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Vous pouviez demeurer là jusqu'au soir: nul ne s'apercevait de votre présence. Vous n'étiez même pas gênant. Et, si vous réussissiez à vous faire servir à votre tour, la caissière, tiroir ouvert et plein de petite monnaie, - vous lançait au visage, hargneusement : « Avez-vous deux sous? >> Ou bien elle vous offrait, bandit vous offre à choisir entre la bourse et la vie quatre-vingt dix centimes de timbres-poste.

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Mais ce temps n'est déjà plus. Il faut l'avouer sans honte. S'il fut pittoresque et déplorable à la fois, nous allons bientôt le regretter, lui aussi. Nous avons autre chose. Oui, oui, la politesse nous revient, peu à peu; lentement, soit; mais elle revient; différente de l'ancienne, je le concède; mais c'est tout de même de la politesse. Dans de nombreux théâtres, on commence à regarder les hommes qui osent y paraître en veston. Le faux-col mou, même dans la journée, se fait plus rare. Les caissières et les receveurs d'autobus ne vous demandent plus si brutalement : « Avez-vous deux sous? » A tous les coins de rue, des files de taxis attendent votre bon plaisir, et les chauffeurs en maraude vont, du regard, audevant d'un simple regard de vous. Et dans les magasins, ah! dans les magasins, c'est délicieux, c'est admirable trois vendeuses se précipitent sur le client, lui tendent trois chaises, lui enlèvent sa canne et son chapeau. On lui offrirait presque je ne sais quoi, moi des liqueurs, des petits-fours, du vin de Samos, un cigare.

Il est redevenu le client.

En toute sincérité, dites-moi si « l'époque actuelle »> vaut tant de reproches? Sans doute, il y a bien encore quelques petits jeunes gens qui restent assis dans le Métro, lorsque des mamans à cheveux gris sont debout. Mais soyez persuadé, comme je veux l'être, que ceux-là ne sont pas des Français : ce sont des mufles.

THIERRY SANDRE.

Réorganisera-t-on les Beaux-Arts.

Le Congrès d'histoire de l'Art n'a pas été une vaine académie. On a abordé franchement plusieurs problèmes d'ordre pratique, et on a proposé d'heureuses solutions. Notre administration pourra s'inspirer de ce qui y a été dit. Il y a fort à faire en effet pour donner, en France, à l'enseignement artistique la place qui lui revient. L'histoire de l'art est encore considérée, chez nous, comme un luxe; elle n'a pas droit de cité dans nos établissements secondaires, où les élèves doivent convenablement expliquer une scène de Phèdre ou les conséquences du blocus continental, mais peuvent ignorer les noms de Botticelli ou de Holbein. Il ne faut pas s'en étonner, d'ailleurs, car les professeurs eux-mêmes n'ont souvent de ce qui est artistique qu'une légère teinture; c'est à peine s'ils peuvent se la donner, puisque dans nos Universités l'enseignement de l'histoire de l'art est à peine organisé : non sans doute par la faute du ministère qui est, semblet-il, très bien disposé, mais par la faute d'une parcimonie mal comprise.

Lorsqu'ils en arrivent au budget de l'Instruction publique, nos parlementaires ont l'habitude de rogner un peu à tort et à travers, comme s'ils s'inspiraient du mot fameux : « La République n'a pas besoin de savants. » Qu'ils regardent cependant ce que l'on fait dans les autres pays latins; les délégués belges et italiens du Congrès d'histoire de l'Art nous ont apporté là-dessus des précisions intéressantes : l'enseignement de l'histoire de l'art est admirablement en Belgique, organisé dans les Universités et à côté des Universités; un étudiant de Liége a, par exemple, le loisir de s'initier à l'étude de toutes les époques artistiques. L'étudiant des Universités italiennes est aussi favorisé, puisqu'il y a toujours une chaire d'histoire de l'art à côté de la chaire d'archéologie; et ce qui est plus important, 'histoire de l'art fait partie de la culture générale; elle

est mise sur le même pied que l'histoire moderne, l'histoire ancienne ou la littérature latine. C'est peut-être en Italie, en effet, qu'on lui donne le plus de prix. C'est une discipline à laquelle on s'intéresse volontiers; par goût d'abord; et aussi parce qu'elle offre des débouchés à ceux qui s'y adonnent. L'administration italienne des Beaux-Arts est, en effet, si complexe qu'elle réclame un nombre sans cesse grandissant de fonctionnaires; et ces fonctionnaires sont presque toujours des hommes de goût.

