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américaine voit naître, dit-on, mille logements nouveaux par semaine. Comment cela est-il possible? Les matériaux, la main-d'œuvre ne sont-ils pas chers partout? L'Etat aurait-il fourni des fonds?

Pas du tout, l'Etat s'est borné à exempter d'impôts pendant dix ans les constructions nouvelles. Pourquoi ne pas faire de même en France?

Les hasards de l'information.

Les journaux romains publiaient récemment parmi les nouvelles de la ville et, en la forme habituelle des faits divers l'information suivante :

Un grand nombre de chats sauvages, qu'on suppose venus des collines entourant Rome, ont été vus par les habitants du quartier Saint-Pancrace.

Les autorités ont pris aussitôt toutes mesures utiles pour capturer ces animaux nuisibles.

Tous ceux qui rencontreraient un de ces chats sont invités à en informer, sans délai, la municipalité.

Les correspondants à Rome des agences allemandes et anglaises s'empressèrent de câbler à Berlin et à Londres cette nouvelle, qui fut aussitôt publiée.

Or, le lendemain, on pouvait lire dans les mêmes journaux romains, qu'il était un moyen de n'avoir rien à redouter de cette terrible invasion et de trouver la force nécessaire pour la combattre. C'était de prendre chaque jour et avant chaque repas, un vermouth dont le nom et le prix, en gros et en détail, étaient soigneusement indiqués.

Les journalistes étrangers jugèrent inutile, cette fois, de câbler à l'étranger.

D'une réputation.

Oui, c'est entendu, les Anglais sont gens pratiques : nous ne pouvons lutter avec eux sur ce pied-là. Ce doit être vrai puisqu'on l'affirme depuis tant d'années. Toutefois la désignation des rues, dans la capitale de l'Angleterre, permettrait d'émettre quelques doutes là-dessus. Qu'en pense M. de Martino, l'ambassadeur d'Italie en Grande-Bretagne ?

Il devait, la semaine dernière, être témoin au mariage de M. Natale Labia, consul général d'Italie, avec miss Ida Robinson.

Le mariage était fixé à midi au bureau de l'état civil, 15, Henrietta street. L'ambassadeur monte en voiture et donne l'adresse à son chauffeur :

15, Henrietta street.

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Mais l'énumération serait trop longue.

Quand on apprit dans l'Uganda la mort de la reine Victoria, les indigènes, qui ne savaient se représenter la Grande-Bretagne que par la figure de ce personnage, s'imaginèrent que la fin de l'Empire britannique était venue. Du jour au lendemein, la valeur de toutes les monnaies britanniques se trouva réduite à néant. Tous ceux qui possédaient des roupies les échangèrent contre deux ou trois coquillages du pays, alors qu'il fallait d'ordinaire un millier de ces coquillages pour atteindre à la valeur d'une roupie.

Existe-t-il une grande différence entre la mentalité de ces sauvages et celle de certains spéculateurs d'aujourd'hui ?

Les marchands dans le Temple.

L'évêque de Galway, en Angleterre, avait dans cette ville un frère marchand de poisson.

Charitable, monseigneur, en vue d'aider ce frère, prescrivit aux fidèles de son diocèse de faire maigre pour un temps illimité.

Mais auparavant, il avait avisé son frère qui avait fait un large approvisionnement en poissons salés.

Pris au dépourvu, ses concurrents jurèrent, mais un peu tard, qu'on ne les y reprendrait plus et, en attendant, ils se hâtèrent de commander-tout ce qu'ils purent trouver de morue salée, de thons en conserve et de boîtes de sardines.

Quand ils eurent pris livraison de leurs commandes, monseigneur autorisa ses ouailles à faire gras.

Du coup, tous les marchands de poisson furent ruinés, à l'exception du frère de monseigneur qui, sous-main, leur avait revendu ses propres marchandises.

Depuis ce jour, il n'y a plus à Galway, qu'un seul marchand de poisson qui observe le jeûne, les prescriptions de l'Eglise, et... l'esprit de famille.

Malheureusement, ceux qui content cette histoire n'en garantissent pas l'authenticité : elle est digne en tous cas de l'humour de nos voisins.

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La Chambre est convoquée pour le 18, mais la salle des Pas-Perdus est encore déserte. Il est trop tôt. Il est prématuré de faire des pronostics sur les événements qui suivront la rentrée. En province, des gens renseignés annoncent la chute du ministère. « Il a mécontenté tant de monde. » D'autres, non moins renseignés, assurent qu'il est encore d'une grande solidité. « L'heure n'est pas venue de faire une autre politique. » Et ce n'est que dans un rayon relativement éloigné du Palais Bourbon qu'on s'entretient déjà des interpellations de rentrée.

