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La situation Orientale

Békir Sami bey et Djellaleddine Arif bey ayant apporté ici des propositions parfaitement acceptables, notre gouvernement paraissant les avoir favorablement accueillies, les Anglais déclenchent une nouvelle offensive pour appuyer les troupes grecques dont le moral est incertain.

La grande force des coloniaux britanniques est de ne jamais lâcher prise, l'échec ne les arrête pas. Ils ont plusieurs cordes à leur arc et savent jouer simultanément plusieurs jeux.

Pour comprendre celui qu'ils reprennent aujourd'hui, il faut remonter à la signature de l'armistice car, la continuité étant leur règle, ils se gardent d'inventer rien. Ce n'est pas une mauvaise tactique.

Donc, sitôt l'entrée des alliés à Constantinople, l'Angleterre organisait une association turco-anglaise for

mée de ses créatures.

Damad Férid en fut le chef, il réunit autour de lui: Moustapha Sabri, ancien député devenu Cheik-ul-Islam, le colonel Sadik bey, agent anglais qui venait de travailler en Egypte à la solde de l'Angleterre, Mehmed Ali, un aventurier marié à une Anglaise et devenu ministre de l'intérieur dans le cabinet Férid, le trop fameux Ali Kemal, Said Molla, un avocat sans talent et à turban vendu aux Anglais pour la modique somme de 150 1. st. par mois, Zeinel-Aledine, un cheik de Konia, député au Parlement de 1908, devenu sénateur sous le gouvernement de Férid, Vasfi Hodja, ancien député de 1908 devenu ministre et sénateur sous le même gouvernement, le docteur Riza, Tewfik, un Albanais député de 1908 promu ministre et sénateur dès l'arrivée au pouvoir de Damad Férid.

Voilà les principaux noms de la Société des « Amis des Anglais créée par la propagande anglaise; elle eut tout de suite des sous-comités en Anatolie ayant pour mission de réclamer le mandat anglais.

Les fonds secrets sont inépuisables, tout ce qui ne possédait pas une conscience solide fut sollicité. Les patriotes turcs répliquèrent par une contre-propagande et la lutte s'établit entre les deux camps, l'un renfermant une poignée d'hommes mais d'abondants subsides, l'autre les trois quarts de l'Anatolie.

bien armés, bien équipés par le gouvernement local. Il offrit, avant de les emmener vers la bataille, d'aller avec eux saluer la grande Assemblée nationale à Angora. Moustapha Kémal lui intime l'ordre de se rendre directement en premières lignes. Le complot avait échoué une fois à Angora, Déli-Bache devait cerner l'Assemblée et détruire ses principaux chefs.

Il changea d'objectif et tenta de réduire le gouvernement de Koniah pour prendre ensuite à revers l'armée turque placée devant Ouchak. Une force considérable fut envoyée pour l'anéantir; Déli-Bache et ses lieutenants s'enfuirent en Cilicie ; auparavant, ils avaient tué dans Koniah tous les officiers et fonctionnaires nationalistes qui tombaient entre leurs mains.

Ainsi, par deux fois déjà, l'entreprise avait échoué. Les Anglais firent appel à Moustapha Saguir, l'Hindou musulman, l'un de leurs meilleurs agents. Il prétendait être le délégué du Comité indien « Khilafe » et s'introduisit ainsi en Anatolie.

Les allées et venues de Saguir à Constantinople avaient été suivies de près par les nationalistes. Angora connaissait les noms du Comité formé pour l'assassinat de Moustapha Kémal. Deux soi-disant officiers turcs avaient été désignés pour l'accomplir, Saguir devait, à Angora même, préparer l'attentat. On le laissa venir. II fit son entrée en grande pompe. Son but était de renseigner l'Intelligence Department de Constantinople sur Angora, d'opérer une scission dans le Parlement et de faire disparaître Moustapha Kémal.

J'ai assisté au procès de Saguir, j'ai entendu ses révélations. L'on pouvait croire que l'activité de l'Intelligence Service en serait diminuée pour quelque temps. Ce ne fut pas le cas. Il suffit de connaître tout ceci, de lire attentivement les dépêches de Londres et d'Athènes au sujet de l'Anatolie pour comprendre que l'Angleterre reprend le plan de l'été dernier.