A la tête de chaque province politique, il y a un surintendant des objets d'art (qui est, la plupart du temps, un directeur de musée); il veille à la conservation des peintures et des sculptures; il fait classer les œuvres qui lui en semblent dignes; il a sous sa juridiction tout le patrimoine artistique de la province (sauf les édifices religieux et civils qui dépendent d'un service analogue à notre service des Monuments historiques). D'autre part en Italie, presque tous les musées sont nationaux; les directeurs sont choisis et en général bien choisis par l'Etat; surintendants et directeurs de musées ont sous leurs ordres d'assez nombreux inspecteurs qui les aident dans leur besogne de surveillance, de conservation et de restauration. Tous ces fonctionnaires relèvent de la Direction générale des Beaux-Arts; ce service est donc très centralisé, et c'est sans doute pour cette raison qu'il fonctionne parfaitement.

Chez nous, les deux réformes doivent aller de pair: le développement de l'enseignement de l'histoire de l'art dans nos Universités, et plus tard dans nos lycées; et la réorganisation de nos musées de province et de notre administration artistique. Nos richesses d'art ne sont pas connues, ou sont mal connues; on les néglige, parce qu'on n'a pas le personnel suffisant pour veiller sur elles. Or, il faut que nos inspecteurs des beauxarts inspectent; ils devraient se spécialiser chacun dans une région et solliciter partout l'aide de ceux qui aiment notre art et nos vieilles pierres. On a vu deux profes seurs d'histoire de l'art d'Université devenir en même temps conservateurs de musées: il faut continuer dans cette voie. Si nos musées de province sont souvent dans un état lamentable, c'est qu'ils dépendent de municipalités ignares et imbéciles qui chargeront un vieux sergent en retraite de conserver des Delacroix. Il faudra bien, cependant, que l'on trouve un « modus vivendi », par lequel la nomination de directeurs de musées même municipaux dépendra d'un concours, et non de la volonté d'un maire socialiste. Je sais que cette n'est si intangible que l'autonomie communale. Mais il question soulève d'innombrables difficultés, et que rien y va de l'intégrité de notre patrimoine artistique.

Les Idées

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"La vie intellectuelle"

Y.

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Dans la maison de mon Père, fait dire saint Jean au Christ, il est des demeures nombreuses. » Il en va de même pour la vie terrestre. Les vocations y sont multiples par le nombre et variables par l'espèce. Les plus communes frappent les yeux et consistent dans la distribution des tâches matérielles. Il y en a d'autrement cachées, profondes et décisives. Celles-ci assurent l'existence intérieure et enchaînent, à la lettre, le destin. Elles tirent des âmes religieuses le mysticisme et la sainteté. Plus générales, elles sollicitent en des sens divers le mouvement de l'esprit. Il est des hommes de pensée, enfin, et c'est à leur usage que l'abbé Sertillanges vient d'écrire le petit livre que nous avons sous les yeux (1).

(1) La Vie Intellectuelle (éd. de la Revue des Jeunes.)

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Nous n'analyserons point cet ouvrage où il convient d'aller chercher directement d'excellents conseils et des directions judicieuses et nous nous contenterons d'en retenir le dessein et l'esprit. Il fallait affirmer, en des temps qui l'ignorent de plus en plus, qu'on peut organiser sa vie sans l'absorber en des entreprises industrielles ou commerciales et que l'intelligence, pour travailler avec fruit, doit se fixer un certain objet et partir de quelques principes. M. l'abbé Sertillanges s'adresse aux jeunes gens et aux hommes faits qui ont cette ambition noble et désuète. Il leur enseigne comment on se discipline, on se concentre et on s'épanouit en vue d'un labeur efficace, de quelle façon on lit, on médite et on se souvient. Il prélude et conclut en toute justesse - pourvu qu'on étende quelque peu sa pensée que toute étude est oraison.

Et surtout il part d'une idée de saint Thomas, si lumineuse et si pertinente qu'elle éclaire tous les chemins de la terre et plonge dans l'au delà. L'illustre docteur, qui place la béatitude finale dans une éternelle contemplation, définit l'homme, dès ici-bas, par la faculté que cet homme a de connaître et situe toute vertu comme toute jouissance dans la pensée. Au rebours de notre philosophie qui, victime des illusions de l'analyse ou du monde phénoménal, subordonne l'idée à l'action et même l'en déduit, il estime que l'acte est le fruit du concept dont il sort et mesure sur lui sa valeur. Il y aurait beaucoup à dire sur cette doctrine et sur celle qui la combat et une mise au point fructueuse list à opérer. Notons, pour notre objet, que le thomisme et le néo-thomisme replacent selon leur hiérarchie des valeurs hâtivement renversées et restituent l'intelligence à son rôle comme à sa dignité.