Mais, à un jeune homme enthousiaste qui savoure par avance les péripéties de cette interpellation, un vieillard expérimenté répond « Les interpellations sont sans intérêt. Quand un ministère est renversé à la suite de l'une d'entre elles, c'est qu'il était condamné d'avance. Mais ne croyez pas au rôle parlementaire des interpel

Ah! comme les Anglais sont pratiques, songeait lations et à l'action de leurs péripéties. Les interpellaM. de Martino en revenant de la cérémonie.

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tions, d'ailleurs, n'ont plus de péripéties.

Il se tait un instant, et remarque: Cette évolution n'a pas peu contribué, d'ailleurs, à assurer, depuis vingt ans, une stabilité ministérielle relative... Elle l'assurera de plus en plus. Autrefois, un interpellateur énergique ou hardi, armé d'un argument saisissant, imprévu ou sensationnel, pouvait provoquer, dans la houle d'une brève séance, la surprise, la colère, l'indignation, la stu

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peur. Il pouvait, concluant par un ordre du jour de deux lignes, culbuter un ministère. Aujourd'hui, ne le voyez-vous pas? la moindre interpellation dure huit jours. Le premier, on écoute; le second, on attend; le troisième, on baye; le quatrième, on dort. Quelle que soit la force ou l'intérêt de l'argumentation primitive, le ministère est sauvé. Chacun, en effet, profite de toute interpellation pour faire un cours de politique étrangère, de finances, d'économie politique. Quelle ardeur combative, quelle incisive logique, quelle vue précise et nette pourraient résister à cela? Les digestions laborieuses sont somnolentes, et on digère mal l'Encyclopédie.

Ce n'est pas tout. Les ordres du jour, qui ont aujourd'hui quatre pages au lieu de deux lignes, sont uniformément incompréhensibles. Il n'en reste rien qui frappe l'esprit tous énoncent un programme plus ou moins nuageux de réformes diverses à réaliser pendant un siècle. Ceci fait, on surcharge ce pauvre ordre du jour d'incidentes et d'additions généralement contradictoires, et, si le ministère s'en va, après cela, c'est qu'il le veut bien.

« Donc, ajoutait ce sage observateur des usages parlementaires, n'attendez pas de l'intérpellation autre chose que ce que vous avez lu dans les articles si savants et si documentés de M. Poincaré ou de M. Tardieu, que ce qu'ont écrit dans le Temps, les Débats ou les Revues spéciales, les amis ou les détracteurs de M. Doumer, les amis ou les détracteurs de M. Loucheur. On parlera du change, de la production, de la balance commerciale, de l'effort qui s'impose, de la dignité nationale, de l'union industrielle des Alliés et de la paix

durable.

Enfin, au soir d'une dernière séance, soporifique et triste, le gouvernement s'en ira, ou restera. Mais croyez bien que cet événement n'aura rien à voir avec l'interpellation.

Puis il conclut, car le jeune homme marquait, à cette observation, un désappointement vraiment excessif « Je ne veux pas dire, entendez-moi, qu'une interpellation soit sans intérêt. Elle est fructueuse, au contraire, pour ceux qui se soucient d'économie politique, de géographie ou d'histoire, pour ceux qui aiment les conférences et les cours publics, ou que fatigue simplement la lecture des journaux quotidiens. Mais elle est sans influence sur le sort des ministères et sur les destinées du pays. >>

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Quand je parle de l'ennui pesant d'une semaine interpellatoire, il faut entendre que cet ennui provient de la longueur et du nombre des discours, de leur inutilité relative et de leurs redites. Il ne faut point croire que ces discours soient sans esprit et sans verve. La présente assemblée semble moins goûter l'esprit que les précédentes, ayant été à une école plus sérieuse, mais elle en use, dans les discours mêmes, et dans les interruptions. La tribune parlementaire n'est-elle pas l'école précieuse de cet esprit d'à-propos qui est une de nos meilleures traditions?

« Tradition bien vieille, fait un vieux fonctionnaire cassé, qui a connu M. Eugène Pierre au berceau, et qui a été un des fidèles collaborateurs du corps législatif. Les prédécesseurs de ces messieurs savaient plaisanter comme eux-mêmes, et leurs plaisanteries innocentes entretenaient dans cette enceinte la bonne humeur et la saine gaîté, qui y règnent encore, et y font oublier tant d'erreurs...

