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Du quai

Malaquais au Salon d'Automne (1)

de pitié ni de regret, il approuve le geste de Mme Ville- Les Arts
roy. Elle a fait ce que j'aurais fait à sa place, affirme-
t-il, elle peut compter sur moi pour la faire acquitter.
Puis il se félicite de son sang-froid, de son calme pen-
dant toute cette horrible aventure. Vincelon le regarde.
avec dégoût et tâche de lui faire comprendre que son
attitude est répugnante, ils se quittent brouillés. Comme
Berton adorait sa femme, il ne peut concevoir qu'il ait
pu avoir malgré cela, ou à cause de cela, des torts sé-
rieux. Il n'a jamais eu conscience de sa brutalité, ni de
la tyrannie qu'il exerçait sur elle; elle l'a trompé, il est
vengé, il ne veut rien regretter.

Au second acte, dans une chambre toute gaie et tout ensoleillée, à Beauvallon, nous voyons une petite femme, Suzette, emmenée là par Berton qui cherche à se distraire. Malgré toute sa volonté, il souffre et ne peut chasser le souvenir de Jacqueline. C'est à Beauvallon qu'il est venu avec elle après l'avoir épousée, c'est là qu'il revient avec Suzette. Celle-ci lui plaît, c'est une fille et, cependant, il lui offre ce qu'elle voudra si elle consent à rester avec lui. Elle refuse, timidement d'abord, avec décision ensuite. Pourquoi? parce qu'elle a peur, peur de Berton, de sa violence, de sa brutalité, de son despotisme qui s'exerce dans les moindres petits faits. Il l'écoute stupéfait, et, tandis qu'elle parle, on sent le revirement qui s'opère en lui, il réfléchit, il songe à sa conduite envers Jacqueline; elle aussi avait peur de lui, mais elle n'osait pas le lui dire, elle était malheureuse sans qu'il s'en soit jamais aperçu, sa conduite s'explique et même s'excuse, elle n'était presque pas coupable et cependant elle est morte... et toute sa passion pour elle l'envahit de nouveau, il la regrette, il s'accuse, tandis que Suzette continue sur le seuil de la porte, de lui dire en tremblant pourquoi elle le quitte.

Troisième acte. Berton, rentré chez lui, a prévenu Vincelon de son retour et se réconcilie avec lui. Celui-ci a apporté un pastel qu'il fit jadis de Jacqueline, ils regardent tous deux le portrait de la morte lorsqu'on annonce Mme Villeroy. Vincelon s'éclipse, Berton la reçoit. Elle vient, sous prétexte de le remercier d'avoir, par son témoignage, obtenu son acquittement, à la vérité pour se rendre compte des sentiments qu'il éprouve pour Villeroy qui est malade en Suisse et savoir si son mari peut, sans danger, rentrer à Paris. Et tandis qu'elle parle égoïstement et sottement, qu'elle ose rappeler son geste et semble demander qu'on lui en fasse compliment, elle ne sent pas la fureur de Berton monter, monter...

Et tout à coup, elle le regarde... elle a peur elle aussi, elle recule et sort son revolver... encore! Berton se jette sur elle, la désarme et l'étrangle.

Je regrette le geste de menace de Mme Villeroy, tout ce qu'elle dit est tellement odieux et déplaisant que le geste de Berton paraît naturel, indispensable.

Le spectacle se termine par Faisons un rêve. C'est une délicieuse pièce que nous avons revue avec un plaisir

très vif.

Mme Yvonne Printemps, qui joue Suzette dans Jacqueline, puis, Elle, dans Faisons un rêve, donne dans ce spectacle des notes aussi justes que variées. M. Sacha Guitry, comme auteur et comme acteur, peut être enchanté de son ouvrage. Mme Barbier-Krauss, MM. Berthier et Oudard se sont bien tirés de leurs rôles.

CLAUDE ISAMBERT.

Par suite d'un accident indépendant de notre volonté, nous nous voyons forcés de renvoyer à la semaine prochaine le second article de notre Enquête sur la situation financière. On y trouvera les interviews de MM. Paul Aubriot, député de Paris, et Jules Corréard, direc teur honoraire au ministère des finances.