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Ils ne font pas moins pour la méthode. Le scrupule de la recherche et un souci excessif de l'histoire nous ont trop attachés aux chronologies ou aux inventaires, et le soin que nous mettons à établir la succession nous a caché le rapport. Nous avons transporté la science de nous hors de nous, de l'esprit aux événements et aux apparences que l'esprit saisit et dispose. M. l'abbé Sertillanges nous rappelle avec raison que savoir c'est connaître par les causes, que cette connaissance est nôtre, que nous construisons le monde pendant que nous croyons le découvrir, que tout mystère reste un mystère de la personne et que c'est à nous-mêmes qu'il nous faut adresser afin d'avoir quelque renseignement sur nous. A la lumière de ces vérités, si évidentes qu'on s'étonne qu'il les ait fallu dire, la nature et l'objet de notre vie intellectuelle apparaissent jusqu'à leur limite et dans toute leur complexité, légitimant les conseils. qu'on nous donne pour les définir et les perfectionner.

Je me porterai sur le terrain de la critique, et pour compléter la pensée de M. l'abbé Sertillanges, et pour la contredire. J'estime, d'abord, que son livre est pour tous et non pour quelques uns. La vocation intellectuelle est une vocation humaine. Qui se résigne parmi nous à ne pas vivre par l'esprit abdique son espèce, et ce n'est pas au seul écrivain qu'on doit imposer de cultiver son intelligence pour un exercice désintéressé. Les deux heures de travail journalier que M. l'abbé Sertillanges estime suffisantes pour constituer un fonds de méditation, personne ne s'y dérobe raisonnablement. La pensée ne se délègue point. Elle reste une fonction individuelle et spécifique et, à ce titre, elle nous contraint d'accepter l'idéal qu'on nous propose ici avec quelques moyens d'y accéder.

Cet idéal, toutefois, demeure trop particulier avec M. l'abbé Sertillanges pour que chacun le puisse recevoir dans sa définition expresse et ses modalités. M. l'abbé Sertillanges parle de vérité et, cette vérité, il la connaît: c'est la vérité chrétienne. Le thomisme n'est pas seulement pour lui une discipline, la synthèse la plus hardie et la plus profonde qu'on ait tentée des

facultés rationnelles, un point unique dans l'histoire de la philosophie, et il y trouve, dans l'ensemble comme dans le détail, à la lettre comme dans l'esprit, l'expression intégrale et définitive du réel humain et des promesses divines. La prière qu'il demande n'est pas un mouvement de crainte, d'enthousiasme ou de reconnaissance vers le mystère de la Vie, mais une adhésion formelle aux dogmes catholiques et un acte d'adoration à Jésus-Christ.

Si donc, incroyant, nous professons aussi que la spiritualité est la fin de l'homme, que le développement désintéressé de l'intelligence reste la condition première de tout progrès personnel ou social et que c'est. la mutiler de son principal que de la réduire à servir des appétits ou des besoins matériels, il nous faut singulièrement étendre et modifier les formules qui doivent régler notre activité. La raison universelle ne suit pas toujours la loi chrétienne et, parfois, la contredit. Le penseur indépendant, loin d'être guidé par une vérité définie vers un port déterminé marche, presque aveugle, dans l'obscur.

Les moyens, toutefois, restent identiques et ici nous retrouvons, quant aux détails de la méthode, l'excellence de l'enseignement catholique. Tout travailleur de l'esprit recueillera des fruits sérieux de la méditation des « directives » que lui donnent, conjugués, M. l'abbé Sertillanges et saint Thomas, et tout honnête homme apprendra de ce saint et de cet ecclésiastique qu'il doit devenir un travailleur intellectuel. Et les « seize conseils » que donnait le Docteur Angélique à frère Jean, « pour acquérir le trésor de la science » (1), sont toujours de saison.

Le Théâtre

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GONZAGUE TRUC.

« Au petit bonheur »

« La Fraude » La troupe du Vieux-Colombier est excellente; peu de théâtres peuvent réaliser un tel ensemble et distribuer avec autant de bonheur, le premier rôle et le dernier. Le public a encouragé cet effort; le succès mérité de pièces telles que le Carrosse du Saint Sacrement, la Nuit des Rois, le Paquebot Tenacity, pour ne citer que celles-là, prouve qu'à Paris, le talent de l'auteur, secondé par celui des acteurs, trouve presque toujours l'accueil chaleureux qui lui est dû.

