Affaires Intérieures Le projet de réforme administrative La politique chôme un peu par force, M. le président du Conseil étant à Washington, et les interpellations sur la politique financière n'ayant, en l'absence du chef responsable du gouvernement, qu'un intérêt fort diminué. M. Marraud, ministre de l'Intérieur, vient de choisir ce moment de calme parlementaire pour déposer un projet de réorganisation administrative, dont c'est tout à fait le moment de parler. Sans doute, le dépôt d'un projet ne signifie pas que ce projet doive être mis de sitôt à l'ordre du jour. Sans doute aussi, nous avons l'habitude, à chaque changement de gouvernement, de voir éclore des cartons ministériels un nouveau projet de réforme administrative. Mais, enfin, depuis que le gouvernement étudie et mûrit, que les commissions examinent, que les rapporteurs rapportent, que les journaux et les revues commentent, l'heure approche, peut-être, où la réforme administrative viendra en discussion, ce qui ne veut pas dire qu'elle sera votée. Le projet de M. Marraud ne touche pas au département. Il supprime l'arrondissement. Il donne une certaine vitalité au canton en créant une réunion périodique des maires du canton. Il ne constitue pas de région politique, et n'institue ni superpréfet ni conseil régional, mais il encourage la délibération étendue sur des intérêts économiques régionaux en favorisant, comme dans sa circulaire récente, les réunions interdépartementales de conseils généraux, ainsi que celles des chambres de commerce et organismes similaires. Tout ceci n'est pas très sensationnel, à cela près que les sous-préfets auront vécu, et pareillement les tribunaux d'arrondissement, ou encore les conseils du même nom. Il en va de même, paraît-il, des conseils de préfecture, et toute une décentralisation de la justice administrative est liée à la réforme. Nous la laisserons de côté dans cet article. Est-ce la médiocrité honnête de ce programme? Estce qu'en aucune de ses parties il n'apporte d'innovations. passionnantes? Toujours est-il que, dans les couloirs, on en parle modérément. On est tellement habitué à voir supprimer les sous-préfets et à entendre prédire la mort des tribunaux d'arrondissement! Quant aux conseils d'arrondissement, leur mort n'intéresse personne sonne ne savait qu'ils vivaient. per Le projet a encore cette autre particularité de laisser vivre, en les renforçant, le département et le canton, qui sont des divisions purement géométriques, correspondant à des créations arbitraires de l'esprit, et de supprimer précisément l'arrondissement, qui, seul de toutes nos divisions administratives, a une tradition propre, une vie économique et sociale bien à lui. Donc, le projet ne tient aucun compte des traditions historiques. Une réforme administrative complète n'eût pas modifié ce point de vue, non plus que le point de vue politique et le point de vue purement administratif. Je concède que le point de vue historique est le moins important, encore que non négligeable dans un pays qui se pique de renouer sa tradition, et qui, par l'accord de tous les partis, reconstitue son enseignement sur les bases de la culture générale d'autrefois. Il paraît, cependant, que tous les projets de réforme administrative sont viciés par le souci de ne pas paraître ressusciter les anciennes provinces. La vénération qui entouré le département semble n'avoir pas d'autre cause. Le département est l'immortelle conquête de la Révolution sur la province, qui symbolise l'obscurantisme et la tyrannie. La province, c'est le chef des suppôts du roi, avec un y, comme disent les imbéciles. quement, économiquement, ethniquement, la province ne l'est pas davantage : elle n'est pas davantage une construction raisonnable répondant à aucune nécessité pratique. Certaines provinces étaient démesurément immenses, et d'autres ridiculement petites. Elles ne cadraient presque jamais avec les généralités, qui furent la vraie division administrative de l'ancien régime. Elles avaient des frontières compliquées, enchevêtrées, tortueuses, où il est impossible de se reconnaître ainsi la Lorraine et les Trois-Evêchés, ainsi le Poitou, l'Angoumois, le Limousin et la Marche, etc. Donc, il ne s'agit de prêter à personne l'idée saugrenue de revenir aux provinces, non plus qu'aux généralités, ni encore aux archidiocèses, encore que ce soit peut-être là la division la moins absurde, puisqu'elle correspond aux provinces gallo-romaines. Il