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cuniairement parlant, les grands triomphateurs du XIX siècle ont été Alexandre Dumas père, Eugène Sue, Frédéric Soulié. Inutile, n'est-ce pas, de rapprocher de ceux-ci les noms de quelques-uns de nos contemporains? Nous les avons sur les lèvres. Pour les autres, ainsi que le disait Sébastien Mercier, dans son Tableau de Paris, << on met encensoirs et cassolettes sur leurs tombeaux : de leur vivant on les laisse dans l'indigence ».

Sébastien Mercier disait encore : « Les pensions que le gouvernement accorde aux gens de lettres ne se donnent ni aux plus pauvres ni à ceux qui ont le plus utilement travaillé les plus souples, les plus intrigants, les plus importuns enlèvent ce que d'autres se contentent d'avoir mérité au fond de leur cabinet ». Le Crédit intellectuel, s'il existe un jour, saura-t-il se protéger des écrivains les plus souples et les plus intrigants? Je le souhaite et j'en doute. Mais je signale à ses futurs directeurs un moyen d'action admirablement efficace. Le poète Chérile, ayant accompagné Alexandre le Grand dans son expédition, fit avec lui un marché singulier. Chérile devait lire les vers consacrés à la gloire d'Alexandre et recevoir un philippe pour les bons, un soufflet pour les mauvais. Hélas! Chérile ne reçut que sept philippes. Pourquoi ne pas tirer profit, au Crédit intellectuel, de cet exemple et imposer l'épreuve préalable? A. DE BERSAUCOURT.

Le Congrès d'Histoire de l'Art.

L'initiative que prit la Société d'Histoire de l'Art français fut excellente. A Paris se réunirent, du 26 septembre au 15 octobre, de nombreux congressistes de tous les pays. Il y eut plus de mille inscrits ; ce fut un succès plus qu'honorable. Depuis la guerre, on avait perdu l'habitude de ces assises internationales; c'est à Paris qu'elle a été reprise, et en dehors de tout élément germanique. Les organisateurs eurent l'excellente idée de n'inviter aucun Allemand; il y aurait certainement eu un ou plusieurs savants teutons capables de faire une communication « scientifique » sur les églises démolies par leurs compatriotes! On a très bien fait de les laisser chez eux.

La séance d'inauguration fut solennelle. On regretta d'abord l'absence du ministre de.l'instruction publique ; mais on la regretta moins lorsqu'on eut entendu le discours du directeur des Beaux-Arts, d'une belle tenue littéraire et d'une grande élévation de pensée... Puis on vit le défilé curieux des délégués étrangers qui vinrent faire entendre des idiomes variées (car bien rares furent ceux qui s'exprimèrent en pur français); leurs déclarations étaient presque toujours les mêmes : « La grande France, la France immortelle, la France mère des arts. »> Sur ce point, le représentant du Japon était du même avis que celui des Etats-Unis. On ne nous en voudra pas de dire que deux délégués nous frappèrent par la sincérité de leur hommage à la France: celui de Belgique (M. Fierens-Gevaert) et celui de Tchécoslovaquie. Et n'ayons garde d'oublier le discours de M. André Michel qui fut une très belle conclusion à cette première séance qui se tint, devant un auditoire très nombreux, en l'amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne.

Puis on se mit au travail; et le travail consista à écouter religieusement, et à discuter parfois, des communications érudites. Ce n'est pas notre rôle, mais celui des revues d'art, de signaler ce que ces savants discours ont apporté d'original et de nouveau. D'autre part, on a appris par les journaux quelles furent les excursions offertes aux congressistes.

Tout congrès qui se respecte se termine par des vœux. Les historiens de l'art ne manquèrent pas d'en émettre et, parmi ceux qui furent votés, il en est d'importants et

de nécessaires; les corps constitués de notre Etat en tireront profit. Les congressistes prêchèrent pour leur saint et demandèrent qu'on étendît dans les universités l'enseignement de l'histoire de l'Art. Quoi de plus légitime? Ils prièrent même, discrètement, les pouvoirs publics de faire à l'art moderne une place digne de lui; partout où cette spécialité a de bons laboratoires, le haut enseignement des Universités a été, par là-même, enrichi, accru; et telles nations, comme l'Italie, la Belgique, nous offrent des preuves évidentes de son sérieux, de son utilité, de sa portée, de sa vertu éducative et nationale.