Parallèlement à l'offensive grecque, elle attaque à nouveau Koniah par les mêmes moyens, avec les mêmes hommes et, dans cette curieuse campagne contre les armées régulières de l'Anatolie, c'est elle qui, une fois de plus, organisera des bandes, armera des brigands, sèmera le trouble, fera assassiner, enfin usera de tous les procédés qu'elle met au compte de son adversaire le gouvernement d'Angora.

Les récentes dépêches de ses centres de propagande sont particulièrement suggestives. La situation se présente ainsi :

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Déjà, en 1919, les Anglais se vantaient auprès des Egyptiens d'avoir acheté le plus haut dignitaire de Constantinople à raison de 200 liv. st. par mois. C'est, D'une part, les délégués turcs rencontrent à Paris une en effet, ce que touchait Damad Férid. .Ali Kemal n'en recevait que 100 des mains mêmes du Révérend Frew. opinion des plus favorables, l'accord paraît en très bonne voie, notre gouvernement semble chercher à conAvec les fonds anglais, les troubles d'Ada Bazar d'occlure, mais rien n'est encore clairement établi. Les jours tobre 1919 furent organisés, Anzavour en fut le chef. Les nationalistes en vinrent à bout assez rapidement et réprimèrent également les émeutes de Bolou, de Zilé et de Vozgad, préparées par les mêmes agents. Toujours à cette époque, toujours de semblable origine, ce furent les troubles de Boz-Kir, près de Koniah, sous la direction du cheik Zeinel-Aledine; mais tout ceci ne donnait aucun résultat durable.

Alors les Anglais lancèrent les troupes grecques à l'assaut en juin et juillet 1920. A la fin de septembre 1920, ils menèrent à Koniah un mouvement de plus grande envergure.

Les Grecs s'étaient avancés vers Ouchak, le mouvement de Koniah devait s'étendre vers Afioum Karahissar et, de là, se joindre aux Grecs.

Le nommé Déli-Bache, brigand de marque, d'accord avec les agents de Zeïnel Aledine et le frère de celui-ci qui se trouvait à Koniah, sous prétexte de se rendre au front avec des volontaires, demande des armes au vali; celui-ci se laisse duper et donne ce qu'on lui demandait. Déli-Bache réunit ainsi un millier d'hommes

passent.

D'autre part, les coloniaux anglais, voyant le danger, attaquent à fond. La flotte britannique en Méditerranée se dirige vers Constantinople. Des régiments anglais choisis entre les meilleurs sont envoyés à Malte, premier pas vers une autre destination. Tout ce qui, à Constantinople vit des dons de l'Angleterre est mobilisé, l'action souterraine en Anatolie reprend avec une extrême vigueur.

Cette fois, c'est bien l'effort suprême des hommes de lord Curzon pour détruire le nationalismè turc et lur substituer des bandits authentiques ou des dégénérés incapables de se conduire par eux-mêmes.

Cet effort ne peut aboutir. Le gouvernement nationaliste est en mesure de le neutraliser, mais au prix de quels nouveaux sacrifices ?

Allons-nous rester inertes devant tant d'erreurs commises par nos alliés ? Nous ne pouvons plus plaider l'ignorance et l'Islam attend que nous songions à protester.

BERTHE GEORGES GAUCIS.

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C'est tout aussi cordialement que je viens vous dire, en même temps que notre regret de votre défaite, celle du beau combat que vous venez de soutenir outreAtlantique.

Mon article de l'Opinion me valut une invitation assez inattendue et qui m'amuse. Un groupe de sportsmen, de professeurs et de gens d'affaires américains vint me demander de participer à un déjeuner que l'on vous offrait et de vous y adresser quelques mots de sympathie. Ces braves gens étaient un peu déconcertés, un peu humiliés aussi de l'espèce de dédain que l'on manifeste dans certains cercles « intellectuels » de chez nous vis-à-vis de vos exploits et de la publicité qui les environne. Ils avaient à cœur, pour eux-mêmes autant que pour vous, qu'il fût déclaré que le respect de l'orthographe, de la grammaire et de la syntaxe est parfaitement conciliable avec une très franche admiration de ce que vous représentez.