II

Il y a, depuis quelques années, un académisme indépendant. Les jeunes peintres, fatigués des libertés de l'impressionnisme, ont éprouvé, comme on sait, le besoin d'obéir à des lois, de suivre une « discipline ». Mais, en art, une discipline ne vaut que par l'individu qui la crée ou qui la subit, et plus une discipline esthétique est stricte et aisément formulable, plus elle aura de chances d'appauvrir, de stériliser ceux qui s'y conforment avec servilité. Rien de plus morne, de plus creux que les résultats de la discipline michelangelesque ou raphaelesque en Italie; rien de plus inerte que la discipline qui momifie les élèves de David, ou les Canoviens, ou les Ingristes. Et cependant, à ces différentes époques, les artistes même médiocres possédaient une science acquise qui fait aujourd'hui défaut à la plupart de ceux qui prétendent peindre ou sculpter. Au siècle dernier encore, on apprenait dans n'importe quel atelier un rudiment, une pratique que nos contemporains, de leur propre aveu, sont forcés d'apprendre eux-mêmes, ou, sinon d'apprendre, du moins de deviner ou d'inventer. On pourrait citer les noms de quelques-uns des meilleurs artistes d'aujourd'hui qui ont été obligés de se débattre tout seuls, jusqu'à trente-cinq ou quarante ans, pour parvenir à se procurer un moyen d'expression, une sécurité purement matérielle que le moindre « bleu » d'ate lier acquérait jadis presque mécaniquement de ses aînés, comme l'apprenti ébéniste apprenait à sculpter le bois, ou l'apprenti ferronier à forger le fer. Cet appui initial, personne ne le trouve plus nulle part aujourd'hui, sinon peut-être quelques élèves directs et privilégiés qui travaillent près d'un Maurice Denis ou près d'un Bourdelle. Mais il va sans dire que si ces élèves ne possèdent pas à leur tour une personnalité suffisante, ils ne feront pas autre chose que de répéter en l'affaiblissant ce que leurs maîtres ont dit devant eux.

Aux grandes époques, les maîtres ont des disciples; aux époques confuses, les maîtres n'ont plus que des imitateurs. Ce qui s'est passé à cet égard pour Cézanne est très frappant. Aux indépendants, au Salon d'automne, dans maintes expositions particulières, nous vîmes cent et cent toiles reproduire tous les tics, tous les défauts, toutes les infirmités qui furent non point les marques du génie cézannien, mais, au contraire, ses limites. Par exemple, les maisons, n'est-ce pas, sont souvent de travers, dans les toiles de Cézanne, comme autant de tours de Pise; or, ce que cherchait Cézanne, et ce qu'il a d'ailleurs plus souvent entrevu qu'atteint, c'est-à-dire les lois perdues du style pour les appliquer à résoudre les problèmes de la peinture moderne, ces lois ne dépendaient pas de l'aplomb de ses architectures Une maison pouvait être peinte de travers, Cézanne ne le voyait pas, ou, s'il le voyait, il ne pouvait songer à s'en préoccuper, tant il était absorbé par d'autres recherches. Or, qu'est-ce qui a été le plus universellement adopté par les cohortes de peintres qui, dans le monde entier, se réclament de Cézanne? Justement cet air penché » des maisons, des bouteilles et des arbres. Et, pour avoir religieusement accompli ces singeries, cent jeunes ont cru sincèrement être les disciples et les continuateurs d'un homme qui s'irriterait sans doute de se voir caricaturé ainsi.

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Du moins y a-t-il dans cette répétition un peu niaise des procédés superficiels et mal compris d'un maître, une certaine naïveté, un certain aveuglement de la foi, les

(1) Voir l'Opinion du 5 novembre 1921.

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quels, de nos jours, ont quelque chose de touchant, et, en même temps, de tragique.

Quelques très grands génies seuls peuvent vivre sinon dans l'indépendance absolue, du moins dans un monde dont ils ont eux-mêmes (non point par inspiration, mais par recherches et réflexions instinctives) dégagé et énoncé les lois. Du vivant de Delacroix ou du vivant de Courbet, il y a eu certainement bien des peintres qui ont prétendu trouver, dans les musées ou devant la nature, ce que les chefs d'atelier ne leur apprenait plus; mais ils n'avaient pas en eux la force qui a permis à Delacroix, à Courbet de dominer leur temps, et ils ont vite sombré sur une mer où le pilote n'est rien si les rameurs ne sont pas à leur banc.

Pendant des siècles, l'idéal d'un jeune peintre fut, à ses débuts, d'être confondu avec son maître. Cela est fini. On ne saurait imaginer, de nos jours, Raphaël «< collant » à Pérugin, comme la doublure colle à l'étoffe, ni Pater essayant d'arracher à Watteau ses secrets. Les artistes dits « primitifs » n'ont jamais essayé autre chose que de continuer à « fournir » consciencieusement au client des tableaux fabriqués exactement comme ceux que l'on « fabriquait » à leurs débuts ou avant eux dans la même « maison ». Ils étaient pareils à ce que serait aujourd'hui le successeur d'un Boissier ou d'un Sorgue, qui mettra son point d'honneur à faire et à vendre des bonbons et des foies gras que l'on pourra confondre avec ceux que l'on faisait et vendait, hier, chez ce confiseur ou chez ce marchand de comestibles réputés.