On eut d'autres préoccupations: tout ce qui touche à l'échange de photographies d'œuvres d'art, à la création de grands répertoires fut abordé. M. Théodore Reinach se demanda si on ne ferait pas bien de réunir en un seul grand musée de moulages tous les musées spéciaux de moulages qui existent à Paris ; et tout le monde fut de son avis. Qui donc aura assez de puissance pour réaliser ce vœu et créer ainsi, à Paris, un admirable instrument de travail qui ferait pendant à celui que M. Jacques Doucet a créé, de toutes pièces, avec sa Bibliothèque d'Art et d'Archéologie, libéralement donnée à la Sorbonne ?

En définitive, il n'est pas douteux que ce Congrès d'Histoire de l'Art n'ait eu un grand succès. Lorsque seront publiés, en deux beaux volumes accompagnés de nombreuses reproductions, tous les actes et toutes les communications du Congrès, on sera encore plus frappé de son importance; remercions la Société de l'Histoire de l'Art français d'avoir si bien organisé une manifestation internationale, qui lui fait honneur et qui fait honneur à la France.

JEAN ALAZARD.

Le Club des Cent.

Le Club des Cent vient de faire une excursion gastronomique dans le Bordelais.

ou

Ce club n'est nullement celui des cent kilos; il est celui des cent gourmets. Cela n'a aucun rapport, presque. Car ne croyez pas que les goin fres soient bien vus parmi ces dilettantes. Manger n'est pas une fonction, c'est un art, a dit quelqu'un. On raconte qu'à une précédente excursion en Bourgogne, un invité ayant légèrement dépassé sa capacité, si l'on peut dire, et s'étant trouvé avouons-le un peu gris, celui qui l'avait amené fut sévèrement admonesté, et d'aucuns disent même expulsé. Encore une fois, manger est un art, et non une excuse aux plus grossières passions.

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Le Club des Cent rend à notre pays des services utiles. Car jadis les étrangers célébraient tous l'excellence des auberges et principalement la chère honnête, voire raffinée, que l'on trouvait dans les moindres d'entre elles. Ce temps, assure-t-on, était passé lorsque quelques citoyens généreux et animés du plus pur patriotisme eurent l'idée de se réunir et de fonder le Club des Cent.

Autour d'eux se groupèrent quelques amateurs de bonne volonté qui prirent à tâche d'explorer courageusement les contrées les plus atteintes par l'affreux «< prix fixe» des palaces et d'y signaler les cuisiniers et les aubergistes qui s'efforçaient de maintenir les bonnes traditions gastronomiques. Aujourd'hui chaque membre du Club des Cent s'engage à indiquer les bonnes auberges où le hasard et son auto auraient pu le mener. Il en interviewe le patron. Il obtient de lui la révélation des plats qu'il sait le mieux faire et contrôle. Il note la commodité des lieux, la qualité des ingrédients, la propreté du service, l'agrément du site. Il ne néglige pas de tenir compte des prix, car les Cent n'admettent pas les << estampeurs ». Puis il communique ces renseigne

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ments à ses confrères qui, à l'occasion, les vérifient; et c'est ainsi qu'il se dresse au Club des Cent une carte gastronomique de la France aussi étudiée que celle de l'état-major, mais qui sert à d'autres opérations, plus agréables.

Or, le 28 septembre dernier, le Club des Cent partait pour le Bordelais, convié par les propriétaires des crus fameux et par les artistes culinaires de ce pays renommé entre tous à goûter leurs vins et leur bonne chère. On assure que l'excursion a réussi à merveille et qu'elle a offert la preuve de la bonté de nos vins et du raffinement de notre cuisine méridionale, non moins que de l'endurance à laquelle un entraînement savamment gradué peut amener des athlètes un peu doués.

A la fin de chaque repas, pour l'agrément des convives, comme aussi peut-être pour leur digestion, il était coutume que l'un d'eux se levât et fît un petit speech. Or, dans ces discours, les médecins ne se trouvaient pas loués autant qu'il l'eût fallu. C'est bien naturel n'est-ce pas eux qui prescrivent les régimes expiatoires ?

:

se piquer au jeu et hâter ses réponses aux demandes des abonnés, ce serait une excellente chose.

Les pompiers parisiens ne seront-ils pas tentés de suivre l'exemple de leurs collègues lyonnais? L'ingénieux système d'assurance que ceux-ci ont imaginé fait qu'en somme l'installation des lignes finirait par ne rien coûter à la ville. En ces temps de difficultés budgétaires, cette considération n'est pas négligeable.

Les abonnés ne manqueraient pas à Paris. Du moins, il est permis de le croire, en raison même du prodigieux développement pris, depuis la guerre, par l'industrie, dans la banlieue de la capitale, et par le commerce, dans le centre même de la ville.