J'ai connu ici, moi, monsieur, M. Ségris, qui n'a jamais pu se faire une réputation de grand orateur ni de parlementaire ferme dans ses convictions: « Ce qu'il dit n'est ni blanc, ni noir, faisaient ses collègues. C'est gris. » Et cela n'était pas bien méchant.

J'ai connu aussi M. Martell, que ses collègues sollicitaient de signer le premier toutes les propositions de

« Nous avons loi, afin, simplement, de pouvoir dire: Martell en tête. » Et cela non plus n'était pas bien méchant.

Et M. Rouher? M. Rouher était éloquent, certes, mais moins que ne le prétendaient certains de ses amis : C'est Démosthène », disaient-ils, admiratifs à ses moindres mots. Alors, un jour, un adversaire impatienté : « Oui... mais Démosthène avant les cailloux... >> Et ces évocations anciennes font passer une heure ou deux.

X

Si la Chambre n'est pas rentrée, la Commission des Finances siège et prépare le budget. Malheureusement, elle n'est encore saisie que de deux ou trois rapports : on voit que l'interpellation peut se prolonger sans inconvénient, en attendant le budget, une huitaine, voire plus. Comme il ne faut pas rester sans rien faire, c'est son droit, et même son devoir.

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Quelqu'un examine à la loupe -(il a le temps) le rapport de M. de Baudry-d'Asson sur le budget de la Légion d'honneur: « Il a omis de signaler, dit-il au rapporteur général, que les maîtresses, à la maison de la Légion d'honneur de Saint-Denis, ont un mobilier intime rudimentaire, dépourvu des plus légitimes accessoires.» Mais le rapporteur général hausse les épaules. L'heure, a dit M. Doumer, est aux économies sévères.

Affaires
Affaires Extérieures

La question d'Orient

TRYGÉE.

et les traditions britanniques

Jacques Bainville, dans un article lumineux, signalait récemment que, si le gouvernement britannique est parvenu, en Europe, à dicter ses volontés financières et territoriales, il enregistre, en Asie, des échecs répétés : la Perse est perdue l'Afghanistan flanche; la Palestine s'agite; les Indes fermentent. Et voici que la défaite grecque, prévue depuis des mois, ici même, par notre collaboratrice, Mme Berthe Georges-Gaulis, ruine la politique révolutionnaire et conquérante, deux fois chimérique, qui voulait substituer un empire grec à la Turquie musulmane. La stabilité de notre œuvre africaine, qui progresse lentement et silencieusement, contraste heureusement avec l'instabilité de cette œuvre asiatique qui ne porte plus la marque de la prudence britannique, ni celle du réalisme anglais.

X

Ces échecs répétés s'expliquent par des erreurs initiales, dans le choix des objectifs.

La question d'Orient est une. Il est impossible de la morceler. Russie et Turquie sont trop étroitement liées par la nature et par l'histoire, pour qu'il soit possible de les envisager séparément. La politique que les Etats occidentaux suivent vis-à-vis de l'une reste inséparable de celle qu'ils adoptent vis-à-vis de l'autre. Près de deux siècles sont là pour le prouver. Mais le temps n'est plus où les hommes d'Etat daignaient méditer sur les leçons de l'histoire. Surpris par l'étendue de leur soudaine victoire, ils se figurent qu'ils peuvent faire table rase du passé. Ils veulent écrire sur des pages blanches. La vieille terre d'Asie, berceau de la civilisation européenne, se prête mal à de pareilles reconstructions.

En Russie, le Foreign Office se refuse maintenant à toute association. Il agit seul. En Turquie, un allié intervient à ses lieu et place: il paie cet intermédiaire. Visà-vis du bolchevisme russe, la paix apparaît au gouvernement britannique comme la seule solution efficace.

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Vis-à-vis du nationalisme ottoman, il n'en voit pas d'autre que la guerre. Il croit, avec une conviction égale, à la possibilité d'apaiser les propagandistes slaves par des tendresses et de museler les propagandistes turcs par la force. Comme si cette double politique, étroitement personnelle, pouvait, au point de vue de la pacification, suppléer à l'action économique d'un consortium interallié ?

