C 1 assuré que, sur ce terrain du moins, tous les vrais spirites sincères seront en parfait accord avec moi. X Autre lettre, intéressante à un tout autre point de vue. J'avais écrit, dans le numéro de l'Opinion du 3 septembre, p. 264: « J'ai justement sous les yeux un des derniers de ces ouvrages de propagande, la Réalité spirite; et, en tête de l'introduction, parmi les noms ordinaires toujours repris avec la même obstination (entre autres William Crookes, Myers, Flammarion, Richet, Maxwell, Ochorowicz, Geley, etc.), je vois celui de Mme Curie. » Le passage auquel je faisais allusion était celui-ci : « Les faits spirites ont également été étudiés en France, en Russie, en Italie, par nombre d'expérimentateurs qui en ont constaté l'exactitude (ce mot mis sans doute pour authenticité). Tout le monde connaît, au moins de nom, le livre de l'astronome Camille Flammarion, les Forces naturelles inconnues, où l'auteur raconte la série d'observations, de lévitations de tables sans contact qu'il a eu l'occasion de faire... On connaît tout autant le Phénomène spirite, et le Spiritisme devant la science de Gabriel Delanne, les Phénomènes psychiques du Dr Maxwell. Nous nous bornerons à rappeler les ouvrages et les travaux de l'astronome italien Porro, du physiologiste Charles Richet, membre de l'Institut et de l'Académie de médecine, du lieutenant-colonel de Rochas, administrateur de l'Ecole polytechnique, de Léon Denis, des savants russes Ochorowicz, Aksakof, les observations de l'illustre Curie, de Mme Curie et de d'Arsonval, etc. » J'ai reçu, de l'auteur de la Réalité spirite, une lettre qui n'est pas précisément débordante de compliments, bien entendu et où il me dit, entre autres choses: « Si vous aviez lu attentivement, vous auriez constaté que je dis, page 17 : « Les faits spirites ont également « été étudiés en France, en Russie, en Italie, par nombre « d'expérimentateurs qui en ont constaté l'exactitude. » ...Et c'est dans le sens de la constatation des faits, qui prouvent l'exactitude de leurs théories, faits encore niés aujourd'hui par des savants officiels, que les spirites brandissent comme un drapeau les noms de MM. Charles Richet, Camille Flammarion et autres. Tel est le sens du passage de mon livre auquel vous faites allusion en dénaturant tout à fait ma pensée. » Je réponds : Si c'est là le sens du passage de votre livre, nous sommes, mon cher confrère, tout à fait d'accord. Mais je continue à me demander et j'en fais juge le public, s'il n'y a pas, dans ce mélange voulu de spirites et de non-spirites cités comme ayant constaté les faits spirites, une équivoque tendancieuse. Je désire, je l'ai déjà dit, rester très courtois; mais je me demande, et je demande, si vous aviez le droit d'écrire que « le professeur Richet et Mme Curie ont constaté l'exactitude des faits spirites ». Et je conclus, pour ma part, que vous avez le droit d'écrire seulement : « Le professeur Richet, et peut-être Mme Curie, ont constaté l'authenticité de faits mystérieux et incompréhensibles que nous qualifions, nous, de spirites, mais que, eux, ne qualifient pas. » Je sais très bien, d'ailleurs, mon cher correspondant, que je ne vous convaincrai pas, puisque, encore cette fois, dans votre lettre, vous écrivez sans sourciller cette phrase : « ...De votre interview même de Mme Curie se dégage nettement ceci : elle a constaté des faits spirites. » Voici les paroles de Mme Curie (Opinion du 3 septembre, page 264) : (( Je ne me suis jamais occupée de ces questions. J'ai répondu : Monsieur, G. GAGNAT, Chemin des Collinettes, Nice. 1o Réfléchissez d'abord à ceci : que l'ectoplasme est insaisissable. Il ne faut donc pas songer à s'en emparer sans son consentement : En couper un morceau (pour parler en termes simples) est donc absolument impossible. Songez aussi qu'il s'agit là d'une substance qui est issue du médium, qui y rentrera, qui fait partie de son corps : en enlever une partie (et c'est d'ailleurs la conviction de tous