n'en demeure pas moins que le département est une division inepte: il suffit de considérer le département de l'Aisne, par exemple, mi-frontière et mi-banlieusard, pour s'en convaincre, ou celui de la Haute-Loire, milyonnais, mi-auvergnat. Toute réforme qui ne brisera pas ce cadre arbitraire et illogique du département est vouée à l'insuccès, parce qu'elle ne satisfera aucune légitime aspiration, et ne correspond à aucune conception logique. Mais quoi les commissions parlementaires, comme le gouvernement, ont cru devoir ménager certaines susceptibilités mystérieuses! Et pourtant! Celui qui sait qu'une réforme est nécessaire et qui s'entête dans une formule surannée, qu'il sait absurde, n'est-il point comme ce sectaire qui reconnaissait les bienfaits du maigre hebdomadaire et décrétait qu'il serait observé dans les établissements scolaires et hospitaliers, « à condition que ce ne fût pas le vendredi ». Nous refondrons la carte de France, à condition de respecter le département. C'est le contraire qu'il eût fallu supprimer les dé partements et les cantons et respecter le département dans de grandes régions nouvelles, économiquement et administrativement déterminées. : Car il y a deux points de vue. La région doit être ethnique et traditionnelle, et constituer un centre intellectuel et moral. Elle doit être aussi économique. La région limousine est la première qui ait eu nettement, clairement, cette conception d'une grande région ayant autour d'une capitale ses centres de production et d'activité, ses voies de communication et ses débouchés vers la mer et vers l'étranger. Une réforme étudiée et complète eût fondu et harmonisé les deux points de vue au lieu de les superposer seulement, et il eût fallu alors prendre vigoureusement parti, et décider vite et net, sans laisser aux compétitions locales le temps de se produire, car, en cette matière, la transaction est la pire des solutions. En d'autres aussi, d'ailleurs. J'ajoute que la réforme administrative a pour but encore de rendre possible le fonctionnement propre et aisé de notre système électoral. Ce système ne fonctionnera avec le minimum d'injustice que lorsqu'il se rapprochera de la proportionnelle intégrale. Or, il est évident que la proportionnelle, qui suppose une lutte d'idées entre des partis organisés, ne peut fonctionner que dans un cadre assez étendu pour que tous les partis puissent y être représentés. Qu'est-ce, pour un scrutin proportionnel, qu'une circonscription qui doit nommer trois élus? Chaque région doit avoir quinze à vingt députés à élire. Dans ces conditions, il peut y avoir vraiment, dans un large cadre régional, représentation proportionnelle des Si le département n'est pas défendable géographi-partis. M. Marraud nous rappellera que Paris ne s'est pas construit en un jour. Il nous dira que les sous-préfets, par exemple, tant de fois supprimés, ont eu la vie dure, et que, dans ce pays de France, si profondément conservateur, il est extrêmement difficile de changer quoi que ce soit à n'importe quoi. La plus timide des réformes, lorsqu'elle veut se réaliser, est encore d'une audace extrême. Peut-être, et nous voici en face d'un dilemme inquiétant, plus fréquent qu'on ne le croit, dans la vie parlementaire : Les ennemis de la réforme sont-ils ceux qui veulent l'enterrer en la proclamant faite après l'avoir circonscrite à quelques retouches insuffisantes et fragmentaires? Sont-ils ceux qui, manœuvriers experts, empêchent de rien faire du tout, en prétendant qu'ils veulent faire mieux? Elle révèle, à ceux dont l'imagination n'a point perdu toute sa force évocatrice, les transformations qu'a entraînées dans le monde la guerre de 1914-1918. Son œuvre n'a point été que destruction. Elle n'a pas seulement brisé quelques-unes des chimères scientifiques et religieuses dont se berçait l'illusion humaine. Par le nombre de corps et par l'étendue des ruines dont elles ont jonché le sol ces batailles ont créé un monde nouveau je ne dis pas meilleur dont les peuples ne tarderont pas à prendre conscience. Leur isolement, qu'ils le veuillent ou non, est désormais impossible. Il n'y aura plus ni guerre à deux, ni paix à deux. Le fardeau est devenu trop lourd. Les armements, pour être supportables, et les industries, pour êtres prospères, exigent des coopérations internationales. Le siècle où les divers Etats se concurrençaient sur les marchés du globe, avec la même indépendance et la même égalité que