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Affaires Extérieures

Espoirs d'Amérique

et incertitudes en Allemagne

Les acclamations dont l'Amérique a salué le maréchal Foch, retentiront au cœur de la France. Avec autant de tact que de jugement, nos amis d'au delà des mers ont su et voulu retrouver dans ce maître de la guerre trois forces françaises la simplicité, la pensée, l'humanité.

Il faut avoir travaillé à la table du maréchal et pénétré dans son foyer, pour apprécier tout ce que ce mot peut exprimer de grandeur. Alors que tant d'esprits éminents savourent avec ivresse les manifestations les plus puériles de l'enthousiasme populaire, elles laissaient Foch indifférent et impassible. « Positivement, << Positivement, emportez-moi tout cela, ce n'est pas intéressant » me disait-il souvent, si je commettais l'imprudence de lui soumettre un courrier trop complet. En un siècle où un luxe tapageur s'étale sans vergogne, il était impossible de pénétrer dans le modeste intérieur de l'avenue de Saxe, sans comprendre, avec joie, qu'il existe des choses que l'argent n'achètera jamais. Et s'il se refusait obstinément, dans le choix de ses uniformes dans la tenue de son état-major, à sacrifier quoi que ce soit au clinquant, c'est que le maréchal connaissait. trop bien son peuple, pour ignorer que le commandement, comme toute supériorité, lui apparaît d'autant plus grand qu'il est plus simple.

comme

La pensée, ensuite, je veux dire la pensée abstraite, celle qui déduit, coordonne et systématise. Foch ne pouvait supporter les longs dossiers et les longs rapports. Il était incapable d'écouter longuement et de lire longtemps. Il aimait à rester seul, devant une table nette et une feuille blanche, ou à arpenter son cabinet la pipe à la bouche, en regardant une carte. Et si ce cerveau constructif à la française, put avoir les visions intérieures qui permirent la victoire, c'est que, un ami, un disciple, un collaborateur incomparable, Weygand, avait compris les besoins et deviné la méthode de cet esprit, élaguait les dossiers et arrêtait les affaires, interdisait les portes et bouclait le téléphone, exigeait le silence et imposait l'isolement, laissant à ce penseur le temps de penser.

L'humanité enfin. Cette troisième vertu n'est que la conséquence des deux premières. Un soldat, de cette simplicité chrétienne et d'une culture philosophique, ne peut être qu'humain. Et le général, qui avait surpris nos amis anglo-saxons par sa ténacité au soir de la défaite, qui répondait à un échec par une attaque, qui interdisait à ses subordonnés, par écrit, de quitter leurs P. C., fut aussi celui qui, lorsque l'ennemi accepta les clauses de l'armistice, se refusa le droit de remporter une victoire de plus et de répandre une goutte de sang. Ie chef était digne des soldats qui, après cinq ans d'une guerre atroce, après avoir contemplé les horreurs et écouté les récits de l'invasion, pénétrèrent sur le sol de l'envahisseur- en gendarmes paisibles et tranquilles. Ils étaient bien, les uns et les autres, les fils d'une nation qui ne sait point haïr.

A la veille d'une conférence qui voudrait éviter au monde les horreurs d'une nouvelle guerre, le peuple américain ne pouvait mieux débuter qu'en acclamant le grand soldat qui a déployé dans la guerre pour le Droit, les vertus de la Paix. Et si ces acclamations viennent avant l'ouverture des débats instaurer le prestige français et grandir la méthode française, détruire la légende et démentir les calomnies, les hautes assises convoquées par le président Harding, débuteront par une juste réparation. La France reconnaissante prend acte.

en

Mais cette première réparation, quelque douce qu'elle soit après deux ans de souçons aussi iniques au inintelligents, ne doit point éveiller des espoirs trop ardents, ni affaiblir une vigilance toujours nécessaire. Dans les solutions qu'elle préconisera pour éviter la guerre de Pacifique et pour résoudre le problème du désar mement, la délégation française, si prodigieusement nombreuse, que M. Briand a embarquée pour Cythère aux frais de la Princesse, fera bien d'écouter, même de Washington, les rumeurs qui viennent de Berlin.

L'assassinat d'Erzberger avait provoqué un temps d'arrêt dans la restauration patiente et souterraine, de l'Allemagne de 1914; dicté les ordonnances courageuses du 29 août; ajourné la réalisation du complot be varois; assagi les conservateurs conservateurs populistes et les sociaux-démocrates ; accentué la détente franco-allemande et facilité l'accord de Wiesbaden. L'avènement du second cabinet Wirth confirme-t-il, ou non, ce temps d'arrêt ? L'éclaircie européenne va-t-elle ou non, durer? Pourquoi l'échec retentissant de Charles IV n'exercerait-il pas une influence apaisante sur les guérillas du Tyrol, les agités de Munich, et par leur intermédiaire sur tous les pangermanistes avérés ou latents ?