les médiums) pourrait avoir sur leur organisme de terribles conséquences, peut-être même, qui sait, déterminer la mort... Au surplus, je le répète parce que c'est le mot exact, l'ectoplasme est insaisissable : Vous voyez donc à quelles difficultés on se heurte, en pratique, dans ce nouveau domaine. Mais les moulages, me direz-vous ? Réponse: Les moulages sont faits avec le consentement de l'ectoplasme, et sont impossibles autrement. Par exemple, quand l'expérimentateur aperçoit la formation d'un organe quelconque, main, pied, il donne un ordre, ou, plutôt, il adresse une demande à l'entité opérante (le subconscient du médium) : « Je vous prie de tremper cette main dans la paraffine », et la main, d'elle-même, se plonge dans la cuvette de paraffine. Tout autre procédé est, pour le moment, impossible. 2o En se servant, précisément, de cette espèce d'obéissance intelligente de l'ectoplasme, un des expérimentateurs, M. Lebiedzinski, a réussi, à Varsovie, le 20 février 1916, à obtenir que la substance issue de la bouche de son médium (Mme Stanislawa P..., médium également en doute à présent la bonne foi de Mme Bisson. Mais, ayant à faire exposer les expériences sur l'ectoplasme, j'ai préféré, c'est tout simple, le faire faire par un autre. Au surplus, nous aurons quand même ici et j'en suis tout à fait heureux l'essentiel de l'opinion de de Schrenck-Notzing) avant de se résorber, abandon- | Mme Bisson. Mme Bisson a hien voulu en effet me faire nât volontairement un petit fragment d'elle-même, dans un godet préparé spécialement. Ce fragment avait un centimètre de grosseur, et avait un peu l'aspect << d'écume de blanc d'œuf battu ». En séchant, il se réduisit de moitié (poids : 10 centigrammes) et, au microscope, son aspect resta celui de blanc d'œuf battu. Deux analyses en furent alors faites, l'une. à Munich par Schrenck-Notzing, l'autre à Varsovie par le docteur Dombrowski, au laboratoire bactériologique du « Musée de l'Industrie et de l'Agriculture ». Ces analyses, dont la Revue Métapsychique de juillet-août 1921 a donné tous les détails, ont permis de déceler surtout : Des cellules épithéliales ; Des leucocytes, très nombreux ; Des globules de graisses ; Des micro-organismes, bacilles et zooglées. Mais elles n'offrent pas de caractères spécifiques. La substance représente une matière albuminoïde, accompagnée de substances grasses et des cellules qui se trouvent dans l'organisme humain. Elle rappelle les liquides lymphatiques, parfois aussi le chyle : « Il est probable, conclut Lebiedzinski, que, par suite de ce manque de caractère spécifique, l'analyse chimique et his tologique restera impuissante à éclaircir le problème de l'ectoplasmie. ›› Quelqu'un qui m'a posé la même question que vous ajoutait: Ne pourrait-on, en présence de l'ectoplasme, essayer l'analyse spectrale ? Je transmettrai cette idée à M. le docteur Geley. X Un grand nom maintenant : Mme Bisson. Mme Bisson est fort connue pour ses expériences de métapsychique avec le médium Eva. C'est elle, je crois (je dis je crois, car il s'agit d'être prudent), qui, la première, a observé la << substance », avant Geley, avant Crawford, avant Richet, avant Schrenck-Notzing. Pourquoi, dans ces conditions, n'avais-je pas cherché à interroger Mme Bisson ? Je le dis ici tout net : à cause de la personnalité du médium Eva, qui est véritablement par trop discutée. Eva Carrière est l'ancienne Marthe Béraud, de la villa Carmen d'Alger. Je ne prétends nullement posséder la clef du mystère de la villa Carmen (1); encore moins, ai-je besoin de le dire, mettre (1) Dans un salle des communs de la villa du général Noël, à Alger, en 1905, Mlle Marthe B., avec la négresse Aïsha prise comme médium, faisait apparaître un fantôme casqué, qui répondait au nom de Bien-Boa. Le professeur Ch. Richet fut appelé pour contrôler cette matérialisation. Il prit des photographies et se livra à diverses expériences. Pourtant plusieurs points lui paraissaient obscurs : « Pourquoi, disait-il, dans certaines photographies, le corps et la manche de Marthe assise semblent-ils vides ? Pourquoi, dans toutes ces photographies, ne voit-on jamais distinctement la figure de Marthe, aussi nettement qu'on voit la figure d'Aïsha, par exemple? Pourquoi l'obscurité est-elle à ce point nécessaire? Pourquoi la figure de Bien-Boa est-elle si ressemblante à la figure que pourrait avoir Marthe, si elle avait collé une grosse barbe noire à sa lèvre supérieure ? Pourquoi, après que Bien-Boa m'eut promis que sa main fondrait dans la mienne, n'ai-je pu rien obtenir d'analogue, alors que j'avais cependant déclaré que cette expérience était vraiment l'experimentum crucis fondamental ? Pourquoi, lorsque Bien-Boa se promène, sortant du cabinet, autour de nous, dans la salle, n'est-il pas permis de le toucher ? etc... » En 1906, les Nouvelles d'Alger racontèrent que Marthe B... avouait avoir mystifié le savant. Marthe B... démentit; il y eut une polémique. L'affaire s'est terminée sur un point d'interrogation. l'honneur de m'écrire une longue lettre. Je ne peux malheureusement en reproduire la plus grande partie, qui met en cause des tiers (1). Mais je transcris ici toute la fin, dont l'importance n'échappera, je pense, à per sonne : De retour du Congrès psychique de Copenhague, on me donne à lire votre intéressante enquête, etc... Le Congrès psychique de Copenhague, qui réunissait nombre de docteurs et professeurs de toute nationalité, a prouvé d'une façon éclatante la réalité (j'insiste sur ce mot) des matérialisations; mais il a déclaré, et cela de l'avis de tous les congressistes, que nous ne devons encore rien conclure. Lisez-moi bien : il ne faut conclure ni dans le sens purement spirite, Wi dans le sens purement scientifique. Nous avons tous constaté, individuellement, qu'une force inconnue, une énergie intelligente, semblait souvent diriger nos travaux. Quelle est cette force ? Connaissons-nous la « Force électridité »? Non : il en est ainsi pour la « Force inconnue », qui fait l'objet de nos recherches. (1) Je relèverai seulement que Mme Bisson, parlant du professeur Richet, paraît croire qu'il est peut-être plus spirite qu'il ne l'a voulu dire. Or, non seulement M. le professeur Richet n'a pas cherché à expliquer (?) (comme a cru devoir le faire M. Camille Flammarion) - ses sensationnelles déclarations, mais il vient d'écrire lui-même, en toutes lettres, dans le Progrès Civique du 17 septembre : « Les spirites ont construit... une théorie très cohérente, très intéressante, mais qui comporte tant d'invraisemblables hypothèses que je me refuse absolument à l'admettre. Ils ont procédé très naïvement, un peu comme les sauvages devant les grandes forces naturelles, qu'ils ne comprennent pas, et qui attribuent les orages, les éclairs, la pluie, les tempêtes, les éclipses, les maladies, à des divinités bienfaisantes ou malfaisantes. De même, en présence de faits non habituels, dont l'interprétation est mystéricuse, les spirites disent: ce sont des esprits, c'est-à-dire des forces à demi divines, omniscientes, omnipotentes, âmes des défunts qui ont survécu.. (...).. Le grand malheur de la métapsychique, c'est qu'on a voulu en faire une sorte de religion, etc... » Si Ernest Renan s'émut de la polémique qui se fit autour de la Vie de Jésus, il n'en témoigna rien; mais il ne dut pas s'en émouvoir, ni se préoccuper davantage, je pense, de l'agitation que le livre fit naître dans le monde religieux. Extérieurement, sa physionomie calme et son affabilité lui donnèrent toujours, il faut en convenir, l'allure du sage ou de l'homme d'église : 7 il dominait les controverses. Le charmant optimisme d'Ernest Renan enchantait ma mère, qui le connut bien et l'aima. Elle me parla souvent de lui avec une profonde admiration, et me dit combien sa philosophie souriante rendait agréable le commerce de cet homme de génie. Quelle simplicité était la sienne! Lorsque Ernest Renan discutait avec Berthelot, dont le