J'ai eu grand plaisir dans cette petite réunion toute amicale à vous apporter en toute sincérité cette déclaration.

Un très grand nombre des gens qui travaillent du cerveau sont assez mal fichus pour ce qui est du reste de leurs muscles.

On sait d'autre part que la modestie raffinée, la crainte ombrageuse de la réclame sont le propre de la corporation qui compte parmi ses membres les plus éminents MM. Henry Bataille et Pierre Benoît.

Il n'y a donc rien de surprenant à ce que leur amourpropre un peu maladif et leur exquise pudeur soient pareillement rebutés au premier abord par la brutalité un peu tapageuse de votre gloire.

Mais il nous faudrait une singulière mesquinerie d'âme pour, à la réflexion, méconnaître la valeur de ce que vous représentez.

D'abord vous incarnez une superbe image de la force et de la beauté humaines. Ce serait renier toute la tradition éthique et esthétique dont nous nous réclamons que de ne pas vous être reconnaissant d'exister.

Je désavoue formellement tout helléniste capable de demeurer inexpugnablement grincheux devant votre silhouette et votre « record >>.

Et puis vous constituez pour notre jeunesse une manière de « héros », l'étendard symbolique dont la vertu est de premier ordre.

Le nombre est très rare des hommes capables de cultiver leur corps et leur âme pour le seul amour de T'hygiène physique et morale.

Il faut une vocation pour devenir ermite.

Il en faut une pour se livrer solitaire aux mornes pratiques de la gymnastique suédoise.

L'ambition, le désir d'exceller et de vaincre est le grand excitateur de votre activité.

De la réclame que vous avez faite au poing français, est née chez nous une floraison d'athlétisme.

Ce bienfait, socialement, est tel que les milliers de livres que vous avez rapportées d'Angleterre et la centaine de milliers de dollars que vous allez rapporter d'Amérique, ne me semblent pas disproportionnés avec se qu'il vaut.

Du fait que vous existez, que vous représentez pour leur appétit de triomphe une sorte d'idéal, un grand

nombre de nos adolescents sont arrachés aux misères de la débauche et de l'alcoolisme.

Vous êtes le plus efficace collaborateur et successeur du respectable M. Bérenger et de cet excellent Joseph Reinach.

Je ne revendique pas pour vous à ce titre un fauteuil sous la coupole, mais simplement le droit de hausser les épaules devant les pudibonderies que scandalise la formidable réclame dont vous êtes la victime autant que le bénéficiaire.

Mais naturellement oui qu'elle est puérile, et que Descartes et Pasteur qui ne la connurent pas furent quelque chose de plus que vous dans l'histoire de l'hu manité. Seulement ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit.

Il s'agit de savoir si vous et vos succès constituez une publicité utile au relèvement et à l'expansion de notre vigueur nationale.

A quoi je réponds sans hésiter que l'humanité étant ce qu'elle est, vous êtes une des meilleures.

Si vous aviez été vainqueur de Dempsey, votre prestige se fût trouvé accru vis-à-vis de vous-même et davantage encore vis-à-vis de nos excellents amis américains de la considération desquels nous avons grand besoin.

Je l'eusse donc vivement souhaitée.

Ce que votre défaite a de très honorable nous aidera à nous consoler.

Et si je sais gré à notre chauvinisme d'en avoir correctement accueilli la nouvelle, je ne lui en veux pas trop de lui chercher les circonstances atténuantes et j'espère de toutes mes forces, mon cher Patrocle, qu'elle sera une nouvelle raison d'arracher au bouge et à l'apéritif une foule d'Achilles désireux de vous venger. ANDRÉ LICHTENBERGER

Une Académie de Dames.

Lettre ouverte à M. Léon Bérard
Monsieur le Ministre,

L'Académie française a donné son grand prix de littérature française à Mme de Noailles. Elle a chargé des lauriers dont elle disposait un front charmant et une œuvre si fière qu'il n'y en a peut-être pas une chez les poètes aujourd'hui vivants qui lui puisse être comparée, sinon l'œuvre encore d'une autre femme, l'insoucieuse Mme de Régnier.

