Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[graphic]

hommes susnommés ne sont nullement des spirites et que vous comptez le démontrer. C'est, je crois, vouloir enfoncer une porte ouverte. Jamais les spirites (je parle des spirites éclairés et renseignés) n'ont prétendu que tous ces hommes éminents étaient des leurs.

Je ferai ici cette petite remarque que j'avais pourtant, en effet, entendu très souvent cet argument (beaucoup de mes lecteurs aussi, j'en suis certain); et, en particulier, ainsi que je le rappelais l'autre jour, ce fut le seul qu'employa, dans une séance publique, M. Albin Valabrègue. Cela prouverait, me dit-on, que M. Albin Valabrègue n'est pas un spirite éclairé et renseigné. C'est fort possible, après tout.

Ils ont invoqué leur témoignage au point de vue des faits psychiques et non de leur explication...

Quand on invoque le nom du professeur Richet comme témoin des matérialisations de la Villa Carmen et de l'Institut Metapsychique, cela ne veut pas dire qu'il soit spirite. Le professeur Richet ne l'est pas et ne l'a jamais été.

Par contre, le docteur Geley est spirite. Il est possible qu'il ne l'avoue pas officiellement en raison de sa qualité de directeur de l'Institut Méta psychique, parce qu'il veut rester sur un terrain neutre. Mais je me fais fort de vous prouver que le docteur Geley est spirite (qu'il le proclame ou non) et cela par des citations de ses propres ouvrages.

(Ici, naturellement, je laisse la parole, si bon lui semble, à M. le docteur Geley) (1).

M. Camille Flammarion a toujours dit qu'il n'était pas spirite ou, plus exactement, il a toujours dit : Nous ne savons rien, cherchons. Ce qui n'est pas du tout la même chose.

Ici, mon correspondant n'a pas de chance, puisque, précisément, M. Camille Flammarion vient de nous écrire spécialement pour nous dire qu'il est spirite (2).

Suivent quelques mots sur les dogmes spirites, qui seraient inutiles ici après le magistral exposé de M. Gabriel Delanne (3). Et voici, à mon avis, le passage essentiel :

Il y a, en réalité, trois hommes éminents qui sont actuellement qualifiés pour parler du spiritisme: Ernest Bozzano en Italie, sir Oliver Lodge en Angleterre et Gabriel Delanne en France.

Puis M. Louis Lormel conclut :

Certains spirites n'osent pas s'avouer spirites, soit parce qu'ils craignent le ridicule (il faut reconnaître que le spiritisme a été déconsidéré, aux yeux du public, par de désolantes farces), soit parce qu'ils ont une situation officielle et ne veulent pas passer pour fous. L'humanité en est encore là !

Je me demande, par exemple, ce que peuvent être des phénomènes qui ont une « tendance invincible à se rattacher à une personnalité défunte » et qui ne sont pas des phénomènes spirites. Evidemment, il y a l'explication avec le fameux Subconscient, mais ce Subsconscient

[blocks in formation]

omniscient, omniprévent et omnipotent, est beaucoup plus invraisemblable que l'existence des Esprits. Veuillez agréer, etc...

LOUIS LORMEL.

Je pense que le lecteur aura pris un vif intérêt à cette page, que le nom, la situation considérable et le grand talent de son auteur rendent particulièrement précieuse

pour nous.

Ce qui est important, c'est que, d'après M. Louis Lormel, il n'y a actuellement que trois grands hommes dans le spiritisme Gabriel Delanne, Oliver Lodge et Bozzano. N'ai-je point le droit de dire que cette déclaration vient tout à fait en confirmation de ce qui a pu se dégager jusqu'à présent de ma modeste étude ?

[ocr errors]
[ocr errors]

Une avalanche de lettres : c'est là ce que j'ai reçu. Il y en a de toutes sortes: quelques-unes me grondent fort (1), la plupart veulent bien me féliciter. Quoi qu'il en soit, il ne saurait être question ici, je l'ai déjà dit, de se lancer dans une grande polémique, et il m'est impossible, par conséquent, de répondre à ces correspondants qui, au surplus, paraîtraient sans doute n'avoir aucune autorité pour parler à côté des personnalités qu'on a entendues jusqu'à présent (2).