les individus à l'intérieur de leurs frontières, est désormais clos. A la période de l'individualisme international succède celle des groupements internationaux. Malheur aux peuples qui saboteront leurs alliances. Malheur aux Etats qui s'isoleront dans leur neutralité. Qu'ils méditent, pendant qu'il est temps encore, sur l'exemple que leur donnent les Etats-Unis: après quelques mois de bouderies insulaires, le parti même qui reprochait le plus ardemment au Président Wilson d'avoir entraîné la République américaine dans 537 Ce déplacement des Congrès internationaux révèle aux hommes, qui savent encore voir, que l'axe de la vie mondiale, au lendemain de la guerre, n'est plus au même endroit. Il s'est déplacé vers l'Asie. C'est d'elle, de ces terres lointaines et de ces peuples mystérieux, que dépendent la stabilité et la paix européennes. S'il était coupé de l'Asie, le vieux continent pourrait, avec quelque sécurité, escompter la durée de l'ordre de choses établi à Versailles. Mais les joies de la vie insulaire lui sont refusées. Aussi les Hohenzollern, petits ou grands, qui sentent bien la faillite de Charles IV est là pour le prouver que les Ententes de l'Ouest et de l'Est sont de taille, si elles savent être d'accord et agir à temps, à briser tout essai de revanche, se dressent-ils sur leurs ergots, pour regarder vers l'Orient, par delà ces steppes, si le bolchevisme communiste crée autour de l'Europe la barrière de la famine et du typhus du désert et de la mort. Une guerre entre les Etats-Unis et le Japon n'aurait, en effet, pour les nations pacifiques de l'Europe appauvrie, que des résultats désastreux. Au point de vue économique, elle éliminerait un facteur de la reconstruction mondiale et épuiserait la dernière réserve de capitaux. Au point de vue politique, elle priverait l'Europe d'un arbitrage utile et accroîtrait en Asie une dangereuse instabilité. L'Angleterre, absorbée par les commandes des belligérants et inquiète pour la sécurité de ses colonies, se désintéresserait de l'Europe. Cet absentéisme rendrait possibles de nouveaux groupements et certains de nouveaux conflits. Dans l'état actuel d'appauvrissement et d'instabilité, où se débat le continent, toute guerre, même un conflit localisé comme la lutte entre Grecs et Turcs, ne peut qne précipiter la faillite de la civilisation humaine. Et que serait-ce d'une guerre, qui lancerait, à nouveau, l'une contre l'autre, deux masses de 100 millions d'âmes? Le voilà, le problème de Washington. L'organisation de la paix européenne militaire, financière et juriexigerait de nouveaux efforts pour atténuer la dique crise des changes, faciliter le contrôle du désarmement et parer aux insuffisances de Genève. Et ces efforts, à eux seuls, absorberaient beaucoup de temps et exigeraient beaucoup d'encre, en admettant, par hypothèse, que la confiance fût réciproque et la solidarité agissante. Mais ce serait mettre la charrue avant les boeufs, que de ne pas commencer par liquider les conflits extrêmeorientaux et enrayer la concurrence navale, par pacifier le Pacifique. Mais qui ne voit que le nouvel élargissement de la plaie ouverte par la guerre de 1914, rend la cicatrisation plus lente et plus difficile. Combien était plus simple la tâche des liquidateurs de 1813 ! Aucun problème économique ne surprenait leurs compétences politiques. Seules des questions européennes figuraient au. programme de leurs congrès rapides. Et M. Briand espère suffire à cette œuvre formidable et nouvelle, avec des organismes ministériels et des méthodes administratives, qui datent de Napoléon III, avec la même improvisation intelligente et le même optimisme nonchalant, qu'avant la guerre... Allons donc ! je voudrais, Mais revenons au problème asiatique aujourd'hui, en rechercher les origines (1). Il existe un précédent sur lequel les congressistes de (1) Ici même, dans des articles antérieurs, j'ai défini d'une manière générale le problème du Pacifique, problème industriel, naval et démographique (19 février 1921, p. 194 et 2 juillet 1921, p. 1). D'autre part, je crois devoir également renvoyer le lecteur aux pages, dans lesquelles j'ai essayé de caractériser la personnalité et la politique de Harding, de montrer qu'il serait rebelle à la politique de l'isolement (13 novembre 1921, p. 540 et 12 mars 1921, p. 284. Washington feront bien de méditer. Le parallélisme est saisissant. Une première fois, les Etats européens ont interdit aux Japonais