L'Académie française pourra demain inventer quelque nouvelle occasion d'admirer le lyrisme de Mme de Noailles. Lorsque Mme de Régnier aura fait aux Muses le sacrifice de sa nonchalance et qu'elle aura publié le recueil de ses poèmes, l'Académie française pourra étouffer l'auteur d'un flot de louanges. Une chose est impossible à l'Académie : appeler à elle une femme, fût-elle un grand poète. Ni Mme de Noailles, ni Mme de Régnier ne seront jamais de l'Académie.

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Le règlement de cette Compagnie s'y oppose, dit-on. Et c'est un cas singulier, si l'on y réfléchit, que cette timidité de nos contemporains à réformer des usages dont ils sont prisonniers. L'Académie ne vit pas, on l'imagine, sur ses règlements de 1629, lesquels étaient réduits à rien. Si l'idée des services qu'elle était appelée à rendre était fort claire dans la tête de son fondateur, elle-même, l'Académie, demeura quelque temps à découvrir ce que le siècle et la postérité tout ensemble voulaient d'elles. Mais je ne vous rappellerai pas, Monsieur le Ministre, une Histoire que vous connaissez mieux que moi.

Les esprits impatients de réformes, même aventurées, voudraient que, se rappelant les variations de nos mœurs, l'Académie ne se tînt pas elle-même pour immuable au

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près de ceux qui croient au génie militaire des Gambetta et des Freycinet. Le véritable objet de la fête, c'est le triomphe du radicalisme, et ses vrais héros sont les amnistiés. >>> C'est ainsi que furent baptisés le premier 14 juillet. et la distribution des drapeaux.

La Littérature

F. MARTIN-GINOUVIER.

(1) Romans nouveaux

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devons

Beaucoup de gens pensent que ce serait un grand bien que les peuples se connussent mieux. Soit; mais comment faire? Multiplier les traductions d'ouvrages. Soit encore; nul art national ne saurait longtemps se suffire à lui-même, et c'est grâce à des ferments extérieurs qu'il se renouvelle; pour nous, toute notre histoire littéraire témoigne de ce que nous aux littératures étrangères, et surtout méditerranéennes, depuis la Renaissance jusqu'au romantisme. Esthétiquement, la «< liaison intellectuelle » est donc fort utile; mais où ses partisans ont tort, c'est quand ils imaginent que, si les peuples se connaissaient mieux, ils se battraient moins.

Et d'abord parce que toute littérature n'est pas propre à faire aimer la nation dont elle sort. Notre littérature naturaliste, qui était d'une crudité et d'une obscénité extrêmes, n'a pas augmenté les sympathies dont jouissait notre pays dans le monde ; aujourd'hu: encore, au Canada, par exemple, ou dans beaucoup de milieux des Etats-Unis, « roman français », cela signifie un livre amoral, un livre qu'on ne se vante pas de lire, et notre prestige ne gagne rien à cela. La traduction de la Lettre aux Dalmates, de Gabriel d'Annunzio, n'a pas favorisé le rapprochement de la France et de l'Italie. Si l'on avait mis, avant la guerre, plus d'œuvres allemandes à notre portée, et que nous eussions été mieux instruits de l'esprit germanique, tout porte à croire que nous aurions supporté Agadir moins facilement. Depuis quarante ans, les lettres françaises dominent dans les pays latins; les écrivains italiens et espagnols doivent

tout à notre littérature réaliste : cela a suscité en Italie

une étonnante jalousie, et cela n'a pas décidé l'Espagne à nous faire paraître la moindre sympathie lorsque nous en avions besoin. Non, quand les peuples se haïssent, ce n'est pas seulement qu'ils ne se comprennent pas. D'abord une collectivité ne comprend rien; l'âme des foules est incapable de la moindre intelligence: Gabriel

de Tarde et le docteur Gustave Le Bon l'ont assez montré. Et supposer que les nations se détestent uniquement parce qu'elles ne se connaissent pas, c'est partir l'un optimisme à priori qui, vraiment, est tout à fait injustifié.