Par contre, voici qui va nous arrêter plus longuement. J'ai reçu, bien avant beaucoup d'autres, et dès mon deuxième article, pas mal de lettres, dont la teneur, à travers des développements variés, peut se résumer en cette simple phrase:

[ocr errors]

Nous sommes catholiques: nous voudrions bien savoir, d'une manière précise, si nous avons le droit de nous occuper de ces choses. Ne pouvez-vous nous faire entendre, parmi d'autres voix, la voix de l'Eglise ?

Une telle curiosité, que j'avais bien un peu prévue, m'a paru des plus légitimes. Et c'est pourquoi je me suis remis en route et suis allé, tout droit, trouver le R. P. Mainage.

Le P. Mainage, des Frères prêcheurs, professeur d'histoire des religions à l'Institut catholique, s'est consacré officiellement, depuis quelques années, à l'étude des questions de spiritisme et de sciences psychiques; et nul plus que lui, présentement, n'était qualifié pour nous donner une opinion autorisée

c'est

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

(2) Combien j'aurais voulu faire une exception encore pour une fort belle lettre de M. Georges de Dubor, l'auteur des Mystères de l'hypnose, que je devrais reproduire. Mais la place me manque qu'il m'en excuse. En voici le passage essentiel (M. Georges de Dubor, bien entendu, n'est pas spirite) :

[graphic]

((...

La thèse que je défends... est précisément celle qui vous occupe et qui est aussi celle de mon ami Flammarion et de Charles Richet... La plupart des phénomènes dits spirites ressortissent au domaine de l'hypnose et ne sont que des faits physiques de matérialisation. J'ai assisté, pendant tout un hiver, à ces phénomènes de matérialisation; j'ai vu le sujet, en état d'hypnose profonde, se dédoubler en ma présence, avec une lumière me permettant de tout voir, et cela sans rideaux, sans placard, sans aucune préparation, par conséquent dans les conditions les plus certaines de vérité et d'authenticité. >>

le mot. L'année dernière, il s'est attaqué publiquement au spiritisme, dans une série de conférences. On peut ne pas partager les croyances du très érudit dominicain, mais il faut bien reconnaître que les spirites furent alors fort en colère : par la plume et par la parole d'un de leurs jeunes chefs actuels, ils ripostèrent et ils continuent à riposter. Le petit ouvrage auquel j'ai fait allusion l'autre jour, La réalité spirite, rédigé par ce nouveau chef, qui fait des efforts vraiment touchants pour qu'on s'occupe de lui, et préfacé par M. Gabriel Delanne, est tout justement un <<< essai de réfutation des sermons du R. P. Mainage ». Il est d'ailleurs d'une pauvreté d'argumentation d'argumentation lamentable, et j'avoue qu'elle me fait de la peine pour les spirites eux-mêmes. - Chaque fois que le P. Mainage prend la parole en public, le jeune chef en question distribue, à la sortie, des invitations à une réplique, également publique et écrasante. D'autre part, quand il parle lui-même, il invite préalablement, par lettre recommandée, le dominicain à venir discuter librement, même lorsqu'il s'agit d'une manifestaion «< artistique » avec exhibition d'une danseuse. Il faut espérer - et, pour ma part, je le souhaite de tout mon cœur qu'un tel zèle sera quelque jour récompensé !

[ocr errors]

Un appartement modeste sur une cour de la rue de Grenelle; une toute petite antichambre; puis l'austère oratoire, avec quelques fleurs sur l'autel, une tenture de velours gris brodée aux armes de saint Dominique portant la fière devise « Veritas » ; un grand silence; une atmosphère de foi, de travail et de paix, loin des vaines agitations... Et me voici devant le P. Mainage, habillé de la belle robe de laine, blanche, le visage jeune et hardi, le geste net, la parole précise.

J'ai exposé ma requête, et, tandis que nous passons dans le cabinet de travail, mon interlocuteur se recueille quelques instants.

Nous transcrirons dans notre prochain numéro son intéressante réponse. (A suivre.)