Les optimistes ne manqueront pas de faire observer que l'échec du Dr Rosen souligne l'importance du retour de Wirth. Le 24 au soir, le ministre des Affaires étrangères, fidèle à ses origines, espérait encore constituer, avec les démocrates et les populistes, un front de résis tance contre l'Entente, décider les chefs de partis à repousser la décision de Genève et à ajourner l'exécutio du traité. Battu par les sociaux-démocrates, qui ref sèrent aux coalisés de s'associer à tout geste de pro cation et sommèrent les populistes de révéler leur p gramme de réformes fiscales, le Dr Rosen a quitté Wilhelmstrasse.

Du cabinet a également disparu le Dr Gradnauer, dar mistes rhénans et hanovriens. Le garde des scan on connaît la campagne énergique contre les auton M. Schiffer, est remplacé par le professeur Radbruch, u universitaire de Kiel, juste socialisant, qui eut le co rage, lors du congrès de Goerlitz, de demander l'épur tion d'une magistrature réactionnaire. Dans le ministère constitué le 26 au soir par le Dr Wirth, les sociaux démocrates et les centristes disposent, les uns et le autres, de quatre sièges. L'égalité de cette répartition ne consacre-t-elle pas la solidité du bloc démocratique Wirth, par 230 voix contre 150, une majorité de 80 vox Et puisque le scrutin du 26, minuit, accorde au cabine comment les optimistes ne se déclareraient-ils poin satisfaits ?

Et ils refusent d'attacher la moindre importance, no seulement aux plaisanteries des Berlinois sur le Notkr binet, le « cabinet de nécessité », mais encore aux formules du Berliner Tageblatt ou de la Rote Fahne « Wirth bâtit le pont entre aujourd'hui et demain "Wirth chauffe le lit de Stinnes »>,

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Remarquons d'abord que ce ministère a été improvisé dans des conditions anormales, qui témoignent d'une naissance difficile et présagent une existence précaire.

Quand le Dr Wirth s'est présenté devant le Reichstag trois portefeuilles, et non des moindres, WilhelmstraSSE, finances et reconstruction, n'avaient pas de titulaires Ils n'en ont point encore à l'heure où j'écris. Si le cabi net est resté incomplet aussi longtemps, c'est qu'il a éé bâclé à la dernière minute. La lettre que le président Ebert adressa le 25 au soir au chancelier Wirth ne

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lui laissait aucune illusion sur son caractère de bouche

trou:

« Depuis des semaines, je me suis efforcé sans relâche de trouver une base pour l'élargissement de la présente coalition, dans la conviction, que je partage avec vous, que les graves problèmes qui se posent à l'Allemagne, en politique extérieure et intérieure, seront le mieux résolus par un gou-vernement élargi... Divers incidents ont malheureusement contrarié la marche des négociations, en sorte que les efforts faits peuvent être maintenant considérés comme ayant échoué. Cela est d'autant plus regrettable qu'en raison de la situation extérieure, la retraite du cabinet actuel rend absolument nécessaire l'existence d'un gouvernement d'action et que la formation du nouveau cabinet ne saurait être retardée... En présence de la détresse du pays, je vous prie instamment de revenir sur vos précédents refus... >>

Et le Dr Wirth, qui est un patriote et un courageux, obéit à cet appel. Mais son cabinet n'a point été constitué conformément aux traditions de la politique allemande: il n'est pas le résultat d'un accord entre les partis politiques, mais l'œuvre d'une coalition de bonnes volontés. L'adhésion au Pacte n'a été obtenue par le président Ebert qu'à deux voix de majorité et sous la menace de sa démission. Certains ministres ont été désignés dans des conditions qui témoignent de la faiblesse du gouvernement et du désordre dans les esprits : le général von Seckt s'est rendu auprès du Dr Wirth pour lui annoncer que la Reichswehr lui refuserait son appui s'il ne conservait pas au ministère de la guerre M. Gessler, dont le culte pour l'ancienne armée et la timidité devant les a agitateurs pangermanistes sont proverbiales.