C'est le romantisme qui a créé cette foi mystique en la bonté du peuple, de la foule. Les républicains romantiques ont inventé le dieu Populo, source mystérieuse de tout bien, de toute bonté, de toute bonté ; et ce culte est encore très répandu; mais on peut, heureusement, être démocrate pour des raisons moins religieuses. Caliban n'est pas divin; le peuple n'est ni bon ni mauvais; il est tantôt l'un, tantôt l'autre ; ce n'est qu'une foule. Foin de l'absurde optimisme de Hugo, des « vieux républicains de 48 », et de la plupart de nos bons radicaux-socialistes ! Quand deux nations se détestent, ce n'est point seulement qu'elles s'ignorent, et la connaissance » réciproque qu'elles auraient l'une de l'autre augmenterait aussi souvent leur haine qu'elle favoriserait leur amour. Si les romans de M. Blasco Ibanez ont, comme j'imagine, beaucoup fait pour la

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France en Amérique, ce n'est point parce qu'ils sont d'un art tout français, c'est parce qu'ils présentent avec le plus grand talent et de la façon la plus vivante le bon droit des Alliés, la grandeur de leur effort et l'injustice allemande.

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M. Blasco Ibanez c'est la brève préface de son dernier roman traduit en français qui nous l'apprend a obtenu en Amérique un succès comme peu d'auteurs en ont connu. Ses Quatre cavaliers de l'Apocalypse, dans leur version anglaise, ont été vendus à plus de huit cent mille exemplaires. Son second ouvrage, publié durant la guerre, Mare nostrum, et le troisième, dont M. Alfred de Bengoechea nous offre la traduction sous ce titre Les Ennemis de la femme ont eu une vogue moindre, mais immense encore. Assurément les romans en langue anglaise, qui s'adressent à l'Angleterre et aux Etats-Unis, c'est-à-dire à un public infiniment plus grand que celui des romans français, peuvent atteindre des tirages que les œuvres de nos écrivains ne connaîtront jamais. Heureux les romanciers anglo-saxons ! Mais le succès de M. Blasco Ibanez doit nous réjouir à double titre, d'abord parce que l'auteur des Ennemis de la femme s'est prononcé chaleureusement pour notre cause, ou du moins pour celle des Alliés, et contre l'Allemagne, et qu'il a fait aux idées françaises en Amérique la plus heureuse propagande; ensuite parce que son art s'inspire si directement de celui de nos romanciers réalistes de la fin du siècle précédent et du commencement de celui-ci que, pour un peu, nous considérerions ses succès comme ceux d'un compatriote.

Qu'au moins on n'aille pas les imaginer comme des plaidoiries déguisées, ni même comme des romans à thèse. M. Blasco Ibanez s'y montre parfaitement « objectif », et il s'applique avec autant de soin que nos réalistes à ne dégager de ses récits aucune leçon politique ou morale. Mais il nous la suggère. Il a des opi

nions très fermes : on les sent. Et c'est fort bien ainsi. X

M. André Thérive, qui publie d'excellents articles dans diverses revues, et principalement dans la Revue critique, traite volontiers des questions de langage. Il y fait paraître, à mon avis, beaucoup de goût et de compétence; toutefois, j'ai souvent été surpris de le voir admettre comme une vérité démontrée que nous avons à cette heure une langue littéraire et une langue parlée, assez distinctes; cela me semble bien exagéré. Au temps où le symbolisme et les Goncourt triomphaient, il fut de mode d'écrire un langage artificiel, fait de quelques voyants archaïsmes (ou prétendus tels), et surtout de mots et de tournures nouveaux, idiome ensemble prétentieux et tarabiscoté, et au total aussi toc que les bijoux d'étain et de verre coloré que « l'art nouveau » produisait vers le même temps. Les écrivains prétendaient alors se créer un langage spécial, distinct du parler commun, et qu'ils appelaient un "style d'art >>; peut-être, si cette vogue avait duré, eussionsnous vu se former une véritable langue littéraire. Heureusement, l'influence d'Anatole France remit ordre à cela en rétablissant les bonnes traditions de vocabulaire et de syntaxe. Sans doute, un Huysmans (si savouperpétué la tendance à user d'une langue reux, d'ailleurs), un Paul Adam, et quelques autres ont ils sont rares, grâce aux Muses.