Il n'y a pas beaucoup plus de cent ans que ce consentement à l'humilité a pris fin. Comme le tiers Etat après 89, les artistes se sont gorgés de liberté. Mais du moins n'étaient-ils pas coupables d'avoir détruit volontairement leurs assises et leur soutien. C'est au contraire depuis que l'on a réglementé et protégé officiellement l'enseignement des Beaux-Arts que cet enseignement s'est effrité et perdu. Il faut un certain jeu, une certaine part de hasard et de surprise dans une fécondation esthétique. L'Ecole des Beaux-Arts n'a plus rien laissé au hasard; quant à l'élément de surprise, depuis longtemps on ne l'y. soupçonne plus. Les concours y sont devenus la seule affaire importante, avec le diplôme de sortie. Il est fort probable que si l'Ecole des Beaux-Arts n'était pas ce qu'elle est depuis quelques lustres, nous n'aurions pas assisté à ce «< chaud-et-froid » qui a jeté si vite les peintres de l'impressionnisme le plus libéré dans l'intellectualisme le plus strict, et, souvent, le plus étroit.

Lorsqu'on n'a pas de génie ou, à défaut de génie, une précoce maîtrise de son talent, il est certes aussi dangereux de se livrer à sa seule sensibilité que de se soumettre entièrement à son cerveau. Mais il était tout naturel, après une ère de liberté excessive et de « sensation directe » qu'on voulût retrouver l'ordre et l'équilibre en sacrifiant sans pitié ni regret la poésie spontanée et fragile de l'impressionnisme d'hier à l'intellectualisme têtų et exclusif d'aujourd'hui.

En somme, les peintres, fatigués d'errer à leur guise, écœurés d'être depuis si longtemps en vacances, viennent se ranger au bord de la route comme des collégiens qui sont las de courir à leur gré en plein-air, dans les champs, entre des meules et des bassins de nymphéas, et, dociles à leur maître d'études, ils regagnent docilement ce grand lycée neuf que l'on vient de construire pour eux, en beaux cubes de pierre bien nets et bien précis.

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existait, ont plus ou moins subi l'influence de l'enseifend. Nous avons entendu l'un des plus grands artistes gnement qu'on y professe et des théories qu'on y dé pouvait m'apporter de bon; et pourquoi ne l'aurais-je de ce temps nous avouer: « J'ai pris au cubisme ce qu'il quiets, encore incertains, ils se sont naturellement prépas fait ?» Quant aux artistes plus récents, encore incipités sur ce qu'on leur offrait, et qui, à un âge où l'on a besoin de quelques points de repère, mettait pour quelque temps un terme à leur inquiétude, à leur incertitude. L'influence du cubisme a été d'autant plus grande et d'autant plus rapide que nulle part ailleurs, et surtout pas à l'Ecole des Beaux-Arts, on ne proposait à une génération avide de comprendre et de construire, l'aide et le guide qu'elle souhaitait.

Aujourd'hui que la virulence de cette crise commence d'être apaisée, on peut en apercevoir les résultats, et, en quelque sorte les « profits et pertes ». Faut-il se féliciter de voir au Salon d'Automne tant d'œuvres « composées» et si peu d'œuvres « senties » ? Faut-il considérer notre époque comme un double de l'époque davidienne où nos Lhote, nos Dufresne, nos Dérain, nos Favory seraient autant de Girodet, de Guérin et de barons Gérard déguisés ? Ou bien au contraire sommesnous à un moment de transition, à une période préparatoire où les exercices d'assouplissement, où les expériences de laboratoire précèdent des travaux plus libres et plus importants? C'est ce que nous dira un avenir prochain, et, avant que ce jour soit venu, l'examen particulier de certains ouvrages exposés au Grand Palais. (A suivre) JEAN-LOUIS VAUDOYER.

Marine.

Les idées de l'Amiral Von Scheer

Les grands chefs allemands que la défaite a rendus à leurs chères études écrivent et parlent beaucoup. Ludendorf, Hindenburg, Tirpitz, von Scheer ont tous rédigé leurs mémoires; ils ouvrent facilement leurs portes à qui veut bien les interviewer. L'amiral von Scheer, l'ancien commandant en chef au Jutland, nous a, depuis la guerre, abondamment renseignés sur stratégie et les idées qui ont inspiré son commandement, alors qu'il conduisait la flotte de haute mer allemande. Il les a, cette année, développées à nouveau en d'intéressantes communications faitès à des journaux étrangers, comme la Chicago Tribune, le Naval and Military Record, ou bien encore dans des revues allemandes, comme la Woche.

sa

Il serait évidemment imprudent de prendre à la lettre les confessions et les appréciations de l'amiral. L'opinion d'un tel chef, qui a eu l'honneur de mener la flotte de haute mer allemande pendant la seule grande bataille navale de la guerre, reste cependant intéressante à bien des points de vue et mérite d'être connue des marins et des hommes politiques de tous pays, en particulier du nôtre. On y oublie trop facilement l'importance des questions maritimes.