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Cette fragilité constitutive et cette tare originelle sont d'autant plus préoccupantes, au point de vue de la vitalité ministérielle et de l'évolution démocratique, qu'elles coïncident avec une action de la haute industrie dans les groupes parlementaires et un progrès du courant nationaliste dans les masses populaires.

La haute industrie et la haute banque sont les maîtresses de l'heure. En n'exerçant aucun contrôle ni sur la question des deniers publics, ni sur les achats de monnaies étrangères, ni sur l'invasion des capitaux allemands, elles ont contribué à l'avilissement du mark. Elles peuvent, à leur gré, soit précipiter la faillite allemande et troubler l'éclaircie européenne, soit faciliter l'exécution allemande et accroître la détente occidentale. Elles seules peuvent avancer au Reich les devises étrangères, qui permettraient d'enrayer la baisse du mark et le paiement des annuités. Or, après avoir, au début de septembre, promis leur collaboration, les capitaines d'industrie sont revenus à leur opposition systématique. Et cette opposition est d'autant plus efficace, que son action n'est point confinée à un groupe. Ils tiennent le parti populiste. La banque juive leur assure des voix démocrates. Par Thyssen et Florian Kloukner, ils exercent quelque influence sur le centre. La résistance s'est manifestée, d'abord, au cours du congrès, tenu à Munich, par la Ligue des Industriels allemands, fin septembre. Walter Rathenau fut fraîchement accueilli. Son plan fut vivement critiqué. Si le principe des paiements en nature était admis par les congressistes, ils n'étaient d'accord avec Rathenau ni sur la possibilité de payer une pareille somme, ni sur la nécessité de créer une organisation étatiste. Ces critiques furent reprises, le 27 septembre, par le journal du parti populiste, la Koelnische Zeitung. Elle insérait une étude, rédigée par le manager "d'un consortium industriel ». Le 22 octobre, dans l'organe de M. Stegerwald, Der Deutsche, le député centriste, le magnat industriel Florian Kloukner, adressait à Rathenau une nouvelle objection:

« Les livraisons en nature que nous faisons à la France doivent être payées par le Reich aux industriels allemands en marks-papier. Je crois donc que, dès que les livraisons en nature auront commencé, l'inflation se développera d'une

façon croissante... Lorsque nous serons obligés de fournir à la France des livraisons en nature, nous ne serons plus en mesure de développer notre exportation comme aujourd'hui. Nous serons même probablement obligés de l'arrêter complètement pendant un certain temps. On voit les conséquences : nous continuerons à trouver du travail dans notre propre pays. Mais nous n'aurons plus à notre disposition les devises dont nous avons besoin pour acheter les matières premières et des vivres .>>>

La résistance a gagné le parti démocrate. Et Rathenau n'a point été autorisé à faire partie du second cabinet Wirth. Le geste est significatif. La politique de Wiesbaden est compromise. L'exécution des accords va être suspendue. Et c'est une première campagne pour la revision des conventions financières et pour la réduction de la créance allemande, qui se dessine.

La seconde a son point de départ dans la décision arbitrale, rendue par la S. D. N. Elle ne pouvait manquer d'exercer un retentissement profond et d'entraîner des répercussions politiques. Les ajournements, dont le Quai d'Orsay porte la responsabilité, les tractations que le Foreign Office commit l'imprudence d'engager, l'arbitrage que M. Briand eut le tort d'accepter au lieu d'en prendre l'initiative, toutes ces erreurs de méthode étaient dangereuses, parce qu'elles surexcitaient l'espoir et facilitaient la propagande des pangermanistes. Si dès l'annonce du plébiscite, le désaccord interallié avait été tranché et la frontière silésienne fixée par un arbitre, son arrêt n'eût point éveillé des protestations aussi véhémentes. «Nous ne pouvons plus payer. » Et la clameur, partie des milieux industriels et financiers, se répercute au loin. Un milliard de marks-or, à verser d'ici le 1er mai 1922, c'est 30 milliards de marks-papier, soit la totalité du produit des impôts allemands. Et le chancelier Wirth, après avoir fait remettre le 27, à la Conférence des Ambassadeurs, une note à la malheureuse S. D. N., est accusé,

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J'entends bien qu'il n'y a pas péril en la demeure. Comme le rappelait M. R. Poincaré, dans la chronique qu'il rédigeait avant de recevoir à Londres de l'élite et des souverains anglais un accueil dont il est inutile de souligner la signification, l'arrêt de la S. D. N. et l'art. 90 du traité assurent, pendant quinze ans, aux industries allemandes, en Silésie, leur pleine liberté de produire et d'exporter. (Ce délai de quinze ans il promet à l'Europe une belle tempête.) Sans doute, les articles 254 et 256, qui mettent à la charge des cessionnaires de territoires allemands une partie de la dette d'avant-guerre et portent au crédit de l'Etat allemand la valeur de ses propriétés dans les territoires cédés,

assurent

au

Dr Wirth une légitime et importante compensation. Ne se rappelle-t-il pas, d'ailleurs, que l'état des paiements, dressé à Londres, prévoit des indemnités fixes et des annuités variables ? Rien ne presse. Ni les Alliés, ni la S. D. N. n'ont étranglé le Reich. S'il étouffe, ce n'est que de colère.