Les pompiers de Paris, toujours empressés à améliorer le fonctionnement de leur service, ne retiendront-ils pas la suggestion lyonnaise comme un réel progrès dans l'organisation de la lutte contre l'incendie?

Le téléphone est d'un usage encore trop peu courant en France, et cependant il est le symbole de la rapidité; or, pour arrêter le feu dévastateur, cette qualité est la première requise. Il faut donc adopter, ou tout au moins

Le dernier jour, ce fut une des dames invitées qui essayer, tout système nouveau susceptible de l'acquérir demanda la parole:

« Messieurs, dit-elle en substance, mon mari est médecin. Croyez bien néanmoins que mon sixième enfant, qui naîtra sous peu, sera élevé dans l'amour du bon vin et de l'excellente cuisine française. »>

Telle est une des conversions dont le Club des Cent est le plus fier. Mais peut-être n'était-elle plus à faire.

PISTOR.

Allô! Allô! Les pompiers ?

Il est probablement très amusant de briser la glace d'un avertisseur d'incendie... même quand il n'y a pas d'incendie, car l'année dernière, à Paris, sur 2.400 appels, il y a eu 1.100 fausses alertes.

Dans ces conditions, on comprend qu'une grande ville qui a l'intention de perfectionner ses armes contre l'incendie, ne soit pas précisément séduite par ce sys. tème.

Aussi, les sapeurs-pompiers de Lyon ont trouvé mieux. Ils vont inaugurer prochainement un « standard » téléphonique les reliant directement avec le public. Ce sera le premier en France: il présentera de réels avantages.

Et d'abord le bon marché. Alors que l'installation des avertisseurs à bris de vitre eût coûté au moins 3 millions, le standard ne reviendra pas à 40.000 francs.

Puis la rapidité et le contrôle des communications. La caserne des sapeurs-pompiers sera reliée directement avec les postes de police, les théâtres et les établissements publics civils ou militaires et, d'autre part, avec les particuliers qui voudront s'abonner.

Le prix de cet abonnement sera décompté suivant la distance; les frais de pose des lignes s'élèveront à 2.000 francs environ. Les industriels et les commerçants trouveront que cette somme est bien minime en regard des avantages que leur procurera cet abonnement. En cas d'incendie, le sinistré précise donc par télé

phone la rue et le numéro.

Le téléphoniste, prévenu par une sonnerie, voit s'allumer un « voyant » lumineux. Il note sur un registre l'heure et la minute et, sans quitter le « standard »>, commande les voitures nécessaires. Le départ et la rentrée de ces voitures lui sont signalés par un ingénieux système de « voyants » rouges.

Il paraît que l'administration des P. T. T. n'a pas vu d'un très bon œil cette innovation, qui a pu lui sembler un blâme à la lenteur de ses transmissions. Mais cet état d'esprit disparaîtra, et si cette administration pouvait

et de la développer au maximum.

Les Idées

René VALLET.

Sur la philosophie de Charles Maurras

En rééditant son Chemin de Paradis (1) et en publiant dans la collection Joachim Gasquet sa plaquette : Inscriptions (2), M. Charles Maurras nous a rendu ou donné des œuvres admirables, pleines de sens et de suc, et qui, d'abord, nous placent au cœur et à l'origine de sa philosophie. Cette philosophie, certes, il ne saurait être question d'en traiter dans un article de circonstance. Profitons de l'opportunité, toutefois, pour en faire le thème de quelques utiles propos.

M. Maurras expose son dessein en des passages lumineux du manifeste dont il accompagne ses contes. « Le bien qu'il veut, dit-il de son petit livre, c'est celui de l'intelligence et puis le bien de la cité. Il aspire à deux choses la conception juste et correcte de l'idée pure et cet avantage commun que les hommes poursuivent quand ils mettent leur vie en société. Bien penser dans la solitude de l'âme, puis, dans la mêlée, réaliser le bien public, ce sont les tendances maîtresses... >>

C'est annoncer que la pensée sera constructive, générale et sociale, ce dernier mot pris dans une signification tout autre que celle que le monde moderne fui a donnée. « Je n'avais qu'un désir, avoue l'auteur dans son appendice, c'était d'atteindre l'individualisme. »> La doctrine de l'art pour l'art, de la vie pour la vie, ne lui inspire pas moins d'horreur. « Autant, ajoute-t-il, il me sembla toujours beau et bon de vouloir vivre en sublimant tout ce qui vit pour une cause digne d'entiers sacrifices, autant je me sens l'âme entière cabrée et mise en garde contre le vain et vide panégyrique de l'action pour l'action, l'éloge indéfendable de l'effort pour l'effort. Seule l'idée justifie l'être, et sa cause finale juge le mouvement. >>>