caractère nerveux était si différent de celui de son interlocuteur, Renan lui imposait doucement sa loi; ma mère disait : « Il le faisait taire ». Ernest Renan fut un homme heureux. Combien de fois déclara-t-il à ses amis : « Tout m'a réussi, tout m'a souri, et quand il m'est arivé des chagrins, la Providence les a si bien capitonnés que je m'en suis à peine aperçu. Ainsi j'étais moi-même si malade à la mort de ma sœur Henriette, que je n'appris ce malheur que bien plus tard, et non pas brusquement, mais petit à petit ». A l'encontre de Renan, Berthelot disait : « J'ai commencé de m'inquiéter à dix ans ». Quand Patrice parut dans la Revue des Deux Mondes, ma mère crut reconnaître quelques traits d'Ernest Renan dans la figure de ce héros. A la lecture de ses lamentations (ne souhaitait-il pas une présence féminine pour soulager sa peine?) elle se récria: Quoi! Patrice n'avait-il pas rencontré cette femme admirable : la petite Comélie (1), protestante devenue auprès de lui athée, modeste autant qu'instruite, une femme réellement supérieure, et qui professait pour son mari l'admiration la plus fervente? On ne prêtait, dans ce ménage d'élite, aucune attention aux recherches d'élégance; aucun dandysme, certes, ne présidait aux parures. « Renan portait d'habitude dans sa jeunesse, un haut de forme gris, une cravate écossaise, un veston bleu. Sa femme était uniformément vêtue d'une robe de velours noir, ornée au cou d'un col de guipure; tous deux entraient dans le salon de la rue Saint-Benoît (2) en se donnant le bras. Au début de mon mariage, continuait ma mère, j'habitai quelques mois Yport; les Renan y vinrent, ils louèrent dans le village une petite habitation bien modeste, une sorte d'échoppe; c'est là que j'entendis souvent Renan disserter avec Berthelot entouré de ces pauvres murs ». (1) Mme Renan était née Cornélie Schefer. (2) A la Revue des Deux-Mondes. 351 L'article de M. Havet sur la Vie de Jésus ne troubla pas le seul duc de Broglie (1). Tout le parti conservateur en fut ému. Je retrouve la trace de cette émotion dans une lettre de François Buloz à Edgar Quinet alors en exil. Le directeur de la Revue des Deux Mondes écrivait le 17 août 1863 : « J'ai reçu la visite du P. Gratry à propos de l'article de M. Havet sur la Vie de Jésus (2). Les catholiques fulminent sur toute la ligne. L'Eglise l'a voulu, monsieur l'abbé, rappelez-vous le bel article de Quinet sur le livre de Strauss en 1838 (3). Maintenant le mouvement ne sera plus contenu, soyezen sûr. Bref la conversation a été longue et vive, ma foi! J'ai dit nettement tout ce que j'ai sur le cœur à propos du catholicisme. Vous vous perdez, me disait-on. Il y a quelque chose qui est bien autrement perdu : c'est la religion qui se contente des apparences, pourvu qu'on obéisse, et qui n'a plus de sens moral! Mais si nous sommes d'aussi grands criminels, que les voix autorisées, que les écrivains éloquents du catholicisme combattent nos erreurs, et ce n'est pas nous qui les repousserons, qui leur fermerons la bouche; la Revue est ouverte au talent et à l'éloquence, pourvu qu'on conserve les égards qu'on doit aux personnes, etc., etc. Nous verrons si le P. Gratry ramassera le gant. Mais je ne vous parle de ceci qu'incidemment parce que votre nom a été mêlé à la conversation comme terme de comparaison pour la mesure et la réserve de l'article. les anathèmes adressés aux modérés des dernières anAussi, le P. Gratry n'a rien répondu à mes reproches sur nées par l'Eglise. Le fait est que le mouvement est grave, et le livre de Renan s'est déjà vendu à plus de 30.000 exemplaires » (4). Quinet exilé, aigri, accueillit mal l'hommage de François Buloz. Il se montra, dans sa réponse, susceptible à l'excès, amer. Puisque François Buloz reconnaît à Quinet la paternité des idées libérales qui ont cours aujourd'hui parmi les esprits éclairés, pourquoi n'avoir pas signalé ouvertement cette paternité dans la Revue et n'avoir pas rappelé Quinet, son œuvre, ses études