Un des sujets qui, comme de juste, tient le plus à cœur l'amiral allemand est la bataille du Jutland. Nous n'avons pas ici le loisir de retracer ni d'étudier dans tous ses détails cette rencontre fameuse qui a déjà fait et fera encore couler des flots d'encre. Von Scheer ne doute pas que ce ne soit une vraie victoire à inscrire à l'actif de l'Allemagne. Il ne tarit pas a posteriori de critiques sur la conduite, à son avis inexplicable, de ses adversaires.

Jellicoe aurait dû, bien entendu, l'emporter, si l'on considère sa supériorité numérique. « Au Skagerrak, dit von Scheer, les Allemands avaient 25 bâtiments de

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ligne, les Anglais 45. Nous avons infligé à l'ennemi des pertes doubles et avons pris complètement l'offensive... Au début de la bataille, l'amiral Beatty nous amena sur la flotte de l'amiral Jellicoë: ce fut une excellente manœuvre. Notre formation en pointe, qui permit aux 'Anglais un mouvement d'encerclement, n'était pas, comme on voulait le prétendre, un mouvement de retraite. L'amiral Jellicoë effectua dans son mouvement d'encerclement une menace sérieuse, mais non point fatale pour nous... Cependant s'il avait concentré son feu sur ma position en pointe, il eût obtenu la décision, et toute sa masse d'explications n'y changera rien. »>«< Jellicoë, nous dit-il une autre fois, aurait dû disposer sa flotte entre la flotte allemande et la base de cette dernière, puis maintenir le contact pendant la nuit par ses croiseurs de bataille et ses destroyers, choisir sa position et détruire toute la flotte allemande. >> Von Scheer prétend qu'il était tout disposé à reprendre le combat dès le lendemain s'il en avait eu l'occasion. « On me demande, dit-il, pourquoi je n'ai pas renouvelé mon attaque le lendemain matin. Le brouillard me dérobait la vue de mon escadre à plus de quatre milles. C'eût été une folie de ma part que d'inciter les torpilleurs anglais à apparaître soudainement de derrière le rideau, à cueillir un à un mes bâtiments et à disparaître. » Il se trouve, d'ailleurs, sur ce point, en contradiction formelle avec son subordonné,

Hase, commandant l'artillerie du Derfflinger. Celui-ci ne dissimule pas, dans son livre sur la bataille du Jutland, la joie sans mélange qu'éprouvèrent officiers et équipages allemands quand, le lendemain, ils virent, à l'aube, la mer libre et la possibilité de rentrer sans combat à leurs bases.

nous

Après cet air de bravoure dont les gros chefs allemands sont d'ailleurs coutumiers, von Scheer révèle certains détails et nous suggère certaines innovations dont ses émules étrangers pourraient peut-être tirer profit. Pour lui, une des grosses supériorités de sa flotte consistait dans l'excellent entraînement de son artillerie. Le système de direction de tir fonctionna parfaitement à bord de tous ses bâtiments. On sait qu'un des grands griefs adressés par Percy Ssott à l'amirauté anglaise fut de n'avoir pas muni, comme il l'avait réclamé avant la guerre, tous les bâtiments anglais de son « fire director »; au contraire, les cuirassés allemands en étaient tous pourvus. Ces systèmes étaient excellemment protégés. Les obus ne parvinrent pas à les dérégler ni à les rendre inutilisables. De même, les appareils de direction des bâtiments avaient été l'objet d'études très soigneuses des ingénieurs des ingénieurs allemands. « L'idée dominante, nous dit von Scheer, était que le bâtiment devait coûte que coûte conserver sa position dans la ligne et que toute avarie dans la direction était considérée comme de la dernière gravité ».

Les Allemands avaient particulièrement étudié la question du tir de nuit. Pièces, projecteurs et télémètres se concentraient sur les objectifs dans le minimum de temps. Les liaisons furent également l'objet de tous leurs soins. La T. S. F. fonctionna, paraît-il, parfaitement; en outre l'amiral s'assurait par pavillons et projecteurs de la bonne transmission de ses messages. « Il est extrêmement important, nous déclare von Scheer, que le commandant en chef puisse avoir des informations exactes dans le minimum de temps. J'attache une telle importance à la nécessité de transmettre sans perte de temps les renseignements concernant le contact avec l'ennemi et autres messages essentiels, que j'estime qu'il ne faut pas craindre de les envoyer en clair »>. On sait que, par suite du mauvais temps, von Scheer ne pût utiliser comme il l'espérait, les zeppelins à la bataille du Jutland. Il regrette bien davantage, semble-t-il, de n'avoir pas possédé des bâtiments porte-avions, car les

renseignements qu'auraient pu lui procurer ces appareils eussent été du plus grand prix.