J'entends bien que ce n'est pas de la sorte qu'ordinairement se constitue une langue littéraire, que ce n'est point par innovation, mais au contraire par résistance. Tout idiome évolue d'âge en âge, et par la parole plus vite que par l'écriture. Lorsque les écrivains ne veulent pas accepter les changements apportés par l'usage et s'obstinent à n'employer que le langage d'une époque déterminée du passé, c'est ainsi qu'il se forme une langue écrite, une langue savante, qui tend à différer de plus en plus du parler populaire. Mais en sommes

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nous là. ? Sommes-nous même sur cette voie ? Sans doute nos meilleurs écrivains (je veux dire ici les plus doués de cette beauté purement linguistique ou grammaticale qui est une des parties de la beauté du style), ils sont conservateurs; mais il en a toujours été et il en sera toujours de la sorte. Ce qu'on appelle pureté de langage, en tous temps, c'est tradition; et si les « fautes» sont souvent des règles futures, des règles qui s'ignorent, il leur faut, pour s'imposer, beaucoup de temps. Je sais bien qu'actuellement plusieurs de nos bons auteurs chérissent particulièrement quelques tournures qu'on n'emploie pas habituellement dans la conversation courante, et qu'ils s'appliquent à donner à leur style un aspect légèrement archaïque. Mais, au total, il ne l'est guère. C'est que, maintenant, le français évolue très lentement; nous sommes plus près de la langue du XVIIIe siècle que celle de Malherbe ne l'était de celle de Desportes. Aussi est-il bien peu de tournures classiques que l'on ne pût employer dans la conversation courante. M. Abel Hermant qui écrit ses romans dans la langue de Voltaire, parle (ou il ne s'en faut guère) comme il écrit: nous en avons eu la preuve la semaine dernière en l'écoutant improviser une allocution au dîner d'une association qu'il préside; or, il semblait qu'il s'exprimât tout au plus avec un peu plus de soin et de correction qu'on ne fait à l'ordinaire. Je crois bien que, parmi nos auteurs, celui qui, au contraire, écrit le plus, exactement « comme on parle », c'est M. Tristan Bernard; il s'applique à reproduire la langue moyenne de la conversation et y réussit mieux que personne voyez plutôt ses charmants romans et par exemple celui qu'il publiait naguère, l'Enfant prodigue du Vésinet (1). Eh bien, il y a certes de la marge entre le style de M. Abel Hermant, ou de M. Henri de Régnier, et celui de M. Tristan Bernard, mais, à y bien regarder, la différence est, beaucoup plus que dans la langue, dans le ton.

Naturellement, «< comme on parle »... c'est vague! Car on parle de bien des façons, selon le milieu auquel on appartient. La différence de vocabulaire et de syntaxe est plus grande entre le discours familier d'un homme du peuple de la dernière catégorie et celui d'un homme bien élevé et cultivé, qu'entre le style écrit de Jules Lemaître (qui est le plus simple, le plus invisible, le plus proche de la causerie) et le style oral de cet homme de bonne compagnie. Où commence donc le français littéraire? Dieu merci, il ne commence pas, car il n'existe point. En tous temps, on a toujours pris plus de liberté, ou, si l'on veut, commis plus d'incorrections en parlant qu'en écrivant; mais il n'y a en France aucun fossé entre la langue écrite et le bon usage parlé. Félicitons-nous en, car, s'il en était un, ce serait là un bien mauvais présage pour l'avenir de notre littérature.

EX

Si l'on s'étend de la sorte sur ces questions de langage, c'est qu'un très distingué roman de M. Thérive et un très vigoureux roman de M. Larrouy y invitent. Tous deux sont écrits d'une façon singulière. Mais tout d'abord notons qu'il ne faut pas confondre langue et style. La première est, en quelque sorte, la matière du second. Elle peut avoir sa beauté propre, mais cette "beauté grammaticale » n'est qu'une des parties de celle du style. Très rarement un écrivain, même admirable, est également doué du don d'enchanter par son imagerie, d'enchanter par la musique de sa phrase et d'enchanter par la qualité de son langage. Un styliste merveilleux comme Flaubert, bon musicien et incomparable peintre, use d'une langue médiocre. Un Courier, au contraire, vaut surtout par là. S'il fallait ranger

le premier mérite de son style, c'en est la matière; en ce sens, il écrit très bien.