philosophiques et religieuses depuis 25 ans? Tels sont ses griefs. « Vous aviez une bonne occasion de rappeler que c'est moi qui, en novembre 1838 (il y a juste un quart de siècle), ai, le premier en France, renouvelé la critique de la vie de Jésus et défendu la personnalité et l'existence réelle telles qu'elles prévalent aujourd'hui. Au lieu de cela, la Revue prétend que personne de notre génération ne s'est occupé de questions religieuses. Qu'ai-je donc fait depuis trente ans, si ce n'est de traiter ces questions sous tous leurs aspects ? Je sais que je n'ai aucune justice à attendre de vous tous. Mais cette justice, que je n'espère d'aucun de vous, je devrai me la rendre moi-même. Je montrerai comme toutes les idées que je produis depuis trente ans sont confirmées chaque jour par la science, par les travaux sociaux ou par les événemens. Mon examen de la vie de Jésus (1838) est confirmé par la critique actuelle ; mon Génie des Religions (1841), par les travaux de nos jours; mes vues sur le monothéisme des sémitiques (1838-1841), par M. Renan; mes Révolutions d'Italie (1843-1847) par tout ce qui se passe en Italie, par des mémoires même présentés à l'Institut, qui ne sont que la reproduction de mes principes historiques; mes vues sur la Papauté comme obstacle à la formation de l'Italie (1847-1854) par l'expérience dont chacun est aujourd'hui témoin; mes luttes contre le catholicisme comme ennemi naturel de la liberté moderne (1843-1844-1845) par les luttes que vous avez à soutenir, par les convictions auxquelles vous êtes arrivé. Ceux qui me faisaient, il y a vingt ans, une si rude (1) Voir la Revue de la Semaine du 12 août 1921. (2) Edgar Quinet : De la Vie de Jésus du Docteur Strauss, Revue des Deux-Mondes, 1er décembre 1838. (3) Dans la Revue des Deux-Mondes, 1er août 1863. (4) Bibliothèque Nationale, Nouvelles acquisitions françaises 11o 20.782. F. 460. (Inédite.) guerre, ont été conduits, par la nécessité et l'évidence, à embrasser mes idées et à se servir de mes armes. Je ne suis donc point un vaincu, car, je vous le répète, toutes les pensées que j'ai émises dans le monde se sont trouvées vraies. Les vues sur la campagne de 1815 et l'Empire sont de ce nombre, on y viendra aussi. Les écrivains d'aujourd'hui s'en servent et les confirment. Mais je suis absent et, en France, chacun prend son droit d'épave sur les idées, les vues ou les documents des naufragés; on se figure qu'ils ne reviendront plus (1). MARIE-LOUISE PAILLERON. La Vie Economique La situation charbonnière J'ai eu la bonne fortune de rencontrer tout dernièrerement un Anglais qui, tant par sa situation personnelle que par les relations qu'il possède dans les milieux dirigeants, est à même d'avoir une opinion autorisée sur bien des points, et en particulier sur la question du charbon. Lui ayant demandé ce qu'il pensait de la baisse actuelle du prix des charbons, je l'ai écouté avec intérêt me développer ses idées à ce sujet et me faire entendre son pessimisme sur la situation financière mondiale. Il prévoit que le charbon, qui coûtait de 75 à 120 shillings, il y a un an et demi et qui en vaut aujourd'hui 35, va continuer à baisser. Il ne serait pas étonnant de le voir descendre au-dessous de 20 0/0 dans l'hiver qui va venir. Pour comprendre les raisons de cet effondrement, il est bon de jeter un coup d'œil sur ce qui s'est passé depuis l'armistice. Il y avait à cette époque abondance de charbons. Le syndicat des mineurs fit campagne pour obtenir la nationalisation des mines. Depuis le début de la guerre jusqu'à cette année, les mines étaient contrôlées par le gouvernement, qui a accordé des augmentations de salaires importantes. Les salaires étaient calculés sur la base connue sous le nom de « Base de 1879 » augmentée ou diminuée d'une quantité variable avec le prix de vente du charbon. L'argent nécessaire pour faire face à l'augmentation accordée par le gouvernement était trouvée dans l'augmentation des prix du charbon