Voyages

PAUL HEUZÉ.

Le crime et le châtiment

[ocr errors]
[ocr errors]

Au moment même où nous lisons dans les journaux que certains Etats européens, qui ont rayé la peine de mort de leur code, vont être obligés de la rétablir pour tenter de diminuer l'épidémie de crimes qui sévit chez eux, une étrange nouvelle nous parvient de Reno, la capitale de l'Etat de Nevada, célèbre par la facilité avec laquelle on pouvait s'y aller faire divorcer avant que Mary Pickford n'y obtînt un divorce que même les juges du Nevada ont trouvé scandaleusement truqué, les législateurs de l'Etat de Nevada et le pouvoir exécutif, en la personne du gouverneur de l'Etat, viennent de décider que, désormais, les condamnés à mort seront exécutés au moyen d'un gaz qu'on leur fera absorber sans même qu'ils s'en aperçoivent. Une chambre spéciale sera construite à cet effet dans la prison d'Etat on y conduira le condamné dès que la sentence aura été rendue; et là, une nuit, tandis qu'il dormira, le gaz fatal lui sera administré, tandis que le directeur de la prison, le docteur et six personnes honorables âgées de plus de 21 ans, protégés du gaz par quelque cristal secret, assisteront à ce mystérieux passage de vie à trépas.

Vous imaginez la scène et la terreur profonde du misérable, une fois qu'il a passé la porte feutrée du cachot mortel. Il sait que rien ne viendra le prévenir, si le chef de l'Etat lui refuse sa grâce; il sait qu'il est inu

293

tile qu'il pense à rien ni à personne, que des soporifiques sont peut-être dans ses aliments, que peut-être à l'instant, sans même qu'il y songe, il va s'endormir pour ne plus se réveiller. S'il a la moindre imagination (mais les criminels n'en ont pas, sans quoi ils eussent découvert un autre moyen que l'assassinat pour résoudre le problème de la vie), il va suer d'angoisse jusqu'au moment même où le sommeil le prendra .Et que sera-ce, si ce sommeil n'est pas le dernier, s'il se réveille et s'il hésite encore une fois devant le verre d'eau, le potage ou le wisky somnifère ? Littéralement, il faut, pour résister à ces angoisses un courage passif extraordinaire, et le lâche se cassera la tête contre les murs.

Et pourquoi toutes ces précautions? demanderezvous. Pourquoi ne pas employer d'autres procédés? C'est que, jusqu'ici, la loi de l'Etat de Nevada, fabriquée l'Amérique, donnait au condamné à mort le choix entre dans les temps énergiques où les pionniers conquéraient la pendaison et la fusillade. Et les citoyens de l'Etat de Nevada étaient devenus tellement sensibles qu'ils ne pouvaient plus se faire à l'idée d'un genre de mort aussi brutal et que, par suite, ils ne condamnaient presque plus à mort. Et le résultat dernier de cette sensiblerie a été que le nombre des assassinats allait en croissant dans l'Etat de Nevada. Il a donc fallu chercher un genre de suppression des criminels qui soit d'accord avec la sensibilité des jurés du Nevada: on a trouvé le gaz qui fait mourir sans douleur. Et comme la mort est la seule chose que craignent vraiment les assassins de profession, on espère ainsi arriver à des résultats plus efficaces et décourager le crime, autant que faire se peut.

Tout ceci me plonge dans un abîme de réflexions. Je n'ignore pas, ayant eu sous mes ordres, dans un bataillon d'infanterie légère d'Afrique, un certain nombre de voleurs et de récidivistes, que la seule chose que craignent les dévoyés, ce sont les châtiments corporels. Un Etat des Etats-Unis les a rétablis : il a agi sagement. Nous n'aurions pas tant de souteneurs et de cambrioleurs, à Paris et sur la Riviera, si on les rossait soigneusement chaque fois qu'on les pince. Mes joyeux me l'ont souvent dit la seule chose que craignent les escarpes, ce sont les coups. Et, dans les cas graves, la mort.