Le 17 septembre, lord Curzon enregistrait la faillite de sa politique russe. Dans une longue dépêche, il relève toutes les infractions commises par les Soviets, depuis l'engagement pris le 16 mars dernier de ne collaborer à aucune propagande, à aucune action hostile à l'empire britannique. Et quelles infractions: impulsion donnée à l'agitation anglophobe aux Indes et en Afghanistan, comme en Perse et dans le Turkestan; hospitalité et subsides accordés aux conspirateurs ; appui donné pour la fabrication des armes, des munitions et des bombes. Jamais gouvernement n'a traité avec pareil dédain les représentants de Sa Majesté. Il accepte et leur argent et leur hospitalité. Il leur promet concessions et commandes. Il signe leurs traités et leurs contrats. Et il continue à organiser contre l'empire anglais, en pleine paix, la guerilla asiatique, sans d'ailleurs courir jusqu'ici d'autres risques que celui de recevoir une longue admonestation, un simple avertissement sans sanctions! Et dire que les négociateurs français reprochent au marquis Curzon d'être impérieux et cassant. Ils devraient bien demander aux habitants encanaillés du Pont-aux-Chantres le secret de cette indulgence.

La défaite de l'armée grecque et du gendre Hohenzollern, au pied de la cité sainte d'Angora, constitue pour la politique orientale du Royaume-Uni un second échec d'ordre différent, mais aussi net. La force n'a pas mieux réussi que la tendresse pour pacifier l'Asie occidentale et rouvrir ses marchés. Et ce n'est pas la soudaine découverte à Constantinople d'un « grand complot », si rapidement suivie par le départ en conge du général Harington qui accroîtra, auprès des Turcs, le prestige du gouvernement britannique. Il était plus grand, au temps de Canning, de Palmerston et de Beaconsfield.

Certes, alors comme aujourd'hui, le Foreign Office poursuivait sur le Bosphore un double objectif : couvrir la route des Indes et sauvegarder l'équilibre de l'Europe. L'intégrité ottomane était une garantie à la fois pour la sécurité de l'empire et pour la stabilité du continent. Mais ces deux préoccupations restaient inégales. L'objectif colonial primait l'objectif européeen. Il était plus important de protéger la route du commerce que d'équilibrer la balance du pouvoir. L'indépendance turque devait être assurée, même si les annexions russes n'avaient pas eu de répercussions européennes. Il n'en est plus de même aujourd'hui.

Une convention nouvelle a été établie. L'Etat arabe et la Palestine juive ont hérité du rôle jadis dévolu, depuis plus d'un siècle, à la Turquie. Elle n'est plus indispensable à la sécurité anglaise, puisque la Russie s'est écroulée, et les Balkaniques se sont affranchis. Mais la question d'Orient, l'objectif européen prime désormais l'objectif colonial. Et si le Foreign Office, sous l'impulsion de D. Lloyd George, s'est laissé aller à servir les ambitions des Hellènes, c'est que la restauration de l'empire gréco-byzantin lui apparaît comme d'affaiblir l'influence française et d'équilibrer

le
moyen
la force italienne en Orient.

Cette politique est dangereuse, comme toutes celles qui comptent sur la guerre pour fonder une œuvre durable. Les armées ne suffisent plus pour bâtir des empires. Il faut qu'elles trouvent sur place un terrain propice et des matériaux favorables. Elles ne peuvent que compléter une action politique ou exploiter une

supériorité économique. Or, l'Asie Mineure ne se prête encore ni à l'une ni à l'autre. Il ne saurait suffire de quelques mois et de quelques divisions pour refouler au delà du Taunus toute la population musulmane, pour chercher, trouver et organiser une frontière stratégique. Une pareille tâche, même si elle était légitime, dépasserait les ressources dont dispose le peuple grec.

Si un succès éphémère avait galvanisé ses espoirs, il eût aussitôt excité la méfiante jalousie de ses voisins. Déclencher la guerre en Asie Mineure, c'était la préparer dans la péninsule balkanique. La Roumanie et la Serbie ne sont plus de taille à se désintéresser du sort de la Turquie et de la garde des Détroits. Et s'il plaisait au Quai d'Orsay, pour une fois audacieux, de se solidariser avec la « Petite Entente », si les quatre Etats s'avisaient, par un seul et même manifeste, de déclarer que la question d'Orient ne saurait être résolue sans leur participation, que resterait-il du grand effort de reconstruction européenne tenté dans l'Asie méditerranéenne par le gendre Hohenzollern, avec l'approbation et la participation du Foreign Office ? Des cadavres et des ruines.