Le fait n'en reste pas moins patent. L'échafaudage

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Au moment où la fortune achève de vous abandonner, et où, à la lâcheté, le ricanement des foules et de ceux qui prétendent les conduire ajoute la sienne, souffrez que je vous offre ici l'expression de mon respect.

Je n'ignore pas que, tout comme la première, la deuxième tentative de votre mari, l'ex-empereur Charles IV pour remonter sur le trône de Hongrie, fut une folie, et j'ajoute une bien dangereuse folie. Dans l'Europe si cruellement ensanglantée, elle a encore fait couler du sang. Il s'en est fallu de peu qu'elle déchaînât à nouveau une catastrophe mondiale. C'est avec raison que les nations meurtries ont arrêté de sévères mesures pour en prévenir le retour.

Madame, on assure, et je crois plausible, que vous avez une responsabilité dans la décision prise par le roi Charles de tenter un deuxième retour de l'île d'Elbe.

sommes

Tel que nous croyons le connaître, votre mari nous apparaît un velléitaire bien intentionné et faible. Ce que nous savons de vous nous porte à penser que bien souvent pendant la guerre votre énergie a pesé sur sa volonté hésitante. C'est elle encore, nous en convaincus, qui, dans la molle retraite helvétique où peut-être bien qu'à la longue les douceurs de la vie familiale eussent émoussé ce qui survivait en lui d'atavisme impérial, a soufflé sur l'étincelle vacillante de sa foi, l'a ranimée jusqu'à en faire un flambeau d'incendie. Votre petite main ferme a conduit ses pas hésitants vers l'avion hasardeux où vous vous êtes envolée à ses côtés dans l'aventure.

A cause de cela, il est légitime que les sages vous blâment et que les politiques vous rognent les ailes. Mais je voudrais que ce fût avec une déférente compassion que l'on rivât vos chaînes.

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Vous ne

Car vous avez tant de circonstances atténuantes ! D'abord, madame, vous êtes femme. Et en cette qualité, comme toutes les femmes c'est, je crois, Oscar Wilde qui le remarquait pittoresquement pouvez prendre votre parti de mettre le passé au passé. Selon votre instinct, tout roman-feuilleton a une suite et tout mélodrame comporte un sixième acte. Femme, vous ne pouvez pas admettre qu'à la suite de cette gigantesque histoire de la monarchie des Habsbourg soit définitivement inscrit ce simple mot: fin.

Impératrice, vous le pouvez moins encore. Car aux sentiments que nous autres bourgeois avons de notre responsabilité pour les enfants de notre sang et que vous partagez, au devoir dont nous nous faisons honneur de leur transmettre intact le patrimoine que nous avons

reçu de nos pères, vous joignez, j'en suis certain, ur autre instinct. Peut-être parce qu'il est homme, votre mari, au XX° siècle, peut douter de son droit divin. Vous non, parce que vous êtes femme. Ce n'est pas parce qu'une couronne impériale sied bien à un joli front que vous l'avez réclamée. La réclamant, vous n'avez eu aucun doute que vous remplissiez la mission que Dieu vous a confiée auprès de votre mari, de vos enfants et de votre peuple.

Ce sont là, madame, des mobiles assez respectables pour que la presse des deux mondes dût s'abstenir de ricaner sur votre infortune. La presse française a pour s'incliner devant elle une raison de plus. Nous savons quelles furent durant la tourmente universelle vos sympathies pour notre pays. Je suis de ceux qui ne pensent pas que les choses eussent pu s'engrener autrement qu'elles n'ont fait. Du moment qu'elle n'arrivait pas à se détacher, de l'empire de Guillaume II, du moment que nous étions obligés de lier partie avec toutes les nationalités acharnées à sa destruction, la monarchie des Habsbourg était irrémissiblement condamnée. Il est des fatalités que nous devons admettre; mais il nous demeure le droit de nous découvrir devant leurs victimes. Je me rappelle, madame, que s'il n'eût tenu qu'à vous, si le fragile esquif de votre empire n'eût été irrévocablement entraîné dans le sillage du pirate allemand, il n'y aurait pas eu de sang entre nous. Vous êtes inno cente du crime dont vous, votre mari et vos enfants portez la peine.