Qu'est-ce que M. Maurras apportait dès lors à la personne et à la cité ? A celle-là, en réaction violente contre la tyrannie du sentiment, il impose une vie Spirituelle fondée sur l'harmonie, le nombre et le triomphe de

(1) Ed. de Boccard. (2) Librairie de France.

l'intelligence: pour celle-ci, il préconise la salutaire contrainte des forces conservatrices. Et il présente en quelques pages magistrales, sur lesquelles nous demanderons à nous attarder et qui seraient à citer tout entières, une critique de l'esprit de révolution.

Il ne lui semble pas que les grands bouleversements qui, de temps en temps, changent la face des destinées sociales et aiguillent les peuples sur des voies nouvelles, entrent dans l'ordre naturel et il nie que ces catastrophes soient des facteurs du progrès. Il estime, au contraire, que l'instinct dernier des collectivités comme des individus les pousse à durer, à persévérer dans l'être et il conclut par cette grande parole: « Maintenir, c'est créer. >>

« Rien n'est jamais définitif », dit-il. En faut-il conclure qu'il faille souhaiter que tout soit branlant? Quand on aura senti l'injustice de ce désir, on aura décoiffé l'esprit révolutionnaire de la dangereuse auréole d'héroïsme idéal que lui ont mise cent trente ans de divagation, autour des faux noms de bonheur. Rien n'est plus facile que les révolutions; l'histoire en est pleine, comme de bûchers et de tombes. Le beau, le difficile, c'est d'éviter la secousse et de parer à la subversion, de donner l'avantage à ces précautions que la nature même

a prises pour tenir contre l'ennemi de la vie. Naviguer

et conduire au port, durer et faire durer, voilà les miracles.

Remarquez ces mots dont se sert notre auteur: hiérarchie-justice (au sens antique), harmonie et leurs contraires. Il dresse contre l'anarchie, qu'a suscitée un siècle de dévergondage sentimental, les armes de l'intelligence. C'est de cette vertu, la qualité humaine par excellence, qu'il espère le redressement des valeurs. Elle doit nous. réapprendre, en effet, que l'univers est un système et qu'à son image il nous convient de nous ordonner, que notre bonheur tient dans la connaissance exacte et l'amour de notre place, maître ou serviteur, qu'une discipline exacte doit lier, comme les membres au corps, les citoyens à la cité.

qu'effleurer. Si nous en admettons l'exactitude fondamentale, on sait les graves amendements que nous croyons devoir y apporter. La passion tout intellectuelle, la tournure d'esprit de l'auteur du Chemin de Paradis et son besoin d'agir l'ont rangé à la tête d'un parti qui au nom de l'expérience se prononce contre l'expérience, et l'ont amené, sur le catholicisme, à des erreurs d'appréciation qu'il était trop bien doué pour ne pas commettre. De plus, il y a une vertu de l'individualisme qui reste trop dissimulée ici et une générosité de l'âme moderne, si nulle et si futile, par ailleurs, qu'il eût fallu retenir. La médecine maurrassienne, en un mot, constitue un remède bien trop rude pour un corps épuisé.

Mais c'est une pensée capitale et il est vrai que nous périrons de ne la pouvoir suivre. Elle nous permet d'entrevoir que si la démocratie ne saurait être rendue responsable de tous les malheurs qui ont fondu depuis plus d'un siècle sur la triste humanité, elle ouvre du moins aux excès de l'ignorance ou de la sottise un chemin favorable et qu'on a raison de la tenir coupable de l'effrayante bassesse où sont descendus les esprits. Car l'âge du peuple souverain aura été celui de l'instruction » du scientisme, et de la plupart des déviations mentales par lesquelles notre déchéance s'est opérée.

obligatoire, de la « méthode historique

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M. Charles Maurras, en nous le contestant, se l'avouera peut-être tout bas: la façon dont il est compris ou exalté, servi ou combattu, montre à quel point il dépasse une époque et une pseudo-élite trop loin de sa parole féconde, de ses paradoxes et de son enseignement subtil. Il eût été goûté à Athènes, à Alexandrie, peutêtre au fond de quelque couvent par un disciple malicieux des scolastiques. Nous ne saisissons de lui que T'homme public. Du moins que la majesté familière et un peu rude de son verbe, la claire hauteur de son intelligence le rendent sacré jusqu'aux barbares qui, dans la bataille politique, lancent contre son armure impénétrable et fallacieuse leurs flèches émoussées.