« A l'avenir, nous dit-il, l'avion, uni au sous-marin, rendra les plus grands services à l'éclairage maritime ». Il apparaît donc bien que von Scheer eût préféré voir l'Allemagne construire moins de dirigeables et plus d'aéroplanes.

La question capitale du cuirassé et du sous-marin est, bien entendu, l'objet de nombreuses déclarations de la part de von Scheer. Elles ne sont pas toutes inspirées, nous le craignons, par des préoccupations strictement militaires et techniques. La haine de l'Angleterre obscurcit parfois sa vision et provoque de sa part des déclarations qu'il est, d'ailleurs, le premier à contredite. Il tend, pour les besoins de la cause anti-anglaise, à exagérer, peut-être, l'importance du sous-marin. Comment concilier, par exemple, les idées qu'il expose dans la Woche du 31 décembre 1920 avec celles qu'il se laisse imputer par exemple dans la Chicago Tribune: « Le commandement anglais, dit-il d'une part, a créé luimême le développement de l'arme sous-marine, et par là creusé de ses propres mains le tombeau de la suprématie navale de sa flotte. Il n'est pas douteux que le perfectionnement des engins sous-marins n'en n'en est encore qu'à son début, tandis que les bâtiments de surface ont atteint la limite de leur capacité de perfectionnement... Seuls, un petit nombre d'Etats auraient pu se permettre le luxe de ces bâtiments gigantesques. L'Angleterre pouvait leur rester constamment supérieure. Toutes les puissances navales de second ordre devenaient sans importance. La suprématie anglaise devenait assurée »>.

Le sous-marin jette par dessus bords tous ces calculs. La terreur qu'inspirait la flotte anglaise comme flotte de combat a disparu ! Cependant, il avoue lui-même, d'autre part, que l'idée d'abandonner la construction du capital-ship en faveur du sous-marin est « une grande faute ». « Sir Percy Scott a dit, dans une de ses lettres au Times que, si l'amirauté avait eu 100 sousmarins de plus au début de la guerre, elle l'aurait gagnée. Je suis de son avis. Mais, il prétend que si l'Angleterre avait eu 100 bâtiments de ligne de plus, ceci ne l'aurait point aidée à gagner la guerre. Ce n'est pas mon sentiment. Avec 100 navires de plus, les Anglais auraient pu risquer une attaque de nos bases de la mer du Nord et forcer l'entrée de la Baltique. Cette dernière opération leur aurait permis d'apporter un concours illimité à la Russie au moment où elle en avait le plus besoin, d'organiser une attaque de flanc contre les côtes allemandes ». Le grand sous-marin est appelé, selon lui, à un avenir illimité. Il devra, à l'avenir, accompagner les flottes de haute mer et combattre en liaison avec le bâtiment de surface. L'évolution des constructions navales permettra de réaliser un type capable de rester éloigné de sa base au moins huit mois, d'opérer comme unité tactique de la flotte de haute mer, de porter un armement assez puissant pour engager la lutte contre des destroyers et même des croiseurs. C'est ainsi que le prépondérant. Des croiseurs sous-marins, d'une vitesse sous-marin pourrait, dans le Pacifique, jouer un rôle de surface d'au moins 30 noeuds pourraient renouveler, en les décuplant, les exploits du Dreden, du Carlsruhe et de l'Emden. Ils pourraient échapper aux recherches ennemies par la plongée, et grâce à leur grand rayon d'action, éviter les difficultés incroyables d'approvisionnement en combustible dont eurent à souffrir les croiseurs allemands. On pourrait les munir de canons puissants et de torpilles sans sillage, telles que les Allemands en avaient réalisées pendant la guerre, sans pouvoir cependant les utiliser au Jutland.

« A mon avis, déclare Scheer, la construction d'une mètres, est parfaitement possible. Cette invention introtorpille électrique sans sillage, d'une portée de 10.000

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duirait un élément particulièrement dangereux dans la lutte à la torpille. Des centaines de bâtiments de guerre ou de commerce furent prévenus pendant la guerre par les bulles d'air à la surface de l'eau et purent modifier rapidement leur course; la plupart d'entre eux eussent été avariés ou coulés si la torpille avait été du dernier type, invisible et électrique... »

Il y a sans doute à faire la part du bluff et de la passion politique dans toutes ces théories de l'amiral allemand. Elles devraient cependant être prises en considération par ceux qui ont la charge de notre marine et le devoir de la tirer de la situation inquiétante où elle végète.