Aussi notre respect, mêlé de quelque confusion - car si nous eussions été plus forts nous aurions pu vous aider à briser les fers du pangermanisme ! vous accompagnera dans votre retraite.

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On dit qu'elle ne sera pas très dure. Ce serait dans un des plus riants climats du monde que vous allez êtr internée avec un mari et des enfants que vous aimez m'en réjouis. Et j'espère que de vexatoires muf ries je crains que déjà il ne s'en soit prod ne s'ajouteront pas aux précautions indispensables que son devoir commandera au Hudson Lowe qui aur à veiller sur vous.

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Si mes vœux sont exaucés, vous ne serez pas trop à plaindre. Loin de l'Europe enfiévrée, définitivement écartée la hantise du trône, tout avion soigneusement tenu hors de votre portée, peut-être que vous goûterer une paix jusqu'ici inconnue. Il n'est pas impossible, madame, qu'en échange des suprêmes grandeurs dont vous êtes déchue, le destin fantasque, dans un coin de l'Atlantique vous ait réservé cette surprise : le bonheur. C'est le souhait que je forme très respectueusement. ANDRÉ LICHTENBERGER.

Peintres de Belgique

Je n'ai pu, contrairement à mon espoir, aller « vernir >> le Salon d'Automne, retenu que j'étais, en Hainaut et Brabant, par des besognes d'ordre électoral et non pas esthétique... Mais je voudrais dire ici, sans marcher sur les plates-bandes de M. Vaudoyer, quelques mots de la section belge du Salon, à laquelle je sais qu'on a voulu donner quelque importance.

Mes compatriotes avaient, ont une revanche à prendre à Paris. Nous possédons l'une des meilleures écoles de sculpture de l'Europe, avec des artistes comme Victor Rousseau, Egide Rombeaux, Georges Minne et bien d'autres qui font une suite très digne à Constantin Meunier. Nous avons, en Flandre, comme en Wallonie, des peintres nombreux, de talents très divers, qui ont subi la salutaire influence de l'art moderne français ou qui, parallèlement à l'effort de l'impressionnisme, ont su, d'accord avec le génie profond de leur race et la lumière subtile de leur ciel natal, innover précieusement.

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Des peintres comme James Ensor, Donnay, Claus, Baertsoen, Laermans, Frédéric, Courtens, Van Risselberghe et pour citer des jeunes - Rik Wonters, dont Paris connaîtra bientôt, j'espère, par une exposition particulière, l'œuvre magnifique, montrent la richesse, la variété d'aspects de cette école belge de peinture. Grâce à l'hospitalité généreuse que M. Léonce Bénédite lui a toujours offerte au Luxembourg, grâce à la participation de quelques Belges, naturalisés « Parisiens. », aux grands Salons annuels et notamment d'Oleffe, de Nilleur Paerels, de Jefferys et de quelques autres «< avant-garde » au Salon d'Automne, notre école, Dieu merci! n'est pas tout à fait inconnue des amateurs parisiens. D'ailleurs, au même Salon d'Automne, il y a quelque douze ou quinze ans, il me souvient que, par les soins du regretté Octave Maus, l'introducteur des impressionnistes en Belgique, une importante rétrospective fut organisée, qui nous permit de montrer nos grands paysagistes de l'école de Tervueren, réplique de notre Barbizon, nos Baron, Boulenger, Artan, Verwée et les Stevens et de Braekeleer et Henri Evenepoel, Vogels, d'autres encore.

L'été dernier, cependant que triomphait légitimement aux Tuileries l'exposition hollandaise habilement « lancée » par les trompettes de la réclame, une exposition d'art belge moderne, au Musée Galliéra, faisait un «< four >> complet. Il est vrai que nous allons avoir l'occasion de prendre une grande revanche au printemps prochain, en organisant cette exposition rétrospective à laquelle je sais que le roi Albert, personnellement, s'intéresse beaucoup, et dont il entretenait longuement M. Destrée, le ministre des Beaux Arts démissionnaire, pendant l'audience de congé qu'il donnait à celui-ci. En attendant, remercions les dieux et M. Frantz-Jourdain d'avoir perle mis à quelques-uns de nos peintres et sculpteurs les plus personnels de présenter au public du Salon d'Automne un ensemble qui, je le présume, intéressera vivement le Paris artiste. On y verra notamment le groupe de nos post-impressionnistes, dont quelques-uns ont reçu, de loin, la leçon de Cézanne. On y verra aussi un groupe d'artistes très différents qui s'intitulent volontiers « les Imagiers ». Ce sont surtout des paysagistes comme De Sadeleer, des portraitistes comme Van de Woestyne, des peintres comme Anto Carte qui s'attachent à styliser et à traduire en des sortes de symboles, des scènes de la vie populaire, le folklore de nos terroirs wallons et flamands, des sculpteurs enfin comme Georges Minne, Wynants, Baudrenghien et Marcel Wolfers.