d'exportation: le résultat de cette manière de faire a été une réduction dans les extractions et l'arrivée en Europe des charbons américains. (( Pour terminer la dernière grève, le gouvernement s'est interposé entre les propriétaires des mines et les ouvriers pour imposer un accord « économiquement mauvais ». La base des salaires appliquées est la base de 1879 » augmentée d'environ 186 0/0. On alloue aux propriétaires des mines 17 0/0 de ce qu'ils reçoivent, en vendant leur charbon pour couvrir leurs frais d'extraction, salaires, etc. Le reste (s'il y en a) est divisé comme suit : 17 0/0 aux propriétaires et 83 0/0 aux mineurs. Les salaires ainsi appliqués aux ouvriers pour le mois de septembre seront déterminés par les résultats obtenus au mois de juillet. Pour établir ce calcul, il est nécessaire de faire examiner les livres par des experts nommés par les propriétaires et les mineurs. Un seul exemple montrera combien une semblable manière d'opérer est dangereuse: Dans le département de Durham, on calculera le montant à payer aux mineurs en partant de la moyenne des frais d'extraction de toutes les mines et la moyenne du prix de vente de tous les charbons. C'est sur la base ainsi déterminée que les propriétaires des mines devront payer individuellement leurs ouvriers, quels que soient leurs frais d'extraction et leurs prix de vente. La moyenne calculée de cette façon avantagera une mine qui aura gagné et désavan (1) 31 août 1863. Inédite. tagera une mine qui aura subi des pertes dans le mois considéré; car il n'y a pas de répartition de bénéfices entre les mines. Un certain nombre de mines ne pourront plus, de ce fait, continuer leur exploitation. Mon interlocuteur m'a dit : « Cette chose, nous semblet-il, a été faite par le gouvernement pour se débarrasser des difficultés pendant un jour, quitte à y entrer de nouveau le lendemain, >> Quoi qu'il en soit, les mineurs ont repris le travail sérieusement; et il y a une augmentation notable dans les extractions, bien que 131 mines employant 25.000 ouvriers n'aient pas recommencé le travail depuis la grève et que 93 mines employant 29.000 ouvriers n'aient occupé jusqu'à fin juillet que 10 0/0 de leur personnnel pour permettre la réparation des puits envahis par l'eau pendant la dernière grève. Avant la guerre, l'Angleterre exportait des quantités énormes de charbon en Norvège, Suède, Allemagne et Russie. Ces pays n'absorbent plus autant; il y a abondance de combustible en Angleterre, tant par suite de l'accroissement de sa production que par l'importation des charbons américains achetés par le gouvernement, qui pensait que la grève allait peut-être continuer jusqu'au mois d'août. L'industrie anglaise est dans l'impossibilité de travailler tant que le prix du charbon excédera 20 à 22 shillings. C'est donc une nécessité vitale pour l'Angleterre que de voir diminuer son prix. Les mesures exagérées de protectionnisme destinées à empêcher l'importation en Angleterre des produits fabriqués à l'étranger, parce que l'industrie anglaise est incapable de les concurrencer tant que les charbons seront trop chers, ne sont qu'un expédient et n'amèneront pas la solution du problème. Mon interlocuteur anglais m'a dit combien nombreux étaient dans son pays les partisans du « free trade » et, tout en me disant qu'il ne devrait pas m'avouer chose pareille, il m'a déclaré qu'il trouvait, comme beaucoup de ses compatriotes, la politique de Lloyd George désastreuse parce qu'elle n'était qu'une politique à courte vue ; mais il n'y a personne pour le remplacer ! C'est le deuxième Anglais dont l'opinion a de la valeur qui me dit pareille chose. Il m'a dit aussi son pessimisme en général pour les années 1921 et 1922 au point de vue financier et économique. Il est certain que la baisse des prix des charbons anglais aura pour nous une répercusssion terrible sur les charbons de la Sarre; si les mineurs anglais demandent, comme on le suppose en Angleterre, ou seulement acceptent une