l'accès de la Chine et se sont réservés les guichets qu'ils avaient occupés. Quelques années plus tard la défaite de l'un d'entre eux, en ExtrêmeOrient, défaite rendue possible grâce à l'alliance anglo-japonaise, est venue bouleverser l'équilibre européen, surexciter l'impérialisme germanique et déclencher la guerre mondiale. Oui, je voudrais que ces dates, 1894 guerre du Japon renouvelé contre la Chine endormie; 17 avril 1895 cession de Formose, des Pescadores, de la Corée, de la péninsule de Liao-Toung et sa baie de Port-Arthur, qui commandent le golfe de Pé-Tchi-Li; 20 avril 1895, sommation russe, appuyée par Berlin et Paris, d'avoir à évacuer le Liao-Toung; mars 1898, 1898, occupation par l'Allemagne de KiaoTchéou et par la Russie du Liao-Toung; 30 janvier 1902, alliance anglo-japonaise; 1904-1905, guerre orientale et défaite russe; 1905, 1906, 1909, 1911 : prodromes marocains de la crise européenne; je voudrais, dis-je, que ces dates fussent gravées dans les cerveaux des négociateurs de Washington : ils connaissent si mal leur histoire! Et c'est parce qu'ils sont de médiocres historiens, qu'ils restent de médiocres diplomates. Le passé n'éclaire pas pour eux l'avenir. Comme leurs contemporains, ils ont perdu le don sacré de la vision divinatrice. Ils marchent à l'aveuglette. Ils vivent au jour le jour. Ils ne savent que parler. Or l'homme d'Etat est celui qui voit et qui veut. Lorsqu'éclata la guerre mondiale, l'empire du SoleilLevant, qui dès qu'il eut achevé son éducation scientifique et industrielle, avait immédiatement cherché en Chine des débouchés pour le trop-plein de sa population, de ses produits et de ses capitaux, possédait, en vertu des traités de Shimonosaki et de Portsmouth, Formose et les Pescadores, le protectorat de la Corée, le Liao-Toung et Port-Arthur, la moitié de l'ile Sakhaline Dès le 14 août 1914, il somme Guillaume de lui céder Kiao-Tchéou et ses droits sur le Chan-Toung. Il tiendra ainsi les deux promontoires, qui, au Nord et au Sud, ferment l'entrée du golfe de Pe-Tchi-Li, la porte de Tien-Tsin, la route de Pékin. Le 7 novembre 1914, l'opération est terminée. Dès le 18 janvier 1914, le Japon se retourne vers la Chine et lui demande de confiriner la cession de Kiao-Tchéou et des droits allemands. Pékin cède. Il faut acheter à ce prix le retrait des propositions secrètes, qui eussent, par l'introduction des spécialistes, du mikado et du matériel japonais, assuré la japonisation de la politique et des finances, des rails et de l'armée chinoise. Sans se laisser décourager par un échec qu'il compte bien réparer, Tokio aborde ses alliés. La guerre, comme le rappelait René Pinon dans une remarquable étude, ne lui a coûté que 616 tués. Elle lui vaut une participation diplomatique qui grandit son prestige et des commandes industrielles qui remplissent ses caisses. Il faut qu'elle rapporte davantage. Et successivement, Saint-Pétersbourg, Londres, Paris et Rome, les 3 juillet 1916, 10 février 1917 et 23 mars 1917, confirment le traité sino-japonais du 25 mai 1915, la cession du bail de Kiao-Tchéou et des droits sur le Chan-Toung. Pour que la garantie fût complète, il manquait une signature: le vicomte Ishii va la chercher à Washington, le 2 novembre 1917. Lansing « reconnait les intérêts spéciaux du Japon en Chine, particulièrement en ce qui concerne les parties qui touchent à se. possessions. J'entends bien que le vicomte Ishii adhérait aux principes de l'intégrité territoriale et de la porte ouverte en Chine. Ils figuraient déjà dans le préambule des traités d'alliance anglo-japonais des 30 janvier 1902, 12 août 1005 et 3 juillet 1911. Ces préambules n'avaient point empêché le Japon de tenter la petite opération de janvier 1915. Ces déclarations ne l'empêchèrent pas davantage, le 23 septembre 1918, de ten. ter un nouvel effort auprès de Pékin pour et élargir ses « droits » dans le Chan-Toung. Il y serait peut-être arrivé, si la guerre avait duré quelques semaines de plus, et si les Etats-Unis n'avaient pas eu soin, en août 1917, d'entraîner la Chine dans la guerre. Mais la victoire n'avait point surpris les Japonais. Leurs diplomates qui eux, du moins, connaissent la maxime des accords préalables, nécessaires pour éviter les surprises du Congrès, avaient les poches bourrées de contrats formels. Et comme celles de leur collègue chinois, le digne M. Lu, avaient laissé glisser et disparaître le texte des propositions nipponnes de janvier 