Le public, sans doute intelligent et cultivé, qui suit avec assiduité les spectacles du Vieux-Colombier, mérite lui aussi quelques encouragements; il ne faudrait pas abuser de sa patience et même de sa confiance, en lui servant des œuvres dont l'ennui n'est nullement compensé par le mérite. Le Vieux-Colombier vient de monter La Fraude, de Louis Fallens, auteur belge. Dans un public, fût-il d'élite, quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent n'osent dire ce qu'elles pensent d'une œuvre nouvelle, leurs impressions sont flottantes puis s'accrochent brusquement autour d'une opinion nette. Il suffit que quelqu'un bâille,, pour que toute une salle se mette à bâiller. J'ai grand'peur qu'en écoutant la Fraude, les spectateurs ne s'aperçoivent d'eux-mêmes et sans le secours de la critique, qu'ils ne s'amusent pas du tout !

L'action se passe dans les Flandres, près de la frontière hollandaise. Comme l'indique le titre, il s'agit d'éviter les douaniers et de passer en contrebande le bétail. Philimon, fils aîné de la famille Libar, se livre à cette occupation avec passion. Son père l'y encourage, il est fier de son adresse et de son courage, ses jeunes frères

(1) Prières de Saint-Thomas d'Aquin traduites et présentées par M. l'abbé Sertillanges. (librairie de l'Art catholique).

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l'imitent. Sa mère s'effraye de cette vie aventureuse et dangereuse. Quant à sa soeur, Rosa, elle fleurte avec un douanier et n'hésite pas à dénoncer les faits et gestes de ses frères.

Philimon annonce à ses parents qu'il va devenir garçon de ferme. Cette décision les étonne car ils savent qu'il a peu de goût pour un métier qui ne lui laisse aucune liberté.

Philimon est amoureux. C'est Françoise Dauw, femme de son patron, qu'il a choisie. Celle-ci, dont le mari est un vieux paysan dur et rapace, trouve Philimon beaucoup plus attrayant. Ils décident tous deux de fuir en Amérique. Le vieux Dauw soupçonne quelque chose de cette intrigue et tâche de se défaire de Philimon en le faisant prendre par les douaniers en flagrant délit de contrebande. Le fermier raconte à sa femme une histoire très compliquée, afin d'expliquer comment Philimon sera attiré dans un piège. Il suppose que Françoise avertira Philimon et qu'effrayé, celui-ci s'en ira. Mais il ne veut écouter aucun avertissement et s'entête à passer la frontière avec un troupeau. Dénoncé par Rosa, il est obligé d'abandonner ses bêtes et de se réfugier chez ses parents, où les douaniers le poursuivent et le tuent. Cette histoire se déroule pendant quatre actes qui ont paru fort longs. Il n'y a dans La Fraude nulle nouveauté, nul intérêt dramatique, nulle poésie. Ces pièces rustiques sont d'ailleurs très rapidement lassantes. Le livre orée l'atmosphère plus que le théâtre, le paysan est toujours conventionnel sur la scène, l'accent et le jargon sont insupportables dans la comédie sérieuse.

La Fraude est remarquablement jouée. Mais le texte en est si pesant que les acteurs, malgré tout leur talent, n'ont pu nous faire prendre la pièce pour un chef

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Les figulines de Palissy

Comme tous les artistes qui ont pris la peine de se recommander. de leur vivant à la postérité, Bernard Palissy jouit d'une popularité incontestable. On peut même dire qu'il reste, même à notre époque, le seul céramiste connu du grand public, bien qu'un petit nombre de lettrés ait pris la peine de lire sa Recepte véritable et son Discours admirable. Mais tout le monde sait qu'il jetait dans son four, quand le bois venait à manquer, son pauvre mobilier d'artisan. La iégende est si belle qu'il faudrait l'inventer si le potier-écrivain ne l'avait consignée dans ses écrits, bien supérieurs, d'ailleurs. pour les gens délicats, à ses œuvres de terre.

Comme si elle n'avait pas fait assez pour sa mémoire, la fortune a voulu que l'existence de Palissy fût environnée de mystère et qu'on ignorât longtemps ses premières comme ses dernières années. J'ai, sur ma table, le très utile Guide du Musée céramique de Sèvres (le « hand book», diraient les Anglais), rédigé par feu G. Papillon et remis à jour par le goût très sûr de son successeur, Maurice Savreux, et j'y lis ceci : « On n'est pas encore fixé sur le lieu de sa naissance; certains auteurs disent Agen, et d'autres Saintes : cette dernière opinion paraît maintenant celle adoptée. »>

Eh bien! non. Palissy n'est pas né à Saintes. Depuis les documents publiés par N. Weiss, en 1912, on sait qu'il s'intitule sur les registres d'écrou de la Conciergerie de Paris, en 1586, « architecte en œuvre de terre, natif de Agen en Agenoys », ce qui tranche définitivement la question de naissance. On sait aussi qu'il appelait en 1588 d'une sentence qui le condamnait à « être pendu et étranglé, et son corps mis en cendres pour hérésie », qu'il fut livré à Bussy-Leclerc, à la Bastille, et qu'il s'y trouvait encore le 23 juin 1589.