:

Je suis même persuadé que le supplice de la mort moderne, tel qu'il est appliqué dans nos Etats, n'est pas assez horrible pour émouvoir certaines têtes carrées (c'est d'ailleurs pour cela que le Boche, qui est le criminel de l'Europe, ne reculera pas devant les chances de mort en temps de guerre et déclenchera cette guerre dès que la guerre, en tant qu'opération commerciale, lui apparaîtra comme une chose faisable et gagnable par lui). La mort par pendaison, par la guillotine, par fusillade, par le gaz, qu'est-ce que cela pour un esprit obtus? D'abord, il se dit faussement d'ailleurs qu'il a plus de chances de s'échapper que d'être pris. Ensuite, il se dit que, s'il est pris, il ne sera peut-être pas condamné et que, au pis-aller, ce ne sera jamais qu'un moment d'ennui à passer et non une souffrance réelle. Car, n'ayant pas beaucoup d'imagination ni de sensibilité, il ne souffrira guère moralement. Tandis que s'il savait par avance qu'il va être soumis à des supplices chinois, ou au supplice marocain du sel, ou à quelque autre genre de torture, il réfléchirait peut-être avant d'agir. Et le nombre des crimes diminuerait.

[ocr errors]

Lorsque l'on condamne un homme à mort, ce n'est généralement pas pour lui faire plaisir. C'est même pour l'embêter le plus possible. Tout ce qui contribue à l'embê

ter moins, va contre le sens et le but de l'arrêt de mort. Logiquement parlant, il devrait même y avoir plusieurs genres de mort à la disposition des jurés, de façon à proportionner le châtiment à l'offense.

La sensiblerie des hommes modernes, qui n'est même pas digne du nom de sensibilité, ne mérite qu'un regard

[graphic]
[ocr errors]

de dégoût. Cette sensiblerie, lorsqu'elle s'applique au châtiment des criminels n'est qu'une des formes du suicide. Car, si nous finissons par admettre qu'une brute court peu de risques lorsqu'elle tire des coups de revolver pour voler un garçon de banque ou pour empêcher un vieillard de crier pendant un cambriolage, il n'y a plus de vie sociale possible, et tout le mécanisme de notre existence moderne est entamé. Nous n'avons plus qu'à sortir tous avec une mitrailleuse de poche et à faire le vide autour de nous, dès que la moindre figure suspecte paraît à l'horizon. Ce n'est plus la civilisation; c'est la régression à l'âge des cavernes.

Evidemment, on dira ici que j'exagère et que je suis un peu fol. Mais non, je m'offre seulement le luxe d'une démonstration par l'absurde: je pousse les choses à leur extrémité, à leur terminaison logique.

Jusqu'ici, nous sommes plus modérés : nous nous contentons, modestement, de courir paisiblement des chances stupides d'assassinat, de vol, de cambriolage. A NewYork, à Paris, l'escarpe joue du browning avec facilité; le bourgeois, le petit boutiquier encaissent, et l'agent se fait zigouiller. Si l'on trouve cet état de choses excellent et définitif, c'est moi qui ai tort dans mes demandes de châtiments corporels sérieux. Sinon, c'est le bourgeois sensible, mais soumis à tant de chances d'assassinat, qu'il ne m'apparaît plus que sous la figure d'un maître

[blocks in formation]

Les études locales et la jeunesse

Ce n'est pas une de ces ridicules académies de province où quelques hobereaux rencontrent quelques ecclésiastiques pour échanger de mauvaises rimes, que la Société d'Etudes archéologiques de Draguignan. Le mérite de cette assemblée est d'être ouverte aux meilleurs habitants du pays. Il y a là des érudits de valeur comme son président M. Joseph Gubert. Son animateur fut longtemps le bon M. Mireur, archiviste du Var et auteur d'études sur le Tiers-Etat que M. Charles

mon

Maurras a souvent commentées. M. Maurras s'honore d'ailleurs d'appartenir à cette société. Les plus sûrs esprits de la province font de de même. Pour compte, j'aime la société dracénoise pour l'aimable caractère qu'elle a su se donner. On y voit des dames comme Mlle Bouyer-Karr, qui porte un nom célèbre et qui sait de si belles histoires de chemineaux. On y voit aussi de jeunes visages et ce n'est pas quelque chose à dédaigner. Les dirigeants de la société en veulent faire le centre des études locales dans le pays. Leur dernière délibération est à retenir. Ces messieurs ont décidé de réduire de 24 à 3 francs la cotisation pour les élèves des écoles normales, futurs instituteurs. Nombreux, les élèves-maîtres se sont fait inscrire à la savante compagnie. Je ne sais rien de plus réconfortant.