1915 et de septembre 1918, qu'il eût été difficile de concilier avec les principes de l'intégrité territoriale et de la souveraineté intangible, tout risque d'incident grave paraissait écarté et la partie de « bête ombrée » s'engageait bien. Il ne restait plus qu'à rouler le président Wilson, en invoquant son amour paternel pour le Covenant et le précieux papier du 2 novembre 1917. La rupture Ou le Chan-Toung; la Société des Nations contre le ChanToung donnant, donnant. En vain, Lansing invoquat-il les arguments des juristes : L'Allemagne a par la force obligé la Chine, en 1898, de lui céder certains droits sur le Chan-Toung. Le Japon a saisi ces droits par la force en 1914 et par là même a obligé la Chine en 1915 à accepter qu'il en dispose, lorsqu'ils lui auront été légalement transférés par le Traité à la fin de la guerre. La Chine en 1917, quand elle est entrée dans le conflit, a dénoncé tous les traités et arrangements conclus avec l'Allemagne donc ces droits cédés n'existent plus et ne peuvent être légalement transférés au Japon par le Traité de Paix » (p. 225. The Peace Negociations). En vain le général Bliss, le 29 avril 1919, écrit-il à Wilson : « Il ne saurait être bien de faire le mal même pour obtenir la paix. La Paix est inévitable; mais il y a des choses plus précieuses que la paix : la justice et la liberté. >> Wilson reste inflexible. Il achète l'adhésion du Japon à la Société des Nations et le retrait de la déclaration sur l'égalité des races, au prix de l'article 156 : « L'Allemagne renonce, en faveur du Japon, à tous ses droits, titres et privilèges, concernant notamment le territoire de Kio-Tcheou, les chemins de fer, les mines et les câbles sous-marins qu'elle a acquis en vertu du Traité passé par elle avec la Chine, le 6 mars 1898, et de tous autres actes concernant la province de Chan-Toung. » Mais les Japonais se gardèrent bien d'illuminer: tout au plus un sourire révéla-t-il les sentiments que leur inspiraient et les scrupules et la capitulation de Wilson. Ils étaient trop bien renseignés, mieux que le Quai d'Orsay, pour n'attacher qu'une valeur très relative à cette signature et à ce parchemin. Le traité assurait du moins à l'Empire, en attendant les décisions du Président Harding - quelques mois de liberté. Ses agents en profitent. Ils affaiblissent ce qui subsiste 'du pouvoir central en Chine. Ils subventionnent la dictature d'un général au Yunnan. Ils favorisent les hostilités entre Sudistes et Nordistes. Cette décomposition de la Chine et cet émiettement de l'autorité permettent les petites affaires » prêts avantageux et rachats surtout, et notamment celles de Po-Chan dans le Chanopportuns. Des voies ferrées, des banques, des mines Toung, passent entre les mains des créanciers japonais. Il grignote la Chine. Mais le 24 août 1921 le Japon dut accepter l'invitation du Président Harding et interrompre les progrès de cette pénétration pacifique. Il veut, du moins, sauvegarder son opération du Chan-Toung. Le 7 septembre, il propose à la Chine de renoncer au bail d'évacuer le territoire de Kiao-Tcheeu, d'ouvrir la région et de réserver les concessions au commerce international. Il ternational. Il demande seulement que voie « la ferrée de Kiao-Tcheou et les mines qui lui appartiennent soient exploitées sous la forme d'une entreprise commune sino-japonaise ». Le 5 octobre, la Chine refuse tout arrangement et demande l'évacuation intégrale et embarque ses diplomates pour Washington. Les Etats-Unis seront-ils, sur la question du ChanToung intransigeants? Frank Simonds écrivait le 30 octobre, dans le New-York Herald: « Nous avons décidé que le Japon devait quitter la Chine et la Sibérie... Si le gouvernement de M. Harding fait une concession quelconque, c'est fait de lui. Le parti républicain a fait trop de bruit autour du Chan-Toung pour consentir maintenant à aucun compromis. >> Or pour mesurer la gravité de ce conflit, il ne suffit pas, comme nous venons de le faire, de le situer à sa place dans l'histoire diplomatique du Soleil Levant. Cet objectif n'est pas seulement enraciné dans les esprits par près de quarantes années d'efforts tenaces et souples. Il est le résultat d'une poussée humaine, dont l'assassinat par ordre du Samourai, du premier ministre Hara, suspect de pacifisme, révèle aux ignorants la puissance formidable. Il y a des forces collectives, l'histoire vient encore de nous l'apprendre, qu'il est impossible d'enrager