Presque trop bien. Il y a des moments où l'on trouve vraiment quelque disproportion entre le raffinement délicat et la recherche de son langage, et ce qu'il exprime. Ou, pour mieux dire, c'est le soin et l'apprêt qu'ici l'on sent un peu trop. Il n'imagine pas comme un d'Annunzio, certes, ni ne s'y efforce; il ne rythme pas comme un Jules Tellier, et d'ailleurs son livre est un roman, non un poème en prose. La beauté à laquelle il est le plus sensible, c'est celle que j'ai appelée « grammaticale ». Il est impeccable (1) et curieux de philologie comme tous les amoureux de notre français.

Son sujet est assez pénible. C'est l'histoire d'un intellectuel, écrivain célèbre, vieux garçon sec, égoïste, amer, chagrin et malade, qui se retire en Suisse durant la guerre, et là, se proposant de penser librement et impartialement, comme au-dessus de la mêlée, se voit peu à peu compromis, entraîné par la force des choses dans le neutralisme, puis pratiquement dans l'internationalisme, et meurt dans le dégoût de tout. Les milieux un peu interlopes, les types un peu louches, les âmes froides et troubles, les anarchistes choquants pour le goût, qui. entourent ce Taillandier, sont d'une grande variété. La gêne indicible où tous ces déracinés vivent, on la partage malgré qu'on en ait. Et il ne faut pas s'étonner si un esprit fin et intelligent comme est M. André Thérive a su si bien se garder de toute partialité, nuancer, faire voir les divers côtés de ces âmes, comprendre enfin. Il manque pourtant de je ne sais quelle chaleur et quel mouvement, quelle spontanéité dans le récit, quel pittoresque, quelle abondance et quelle fraîcheur dans l'invention de détail, quels dons de romancier enfin. Mais c'est bien le livre le plus distingué.

X

M. Maurice Larrouy a signé d'un pseudonyme (René Milan) divers ouvrages, et il est l'auteur de cette Odyssée d'un transport torpillé, pleine de brio et de verdeur, qui eut un vif succès dans la Revue de Paris, puis en librairie. Il nous donne aujourd'hui un roman, Rafaël Gatouna, Français d'occasion, qui fait avec celui de M. André Thérive un contraste parfait.

Non, jamais on ne vit langue plus déplaisante que celle de M. Maurice Larrouy! L'Odyssée d'un transport torpillé était écrit dans le langage spécial, mêlé d'argot, qu'on parlait sur tout le front pendant la guerre; c'était on ne peut plus amusant et pittoresque. Malheureusement, pour Rafaël Gatouna, M. Larrouy a pris son << style d'art ». Et, dame! ce n'est plus cela. Il écrira tranquillement :

Encore qu'il ignorât de quel crime politique il était devenu légataire, ni même où se trouvait Raguse,

ce qui n'est qu'une inadvertance; ou encore :

Cette traversée de Rafaël ne ressembla guère à son baptême maritime du petit vapeur aux poissons.

d'où vous auriez tort de conclure qu'il s'agit du baptême d'un petit vapeur par Rafaël. Mais cela n'est rien; ce qui est grave, c'est la vulgarité de ce français artificiel, sans race, tout plein de mots de formation savante et des plus fâcheuses tournures du journalisme à prétention littéraire :

La suspicion qui l'enveloppait, la nature peu satisfaisante de ses déclarations, eussent abouti sans doute à quelque fiétrissure pénale, si la victime avait pu prouver l'abus de confiance antérieur. (...) Son aplomb désarçonna le plaignant, qui entra dans la voie de l'incertitude, puis du doute, et enfin n'osa plus maintenir son imputation.

Quel bon écrivain tournerait sa pensée de la sorte? (1) Sauf quelque rien moins que pour rien de moins que. Ce

M. André Thérive dans une catégorie, nous dirions que n'est qu'à un connaisseur comme M. Thérive qu'on peut signa

() Flammarion éd.

ler de pareilles vétilles; et, au reste, c'est là peut-être une faute d'impression.

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