La guerre a transformé nombre de nos instituteurs. Beaucoup en sont retournés officiers et ne pensent guère à ce plat antimilitarisme d'Aliboron qui au Congrès de Chambéry avait fait des siennes et que Maurice Barrès alors avait flétri. Mais il faut penser à ces jeunes hommes retournés dans leurs communes rurales. Vont-ils de nouveau servir de courtiers électoraux aux candidats radicaux, socialistes ou communistes ? La jeune génération y semble peu portée. Elle a manifesté a plusieurs reprises son désir d'être dégagée des ambitions politiciennes.

Dans les villages, nos instituteurs ne sauraient avoir de meilleur passe-temps que d'étudier l'histoire locale, le parler du pays, la géologie, les ressources. Déjà, dans le passé, une fort belle tradition honorait l'enseignement primaire. N'était-il instituteur public ce bel et bon génie obesrvateur et philosophe que fut Henri Fabre? Par son œuvre de propagande, Mistral trouva, auprès des membres de cette branche de l'enseignement, des zélateurs dévoués. L'esprit nouveau a pénétré ces milieux; l'an dernier, on étudia l'histoire du Béarn à l'Ecole normale de Pau. Depuis cette année, on enseigne la langue provençale à l'Ecole normale d'Avignon. Puisse-t-il en être de même dans chacune des provinces de France pour les études locales ! Dans les écoles normales primaires, on devrait suivre les dispositions des jeunes maîtres et aiguiller les uns vers l'archéologie, les autres vers la botanique ou la zoologie, d'autres vers la géographie humaine ou l'inventaire des richesses économiques du secteur qui lui serait confié. Le résultat moral serait considérable. Ils ne travailleraient plus à la révolution sociale, les bons esprits qui cultiveraient la science ainsi. Pour mon compte, je préférerai toujours un Henri Fabre à un Raffin-Dugens, ancien instituteur dans le Graisivaudan ou à un Alexandre Blanc, pédagogue orangeois.

De mêmes directions devraient être appliquées partout où l'on forme des éléments de jeunesse. Les séminaires devraient être des séminaires d'érudits, de savants; quelles distractions par les soirées solitaires à la cure que d'étudier l'histoire de la paroisse ou classer dans un herbier, les plantes du pays! Le clergé français, avec un Ulysse Chevalier, a pris une part trop grande à l'inventaire du passé national et local pour qu'il soit nécessaire d'insister.

Il conviendrait de faire de même au sein des Facultés protestantes. Suivant une solution naturelle au renforcement des capitales régionales, la Faculté de théologie protestante de Montauban s'est transportée dans la cité industrielle de Montpellier. Qu'il serait bon d'y pousser à l'étude du passé religieux les étudiants! Nos pasteurs ont eux aussi pris une grande part à l'étude de nos antiquités. Je sais aux Baux un pasteur vénéré, M. Gestandeaux, de Mauriès, qui a passé trente années d'une longue vie, pleine d'oeuvres, à fixer l'histoire de la vieille cité.