brutalement et totalement, sans provoquer une explosion. Les hommes d'Etat, dignes de ce nom, se bornent à les indiquer et à les dévier. La Conférence de Washington saura-t-elle et voudra-t-elle trouver une soupape de sûreté ? (A suivre.) JACQUES BARDOUX. L'arrêt des troupes carlistes devant Budapest Budapest, le 30 octobre. Le lieutenant-colonel T....., officier de réserve, un des principaux organisateurs de l'armée contre-révolutionnaire de Szeged pendant le communisme, m'a résumé de la manière suivante les heures critiques de la défense de Budapest qui ont décidé de l'échec de la récente tentative du roi Charles pour reprendre le pouvoir en Hongrie. Outre son intérêt topique, ce récit nous montre que le gouverneur Horthy et son gouvernement ont réussi une fois de plus, grâce à leur énergie et à leur clairvoyance, à éviter de graves malheurs à leur pays déjà suffisamment éprouvé. « Dans la nuit de samedi à dimanche (23 octobre) je fus réveillé à 2 h. 1/2 on m'apportait l'ordre de me rendre immédiatement auprès du gouverneur Horthy pour y recevoir ses instructions. Arrivé dans le palais du gouverneur, j'appris que la situation de la capitale était des plus critiques à la suite de l'avance rapide des troupes carlistes et du fait que les commandants des troupes gouvernementales paraissaient peu sûrs. Les troupes de la garnison de Budapest, à peine quelques centaines d'hommes, que commandait le colonel Kurz (ancien commandant de la garnison de Sopron qui quitta la ville avec ses troupes au moment de l'évacua · tion de la Hongrie occidentale) avaient reçu l'ordre d'aller à Kelenfoeld (à 5-6 kilomètres au sud-ouest de Budapest) pour y occuper les hauteurs avoisinantes; mais l'on n'avait pas encore été informé si l'ordre avait été exécuté. L'amiral Horthy m'ordonna alors de m'y rendre en automobile : « Toutes les troupes se dirigeant vers la capitale doivent être arrêtées à tout prix avec toutes les forces disponibles, me dit-il. Une batterie d'artillerie et une compagnie des étudiants de l'Université viennent aussi de quitter la ville pour prendre part à la défense. >> Lorsque j'arrivais à Kelenfoeld, il était environ 4 heures du matin. Le colonel Kurz avait campé ses troupes dans le voisinage de la caserne Charles et semblait attendre de nouvelles instructions. Je lui annonçai aussitôt qu'il fallait occuper les hauteurs qui couvrent Budapest et que les troupes du lieutenant-colonel Ostenburg devaient être arrêtées à tout prix. Il m'opposa toutes sortes de raisons et ne se soumit que lorsque je lui intimai l'ordre formel du gouverneur Horthy. Il fit avancer alors ses troupes en rangées de quatre dans la direction des hauteurs de Dobogoka et Oerdoegorma, sans les faire précéder d'éclaireurs. En cours de route, je pus me convaincre qu'il n'avait nulle envie d'exécuter les ordres reçus : il rappelait sans cesse sa fidélité au roi et prétendait que l'organisation de la défense était d'ailleurs impossible. A son avis, les compagnies universitaires n'avaient aucune valeur militaire. Arrivé sur les hauteurs, je fis réunir la jeunesse universitaire et je pus me convaincre aussitôt qu'elle resterait fidèle au gouvernement. Ils avaient compris que dans l'intérêt supérieur du pays il fallait délivrer le roi de l'entourage de ses conseillers égoïstes. Voyant cela, je priais le colonel Kurz d'envoyer les compagnies universitaires dans les positions les plus exposées puisqu'il était évident qu'elles s'y défendraient jusqu'au bout. Il s'y refusa pourtant. Heureusement que vers 5 heures du matin le général Thau arriva sur les lieux. Après que je lui eus rendu compte des hésitations du colonel Kurz, il le renvoya immédiatement à l'arrière en lui donnant l'ordre d'aller faire un rapport de la situation au gouverneur Horthy. Le colonel parut vouloir se soumettre à cet ordre et prit la direction de la ville, mais lorsqu'il se crut inobservé, il changea de route. et partit au galop vers Budaoers où se trouvaient les carlistes avec l'intention évidente de mettre le colonel rebelle Ostenburg au courant de l'incertitude qui régnait parmi les troupes gouvernementales. Bientôt, il fit tout à fait jour et nous ne savions pas encore à quoi nous en tenir. Nous rangeâmes toutefois nos troupes et nos mitrailleuses avec l'ordre d'ouvrir immédiatement un feu nourri sur toutes les troupes ou convois avançant vers la capitale et qui refuseraient d'obtempérer au signal d'arrêt. Nous postâmes une batterie