Notre philosophe va plus loin et plus haut. Cette vie qu'il règle, il la juge et la met en sa place. Il la sait précieuse, délectable et aussi inconsistante et vaine. Son autre pôle, la mort, ne lui paraît pas moins suave, dans son immobilité qui accorde tout mouvement. Il s'écarte Le Théâtre de l'infini, inaccessible ou illusoire, pour se ranger sous les nombres qui mesurent son sort. Il se console de l'insatiabilité du désir en le soumettant à son libre jeu et il se repose des fatigues terrestres en considérant, sans trop y croire, le pâle paysage des Enfers.

Gardons-nous de croire que ces conceptions, qui paraissent, à les résumer, un peu austères, ne comportent ni charme, ni sensibilité. L'art de M. Maurras dialectique et poésie - est un art incomparable et nous n'avons pas à en parler. Sa sensibilité ne le cède à nulle autre. Elle a, certes, son caractère. Elle est violente, réservée, elle déteste le bavardage lyrique. Elle réfléchit l'âpre luminosité du ciel de Provence luisant sur l'étang de Berre, les herbes de la Camargue, les pierres de la Crau ou les collines à nu que ronge un impitoyable soleil. Savourez-la dans cette courte pièce qui contient aussi toute la doctrine: grandeur dans la contrainte de l'amour, désastre d'un égoïste isolement :

Si votre cœur est humble et votre âme très pure
Venez, il est permis de le dire tout bas,
De toutes les grandeurs vous êtes la mesure,
Un ciel intérieur illumina vos pas.
Mais, sans te souvenir du lieu de ta naissance,
Ta fière déité rit-elle de la loi,
Fuis, la foudre a marqué d'une haute vengeance
Des êtres plus chétifs et plus vides que toi.
Ne pensons pas à l'exégèse et à la critique de cette
doctrine que d'excellentes et copieuses gloses n'ont pu

Rentrée

GONZAGUE TRUC.

Bien peu de nouveautés sur l'affiche. Ne nous plaignons pas cependant de l'abondance des reprises. L'art théâtral n'est pas en progrès, nous écoutons encore avec plaisir quelques pièces que le succès et l'ancienneté ne parviennent pas à vieillir. Certaines résurrections font grand tort aux derniers-nés.

Si l'on veut bien considérer le théâtre comme un divertissement, on est tout étonné du goût manifesté par un grand nombre de gens pour les spectacles d'horreur. Que les auteurs soient tentés par les effets faciles comprend très bien; on fait frémir, on fait pleurer de situations aussi atroces qu'abracadabrantes, cela se plus aisément qu'on ne fait rire ; on peut toujours battre les gens; les amuser, c'est une autre affaire !

Mais qu'il se trouve des familles entières. tout heureuses d'assister aux drames du Grand-Guignol, cela prouve un manque de nerfs et d'imagination prodigieux. Il y a des gens qui recherchent les émotions, qui savent bien, aussi, que celles que l'on éprouve dans la vie se payent parfois un peu cher. J'imagine qu'ils goûtent aux drames noirs le même plaisir que celui qui triche au jeu. Ils trichent avec leur sensibilité, ils tremblent sans avoir peur et pleins d'une pitié qui ne leur coûte rien, ils s'en vont souper en sortant, sans songer qu'ils passent chaque jour près d'infortunes morales ou

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physiques curieuses, émouvantes, attendrissantes, et dont le seul défaut est de n'avoir pas subi le grossissement de la phrase.

Deux sombres histoires, trois actes légers, composent le nouveau spectacle du Grand-Guignol,

M. Léo Marchès nous montre dans l'Homme de la nuit un maniaque dont la folie consiste à violer les sépultures. Nous sommes dans un atelier qui donne sur un cimetière, dans la banlieue de Londres. Lorsque le rideau se lève, deux jeunes femmes venues dîner chez le peintre Halders, songent à regagner leur domicile.

Une secrète angoisse pèse sur l'assistance, dirait l'indication scénique. Un orage gronde, les femmes sont nerveuses, le domestique est bizarre. Après le départ de ses amies, Edith Halders confie à son mari que les allures de cet homme l'inquiétent; la répulsion que le voisinage du cimetière inspire à Maggy et à Flossie, a fini par l'impressionner, elle aussi. Son mari la calme et l'envoie se coucher.

La scène reste vide, tout est éteint, lorsque, à la lueur des éclairs on voit une silhouette s'introduire dans la pièce, ouvrir la fenêtre et descendre dans le cimetière par le balcon.

