques par la perfection du détail matériel et la valeur des forces morales. Elle ajourne une guerre fatale. Elle ne saurait suffire pour assurer une paix durable. Elle réglemente le port d'armes. Elle ne l'interdit pas.

Pourquoi la délégation japonaise avait-elle, avant la séance inaugurale, dès son débarquement, exprimé publiquement le désir de voir la conférence aborder d'abord le problème du désarmement? Sinon parce qu'elle espérait acheter au qu'elle espérait acheter au prix de cette victoire de l'idéalisme américain des concessions de l'utilitarisme américain. Troquer les fragiles avantages de réalités militaires contre les durables certitudes des réalités économiques, lâcher la chimère d'une supériorité navale dans le Pacifique mais garder les avantages d'une pénétration progressive en Chine.

La Chine n'est pas une nation, mais une civilisation. Comme le démontre M. Hovelaque, dans des pages d'une fine et lumineuse psychologie (1), le fait que l'organisation familiale, la vie corporative, les habitudes ancestrales, les usages administratifs persistent à travers les pires soulèvements et l'anarchie générale, ne saurait suffire pour démontrer l'unité de la Chine prouve simplement l'existence d'une civilisation commune. L'identité de l'écriture ne saurait suffire pour établir l'homogénéité d'un Etat.

il

Géographiquement, la Chine n'a pas plus d'unité que n'en avait l'Empire romain. »>

Entre ses différentes régions nuls liens naturels, nuls caractères communs. Si la Chine est isolée, derrière une barrière de montagnes, de déserts et d'océans, elle est divisée, par le climat, le sol et la production, en une série de pays essentiellement différents. Ils sont séparés par des obstacles tels que partout, sauf dans des plaines d'alluvions, les communications sont précaires. L'absence de relations régulières entretient la diversité des milieux ethniques.

« Physiquement, les Chinois diffèrent entre eux autant que le Hollandais du Napolitain, l'Ailemand du Grec, et comme origine probablement plus fortement encore. Les langues mêmes qu'ils parlent sont différentes. » (Op. cit., p. 116.)

Pas d'unité historique. C'est tantôt une race, tantôt une province, tantôt un chef qui domine. Aucun régime ne peut durer. Le centre du pays se déplace constamment. Les capitales succèdent aux capitales. Pas d'unité politique. La Chine n'a jamais été un Etat, pas plus qu'elle n'a été une nation. « Elle n'est qu'une fédération très lâche d'innombrables petites démocraties autonomes, les familles --, soumises à un empereur autocrate, mais sans pouvoir effectif sur elles, pontife ou pape plutôt que souverain ». Et ce n'est point la disparition de cette autorité qui arrêtera les progrès de la dissociation, qui caractérise la vie chinoise, la vie religieuse comme la vie politique.

[ocr errors]

«La disparition du grand cadre traditionnel, qui, malgré sa vétusté vermoulue et ses insuffisances innées, maintenait quand même l'unité relative du pays et à l'intérieur duquel s'inscrivaient tous les autres cadres de sa vie, devait entraîner progressivement leur ruine. La tâche, qui attendait les idéologues révolutionnaires, dépassait infiniment celle de nos révolutionnaires de 1789. Ils partaient de plus loin, d'une décomposition infiniment plus profonde... » (Op. cit., p. 231.)

L'anarchie gagne. Les impôts ne rentrent plus. Les Etats vassaux repoussent le tribut. Le Yunnan s'agite. Le Tibet se révolte. Le Sud guerroie contre le Nord. Et cette scission, entre le Sud et le Nord, correspond « à des différences de races, d'esprit, d'intérêts, profondes, peut-être inconciliables ». Mais cette anarchie croissante (1) La Chine, op. cit., pp. 115, 121, 123, 163, 266, etc.

[graphic]

et ces guerres civiles « ne sont que de superficiels remous à la surface du grand océan immobile. » L'écume blanchit. La vie continue. Et quatre cent millions d'êtres humains continuent leur existence coutumière, dans le cadre des mêmes habitudes.

Parfois, comme en mai 1918, des émeutes populaires viennent protester contre l'infiltration japonaise, qui exploite l'anarchie et utilise le morcellement, subventionne, prête et achète. Puis le flot se calme. L'engourdissement vient. La vie reprend.

Mais voici que là-haut, dans le Nord, se forme une armée de 300.000 hommes, munie de mitrailleuses et d'avions dernier cri. Son chef, Chang-Tso-Lin, désigne les ministres de Pékin et surveille les délégués de Washington. Il est le maître de l'heure, et le vicomte Northcliffe n'a pas manqué d'aller le saluer à Moukden (1): Or le gouverneur de la Mandchourie, un exbrigand de quarante-deux ans à peine, n'a pu organiser. son royaume et son armée qu'avec le concours de l'argent et des cadres japonais. Il en est de même aujourd'hui chez les Sudistes. Indirectement, sans recourir à la force, tout en respectant les principes de l'intégrité territoriale et de la porte ouverte, le Japon dissocie, pénètre, exploite.

Il peut bien lâcher quelques dreadnoughts: il tient la Chine. Cette frégate-là rapporte plus et coûte moins. (A suivre.)

JACQUES BARDOUX.

NOTES ET FIGURES

M. Hara.

Vue d'Europe, la scène politique du Japon parait avoir été, pendant ces trente dernières années, assez semblable à celles où s'agitent les grandes démocraties occidentales. Même figuration: un chef d'Etat irresponsable, un cabinet, une Chambre haute, une Chambre basse, des partis, une masse électorale de plus en plus nombreuse. Même scénario: des campagnes électorales où l'on s'injurie, des interpellations virulentes, des discours du trône pompeux et vides, des groupes politiques jouant à la bascule avec le pouvoir.