Je compte aller revoir, en prenant M. Savreux pour cicérone, la vitrine de Palissy, à Sèvres, qui renferme de fort belles pièces. Le Louvre, Cluny ne sont pas moins riches en œuvres de, l'inventeur des «< rustiques figulines » de la reine-mère. Il y en a dans le legs Dutuit, au Grand-Palais. On en trouve dans tous les grands musées de l'Europe, dans toutes les collections célèbres. C'est peut-être beaucoup, si l'on songe à la fragilité de ces céramiques, qui sont à proprement parler de simples poteries, au dédain où la disgrâce et l'emprisonnement de leur auteur durent le faire tomber, à leur facture si opposée au goût des amateurs du XVII et du XVIIIe siècle, qui devaient les trouver « gothiques ». Les objets d'art ont leur mode, tout comme les vêtements et les coiffures. Je crois bien qu'il faut arriver à du Sommerard, à Sauvageot et à l'école romantique de 1830 pour assister à la remise en vogue des Palissy.

Malheureusement l'enthousiasme des collectionneurs du XIXe siècle leur fit singulièrement grossir le bagage du potier de Catherine de Médicis. Comme pour Benvenuto Cellini, cette autre étiquette artistique des Jeunes France, on lui annexa toute une série de céramiques similaires, dues à ses continuateurs, et personne n'a entrepris ce délicat travail d'épuration. Certes on connaît l'atelier d'Avon, près de Fontainebleau, où Clérici et Guillaume Dupré fabriquèrent les statuettes de la Nourrice et du Joueur de vielle qui passent si souvent pour des œuvres de maître Bernard. Mais combien d'autres se sont essayés à cette technique de reproduction sur nature des poissons, des coquillages, des fruits, que Palissy n'avait sans doute pas plus inventée que celle de ses émaux! A la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, c'était une mode, même pour les gentilshommes, de se livrer aux recherches de l'art du feu. Je n'en veux pour preuve que cet obscur Jacques de Fonteny, ce poète boîteux, dont le principal mérite à nos yeux est d'avoir permis à M. Charlier d'identifier l'« Astrée de Ronsard » et qui offrit à Pierre de l'Etoile, le 5 janvier 1607, « un plat de marrons de sa façon, si bien faict qu'il n'y a celui qui ne les prenne pour vrais marrons, tant ils sont bien contrefaits près du naturel », et, le 20 février suivant, un plat de pommes cuites au four, « la chose la mieux faite et la plus approchant du naturel qui se puisse voir ».

S'il est à peu près impossible de se reconnaître dans cette « suite » de Palissy, on discerne mieux les imitations modernes de Pull, de Minton, de Barbizet, de Sergent, de Ponet. Quant à celles de Charles Avisseau, de Tours, on ne peut vraiment les ranger dans les pastiches. Leur auteur était un véritable artiste dans l'art de terre et je sais de lui des plats d'une dimension telle que jamais le pauvre potier de Saintes n'en aurait pu mouler ni cuire de pareils. En général, la légèreté est un critérium en faveur de l'authenticité, mais si tous les Palissy authentiques sont légers, il ne s'ensuit pas que toutes les pièces légères soient de Palissy.

L'habile restaurateur Corplet, qu'il faut toujours mettre en avant quand il s'agit de faïences, en a fabriqué vers 1850, presque autant qu'il en a « complétées ». II s'était même si bien approprié la manière du maître, qu'il s'en servit pour rendre à deux trompes en forme de serpent leurs replis tortueux. Clapisson, dont la collection forma en 1864 le premier noyau du musée du

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Conservatoire, avait déniché je ne sais où deux têtes de serpents provenant sans doute d'une fontaine italienne. Il les remit à Corplet, qui en fit deux trompes capables de passer pour des trompe-l'oeil, mais qui n'ont d'authentique que la tête. Desinit in piscem...

Le plus amusant, c'est que, grisé par son succès, notre luthier de faïence n'en resta pas là. Il imagina de confectionner une viole d'amour dans la manière rustique. Il emprunta ses motifs à des plats authentiques de Palissy et composa une pièce en tous points irréprochable. Par malheur, à la cuisson, la table d'harmonie éclata, le manche se brisa, les éclisses tombèrent en miettes. Tout était à recommencer. Palissy n'aurait pas perdu courage. Il eût plutôt brûlé son mobilier ! Mais Corplet tenait à ses bois. Il laissa là l'expérience et relégua dans un coin de son atelier le malencontreux violon brisé. Un amateur l'y découvrit. Il l'emporta. Corplet n'en entendit plus parler.