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Leur art à tous est un art volontaire et volontiers archaïsant. Il semble qu'ils recherchent - par un effort où il entre parfois un peu trop d'intellectualité la simplicité, la naïveté rustique de nos grands primitifs et notamment de ce « Zotte Breughel », de ce Breughel l'Ancien, dont j'admirais l'autre jour, à Vienne, les paysages et les scènes paysannes que l'on va essayer d'amener à Paris, au printemps prochain.

Je ne sais si M. Albert Sarvaes fait partie du groupe des Imagiers auxquels il s'apparente par plus d'un côté. Il est arrivé une bien étrange aventure à ce peintre profondément chrétien, auteur d'un Chemin de Croix destiné à une petite église des environs d'Anvers. Il vient d'être mis à l'index. La Congrégation trouve qu'il a fait le Christ trop laid. L'artiste répond en invoquant les déformations anatomiques, les expressions de douleur poussées jusqu'à l'horrible, qu'on trouve dans l'œuvre de certains primitifs qui ne sont pas tous nécessairement de l'école de Cologne. Il pourrait rappeler la réponse que fit un jour Henry de Groux à Léopold II qui, sans aménité, lui reprochait la laideur qu'il avait donnée à son Christ aux Outrages. « Dame! sire, dit Henry de Groux, en fixant le vieux roi boîteux et barbu, nous ne sommes pas beaux, non plus! »> LOUIS PIERARD.

Les débuts littéraires d'Edmond Rostand.

La première œuvre imprimée d'Edmond Rostand, combien jureraient, sur la foi d'ailleurs du « Lorenz », ce bréviaire des bibliographes, que c'est le recueil des mièvres Musardises, édité chez Lemerre en 1890 ?

Erreur et autre erreur d'imaginer que ce pourrait être quelque poème oublié ou une pièce de théâtre laissée pour compte la première œuvre d'Edmond Rostand est en prose et c'est à la fois un chapitre d'histoire régionale et un essai de critique littéraire. Il est vrai qu'il n'en choisit pas le sujet, mis au concours en 1887 par l'Académie de Marseille, sujet paradoxal et qui par cela même lui plut dès l'abord.

On a beaucoup médit des Académies de province, de leur composition et de leurs sujets d'étude. Plaisanteries injustes et offensantes, si périmées! Certaines de ces compagnies ont derrière elles un remarquable passé scientifique, toutes aujourd'hui produisent des travaux honorables et leurs membres, enfin, sont sympathiques, instruits et courtois. Petits parlements locaux, Etats provinciaux de l'érudition, où, pour l'amour des archives de la région, fraternellement unis, siègent les représentants des trois ordres, où la soutane râpée de M. l'abbé Guitrel frôle le veston radical de M. Mazure, où le velours à côtes, fleuri du rouge de Saint-Grégoire-le-Grand, de M. de Terremondre, lieutenant de louveterie, archéologue et généalogiste, affronte la luisante redingote à boutonnière violette de M. Bergeret, maître de conférences, libre penseur, elles ont au moins un idéal et cela seul les rendrait respectables ; mais, encore un coup, la qualité de leurs travaux suffit à les recommander.

C'est aujourd'hui la gloire de l'Académie de Marseille d'avoir provoqué le premier essai d'Edmond Rostand. Vénérable et une des plus anciennes, cette académie, dont la fondation remonte à 1726 et qui eut pour parrain un membre de l'Académie française, l'illustre maréchal de Villars. Le prix qu'elle décerne annuellement et qui porte le nom du vainqueur de Denain, il est naturel qu'elle l'attribue à un Provençal pour un sujet provençal.

En 1887, elle mit au concours un essai sur deux romanciers de Provence : Honoré d'Urfé et Emile Zola, et l'un de ses membres, M. Eugène Rostand en fit part à son fils Edmond qui terminait ses études à Paris.