Les uns et les autres jonchent déjà le sol. La bâtisse a croulé avant même d'être construite. Cet effort inachevé aura pour unique résultat de rendre la situation plus complexe et la paix plus difficile.

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Les hommes d'Etat anglais ne l'eussent jamais tenté, s'ils avaient trouvé le temps de lire les deux derniers volumes de l'admirable biographie de Beaconsfield, un monument bourré de faits précieux et de documents inédits.

Une première leçon se dégage, pour les maîtres de l'heure, de cette crise de 1878. L'Angleterre ne peut se désintéresser du sort des terres asiatiques qui relèvent de la couronne turque. Beaconsfield ne s'est point laissé hypnotiser par la préoccupation de conserver au sultan, en Europe, assez de sol pour couvrir l'accès et assurer la sécurité du Bosphore. Il n'a pas oublié les clefs de sortic d'Anatolie et de Perse. Avant de se rendre au Congrès de Berlin, pour se garantir contre toute surprise, il a bien soin, comme tout diplomate qui connaît son métier, de conclure un accord préalable avec la Russie, le 30 mai 1878. Mais il ne se borne pas à reporter aux Balkans la frontière turque, il obtient de Schouvaloff, sinon l'abandon de Kars et de Batoum, du moins l'évacuation de Bayazid. Il fait plus. Il révèle

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«Le devoir de protéger l'empire ottoman contre le danger qui résulte de cette extension de la frontière russe en Asie. incombe d'une manière spéciale (sic) à l'Angleterre et peut être rempli sans exposer l'Europe aux calamités d'une guerre nouvelle. >>

Et le 4 juin, par un second traité secret, le Foreign Office s'engage, vis-à-vis de Yldiz Kiosk, en échange de la cession de Chypre, à défendre, les armes à la main, les provinces asiatiques de la Turquie, si elles étaient attaquées par la Russie, maîtresse de Batoum, d'Ardahan et de Kars. Cette précieuse garantie, les Turcs, qui ont le génie c qui ont le génie du suicide politique, la déchirèrent, en emboîtant le pas derrière l'Allemagne ! Et il est tout naturel que le Foreign Office leur en ait gardé rancune. Mais la rancune n'est pas une politique. Chez des hommes d'Etat, dignes de succéder à Canning, à Palmerston et à Beaconsfield, ce sentiment n'aurait point été assez durable pour leur faire oublier la première leçon de 1878: une guerre religieuse déclenchée sur ces plateaux d'Anatolie, entre envahisseurs chrétiens et Turcs musulmans, constitue pour la sécurité de l'Empire britannique un tel péril, que cette croisade doit être brisée par l'intervention anglaise.

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D'autre part, Beaconsfield eut vite compris comme ses deux grands prédécesseurs, que l'allié naturel du Royaume-Uni, dans l'Orient méditerranéen, est la France. Héritière d'un passé millénaire, entourée d'un prestige moral, elle ne cherche dans l'Asie occidentale, à réaliser ni conquêtes militaires, ni monopole commercial. Elle ne veut que répandre sa culture et servir la paix.

J'entends bien que lorsque s'ouvre la crise orientale, en août 1875, Beaconsfield est convaincu « qu'il n'y a aucune chance de voir la France se réveiller comme puissance militaire » avant de longue années. Il commencera donc par chercher ailleurs l'appui nécessaire pour dissocier le bloc austro-germano-russe et réaliser ainsi son objectif européen. Dès le 10 février 1876, il fait proposer, d'ailleurs en vain, par lord Derby à Bismarck «< une action concertée dans les affaires publiques ». Plus tard, il tentera, avec plus de succès, le même effort du côté de Vienne. Mieux même, le 3 novembre 1876, en prévision de la réunion d'une conférence à Constantinople, il recommande à lord Derby