Un beau jour, le violon reparut dans une vitrine d'antiquaire de la rue des Martyrs, toujours incomplet, mais affublé d'une étiquette pompeuse annonçant qu'il était le seul instrument de musique exécuté par le grand Palissy. Je le crois bien! Puis il changea de maître, mais non d'attribution, jusqu'au moment où on le vit figurer dans une des premières expositions organisées par l'Union centrale des Arts décoratifs, avec ses membres au complet, et un superbe écrin de velours rouge. Une inscription indiquait le nom du donateur. C'était Alfred André, qui avait, sans s'en douter, recueilli les épaves de son confrère et les avait soigneusement << restaurées ».

Pour une fois, Corplet sortit de son silence d'augure, et les rieurs furent de son côté. On changea l'étiquette qui devint « Violon fabriqué par Alfred Corplet, donné par Alfred André ».

:

Je me promets d'aller voir au Pavillon de Marsan si cet enfant adultérin de Palissy y a suivi les collections de lUnion centrale. Mais quel joli sujet pour une fable de Franc Nohain: « La viole d'amour et les deux experts ! >>>

Aux Champs

Le raisiné

HENRI CLOUZOT.

Pendant la semaine qui précédait celle du commencement de nos vendanges, nous allions au grangeot de la Roustanienque faire les confitures, ce <<<< raisiné >>> savoureux qu'on ne confectionne bien que chez moi, dans mon Bas-Languedoc. Ah! que nous étions jeunes, frémissants d'illusions et de prétentions !... A dixhuit ans, on se croit déjà un homme, et quand on aime une fille de son âge, on lui prête et l'on affecte d'avoir soi-même toutes les élégances. Dans cette dévotion suprême à celle que l'on veut la plus pure des créatures, il y a une jouissance profonde de tout l'être, qu'on ne retrouve plus jamais, quand la candeur du printemps s'est évanouie, ou même quand se fane déjà la fleur de

notre amour.

Je me rappelle si exactement ces heures délicieuses d'avant nos vendanges! De bon matin, nos servantes avaient emporté au grangeot des corbeilles chargées de vivres, de bouteilles, d'ustensiles de ménage. Nous autres, cinq ou six camarades, ne quittions la ville qu'après nos parents. Au delà des faubourgs, nous rencontrions nos petites amies qui, tout de suite, par la rougeur de leurs joues, par le clignotement de leurs yeux, trahissaient un émoi de plaisir. Nous ne formions d'abord qu'un seul groupe. Mais peu à peu chacun se rapprochait de sa Muse.

I.a mienne, qui avait paré sa toilette d'été d'un bijou dont j'enviais le privilège, puisqu'il touchait sa peau

fraîche et sensible, consentait bientôt à me donner le bras. Et devisant de choses très banales, nous marchions d'un pas harmonieux, dans le même rayon de lumière. La terre n'existait que pour nous, déjà si bruyante de charrois, de claquements de fouets. Le chemin, afin de nous divertir davantage, promenait sa fantaisie à travers des vignes pâmées, puis à l'abri de vieux murs que dominait parfois une croix de pierre ou sur la crête desquels des amandiers appuyaient leurs branches moussues. Les oiseaux, qui sont toujours contents, faisaient aussi leurs vendanges parmi les treilles des grangettes éparses, et comme pour nous saluer au passage, ils venaient devant nous sautiller dans la poussière, en effarouchant les lézards assoupis.

Au bout d'une demi-heure, on atteignait un indolent coteau. Sur le sommet, le grangeot nous montrait ses deux fenêtres vertes, ainsi que la treille de sa terrasse, par-dessus le mur blanc qui enveloppait le jardin. On gravissait un raidillon affreusement rocailleux, où ma Muse bronchait tous les cinq ou six pas, ce qui d'ailleurs me permettait de la soutenir comme une enfant et de respirer le parfum de ses cheveux.

Cependant, une fumée noire tourbillonnait sur le toit du grangeot, autour de la girouette. C'est que les servantes allumaient le premier feu des confitures, un feu terrible qu'il fallait entretenir avec soin jusqu'au soir... Enfin, on longeait l'enclos, on saluait dans une encoignure le figuier tordu par les ans ; et quand on arrivait là-haut, sur la terrasse dont un mur était décoré de grenades, on trouvait au seuil de la cuisine la vaillante et rieuse « Maniete » qui, tout en frottant ses doigts à son tablier de toile, nous disait :

Ah! vous voilà!... ne vous reposez pas trop longtemps, qu'il faut vite remplir de raisins ces deux comportes !...