Au second acte, le lendemain matin, on apprend que plusieurs sépultures ont été violées, que depuis quelque temps déjà la police a été avertie de faits semblables, sans pouvoir découvrir le criminel. Cette fois-ci, des traces dans la boue ont mené jusqu'au balcon d'Halders. Les soupçons se portent immédiatement sur le singulier domestique. Interrogé par le détective, il avoue presque tout de suite qu'il est coupable... d'avoir volé un tableau d'Halders pour le vendre. Voyons ce tableau, dit le policier. C'est une étrange peinture; aussi lorsque Halders revient, le détective lui montre brusquement une chevelure de femme qu'il tire de sa poche; le peintre chancelle, puis avoue son horrible manie. Il est fils de fou, lui aussi est anormal; puis il s'empare d'un revolver et se tue.

Je n'ai point, pour ma part, frissonné un seul instant, malgré l'orage, malgré le cimetière et les cheveux fraîchement arrachés d'un cadavre pourri..

Quant au Rapide n° 13, un acte de M. Jean Sartène, c'est une histoire d'aiguilleur comme il nous en fut beaucoup conté. Le vieil aiguilleur attend sa petite-fille dont la mère est auprès de lui; abattu par une crise cardiaque, il ne peut faire manoeuvrer l'aiguille, et le train qui ramène l'enfant tamponne un autre convoi. La mise en scène de cette pièce est très ingénieuse le bruit et la fumée des gares y sont parfaitement imités.

Mado est un charmant petit acte de M. Maurice Level. Un jeune ménage prétend souper chez soi. Mado, fouillant dans la cuisine, croit découvrir que sa cuisinière la vole. Elle prend cet accident commun sans philosophie, fait réveiller la concierge et passe le reste de la nuit à éplucher ses comptes et à renvoyer Mélanie. Les acteurs enlèvent avec beaucoup de naturel et d'entrain cette pochade.

La Dame de Bronze et le Monsieur de Cristal, de M. Henri Duvernois, nous ramènent chez les fous, mais pour notre plus grand agrément. Les personnages s'expriment avec bien de l'esprit. On aimerait d'avoir le texte de sa pièce, afin de citer quelques-unes des choses charmantes qui frappent au passage, et que l'on craint de se rappeler inexactement, car elles sont nombreuses. Il serait dommage d'en changer le moindre mot.

Dans la maison de santé du docteur Alique, M. Sourcier vit heureux et tranquille, loin du fracas de son ménage. Il a la manie de se croire, tantôt fait de cristal et tantôt d'amadou. Cette conviction inoffensive a cependant suffi à le faire interner. Son ami Passaudeau vient le voir. Sourcier dans un élan de confiance lui avoue qu'il se croit de chair et d'os comme tout le monde, mais que

sa femme lui rendait la vie tellement odieuse, qu'il a simulé le détraquement cérébral, afin d'avoir un peu de paix et de solitude. Mme Sourcier vient lui rendre visite de temps en temps; au bout de dix minutes il la met à la porte et retrouve son calme et toute sa raison. Voici précisément l'épouse insupportable; munie d'une orange et d'un sac de pralines, elle arrive comme à l'ordinaire, mais, hélas ! il n'est plus question de départ. Elle ne veut plus vivre loin de Sourcier, aussi simule-t-elle la folie. Je suis de bronze », affirme-t-elle, et le docteur, malgré les explications du mari, boucle le ménage en diagnostiquant un « cas de contagion bien singulier >>.

Mme Daurand, MM. Louis Scott, Gobet, Defresne et Diemer ont très bien joué cette courte et bonne pièce. Au Théâtre de Paris, avec la Passante, de M. Henri Kistēmaekers, nous rentrons dans le drame. Masha Tscherbrof étchappe aux bolcheviks, grâce au Français Roger Latenac. En France, Roger Latenac se lance dans la politique. Il va démasquer un complot contre son pays, grâce à des documents que Masha lui apporte. Mme Latenac jalouse de la princesse Tscherkof lâche imprudemment son nom devant les ennemis de son mari. Ceux-ci font assassiner Masha pour s'emparer des papiers que Roger veut publier. Crime inutile, car celuici arrive à temps pour recueillir le dernier soupir de Masha et l'aveu de son amour, lorsqu'elle lui rend les documents cloués sur elle par le poignard de l'assassin.

Cette pièce paraît tirée d'un film; la mimique et la beauté de Mlle Véra Sergine lui donnent quelque intérêt. CLAUDE ISAMBERT.