diminution de leur salaire, je ne sais s'il en sera de même des mineurs de la Sarre. Enfin, mon interlocuteur me faisait part du désir qu'ont beaucoup de ses compatriotes de voir les gouvernements arriver à une entente financière et à la stabilisation des changes. Il est intéressant de remarquer ces tendances: elles ont déjà été préconisées en France il y a longtemps par Probus, fondateur de l'A. N. O. D. (1), avec une clairvoyance et une largeur de vues que nous voudrions voir partager par un nombre encore plus grand de nos dirigeants. Ces idées finiront-elles enfin par s'imposer? C'est infiniment souhaitable, car seules elles permettront de reprendre le libre échange qui stabilisera les relations économiques de pays à pays au lieu de voir, au contraire, les mesures de protectionnisme augmenter fatalement le malaise général. MARCEL LEBON. (1) « France », Association Nationale pour l'Organisation de la Démocratie, 3, rue Tronchet. Nos lecteurs se rappelleront quelle part l'Opinion a eue aux débuts de l'A. N. O. D. et comment elle lui a prêté ses colonnes durant longtemps. de D'une guerre à l'autre guerre LE CRÉPUSCULE TRAGIQUE XV LA TORCHE RENVERSÉE en Ainsi que l'écrivait Lembach, il était « loisible à Phi. lippe de se rendre, avec la mère également », à SilsMaria, et de nombreux parents obtinrent, environ cette époque, l'autorisation d'aller retrouver territoire neutre leurs fils malades ou mutilés; mais les formalités n'étaient pas simples, et ce n'est que plusieurs semaines après avoir reçu la lettre du docteur que les Lefebvre purent se mettre en route. Philippe, grand voyageur jusqu'à la guerre, n'avait pas une fois quitté Paris depuis les derniers jours du mois de juillet 1914. Outre qu'il se faisait un devoir, ou un point d'honneur, de ne pas se mettre à l'abri, il pensait avoir perdu le goût des voyages, dont tout l'enchantement pour lui était l'imprévu de la décision, la soudaineté du départ, le changement instantané de décor et de milieu. Ces facilités, qui naguère l'invitaient au voyage, étaient abolies. Il aurait eu, de toute manière, le parti pris de n'en point profiter jusqu'à la paix, et il n'en souffrait donc, pour ainsi dire, que théoriqueatment, mais il en souffrait. C'était, de toutes les « restrictions », la seule peut-être qu'il n'acceptât pas avec indifférence. De toutes les atteintes portées à sa liberté, soit pratique ou idéale, celle-ci lui était la plus sensible. N'avoir pas la permission d'aller où il lui plût, même résolu de ne point bouger, lui semblait tantôt une odieuse servitude et tantôt une taquinerie agaçante; et il aimait de rappeler que le droit de circulation, l'un des plus essentiels droits de l'homme, est expressément inscrit dans la fameuse charte de Quatre-vingt neuf. Il n'avait plus, hélas! personne pour qui de loin il pût s'alarmer; mais, surtout depuis qu'il avait consenti d'envelopper sa pensée dans les histoires feintes, il était aussi affecté, plus peut-être, par l'imaginaire que par le réel; et souvent il imaginait la cruelle gêne, la révolte, l'impuissance de ceux qui, en cette période de guerre, auraient eu plus que jamais besoin de se transporter vite d'un lieu à un autre, et que retardait indéfiniment l'attente d'un sauf-conduit. Vigny lui-même, qui par préjugé littéraire répugnait à ces commodités qu'il trouvait « sans grâce », n'en interdisait cependant l'usage que sauf exceptions : ...