On ne demandait pas mieux que d'aller librement dans la vigne, sous le feuillage argenté des oliviers. Je crois que ce n'est pas nous, les jeunes, qui abattions le plus de besogne. Pourtant, à midi, les comportes regorgeaient de raisins. Après dîner (repas de midi), on dépouillait les grappes, afin de ne remplir que de grains intacts et sains une troisième comporte. Pour cet ouvrage, nous étions assis en rond, sur des chaises basses ou sur des tabourets. On disait des bêtises, on riait pour des riens, pour le plaisir, comme les oiseaux chantent. Et pourquoi ne pas l'avouer? Quand nos mamans s'en allaient dans la cuisine à quelque occupation, chacun embrassait furtivement sa Muse qui, sans s'écarter jamais, feignait chaque fois d'être surprise.

Oh! que ma Muse à moi était jolie, blonde, délicate, avec des yeux bleus, ou gris, je ne sais plus à présent, des yeux où je voyais tant de douceur et de franchise! Rien que d'entendre sa voix musicale, rien que de regarder le mouvement de sa robe, la couleur frissonnante de son corsage ou de son cou rose ou de ses fossettes menues, j'avais la tête tournée d'ivresse, et, pauvre innocent que j'étais, je me croyais au ciel, ou presque, auprès d'un ange gardien dont les mains sur les miennes déposaient leurs plus radieuses pro

messes...

Il faut dire encore que nous ne restions pas tout le jour dans le grangeot. Nous allions par les alentours cueillir des mûres, des « doucettes », ou simplement explorer le paysage aux noms si pittoresques, Roustanienque, Maldinath, Chichiri. Au pied du coteau, dans un val paisible, tapissé de pelouses, ombragé de bosquets, s'écoulait tantôt sur des cailloux, tantôt sur du sable le discret Tartuyé, dont l'eau limpide reflétait les lueurs changeantes du soleil et des verdures. On se promenait lentement sous les arbres, dans les sentiers qui bientôt s'égaraient parmi des roseaux touffus.

Dans le divin paysage, il y avait du monde, sur le chemin qui longe le ruisseau, vers les granges cossues

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et les fermes. Partout la terre retentissait de la rumeur des charrettes remontant aux vignes ou s'en retournant à la ville avec des comportes pleines. Et les fermes, les granges, la terre même, exhalaient une forte odeur de vignes piétinées et de tas de grappes saignantes.

Le quatrième ou cinquième jour, au grangeot, on faisait, pour la dernière fois, bouillir le raisiné dans un vaste chaudron de cuivre. Nous autres, pour montrer quelque dévouement, nous allions, chacun à tour de rôle, la louche en main, enlever du bouillant liquide l'écume épaisse qui eût souillé les confitures. Devant le feu d'enfer, que Maniète alimentait sans cesse, nos visages écarlates ruisselaient de sueur. Mais c'était une raison pour que nos Muses nous fissent une caresse, en épongeant notre front de leurs mouchoirs, et en nous grondant un peu de nous être vraiment trop sacrifiés.

Le soir, on rentrait en ville, tout joyeux d'avoir bien travaillé. Dès notre rue Saint-Jean, si bavarde et si gaie, nos voisins nous interpellaient :

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Eh bien, ces confitures?

Elles seront achevées demain. On vous en fera

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Un des types les plus curieux parmi les voitures automobiles de 1922 est certainement le cyclecar : né d'hier, il a déjà pris une extension prodigieuse. Au Salon, la foule entourait ces petites machines qui se présentaient sous tant de formes différentes. Certaines d'entre elles, soignées, luxueuses même d'allure, semblaient des automobiles en miniature, montées sur quatre roues, pourvues d'un capot arrondi, d'un radiateur et d'une carrosserie confortable. D'autres, moins rassurantes d'aspect, évoquaient les anciens tricycles à pétrole. Leur moteur, dédaignant toute couverture, étalait au grand jour le mécanisme de ses entrailles, leurs roues écartées les unes des autres, les sièges sommaires mis à la disposition des passagers leur donnaient un aspect d'audacieuse improvisation qui ne manquait peut-être pas d'élégance. Une troisième espèce, enfin, semblait avoir adopté une solution intermédiaire. Si leur apparence extérieure était celle d'une véritable voiture, en revanche, un radiateur que l'on sentait faux, puisque le jour passait au travers, et un capot, trop long pour l'habitant qu'il logeait, les auraient volontiers fait prendre pour des voitures à pédales à l'usage de gros enfants.