Seulement, là-bas, tcut oela n'est, le plus souvent, que trompe l'œil. L'antique Japon a, depuis 1866, moins évolué, qu'on ne le pense. Et il demeure encore, par bien des traits, le pays théocratique et féodal de jadis: l'empereur constitutionnel est toujours un Dieu; les partis ; les ont pris, sous un autre nom, la suite des vieux clans chefs de ces clans peuplent de leurs créatures ministères et assemblées; les électeurs sont leurs vassaux ou leurs vilains. Et derrière le classique décor de la comédie parlementaire, tenant en main les fils des marionnettes, se dissimulent, mystérieux et puissants, les gardiens jaloux des traditions militaires, aristocratiques et impérialistes de l'Empire du Soleil Levant, les vieux chefs de l'armée et du peuple, les Anciens.

Voilà le véritable ressort de la politique japonaise. Ou plutôt, voilà quel il était jusqu'à ces toutes dernières années.

Mais, en 1918, un ministre arriva au pouvoir qui voulut changer l'antique ordre de choses et faire, au Japon, du gouvernement parlementaire, voire de la démocratie, une réalité : ce ministre audacieux, c'était Keï Hara. Ii est tombé poignardé, le 5 novembre dernier, sur le quai de la gare de Tokio, victime de ces forces du passé dont il avait tenté d'ébranler le pouvoir.

Curieuse figure que celle de ce petit homme à la face pleine, aux yeux malins, au menton volontaire, à la toi

(1) Voir le Daily Mail du 14 novembre.

son blanche, aux gestes précis. De naissance samourai, Keï Hara n'embrasse pas, parvenu à l'âge d'homme, la carrière administrative ou celle des armes. A l'étonnement un peu scandalisé de ses pairs, il se lance dans la presse, alors naissante au Japon, très vite, il s'y taille une place. Il ne peut cependant échapper complètement aux fonctions publiques. On en fait un diplomate. Et certains Parisiens se rappellent encore avoir vu parmi eux ce jeune Japonais têtu et énergique. De retour dans sa patrie, il y devient sous-secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Mais le journaliste l'emporte chez lui.Il quitte la carrière, prend la direction du grand périodique Mainichi et s'attache en même temps à organiser un véritable parti politique, chose jusque-là inconnue au Japon Avec le prince Ito, il fonde le parti Seyou-Kai dont il devient l'âme. En 1902, il entre au Parlement. A trois reprises, il est appelé à la direction du ministère de l'intérieur. Enfin, il y a trois ans de cela, il est nommé premier ministre. Jamais auparavant cette charge n'avait été confiée à un homme non titré.

[ocr errors]

Hara, négligeant les impérieux conseils - jusqu'alors toujours écoutés des Anciens, forme un cabinet homogène et s'assure, au Parlement, une compacte majorité Puis il se met à l'œuvre. A l'intérieur, sa politique est nettement libérale. A l'extérieur, elle se révèle modérée et conciliante: A la Conférence de Paris, les délégués japonais s'attachent, il est vrai, à obtenir pour leur pays le maximum d'avantages. Mais lorsque, plus tard, les Etats-Unis contestent au Japon le bénéfice de quelquesuns des articles du traité de Versailles, Hara sait se montrer traitable. En gage de ses dispositions pacifiques, il fait évacuer par les troupes japonaises presque toute la Sibérie orientale et propose à la Chine un règlement de la question du Chantoung qui, s'il paraît léonin à Washington, semble à Tokio à peine compatible avec les intérêts du Japon.

On se doute que les ennemis de Hara, les grands féodaux de l'armée et de la marine, ne se sont pas fait faute de vouer à l'exécration publique une politique marquée, selon eux, au coin de la lâcheté.

Cependant le premier ministre tenait bon, assuré qu'il était d'avoir derrière lui, la grande majorité du peuple japonais.

Mais un geste qu'il fit lui aliéna, dans son propre parti, de nombreuses sympathies: ce fut lorsque, au printemps dernier, il envoya en Europe, en voyage d'étude, le prince Hirohito, l'héritier du trône, l'arrière-petit-fils du Soleil, le futur Dieu vivant.

On a peine à se représenter quelle fut à l'annonce de ce voyage, l'émotion qui secoua le Japon. Il semblait à beaucoup de patriotes qu'on leur enlevât un palladium et que, privées du successeur des Divins Ancêtres, les îles du Soleil Levant, semblables à un navire démâté, dûssent être entraînées vers les profondeurs du Pacifique. Des étudiants menacèrent de se jeter sous le train qui emmènerait de Tokio l'Auguste Personne. Le prince partit cependant. Mais la popularité de Hara en fut atteinte. Lorsque Hirohito fut de retour, le scandale redoubla l'héritier du Trône avait, en Occident, contracté d'étranges habitudes; il parlait en public, s'adressait à son peuple, permettait, réclamait même qu'on le regardât en face, lui dont la seule vue devait, d'après l'antique croyance, frapper de cécité l'imprudent assez hardi pour oser lever les yeux en sa présence. « Abomination!», disaient les vieux Japonais. Et le clan militaire faisait remonter à Hara la responsabilité de la colère des Ancêtres, colère dont témoignait, assurait-on, la maladie du Divin Empereur.

[graphic]

:

La masse du peuple japonais était loin d'ajouter foi à ces billevesées. Mais dans quelques esprits, elles faisaient des ravages. Et c'est là, semble-t-il, qu'il faille chercher l'origine du drame dont la gare de Tokio a été le théâtre...

« AnteriorContinuar »