La Curiosité.

Jardins japonais

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La mode des reconstitutions d'intérieurs en styles anciens ne s'est pas encore étendue aux jardins et c'est grand dommage pour les collectionneurs. J'y vois plus d'une raison. La première c'est qu'un jardin à Paris est la plus coûteuse des curiosités. La seconde qui dispenserait à la rigueur de la première c'est que nous n'avons pas de fleuristes antiquaires. Le jour où quelque horticulteur avisé annoncera l'ouverture d'un rayon de fleurs du XVI ou du XVII° siècle, tous les amateurs s'apercevront qu'il manque quelque chose à leur bonheur pour qu'il soit complet. Ils trouveront bien vite un pavillon et un parc à Chatou ou à Saint-Germain pour édifier un courtil moyenâgeux ou un parterre renaissant.

de

Certes, nos architectes-paysagistes cherchent de plus en plus à entourer les belles demeures d'autrefois et de maintenant de jardins à la française, en accord avec le style des constructions. De superbes conceptions à la Le Nôtre ont été réalisées aux châteaux d'Anet, à M. le comte de Leusse, de Condé-sur-Iton, à M. le comte de Jarnac; de Champs, à M. le comte Cahen d'Anvers ; Voisins, à M. le comte de Fels; du Marais, à Mme la duchesse de Talleyrand, pour ne citer que les plus notoires. Mais ces nobles perspectives, ces vastes tapis verts, ces larges allées bordées de revers gazonnés, ces parterres en dessins de broderie, ces lignes arrêtées, cette symétrie, tout cela dépasse le cadre un peu réduit où se meut P'imagination d'un curieux. Ce qu'on n'a pas encore reconstitué et ce qui pourrait certes devenir le divertissement de plus d'un collectionneur, c'est le jardin pour petites résidences, comme l'appelaient au XVIII° siècle Blondel et ses émules, le jardin du grand-prêtre de Flore de La Fontaine, le parterre d'Alençon où Henri d'Albret cueillait la Marguerite des Marguerites pou sa royale fiancée, le courtil fleuri qui entourait la for

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conduit la taille de ces arbres pour les empêcher de grandir, qui a posé les touches de cette polychromie bizarre de feuillages pourpres, verts, sombres, gris, de ces fleurs étranges qu'on dirait échappées de quelque estampe d'Hokusai ou de Sharaku. Rien n'y manque, pas même les rochers semés dans le gazon, faits de souches de vieux saules rongées par des légions de rats, ni la colline artificielle où s'élève le modèle d'un temple en bambou. De ce coteau, haut comme une taupinière, cette nature artificielle apparaît comme une boîte de jouets qu'une nuit de décembre, un père Noël aurait laissé tomber pour servir d'amusements champêtres aux enfants sages.

teresse de la Rose gardée par « Dangier ». Je m'étonne encore une fois que quelque amateur de collections inédites n'ait pas encore tenté de reconstituer un de ces petits jardins d'agrément que nous voyons dans les enluminures des missels, avec leurs plates-bandes géométriquement disposées, leurs bordures de buis ou de gazon, leurs modestes fleurs vivaces, leurs clôtures de haies ou de treillages, leurs vignes enlacées en tonnelles. Il y planterait la marjolaine, l'ancolie qui équivoquait si bien avec «< mélancolie » pour les poètes, la renoncule l'œillet, la jacinthe, le lilas, la violette, la marguerite, les demoiselles de lavande artistement taillées. Il y mettrait aussi la rose, non pas la superbe fleur créée par nos horticulteurs, mais la rose à simples pétales, la modeste fleurette qui s'épanouissait au clair matin et que l'amou-grands enfants? Avant la guerre on a vu passer à l'hôreuse de Ronsard voyait flétrir avant le coucher du soleil.

Comme ce serait amusant si l'horticulture revenait à ses premiers balbutiements pour retrouver ces douces fleurs qui ont alimenté d'images la poésie des trouvères ou de la Pléiade !

Ce qu'on n'a pas fait ou pas songé à faire pour la France, des amateurs l'ont fait pour l'ExtrêmeOrient. Il existe au moins trois jardins japonais autour de Paris, celui de M. Kraft, à Jouy-en-Josas; celui de M. Kahn, à Saint-Cloud, et celui de M. le baron de Rothschild au château de Boulogne. Mais ces jardins sont jalousement fermés aux regards profanes.