On s'explique tant de conceptions différentes en songeant que le cyclecar est soumis à un règlement sévère qui limite son poids et les dimensions de son moteur. Il est fils de la motcyclette, non pas de l'automobile, et nous vient d'Angleterre. En perfectionnant la motocyclette dont ils sont devenus véritables spécialistes, les Anglais trouvèrent le side-car. Puisque l'on consentait donc à rouler sur trois roues, mieux valait en profiter pour tenter de réaliser un véhicule qui fût motocyclette par la simplicité tout en y ajoutant les avantages de confortable d'une voiture. Ainsi naquit le cyclecar. Importé en France, il fut vite adopté. Une nouvelle chambre syndicale lui donna une formule limitant à 1.100 cmc sa cylindrée, à 350 kilos son poids. Le Service des Mines approuva le projet qui lui fut soumis. Tout propriétaire d'une voiture réunissant ces deux conditions ne paiera que 100 francs d'impôts par an, quelle que soit la puissance de son moteur.

Les marques françaises de cyclescars sont maintenant trop nombreuses pour qu'on les cite toutes. Beaucoup

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de constructeurs de voitures, tels que Citroën, Bignan, Mathis, ont même ajouté ce petit engin à leur programme. On peut maintenant signaler deux écoles différentes. L'école voiture et l'école cyclecar. La première veut construire le cyclecar comme une voiture en réduc tion, moteur à quatre cylindres, refroidissement à eau, transmission par cardan; elle donne comme argument la plus grande souplesse du quatre cylindres qui, fatiguant moins la transmission, permet de consacrer des pièces d'acier moins résistantes à sa fabrication, l'avantage de la circulation d'eau sur le refroidissement à air et d'une manière générale la possibilité de faire profiter le cyclecar de tous les progrès accomplis par l'automobile. L'autre école part de ce principe qu'un véhicule de 350 kilos doit être construit d'une façon simple et robuste, de façon à nécessiter un entretien moins grand que celui d'une voiture. Elle allègue également l'inutilité sur le cyclecar de certains dispositifs, comme le différentiel, indispensables à la voiture en raison de son poids.

L'école cyclecar, venue la première, a donné de bons résultats. Cependant l'avenir semble favorable à l'école voiture. En effet, la construction automobile est assez avancée maintenant pour permettre la réalisation de modèles réduits basés sur les mêmes principes que les gros moteurs et travaillant avec le même succès. I semble donc que l'école cyclecar soit arrivée à son summum de perfection. Peut-être la bonne solution résiderat-elle dans une combinaison des deux principes. Certains constructeurs ont déjà eu cette idée.

Parmi les cyclecars purs, les trois plus célèbres sont le Morgan, le G. N. et la Bedelia. Le Morgan, très connu en Angleterre, est monté sur trois roues, sa forme bizarre et ramassée surprend tout d'abord; on s'aperçoit ensuite qu'elle est une condition de robustesse; les trois roues lui donnent de la vitesse en diminuant l'adhé rence, mais il faut reconnaître que la suspension s'en res sent; le moteur est un deux cylindres en V refroidi par circulation d'eau ; malgré sa position précaire qui l'expose aux chocs des cailloux de la route, il fonctionne régulièrement.

Le G. N., conçu en 1908 par deux ingénieurs anglais, MM. Godfrey et Nash, est construit en série par les usines Salmson. Son châssis, très original, étonne par sa simplicité. Deux cylindres à ailettes de 84-98 placés en V, lui font une heureuse symétrie. L'arbre, relié au moteur par un embrayage à cône cuir, communique son mouvement aux roues par l'intermédiaire de pignons à chaînes. Pour mieux assurer le refroidissement, les têtes de cylindres sortent de chaque côté du capot, ce qui procure à l'ensemble un aspect assez caractéristique. Les roues avant bien détachées du châssis, assurent une stabilité parfaite en vitesse.

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La Bedelia est l'un des plus anciens cyclecars. Elle présentait autrefois sous la forme bizarre d'une

longue caisse maintenue à quelques centimètres du sol par quatre roues de bicyclettes. Le type 1921 est sensiblement amélioré, mais présente encore le système de transmission par courroie que le constructeur préfère à tous autres pour l'avoir soigneusement étudié. Le changement de vitesse se fait par deux trains de galets lisses, les courroies de transmission viennent s'enrouler autour du train avant l'appliquant contre l'autre, de sorte que l'effort demandé aux roues arrière motrices a pour résultat d'augmenter l'adhérence des deux trains de galets, par l'intermédiaire des courroies, et d'éviter le patinage.

Un autre cycle se fait remarquer par sa conception simplifiée, c'est le Mourre. Le moteur est un deux-temps deux cylindres. L'aspiration se fait dans l'un, l'échap pement dans l'autre, et l'explosion dans les deux. Le changement de vitesse s'obtient par deux plateaux de friction, et l'impulsion est donnée aux roues à l'aide

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