EDMOND DELAGE.

L'Expansion du Livre Français

Le catalogue du livre français

Dans l'organisation actuelle de la librairie, le seul commerçant qui soit en contact direct avec le public, c'est le libraire. Son rôle est important, car il n'a pas seulement à vendre les nouveautés dont l'envoi lui est fait d'office par les éditeurs, mais aussi à procurer les livres autrefois parus et que, le plus souvent, il n'a pas en magasin. En d'autres termes, il ne doit pas seule ment pouvoir répondre à cette question : « Avez-vous tel livre de tel auteur ?», mais encore à celles-ci : «<< De quel auteur est tel livre?» et ( plus difficile) : « Quels livres existe-t-il sur tel sujet? »

Théoriquement le libraire est donc tenu d'être parfaitement au courant de la production française. Ce n'est pas lui faire injure que de lui contester un savoir encyclopédique: c'est généralement un modeste commerçant et tout ce qu'on peut exiger de lui, c'est un minimum de connaissances professionnelles. Les possède-t-il qu'il devrait pouvoir aisément parvenir à satisfaire sa clientèle grâce aux moyens d'information dont il dispose.

Pour les nouveautés, il peut aisément s'en tirer, la Bibliographie de la France et les Tables bibliographiques de la Maison du Livre lui fournissant périodiquement les renseignements désirables. Pour les livres anciennement parus, les stocks d'ouvrages « de fonds », c'est plus difficile: il y a bien un guide complet et sûr et c'est le répertoire bibliographique de Lorenz, mais il a deux défauts de paraître avec un assez fort retard et puis d'être d'un prix bien élevé pour de modestes bourses. Le commun des libraires a pour toutes ressources la collection des catalogues d'éditeurs, et c'est, en principe du moins, un excellent instrument de travail. Ces catalogues sont, en effet, pratiques et économiques pratiques en ce que, soigneusement tenus à jour, ils ne mentionnent que les ouvrages en magasin, à l'exclusion absolue des épuisés économiques, parce que servis gratuitement aux intéressés (et cette considération ne saurait être indifférente dans un commerce où les frais généraux sont toujours élevés).

Leur inconvénient est d'être établis par maisons d'éditions, donc de ne pas donner une idée d'ensemble des différentes branches de la production française. Réduit à leur consultation, le libraire peut bien, à force de temps et de patience, retrouver l'ouvrage qu'on lui demande, il lui est impossible d'indiquer au client les ouvrages analogues, que celui-ci achèterait peut-être s'il en connaissait l'existence.

Si en France le public éprouve telles difficultés à être documenté sur l'ensemble de la production française, on imagine aisément l'ignorance du public étranger. C'est très bien de vouloir lui vendre des livres, mais encore faut-il d'abord lui en faire connaître l'existence. Il le réclame tout le premier, témoin cette lettre d'un

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libraire de la Suisse allemande à une de nos maisons d'éditions: « Il faut surtout nous faire savoir ce que la France possède de livres. J'ai souvent été frappé de la richesse de votre littérature en feuilletant des catalogues d'éditeurs. Les éditions françaises sont trop peu connues... » Et le remède, il l'indiquait : faire des listes d'ouvrages non plus par firmes, mais par spécialités, établir « des petits catalogues spéciaux pour chaque domaine, mis à la disposition du libraire à un prix lui permettant la distribution en grand nombre à tous les intéressés >>.

Ces catalogues par matières, une seule catégorie d'éditeurs en avait réalisé jusqu'ici le principe : c'étaient les éditeurs de médecine. Ils existeront bientôt pour toutes les branches de la production française et le pre-mier d'entre eux va paraître demain.

La guerre seule en a retardé l'exécution, entreprise en 1914. Ils sont dus à l'initiative de quelques éditeurs : MM. H. Bourrelier. (Colin), André Gillon (Larousse), André Mainguet (Plon), organisateurs de l'Office pour la propagation du livre français.

S'étant acquis le concours direct des principales maisons d'édition et ayant obtenu l'appui officiel de la Chambre syndicale des libraires détaillants, ils avaient fait appel pour la rédaction de ces catalogues collectifs à la collaboration de bibliographes compétents. Ils prévoyaient alors la publication de six catalogues spéciaux, comprenant en tout une dizaine de milliers de titres, choix évidemment restreint, mais jugé suffisant pour satisfaire aux recherches courantes de la majorité des lecteurs. Le prix de vente de ces brochures, soigneusement présentées, n'eût pas dépassé o fr. 25 au maximum et un tirage énorme en eût aisément assuré la diffusion par le monde.