:

Ces éléments, très divers, ne doivent pas s'ignorer. Je signalais ici-même, l'an dernier, le généreux et nécessaire effort de l'Ecole du Palais des Papes, l'Institut Palatin d'Avignon où élèves des écoles normales, des séminaires, des lycées et des collèges, se réunissent pour étudier l'histoire, les traditions, les lettres de la région. On me répondit : « La Ville sonnante fut toujours ouverte et libérale cet accord y est naturel; mais allez donc l'essayer dans des villes divisées ! >> Nîmes est une de ces villes, séparées par deux confessions. Eh bien, l'Ecole Antique, sous l'impulsion d'un savant connu, le commandant Espérandieu, de l'Institut, vient de renouveler le miracle d'Avignon. Ici, comme là-bas, les animateurs déclarent : « Nous ne voulons plus de deux jeunesses vivant côte à côte et s'ignorant pour mieux se combattre plus tard. >>

une

Je rêve d'une commune rurale où le curé étudierait l'histoire locale, le pasteur la géologie, l'instituteur la botanique, et où tous deux examineraient dans amitié locale leurs fiches, leurs cailloux, leurs cartons. Ne croyez pas que je rêve. Nous verrons cela dans deux ou trois ans, quand les séminaristes, étudiants et instituteurs de l'Ecole du Palais des Papes ou de l'Ecole Antique, nommés dans leurs cures ou leurs écoles, se retrouveront dans leurs villages après avoir étudié ensemble dans l'institut des cités. Ce jour-là, le régionalisme aura accompli le miracle de l'amitié française.

MARCEL PROVENCE

[ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors]

D'une guerre à l'autre guerre

LE CRÉPUSCULE TRAGIQUE

XIII

LE SECOND LINCEUL DE RÉX

De longs mois avaient passé. Philippe s'était, comme tout le monde, « installé dans la guerre », au mépris d'une des plus sottes formules que l'on ait inventées durant cette période, où agir n'empêcha point de faire des mots, et les pires : des mots historiques. Comment n'eût-on point, sans le vouloir, pris des habitudes? Elles étaient très simples. On se mettait à l'abri comme on pouvait et on attendait la fin de l'orage. La patience ne se lassait point; la confiance était mélancolique, vaguement sceptique, et cependant s'échappait en espérance au moindre prétexte, se refusait au désespoir contre toutes les raisons. Les privations matérielles ne comptaient pas. Les alertes étaient un divertissement passablement sinistre, dont Philippe et Madeleine redoutaient surtout le dérangement et l'ennui.

Sans doute, ils auraient eu sujet d'envier ceux pour qui le drame était double, privé et public, ceux qui avaient encore quelqu'un pour qui trembler. Eux, ils ne participaient plus que de l'anxiété commune, et leur drame privé de la guerre avait fini aussitôt que commencé. Ils enviaient les autres par raisonnement; mais la fatigue est égoïste; ils s'accommodaient de la cruelle certitude, qui est toujours un port et un repos.

[ocr errors]

Ils s'étaient installés dans leur deuil, comme dans un logis d'où l'on est trop assuré que l'on ne sortira jamais plus, comme dans une prison perpétuelle, comme dans un tombeau. Il n'est pas besoin de pratiquer le stbicisme, et d'ailleurs ils le confessaient tous les deux, il suffit d'obéir à l'instinct humain de docilité pour s'arranger du moins mal qu'on peut dans un asile, même haï, dont la porte est murée.

[ocr errors]

Ce qui rend la mort d'un être aimé physiquement insupportable, et qui arrache aux survivants, aux plus forts, un cri de révolte, c'est la rupture brusque d'une habitude, d'une communion. Ils avaient été, Philippe surtout, entièrement séparés de Rex depuis des années. Ils ne l'avaient revu, retrouvé, qu'un instant, lors de sa brève apparition à la veille de la déclaration de guerre. Peut-être ne leur eût-il pas fallu faire grand effort, sinon pour «< se résoudre », comme dit barbarement Malherbe, au moins pour ne connaître de leur peine, dès son début, que cette tristesse grise qui, après un temps, suit les plus grands coups, et qui n'est pas sans douceur. Mais c'est cela, justement, qui leur eût été en horreur; et s'ils voulaient faire un effort, c'était en sens contraire, pour maintenir leur souffrance à l'état aigu et actuel. Ils voulaient la cultiver et s'y complaire. Leur mémoire ne savait pas mentir. Ils n'étaient pas maîtres d'imaginer que Rex eût, dans le moment de disparaître, une vie mêlée intimement à leur vie. Aussi n'était-ce pas l'homme de près de trente ans qu'il leur semblait avoir perdu, mais l'enfant, le tout jeune homme; et ils ne pouvaient plus dissiper cette illusion, ensemble désolante et consolante, que Rex était mort au seuil de sa dix-huitième année.