d'artillerie sur le remblai de la ligne de chemin de fer avec des instructions identiques. Dans l'intention de faire un rapport téléphonique au gouverneur Horthy, je partis en auto pour joindre le plus proche poste de gendarmerie sur la route nationale. Arrivé dans le voisinage de ce poste que j'avais croisé il y a quelques heures à peine, je fus brusquement cerné par des soldats armés et un lieutenant m'apostropha en me disant : «< Au nom de Sa Majesté le roi, je vous ordonne de me remettre vos armes ». Au premier moment, je crus à une mystification, tellement il me paraissait invraisemblable que les troupes rebelles fussent arrivées si loin. On m'apprit alors que l'avant-garde d'Ostenburg occupait déjà les abords de Budavers et je fus obligé de me livrer. Au même moment, la fusillade commença contre un train qui avançait, rempli de troupes carlistes. Notre batterie de canons de campagne se mit aussi à tirer, mais fut presque immédiatement réduite au silence par les troupes d'Ostenburg. D'autres canons, postés plus loin, n'eurent même pas le temps d'ouvrir le feu. J'appris plus tard que les artilleurs des troupes gouvernementales se défendirent vaillamment et qu'à divers endroits, il y eut des corps à corps sanglants. Quant à moi, les soldats qui m'avaient capturé m'em-menèrent tout triomphants devant le colonel Ostenburg qui ne daigna même pas me reconnaître. D'un geste il indiqua que l'on devait m'envoyer à l'arrière avec les autres prisonniers. En moi-même j'enrageai et, à la suite de la trahison du colonel Kurz, je jugeai que notre situation était très sérieuse. A ce moment, le colonel Kurz parut lui-même et voulut me décider à épouser la cause des carlistes lorsque je m'y refusai, il me menaça de me faire comparaître devant le roi et de me faire fusiller. Je fus enfermé ensuite avec d'autres prisonniers dans un wagon. Là, je ne pus me faire une idée des événements que par ce que j'entendais. Tout d'abord je ne perçus que les rapports triomphants d'Ostenburg qui annonçait toutes les cinq minutes au roi que sa victoire était de plus en plus certaine. Plus tard, je distinguai la voix de nouveaux canons à laquelle se joignait le crépitement de nos mitrailleuses. J'en conclus avec joie que nos troupes avaient reçu des renforts. Toutefois notre situation, à nous prisonniers, devint critique, car les nôtres, ayant repréré le train où nous étions enfermés, se mirent à le bombarder et après quel ques coups d'essai, l'atteignirent en plein. On ordonna alors d'évacuer les prisonniers et les blessés. Prétextant une maladie de cœur, j'essayai de rester, mais le lieutenant commis à ma garde s'y refusa et fit échouer ainsi mes projets d'évasion. Pendant la retraite, j'entendis des cris de hurrah! en avant! mais je ne pus savoir si c'était nous ou bien les carlistes qui attaquaient, jusqu'au moment où une batterie d'artillerie lancée au galop ne nous dépassa pas sur la route. C'était une de nos batteries capturées qui avait reçu l'ordre de se retirer plus à l'arrière, ce qu'elle fit avec joie. Dès ce moment la panique parmi les troupes d'Ostenburg devint extrême. Jamais je n'ai vu une retraite aussi précipitée, même pas à Doberdo après notre débâcle sur le front italien. Nous arrivâmes enfin à la lisière des forêts de Komarour et comme il faisait déjà sombre je réussis à m'évader et à me cacher dans les bois. Au cours de la nuit, après une marche de plusieurs heures, je joignis les troupes gouvernementales et j'appris que les rebelles avaient reculé de plus de 10 kilomètres en quelques heures. Leur retraite fut causée surtout par l'attitude et la résistance héroïques des compagnies universitaires. Si l'on tient compte que quelques heures avant le combat décisif, nos troupes étaient encore sous les ordres d'un traître, l'on peut dire que la défense victo rieuse de Budapest touche presque au miracle ». P.-E.