La guerre empêcha la réalisation immédiate de ce programme. Mais l'Office avait déjà obtenu un résultat : c'est, rien qu'en annonçant son intention, d'avoir empêché une maison de... Leipzig de publier une bibliographie analogue de la production française.

La mobilisation des fondateurs, la mort de deux d'entre eux, MM. Lebègue et Mainguet, sans compromettre l'œuvre de l'Office, en ralentirent l'exécution. Le Congrès du Livre de 1917 en soulignait l'utilité, adoptant à l'unanimité, sur rapport de M. André Gillon, le vou qu'elle fût reprise, élargie, menée à bonne fin etqu'il fût dressé « une bibliothèque de sélection et à la fois très complète de la pensée française (sous forme de catalogues collectifs de la librairie), comprenant tous les principaux ouvrages incontestablement dignes du renom de la culture française »>.

Une résolution du Congrès de 1921 a confirmé ce vœu qui est aujourd'hui réalisé. Le catalogue du livre français se divisera en huit parties Littérature. Histoire et Géographie. Beaux-Arts. Science et Technologie. Droit, Philosophie, Religion. - Connaissances pratiques. Enseignement. Livres pour la jeunesse.

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La première partie, de beaucoup la plus importante (Littérature), comprendra elle-même trois subdivisions : Littérature française des XIX et XX° siècles. -- Littérature française classique. littératures anciennes, orientales, étrangères. — Critique et histoire littéraire.

En principe, chaque fascicule doit donner la liste de toutes les œuvres françaises éditées de 1800 à 1920, non épuisées en librairie et « qui ont une valeur reconnue ou une notoriété certaine ».

Le choix et le classement ont été faits par des spécialistes. Le premier fascicule, précédé d'une préface générale de M. Paul Hazard, chargé de cours à la Sorbonne, a été rédigé sous la direction de M. Vic, de la Bibliothèque Nationale. Il comprend 6.500 titres.

Les fascicules sont divisés en sections méthodiques, et dans chaque section les ouvrages sont rangés par

TIT

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ordre alphabétique des noms d'auteurs, avec indication du format et du prix (les rédacteurs déclinant toutes responsabilités pour les variations de prix possibles). Une double table alphabétique des titres d'ouvrages et des noms d'auteurs guide les recherches.

Ajoutons que le nom des éditeurs n'est pas indiqué en clair, mais que chaque titre est suivi d'un monogramme dont les libraires seuls auront la clef, ceci pour éviter que le public s'adresse directement aux éditeurs au préjudice des détaillants..

La vente du catalogue entier a été confiée à la Maison du Livre. Il recevra évidemment la plus large diffusion, et je crois qu'il y aura intérêt à le distribuer le plus possible à l'étranger.

Tel qu'il est conçu, il est appelé à rendre de grands services, non seulement aux professionnels mais au public, et surtout au public étranger. Mais enfin son utilité n'apparaîtra qu'à l'usage. L'essentiel est que ce ne soit pas un organe de publicité pour quelques maisons d'édition, mais un instrument national de bibliographie courante établi avec impartialité et destiné au grand public et à ses agents d'information, les libraires.

Il existe sous diverses formes, dans d'autres pays que le nôtre, notamment en Allemagne, et y a rendu de gros services. Enfin, l'exemple de nos propres éditeurs de médecine est bien fait pour encourager leurs confrères, à qui M. Pierre-V. Masson disait au dernier Congrès du Livre: Par le nombre de demandes qui nous sont faites de notre catalogue collectif d'ouvrages médicaux, nous avons acquis la conviction qu'il est un organe de diffusion puissant et nous conseillons bien vivement aux éditeurs qui publient des livres visant une même catégorie d'acheteurs d'imiter l'initiative que nous avons prise; elle est onéreuse, mais nous sommes persuadés que le groupement des livres des différents éditeurs profite à chacun d'eux, en donnant mieux à l'étranger l'impression de ce qu'est la science française et des ressources que l'on peut en tirer. » Il est bien évident, comme le disait encore M. Michaud, que ces catalogues, largement distribués, favoriseront la vente d'une quan tité d'ouvrage mis en valeur par leur rapprochement. Nous n'avons pas si souvent l'occasion de signaler une réalisation pour nc pas souligner l'intérêt de celle-ci. Servant le public, elle porte en elle sa récompense: ce n'est jamais une mauvaise affaire pour un commerçant que de satisfaire sa clientèle.