L'idée amusa aussitôt celui-ci d'un parallèle possible entre l'auteur cher à la société précieuse et le brutal romancier naturaliste, l'envie le tenta, jouant la difficulté de tenir cette invraisemblable gageure. Poète déjà, il voyait un symbole dans le contraste de leurs noms : « Il y a la Provence sauvage, fille aux cheveux fauves plantés drus sur une nuque puissante, brunie au soleil, superbe de santé, de sève débordante, aimant une langue forte et vraie, mais dure et cynique... Et il y a aussi une femme d'une grâce amollie et presque énervée, raffinée de goûts, italienne dans son amour des douceurs et des concetti, d'un parler musical et enjôleur, ayant préféré à l'odeur simple et saine de ses lavandes, les parfums quintessenciés et musqués... Et le mot célèbre nous revient en mémoire la Provence nous apparaît bien ici, comme la gueuse parfumée, parfumée avec d'Urfé, gueuse avec Zola! >>

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Voilà le sujet indiqué: il se mit à l'œuvre et l'enleva rapidement. Quelques semaines plus tard, la compagnie marseillaise lui décernait le prix, qui fut son premier laurier académique. Son père, flatté de ce succès, publia le travail de son fils dans le Journal de Marseille et, utilisant la composition typographique, le fit tirer en brochure.

La plaquette est introuvable aujourd'hui et le souvenir serait peut-être perdu, si la riche bibliothèque de M. Auguste Rondel n'en avait gardé un exemplaire. C'est là que M. Emile Ripert l'a dernièrement découverte et, l'ayant lue avec émotion, a décidé de faire par

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tager aux lettrés sa bonne fortune. A son nom et à celui de M. Rondel, unissons donc en une commune action de grâces le nom de l'éditeur, ami des Muses, qui a servi ce pieux dessein.

En réimprimant cette brochure de jeunesse, ils ont fait beaucoup plus que de satisfaire une banale curiosité de bibliophiles, ils nous ont permis d'étudier mieux les «<sources » de l'oeuvre de Rostand D'apprendre par exemple qu'à dix-huit ans, il avait lu l'Astrée, trouvezvous que ce soit inutile pour comprendre la conception de Cyrano et dans ses autres œuvres expliquer cette préciosité qu'on y trouve parfois ?

GEORGES GIRARD.

Un Aéro-Indicateur.

Les délicats dédaignent ce qu'ils appellent la littérature de chemins de fer, c'est-à-dire les livres faits pour être lus et laissés en wagon. Je demande grâce pour les guides, horaires et indicateurs. Ces modestes livrets ne restent muets et secs que pour les sourds et les indifférents. Dans le présent, ils nous invitent au voyage, ils montrent au sédentaire combien il serait aisé de relâcher les liens qui l'enchaînent dans l'espace et le temps. Dans le passé, ils nous confessent leurs contemporains dis-moi comment tu voyages et je te dirai qui tu es! J'envie le collectionneur qui a rassemblé la plupart de ces livrets-guides, publiés depuis qu'existent des services réguliers de transports: celui-là possède de notre histoire un raccourci des plus sensibles et des plus

vivants.

| jouissaient que de dix livres de hardes gratis dans les diligences des messageries royales.

Ces services d'avions se conjuguent à souhait avec les lignes maritimes, les voies ferrées et les transports automobiles. Déjà, les compagnies de navigation aérienne accordent des réductions aux membres de l'Aéro-Club et le demi-tarif aux personnalités officielles, fonctionnaires, journalistes. Ces premières faveurs, promesses d'abus prochains, sont le signe d'une institutionnée. Qui donc, après avoir feuilleté l'Aéro-Indicateur, nierait l'existence de l'Aéronautique marchande?

Aux touristes, curieux de recevoir le baptême de l'air dont on leur remet diplôme, se joignent déjà les voyageurs qui s'embarquent pour affaires. L'obligation de contracter une assurance n'intimide pas ceux qui ont séjourné hors de France. Dans chaque gare anglaise, le voyageur ne prend-il pas, avec son ticket de chemin de fer, un billet d'assurance au guichet de la Passengers Railway Company? La statistique démontre que la proportion des accidents a diminué avec les progrès de la locomotion. Aux ennemis du rail, l'on répétait que les diligences tuaient une personne sur 355.000 voyageurs. L'on nous prouvera bientôt sur chiffres que le voyage en avion n'est pas plus périlleux que le voyage en wagon. S'il est encore plus coûteux, il épargne merveilleusement le temps et il vous permet, sans métaphore, de contempler les choses de haut. Viendra le jour où les chemins de fer ne porteront plus que les marchandises lourdes, comme aujourd'hui les chalands et péniches. Alors l'Aéro-Indicateur, aussi volumineux et indispensable que le Chaix, émergera de toutes les poches. AMÉDÉE BRITSCH