Jamais ceux qui s'en vont ne laissent à ceux qui restent un souvenir égal de tous leurs âges et de toutes leurs physionomies. C'est toujours sous le même visage que nous les évoquons. Philippe ne regardait point, et il eût à peine reconnu les portraits de l'officier d'Afrique. Celui dont il dressait l'image sur cet autel que les moins religieux consacrent à leurs morts, c'éta't le Rex adolescent, de qui jadis il avait été le père pas

295

sionné, de qui, aujourd'hui, il était le père douloureux. Aussi, le culte qu'il lui rendait ne fut-il fait longtemps que de puériles cérémonies.

Comme il l'avait dit un jour à Zosia, il avait presque les idées des hommes primitifs sur la consubstantialité des pères et des enfants. Il cherchait naïvement à se persuader que Rex était toujours là. Il l'associait à chaque événement de sa vie. Quand il descendait à la cave, les soirs de raids, abandonnant sans souci toutes ses valeurs, tous ses objets précieux, ses livres, il n'emportait, comme un inestimable trésor, que des riens qui avaient appartenu à Rex, et toujours ces deux lourds paquets de papiers dont la perte lui eût été un désastre, que cependant il n'avait pas encore osé ouvrir, après de longs mois.

Pour les lettres de la princesse Tverskoï, cela va de soi, et Philippe était bien déterminé à ne jamais les lire; mais que craignait-il donc de trouver dans les notes de son fils, dont Rex lui avait dit, le jour du départ :

-Si tu es très curieux, tu liras tout cela tout de suite... Si tu veux me faire bien plaisir... tu attendras... la fin... de ce qui commence

Est-ce que, pour tous les deux, ce qui avait commencé ce jour-là n'était pas fini ?

Cependant, Philippe tardait. Il avait toujours ces papiers à la portée de sa main. Lorsqu'il était assis devant le coffre ancien qui lui servait de bureau, sur ce fauteuil où, un jour, il avait surpris Rex agenouillé, corrigeant « les épreuves de papa », il les touchait parfois, ces papiers, avec le même respect et la même tendresse que Rex les feuilles humides de l'imprimerie; il les touchait comme des reliques, mais il ne faisait que les toucher. Ce n'était qu'une caresse, comme jadis, quand Rex appuyait la joue contre sa joue, et que ce contact lui était délicieux, et qu'il se demandait pourtant avec inquiétude :

[ocr errors]

Qu'y a-t-il dans cette petite tête-là ?

Avec la même inquiétude, il se posait aujourd'hui la même question, il se proposait la même énigme. Qu'y a-t-il dans cette tête-là, qui est traduit sur ces feuilles ?... Au lieu de les lire, il aimait mieux ne faire que les caresser. Il était si installé dans son deuil, il y avait si bien pris ses tristes aises qu'il se disait :

A quoi bon chercher plus loin ? Pourquoi changer? Quelques années auparavant, quand il était moins las, sa conscience moins indulgente ne lui eût pas permis une si longue paresse, où il y avait un peu de lâcheté.

Ce ne fut pas sa conscience qui l'en tira, mais un pur hasard. Le jour que ses doigts entr'ouvrirent le manuscrit et qu'il y jeta enfin les yeux, son premier geste fut réflexe. Il ne se demanda Qu'ai-je fait ? qu'après l'avoir fait, et ne ressentit, tardivement, la peur qui l'avait toujours empêché de le faire, qu'après avoir lu malgré lui quelques lignes. Mais cette peur fut, par cette lecture même, aussitôt apaisée que conçue, et il ne put se défendre de sourire en murmurant :

Qu'est-ce donc que je craignais ?

Le hasard, qui lui avait forcé la main, l'avait bien servi pour cette première lecture, il était tombé sur un passage uniquement pittoresque, où se laissait voir, mais modestement, avec la timidité du respect filial, le délicat talent littéraire de Rex, si parent et si différent du sien.