La Vie Economique

Les assurances sociales

GEORGES GIRARD.

et le système de précompte

C'est une méthode commode que notre Parlement a adoptée, en matière de législation sociale, de faire porter aux seuls employeurs la responsabilité de rassembler les recettes nécessaires au fonctionnement des lois nouvelles.

tée devant l'Office régional des assurances, au besoin devant des organismes plus élevés qui statuent successivement. Ainsi est atteint le résultat voulu par la loi, sans qu'aucun conflit concevable puisse s'élever entre employeurs et salariés. Car le précompte est encore le seul procédé qu'on ait trouvé pour rendre obligatoire et financièrement réalisable une mesure de législation sociale.

Or, qui dit assurance, dit effort de prévoyance, volonté d'épargner sur les dépenses immédiates, pour se prémunir contre les risques de la vie, sentiment de la responsabilité personnelle vis-à-vis de nous-mêmes ou des êtres qui dépendent de nous. Qui dit assurance suppose encore un sentiment très vif de la solidarité, la connaissance des bienfaits de l'association, la décision de mettre en commun les risques et d'exercer, quand ils se produisent, un contrôle loyal et réciproque. Ce sont là les deux bases inébranlables sur lesquelles reposent, depuis qu'elles existent, toutes les Sociétés de secours mutuels, et même, faut-il dire, tout régime d'assurance.

Changer ces bases, c'est transformer l'assurance en un système d'assistance, le plus souvent organisé par l'Etat, contrôlé par lui et dont les ressources sont demandées, sous forme d'impôts, soit à la collectivité, soit à une catégorie particulière de citoyens. On s'adresse aux amateurs de théâtre, pour leur faire payer, sur leurs plaisirs, partie des frais de l'assistance publique. On fait appel au budget général, pour alimenter les établissements hospitaliers ou distribuer des secours de bienfaisance.

Or, d'efforts de prévoyance, de volonté d'épargne, de sentiment de responsabilité, il n'en est pas question dans le système du précompte. Cela, les mutualistes l'ont vu, et l'ont dit, et ils ont eu raison. Ce qu'on cherche en réalité, c'est à réorganiser sur des bases élargies la distribution des secours médicaux, et à assister l'ouvrier et sa famille, quand la maladie le réduit au chômage. On y parvient, non pas en l'incitant à la prévision, à l'économie, à la solidarité, mais par l'établissement d'un véritable impôt dont une partie pèsera sur lui, mais une partie seulement, et dont le reste sera mis à la charge des employeurs, l'Etat n'intervenant que pour une part des plus médiocres des dépenses personnelles. Et si nous voulons savoir à combien s'élèvera cet impôt nouveau, ainsi établi sur les classes productives de la nation, le projet Daniel-Vincent nous renseigne directement. Les salaires qui sont payés aux 8.100.000 travailleurs assujettis à la loi représentant approximativement 28 milliards de francs, le pourcentage de 10 o/o pour l'impôt destiné aux assurances donnera près de trois milliards.

Et cet impôt énorme, égal à plus du huitième du budget ordinaire total de la France, ce sont les employeurs chefs d'industrie, commerçants, agriculteurs, petits fermiers, qui sont appelés à s'en faire les collecteurs réguliers. Ce sont eux qui le percevront, qui en tiendront le compte, qui le verseront à la caisse de l'Etat, non pas sans doute, entre les mains du percepteur, mais aux guichets d'une administration nouvelle, spécialement créée à cet effet, et qui sera celle des caisses régionales d'assurances sociales.

Tel est le sens exact du système du précompte. Il faut le répéter. Pour ne pas rentrer dans le calcul des recettes générales de l'Etat, pour s'acheminer par une voie particulière vers leur destination spéciale, les prélèvements opérés sur les salaires au titre de l'assurance n'en constituent pas moins un véritable impôt. Car il faut bien appeler de son vrai nom toute charge établie par l'Etat, exigée par lui, sur tout ou partie de la po pulation nationale.

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En matière de retraites ouvrières et d'assurances sociales, cela s'appelle le système du précompte. On sait en quoi il consiste. Le projet de loi Daniel-Vincent prévoit pour le fonctionnement de l'assurance un versement patronal égal à 5 0/0 des salaires et un versement ouvrier de même importance. Le calcul est aisé à faire. L'employeur verse donc, en plus des salaires, et pour son propre compte, 5 0/0 des sommes payées à l'ouvrier et il prélève directement, pour la quote-part de ce dernier et sur ce salaire, une somme identique. Système idéal, Dira-t-on que les impôts véritables rentrent dans un nous affirme-t-on. Aucune récrimination, aucune résis- budget unique, qu'ils ne sont pas affectés à des objets tance ouvrière n'est possible. Toute contestation est por-particuliers, qu'ils fournissent des ressources globales

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