Propos d'histoire

Voici la première édition du premier Aéro-Indicateur qui vient de paraître sous le patronage du sous-secrétaire d'Etat de l'Aéronautique (1). Je n'ai pas ouvert sans émoi cette plaquette de 79 pages, plus imposante La Littérature qu'un gros Bottin. Sans doute plusieurs des lignes aériennes qu'on nous donne sur la carte d'Europe sontelles indiquées par des tirets, lignes intermittentes, ou des points de suspension, lignes en projet, mais toute l'Europe occidentale et septentrionale est rayée de traits continus, lignes régulières que desservent, chaque jour ou plusieurs fois la semaine, les avions pour voyageurs, les avions-messageries et les avions postaux. Longue est déjà la liste des villes ainsi reliées. On n'y compte pas que nos grandes capitales. Connaissiez-vous les lignes Pékin-Tientsin, Pékin-Shanghai, Saint-Laurentdu-Maroni-Cayenne et, au Congo belge, la ligne du Roi-Albert Kinshasa-Stanleyville, où les frais du kilomètre reviennent à 12fr. 50?

Les premiers indicateurs du rail, qui citaient le nom et la force de chacune des locomotives employées sur chaque ligne (ces machines poussives portaient presque toutes des noms d'oiseaux), furent-ils plus importants? Ils s'adressaient à un public moins bien disposé que les lecteurs de l'Aéro-Indicateur. Plus crédules au progrès mécanique, nous regimbons moins à la nouveauté; et puis l'établissement de lignes aériennes excite moins de défiance, d'intérêts et d'appétits que la construction de voies ferrées. Aucun conseil municipal ne repousserait le projet d'un port aérien sous prétexte de préserver la ville de la corruption moderne.

La ligne aérienne va plus droit que le rail, mais on ne saurait dire qu'elle mène l'homme à vol d'oiseau. L'avion n'est point libre d'atterrir à sa guise. Sa route est jalonnée d'escales éventuelles ou obligatoires, où il lui faut se ravitailler; un port aérien douanier l'attend à chaque terme, car la douane ne perd jamais ses droits. Sachez, ô Françaises impatientes et frondeuses, que l'on visitera vos bagages au départ et à l'arrivée. L'on vous accorde quinze kilos en franchise; vos aïeules ne

(1) Chez Ed. Blondel La Rougery, 7, rue Saint-Lazare.

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Qui entreprendrait de nos jours de refaire, tout seul, plus complète, comprenant les lettres et les arts, mais une histoire de France à la façon de Henri Martin, et fique, il passerait sans doute pour fou. Notre connais au courant des derniers résultats de la critique scienti sance du passé national devient chaque jour plus complexe histoire « politique »; histoire économique; histoire des mœurs; histoire des lettres; histoire de l'art, autant de compartiments réservés à des spécialistes, et qui encore se cantonnent ordinairement dans une époque déterminée : quelle apparence qu'un seul homme puisse avoir tant de compétences diverses ? Et ce ne serait pas tout, car il lui faudrait, non seulement être résolu d'user sa vie à son ouvrage (ce n'est rien), mais être doué d'une vertu plus singulière, et la difficulté qu'il aurait à vaincre n'est pas tant matérielle tenir de toute recherche originale. Seuls, ceux qui ont que psychologique. Songez en effet qu'il devrait s'absconnu les délices dont il s'approcherait sans cesse et auxquels il devrait vertueusement renoncer, comprendront la valeur du sacrifice. « L'érudition » est douce, l'érudition est voluptueuse, et ses boîtes de fiches sont les jardins d'Armide. Il y a des questions si attachantes, ou plutôt (car peu importe l'importance du problème, c'est l'intérêt de la recherche, de la discussion et de la démonstration qui passionne un véritable éruinvestigations si amusantes! Notre homme ne devrait dit et, pour ainsi parler, un érudit de race) il y a des pas céder à la tentation de s'y livrer, ou bien il serait perdu comme les autres, il se mettrait à piocher son bout de champ et à ne plus s'intéresser qu'à faire pous ser ses propres légumes, quand son devoir serait tout au contraire de ne récolter que les légumes des autres. Voilà ce qui empêche beaucoup de bonnes têtes. L'his

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