à moins qu'un ami menacé dans sa vie A moins qu'au lit de mort une mère éplorée Ces yeux tristes et doux qu'on ne doit plus revoir. Philippe s'était maintefois figuré ce qu'en pareil cas il eût senti; et voici qu'à rebours de toute vraisemblance, il lui avenait de faire lui-même l'épreuve de ce supplice de l'entrave, durant de longs jours, des semaines, et que cette expérience, au lieu de confirmer les hypothèses, si probables, de sa sensibilité, les démentait absolument! Il n'avait point de colère contre les obstacles qui différaient son départ; il mettait, à les vaincre, une lenteur, une paresse, une négligence. A l'idée de retrouver son fils perdu, de vérifier le miracle, de goûter une joie à peine concevable, il ne frémissait pas d'impatience, il était comme glacé par la peur. Il comptait les jours. Mais on ne les compte pas nécessairement parce qu'on a hâte de voir l'échéance arriver. On peut, il est vrai, tou jours se persuader que c'est pour cela, et les compter afin de se donner le change. Philippe ne se donnait pas le change. Il échouait quand il tentait par hasard un effort d'hypocrisie, et ne faisait que rendre, par réaction, plus inexorable cette clairvoyante franchise dont il avait coutume d'user envers lui-même. Elle avait du moins un avantage: s'il ne se pardonnait aucun de ses véritables péchés, dont il savait, bien mieux que les confesseurs de métier, connaître les circonstances aggravantes, les dessous, les origines et l'exacte valeur, il ne s'imputait pas à péché, en dépit des faux-semblants, les inconvenances de sentiment que sa conscience lucide et sa rigoureuse équité justifiaient. Il s'avouait sans détour qu'il n'était pas impatient de revoir Rex, qu'il avait une terrible appréhension de le revoir, mais que ce défaut d'impatience et cette appréhension n'étaient pas des monstruosités inhumaines : il n'en pénétrait que trop les raisons. S'il eût, avec les commodités d'autrefois, pu partir quelques heures après la visite de Jacques Hémery, le jour, le soir même, son voyage eût continué le rêve prodigieux commencé dans le moment qu'il avait dit à Jacques : « Mon fils est vivant » et que Jacques lui avait simplement répondu : « Qui ». Il eût accompli tout le trajet dans ce désarroi de pensée si favorable où il s'était trouvé toute cette journée-là; et la précipitation des événements, ne lui laissant le loisir, ni de respirer ni de se reprendre, eût provoqué d'une manière factice, mais qu'importe ? l'impatience que maintenant il souhaitait en vain ; elle eût provoqué le désir de voir Rex et aussitôt provoqué l'eût satisfait sans lui accorder des délais toujours dangereux : car les désirs qui attendent s'apaisent plus souvent qu'ils ne s'irritent. Mais Philippe avait eu le temps de réfléchir d'imaginer, d'avance, tous les épisodes du voyage différé, de ne pas se rappeler à satiété la scène initiale, la visite d'Hémery qui lui donnait, pour ainsi dire, la note de tout le reste; et comme l'annonce de son incroyable fortune, au lieu d'une joie surhumaine, lui avait procuré une angoisse physiquement presque intolérable, une tension nerveuse qui passait sa force de résistance et que nulle détente n'avait suivie, comme cette espèce d'atroce bonheur ne s'était pas, même après des heures et des jours, fondue en la douceur espérée, il lui devenait impossible de ne pas présager que ce pèlerinage qu'il allait entreprendre serait jusqu'au bout un calvaire. Il s'en attristait, mais il ne se faisait aucun reproche. La sensibilité des hommes, même supérieurs, ne peut goûter avec plénitude que les bonheurs moyens, les bonheurs possibles. Ceux qui semblent un défi à la loi de nature ne peuvent causer la joie: ils ne peuvent causer que l'étonnement. La sensibilité de Lefebvre était étonnée, et comme annulée par ce coup de foudre. Il se disait quel autre que lui aurait eu la franchise de cet aveu ? il se disait que l'on a besoin de s'accoutumer à l'idée de la résurrection, comme à l'idée de la mort de ceux qu'on aime, mais que peut-être a-t-on moins de peine à recevoir l'idée de la mort, qui est un phénomène naturel, que l'idée de la résurrection qui est un miracle. S'accoutumer ! Ce mot lui semblait impropre. Il ne pensait point qu'il pût s'accoutumer à la résurrection de Rex, mais qu'un jour, quand il aurait repris avec son fils des habitudes communes, quand ses yeux se seraient faits à le revoir, ses oreilles à entendre le son de cette chère voix, il oublierait, d'abord par instants, puis par périodes de plus en plus longues, puis enfin totalement, |