-G. RÉGNIER. NOTES ET FIGURES M. Hughes. Une silhouette mince; des traits réguliers, puissamment modelés; des yeux qui, sous la broussaille des sourcils, brillent et percent; une mâchoire inférieure proéminente; une barbe blanche coupée carrée; un air de froide distinction; un lord anglais, semble-t-il, plutôt qu'un politicien yankee : nous sommes devant Charles-Evans Hughes, secrétaire d'Etat ministre des affaires étrangères des Etats-Unis et premier délégué américain à la Conférence de Washington. Jusqu'à ces temps derniers, on connaissait assez mal, de ce côté-ci de la grande mare, le personnel politique d'outre-Atlantique. En 1916 lorsque les dépêches apprirent à l'Europe que Hughes était, contre Wilson, le candidat des républicains, cela ne représenta guère au grand public qu'un nom, et un nom difficile à prononcer. Puis les élections passées et les démocrates maintenus à la Maison Blanche, le souvenir même de ce nom s'obscurcit... Et voici que, cette année, il réapparaît en pleine lumière comme celui de l'homme qui va, au nom du peuple américain, recevoir les chefs des gouvernements du vieux monde et, en de solennelles assises tenues dans sa propre patrie, se mesurer avec eux. Il en est digne. Et rien ne prouve que la comparaison. doive tourner à l'avantage des hommes d'Etat européens. C'est que Hughes est une des meilleures têtes d'un pays qui en compte beaucoup de bonnes. Et si sa modestie et son horreur du bluff l'ont empêché d'acquérir la célébrité mondiale de tel autre homme politique américain, il n'en est pas moins, aux Etats-Unis, une person nalité de tout premier plan. Ce ministre des affaires étrangères n'est ni un politicien de carrière, comme c'est assez la coutume en Europe, ni un businessman, comme c'est plus souvent le cas en Amérique c'est un lawyer, un juriste. Et l'empreinte professionnelle se retrouve, profondément marquée, dans le caractère de cet homme intègre et un peu rigoriste dont on dit, là-bas, « qu'il barre tous ses i et met les points sur tous ses i »>. Cette intégrité et ce rigorisme, il en trouva d'abord l'exemple au foyer familial: son père était un pasteur baptiste originaire de ce pays de Galles si âprement protestant et d'où nous vient aussi M. Lloyd George. Né à New-York en 1862, le jeune Charles. Evans, aprèsde très fortes études, apparaît, pour la première fois, à la barre à l'âge de vingt-deux ans. Très vite sa réputation s'y fait et grandit. Les Universités de Cornell et de New-York l'appellent nécessairement à enseigner le droit dans leurs amphithéâtres. Les grandes sociétés se disputent ses avis. Cependant, en 1905, Hughes n'est encore qu'un jurisconsulte éminent; rien ne fait présager sa fortune politique. Mais voici que va se produire l'événement qui imprimera à sa carrière une direction nouvelle : la commission parlementaire chargée, dans l'Etat de New-. York, de l'enquête sur les agissements des Compagnies d'assurances sur la vie le choisit comme conseil. Ces Compagnies constituent alors un nid de scandales. Hughes, en dépit des sollicitations et des menaces dont il est l'objet, ne craint pas d'y porter le fer rouge et de requérir contre les coupables, quelque puissants qu'ils soient, l'application des lois. Du jour au lendemain, voilà Hughes fameux; l'homme dans la rue acclame son nom; le parti républicain lui offre la mairie de New-York. I la refuse, préférant achever son œuvre d'assainissement. Cette œuvre terminée, il accepte, en 1906, de poser sa candidature au poste de gouverneur de l'Etat de New-York. Il est élu et, pendant trois années, il administre l'Etat-Empire avec une autorité et une fermeté de caractère auxquelles ses adversaires mêmes rendent hommage. pêche pas de regretter, ses chères études juridiques. Et Mais la politique ne lui fait pas oublier, et ne l'emc'est avec joie qu'en 1910 il s'assied dans le siège de juge à la Cour suprême que lui offre le président Taft. Cependant, les démocrates arrivent au pouvoir. Wilson, en 1912, est nommé président. Pour les élections suivantes, le parti républicain, un peu désemparé, cherche un candidat. On songe à Hughes, on le presse d'accepter. Après quelques hésitations, il consent, quitte ses codes et se jette dans la bataille. Il s'y jette résolument, mais sans entièrement se départir de cette raideur natu- . relle et de cette intransigeance qui le desservent : Il est battu, de peu il est vrai (la nouvelle de sa victoire, peutêtre s'en souvient-on, courut un moment l'Europe). Et, sans amertume, il retourne à ses dossiers. Harding le met à la tête du Département d'Etat, le preQuatre ans après, la roue de la Fortune ayant tourné, mier des ministères américains.... On chuchote à Washington que le Hughes qui a pris, au début de 1921, la direction de la politique extérieure de la grande République n'est plus tout à fait le Hughes de 1916. L'expérience aurait émoussé en lui certaines aspérités de carac tère, assoupli la rigidité de certains principes. Et, de fait, les négociations qu'il a poursuivies avec les diffé |