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de faire sonder la France. Et le 1er décembre, il mande à lord Salisbury, en route pour Constantinople, de ne pas tomber dans le piège tendu par Bismarck et de ne pas chercher pour l'Angleterre une compensation du côté de l'Egypte : il faut ménager les susceptibilités françaises. En pleine guerre russo-turque, conscient des efforts que fait Berlin pour brouiller les cartes entre Saint-Pétersbourg et Londres, Diraëli conseille à son ministre des Affaires étrangères de « gagner du temps: on peut ainsi tout gagner. D'ici dix-huit mois la France sera armée (9 février 1877). Au retour du Congrès de Berlin, où il a acheté la collaboration française au prix de la Tunisie, rendant compte de son triomphe diplomatique, lord Beaconsfield insiste sur le soin avec lequel, dans ses négociations orientales, il a ménagé les intérêts de la République en Syrie et en Egypte. Lorsque, quelques mois plus tard, se pose la question du contrôle financier au Caire, il insiste pour que la collaboration franco-britannique reste loyale. Mais Disraëli ne s'est pas borné, écartant la Grèce et l'Italie, à regretter l'absence, à préparer la rentrée, à respecter les droits de la République vaincue : il a (le 27 septembre 1879), d'accord avec la reine Victoria et lord Salisbury, refusé de l'isoler. Quand le comte Munster vint à Hughenden lui offrir secrètement l'alliance allemande, il reprochait à l'ambassadeur:

« Tout acte, de la part de l'Angleterre, qui paraîtrait hostile à la France pourrait aujourd'hui déplaire au peuple anglais et éveiller sa méfiance; les relations commerciales, sociales et, dans une certaine mesure, politiques entre les deux pays, étant aussi intimes ».

Mais Disraëli n'était pas un puritain. Le Juif de génie se refusait à rouvrir l'ère désormais close des croisades religieuses et à servir, dans toutes leurs revendications, les nationalismes ethniques. Il pacifia l'Orient, sauva la Turquie et grandit l'Angleterre, tout en ménageant la France vaincue. Sans prétendre innover, il reprit et continua la politique qu'avait poursuivie à Constantinople, contre la Russie, George Canning et lord Palmerston, d'accord avec la France. Jamais l'inAuence britannique n'a été plus incontestée, jamais l'Entente cordiale n'a été plus sincère qu'en 1826-27, 1854-56, 1878-79.

Les nouveaux maîtres du Foreign Office ont changé tout cela. I's poursuivent en Orient une guerre contre La Turquie musulmane et contre l'influence française. Il serait étrange et injuste que cette œuvre révolutionnaire et imprévoyante portât les mêmes fruits et connût les mêmes succès.

JACQUES BARDOUX.

La guerre d'Asie

Voici deux ans bientôt que nous menons ici une rude bataille; le dénouement est proche.

En octobre 1920, un premier voyage en Anatolie, dont l'Opinion publia les récits, me mit en plein nationalisme turc. Il n'était vraiment pas difficile, sur place, de saisir la vitalité du mouvement, la maîtrise du chef, le dévouement de ses collaborateurs, l'élan du peuple anatolien. Déjà Mustapha Kémal avait gagné la partie. Le territoire national était libéré par lui de l'emprise anglaise.

En mai 1921, je le trouvai de nouveau en pleine victoire, en pleine organisation; il venait une fois encore de sauver son pays avec l'aide d'Ismet pacha et d'autres associés également heureux. Les chefs militaires, les organisateurs civils abondent en Anatolie.

Aujourd'hui, la défaite anglo-grecque est irémédiable, les armes britanniques ont subi le plus sérieux des échecs. Le grand bluff de la propagande anglo-hellénique s'évertuera en vain à le nier. Nous savons tous qu'à cette dernière attaque menée à grand fracas, avec un matériel énorme, il fallait opposer une tactique militaire de première force pour résister heureusement; il coopération de chaque minute. Nous avons, presque fallait aussi l'abnégation totale du pays envahi, sa jour après jour, serré de près les événements; l'Opinion seule les a prévus sans une défaillance.

J'ai visité en avril dernier ce merveilleux pays que les armées grecques venaient à peine d'évacuer. J'ai vu les champs de bataille, j'ai vu les villes et les villages dynamités par les Grecs, j'ai vu tant d'horreurs commises. Je me suis promenée pendant des jours et des jours à travers les régions les plus fertiles de l'Anatolie; un tiers du pays était à peu près détruit, la rapidité de la fuite avait épargné quelques îlots; cela ne faisait que mieux ressortir l'affreuse destruction. Aujourd'hui, la vague vient de déferler à nouveau, noyant EskiChéir, la plus belle ville nationaliste, submergeant tout ce qui avait échappé par miracle, anéantissant ce qui restait des populations trois fois dispersées ou traquées.

A chaque étape du voyage, le soir, en écoutant les notables, je m'était dit : « Qui paiera la note ? » Déjàle montant des dégâts volontairement, inutilement commis était formidable. J'avais consulté les listes dressées dans chaque ville ou village par les autorités municipales, j'avais entendu les victimes, vu ce que l'on ne peut écrire...