L'autre jour, cependant, celui de Boulogne s'est ouvert pour les membres du Congrès d'histoire de l'art, conviés à visiter cette belle demeure qui abrite, dans ses salles meublées de ce que les grands artisans du XVIII siècle ont laissé de plus achevé en meubles, en bronzes, en objets d'art, d'incomparables toiles de Watteau, Lancret, Boucher, Fragonard, Drouais, côte à côte avec des petits maîtres hollandais tels que le Louvre n'en a pas de plus purs. Mais ceci est une autre histoire. Comme le disait M. le baron de Rothschild, en recevant ses invités des deux mondes, avec une bonne grâce souriante où se glissait peut-être un grain d'ironie: « Il n'y a pas grand'chose à voir ici. Promenez-vous ! C'est le paysage surtout qui est beau. ››

Il est à vrai dire enchanteur. Dans ce cadre démesurément élargi de verdure, où de grandes percées laissent apercevoir au lointain la molle inflexion des coteaux de Saint-Cloud, on se croirait transporté dans quelque domaine de Touraine ou d'Anjou. Il faut faire un effort de mémoire pour se souvenir que les tribunes d'Auteuil sont à deux pas et que le chemin de fer de ceinture court tout autour de la grille de clôture.

Rien non plus n'indique le jardin japonais. Aucun mur, aucune barrière. C'est la nature elle-même qui se transforme, et nous avertit, par des transitions insensibles, du changement d'hémisphère. Les grands arbres se font plus rares. Ils cèdent la place à des pins minuscules, à des arbustes nains, à des allées lilliputiennes, à des rigoles sur lesquelles sont jetés de petits ponts en dos d'âne. On entre en Extrême-Orient. Impression étrange! Ces pins, des plus petites espèces, biscornus, tordus, à peine de la taille d'un enfant malgré leurs troncs crevassés et moussus, font songer à ces chênesverts accrochés aux anfractuosités des rochers sur les bords de l'Océan et couchés par le vent du large. Tout autour c'est la dune avec ses vallonnements innombrables, ses plantes rabougries, ses fleurs à ras du sol. Mais ici, les forces de la nature ne sont pour rien dans l'arrêt de la végétation C'est la main de l'homme, seule, qui a créé cette forêt vierge vue au microscope, qui a enfermé dans ces étroits canaux bordés d'iris et de lotus l'eau de la cascade voisine, qui a tracé ces allées de poupée, étagées en gradins et pavées de rondelles d'arbres ou de beaux cailloux plats, qui a patiemment

Mais les collectionneurs eux-mêmes ne sont-ils pas de

tel Drouot, si j'ai bonne mémoire, toute une série de ces petits arbres nains, qui se sont vendus plus cher que des chênes ou des noyers de trente pieds. Il y avait quelques-uns de ces échappés du jardin des supplices qui comptaient, paraît-il, des centaines d'années d'existence. Je le veux bien, mais je n'oublie pas non plus qu'au Japon, comme en Chine, on jongle volontiers avec les

siècles.

Il y a d'ailleurs d'ingénieux procédés pour faire acquérir aux arbres nains un air de vétusté. On les enduit de plusieurs couches successives de mélasse. Ce régal attire les fourmis, qui attaquent l'écorce et y occasionnent des gerçures. L'ingénieux artifice a été observé par lord Macartney, dans son voyage en Chine et en Tartarie. C'était en 1792. Comme le truquage est vieux! HENRI CLOUZOT.

Enquêtes

Les morts vivent-ils ? (1)
Enquête sur l'état présent

des sciences psychiques

VII

Il est évident qu'une enquête de ce genre ne saurait s'étendre davantage dans le cadre de cette revue; et, au surplus, nous en avons dit assez maintenant, sans doute, pour montrer combien, ainsi que je l'ai déjà écrit à plusieurs reprises, la situation est embrouillée. J'avoue que, pour ma part, je m'attendais à quelque chose peut-être de plus précis, en m'adressant à ceux qui se sont consasacrés à l'étude de ces questions... Ceci n'est pas une critique, mais une simple constatation, sur laquelle on pourrait déjà s'appuyer, d'ailleurs, pour dire au pubic, en manière de conclusion:

-Attention! N'allez pas prendre une attitude affirmative ! Vos maîtres et vos guides sont encore, eux, vous voyez, bien hésitants !

le

Là-dessus, quelqu'un m'écrit :

Mais vous devez finir par être noyé vous-même, dans ce flot de contradictions !

Le fait est qu'il est devenu assez difficile de surnager!
Cependant, essayons.

Je demande au lecteur la permission de ne pas prendre ici un ton solennel, mais de garder tout simplement celui de la causerie.

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