Tout cela vient de se renouveler, confirmant le désastre matériel et l'insulte. Qui paiera la note?

Peut-on réellement imaginer que les vainqueurs ent solderont les frais ? Je ne le crois pas.

Leur première préoccupation sera de relever les ruines: elles sont d'une effarante ampleur. Connaissant le terrain, l'ayant deux fois parcouru en tous sens, j'ai sous les yeux cette magnifique région que ravagea quatre fois l'envahisseur, je revois la mobilisation en masse de la population menacée. J'ai vécu parmi les troupes nationalistes, je connais leur moral, leur allant, la vénération, l'amour qu'elles ont pour des chefs justes et victorieux. Ne faudrait-il pas dire enfin la vérité tout entière et comprendre que des hommes si froidement résolus au grand sacrifice n'admettront jamais que leur effort n'ait pas son plein résultat ? J'ai vu tous les paysans jeunes ou vieux partir le visage grave, mais la tête haute et le regard clair, passant aux femmes l'outil qu'ils avaient en main.

Non, les enrôlements n'ont pas été faits par la force; les gens des villes et des villages comprenaient parfaitement ce que l'on attendait d'eux, les municipalités fonctionnaient en toute bonne volonté. Tout cela rap

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pelait étrangement notre pays de France aux premiers mois de la guerre. J'ai entendu les mêmes paroles; devant certains actes, les sentiments sont partout les mêmes.

L'homme du peuple en Anatolie, aussi bien que celui de la bourgeoisie ou de la haute classe, ne saurait coniprendre pourquoi la grande injustice qu'il a si cruellement subie n'aurait pas de sanction. Il ne l'admettrait pas. Le gouvernement qui accepterait l'injure sans exiger la réparation aurait la vie courte. Certes, tous désirent la paix et sont pressés de reconstruire, mais encore faut-il que ce soit possible. On ne relève pas de telles ruines avec rien.

Tout cela, nous l'avions dit et redit ici avant les derniers ravages, plus terribles encore que les précédents. Les Grecs ont follement dilapidé une situation acquise de vieille date en Asie Mineure. Jusqu'au jour où les coloniaux anglais promirent plus qu'ils n'étaient en mesure de donner, les privilèges des Hellènes en Asie Mineure étaient fort enviables. Ils ont tué la poule aux œufs d'or, et c'est pure vantardise que de parler d'annexer des territoires dont ils seront bientôt totale ment expulsés.

Mustapha Kémal pacha n'a jamais connu l'échec militaire. Ses diverses campagnes en Anatolie resteront comme des modèles de souplesse, d'adaptation aux circonstances, au terrain, à ses ressources. Les siens vantent avec raison son don de saisir au vol la moindre chance et de l'utiliser à l'extrême. Cette fois encore, il vient de répondre à tous leurs espoirs et de justifier ce mot si souvent répété : « Lui seul peut nous sauver. » Il m'écrivait le 5 septembre dernier :

« Je me trouve actuellement à mon quartier général en train de combattre les Hellènes qui, depuis la seconde semaine d'août, ont entrepris une nouvelle offensive dans l'espoir de nous vaincre définitivement. Une terrible bataille qui a déjà duré une quinzaine de jours semble près de finir par l'épuisement des Grecs dont les furieux assauts ont été complètement repoussés.

« Fort de la vaillance de nos soldats et de l'admira-
ble dévouement avec lequel toute la nation me prête
le concours le plus complet, j'espère fermement pouvoir
cnfin chasser hors de mon
pays l'envahisseur hellé-
nique.

Les territoires envahis par l'ennemi lors de son
avance de juillet dernier ont connu, est-il besoin de
vous le dire, les mêmes massacres et les mêmes dévas-
tations que ceux visités si courageusement par vous il
y a quatre mois. Partout le meurtre, l'incendie et le pil-
lage et le triste exode des malheureux paysans fuyant
le fléau hellénique ont signalé le passage de nos enne-
mis. Pendant des années et peut-être même des siècles,
l'Anatolie conservera le souvenir de ces horreurs. »

Voici quelques extraits de sa dernière proclamation: «L'ennemi voulait détruire notre armée, vaillante gardienne de notre indépendance et piétiner notre territoire sacré, afin d'entrer à Angora. Par la grâce divine, après des batailles sanglantes qui ont duré vingt et un jours, il a été vaincu. A la suite de nos contre-attaques, l'armée grecque a dû faire une volte-face pour échapper aux baïonnettes de nos braves soldats Elle fut poursuivie sans merci dans sa retraite et subit, à l'est de Sakaria, des pertes très graves. Les débris de cette armée, après avoir franchi le fleuve, se jetèrent vers l'ouest, éperdus et en pleine débandade. Pour leur infliger le sort que méritent ceux qui attentent à la vie et à l'indépendance de l'innocente nation turque, nos forces continuent, à l'heure actuelle, à remplir leur devoir avec un courage et un enthousiasme invincibles.»› Il ajoute un peu plus loin:

«Si notre armée n'est pas inférieure, en ce qui concerne l'armement et l'équipement, aux troupes de Constantin disposant de tous les moyens perfectionnés de

combat, si elle leur est même supérieure, cet incroyable
miracle, nous le devons à l'esprit de sacrifice de notre
incomparable population anatolienne. Cette abnégation
de tous les intérêts privés dont firent preuve les mem-
bres de la nation restera, de génération en génération,
comme un glorieux souvenir. C'est grâce à ces efforts
que notre armée bravant la mort et sans hésiter une
seule minute, a pu s'élancer sur l'ennemi avec
force morale invincible,

une

<< Quand, venus dans les plaines de Haïman pour nous ravir l'honneur et la vie, les soldats grecs furent forcés de se rendre, ils commencèrent par solliciter de nos généreux soldats un morceau de pain. Voilà l'extrémité à laquelle fut réduite notre orgueilleux ennemi.. » Il termine ainsi, usant de ce langage qui lui est si particulier et galvanise toute l'Anatolie:

« Nous n'avons d'ailleurs à aucun moment désespéré de la protection divine dans la juste cause que nous défendons; nous n'avons jamais voulu porter atteinte au droit d'autrui, notre seul désir consiste à assurer et à garder, hors de toute atteinte, notre droit à la vie et à l'indépendance. Le peuple turc n'a pas d'autre but que celui de vivre dans ses frontières nationales, comme toute nation civilisée, libre et ne subissant aucune ingérence étrangère. Ce droit, l'humanité entière finira par le lui reconnaître, toutefois nous ne déposerons les armes que lorsque ce but sera complètement atteint; jusqu'à ce que cet heureux résultat, qui ne peut plus tarder soit obtenu, je désire que toute la nation fasse preuve, comme par le passé, de courage et d'abnégation. Puisse Dieu nous accorder toujours sa haute protection. >>

aux propagan

Se grisant des sophismes destinés des, les Grecs ont fini par prendre au sérieux ce qu'ils avaient eux-mêmes inventé de toutes pièces. Ils ont cru à l'indifférence du peuple anatolien. Ils ont misé sur une carte fausse. Voici, à ce propos, dans une chronique du journal local de Castamouni, un dialogue pris sur le vif par quelques voyageurs revenant d'Angora:

« Notre caghni arriva dans le village de Kizil-Kaya,
entre Angora et Kanghri. Nous fûmes aussitôt entourés
par un groupe d'enfants. Quelques-uns étaient entière-
ment nus et les autres vêtus de loques Mais combien
leurs physionomies étaient sympathiques !
Ma fille, comment t'appelles-tu ?

Une fillette de huit ans aux yeux bleus.
Mon nom est Fatma.

As-tu un père ?

Non Mort pour la foi.

Qui s'occupe de toi

Ma mère !

Où est ta mère ?

Elle est allée moissonner aux champs.
As-tu des frères ?
Celui-ci.

La fillette désignait un petit garçon d'environ cinq ans, vêtu uniquement d'une chemise :

C'est moi qui m'occupe de lui.

Les pères du deuxième, du troisième, du quatrième, du cinquième et des autres enfants étaient ou morts pour la foi ou se trouvaient au front. Leurs mères étaient à travailler aux champs. Un garçonnet de sept à huit ans, entièrement nu, attira notre attention.

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Et celui-ci, qui est-ce ?

Un orphelin. Son père est mort pour la foi. Sa mère est décédée. C'est une vieille femme qui l'élève maintenant.

A ce moment, vint jusqu'à nous une vieille femme de soixante-dix ans, qui s'appuyait sur sa canne. Elle demanda :

Est-ce d'Angora que vous venez ?
Oui !

Ah! quelle nouvelle de l'armée ?

Et la flamme de ses yeux disait l'ardeur de son cœur.

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