C'était la description d'un mirage au désert: les mots simples en faisaient si impérieusement comme jaillir

[graphic]

l'image et l'illusion, que l'émotion fut trop forte, les yeux de Philippe s'emplirent de larmes. Il remarqua, un peu honteusement, amèrement, que la première fois qu'il pleurait son bien-aimé c'était en lisant une belle phrase; mais elle était en effet si belle qu'il ne pouvait se reprocher de l'admirer jusqu'aux larmes et de mêler à sa douleur l'orgueil paternel, l'orgueil de sa douleur même. Il était plus fier que Rex eût écrit cette page qu'il n'eût été fier de l'avoir écrite ; et, en même temps, il sentait comme il l'eût écrite autrement.

Il l'étudiait, près de surprendre l'un des secrets de leur malentendu, qui dès lors n'était plus un malentendu. Il lui semblait, en la relisant, comprendre enfin des théories qu'il avait entendu développer, avec une inutile âpreté d'école, par des écrivains plus jeunes que lui, et qui ne lui avaient pas alors paru ni fort précises ni fort claires. Il avait souvent répondu, de mauvaise humeur: « Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? »> quand ses cadets lui expliquaient que tout artiste doit tendre à se rapprocher de l'objet qu'il interprète, jusqu'à se confondre et à s'identifier avec lui ; que, par exemple, un violoniste qui exécute bien une phrase musicale n'est qu'un virtuose, mais « quand tout cela aura fini par dis« paraître, quand la phrase de violon, de chant ne fera « plus qu'un avec l'artiste entièrement fondu en elle, le << miracle de l'art se sera produit » (1).

Et certes, Philippe n'aurait su encore traduire cette nuageuse esthétique par une des formules définies où il s'obligeait toujours d'enfermer sa pensée nette; mais il sentait que, dans ces quelques lignes qu'il lisait et relisait, le miracle s'était en effet accompli, que la sensibilité de Rex s'était fondue avec son objet, qu'elle frémissait dans l'eau du lac illusoire parmi les images du ciel et des palmes renversées.

Avec une joie douce et profonde, à l'unisson de son deuil, il recommençait de découvrir et de comprendre son fils, comme naguère à l'île de Wight, pendant les premières vacances; mais il lui sembla que sa faculté de le comprendre avait fait depuis lors un immense. progrès et que sa réconciliation était, cette fois, sans appel ni sans arrière-pensée. En ce temps-là, il était plein de bonne volonté, mais il avait le droit, le devoir de disputer, de se défendre. Il était un vivant en face d'un vivant; maintenant il était un vivant déçu en face d'un mort qui ne pouvait pas lui répliquer ni rien ajouter à ces paroles écrites. Philippe aurait fait scrupule d'avoir désormais raison contre Rex.

Mais il ne redoutait plus ce cruel triomphe. Le premier entretien d'outre-tombe qu'il venait d'avoir avec son fils lui rendait le courage et la confiance. Il était douloureusement fier de son esprit nouveau. Il se sentait capable de pénétrer et d'admettre même les choses qui lui fussent le plus étrangères. Il murmura : « Il est bien temps ! » et quelques larmes lui vinrent encore aux yeux. Il regretta les luttes secrètes et les vains combats de jadis. Mais s'aimer avec passion, même un fils et un père, qu'est-ce donc, sinon se déchirer toujours et se faire mal? Et qui serait si lâche de préférer à cette guerre magnifique un plat et calme bonheur, de souhaiter la paix qui ne peut s'accomplir que dans la sérénité détestable de la mort ? « J'annonce l'amour, a drt Ashley Bell en son discours de la Mésopotamie, j'annonce l'amour mais je n'annonce pas la paix. »

Philippe se sentait maintenant le courage de s'insinuer plus avant dans l'œuvre de Rex et d'aborder les idées mêmes dont il ne redoutait plus l'hostilité. Il n'eut qu'à poursuivre sa lecture: la description du phénomène qui est le plus parlant symbole de l'illusion se continuait en méditation philosophique. Philippe se trouva presque soudain transporté dans le sanctuaire de la pensée de Rex ; et il eut le sentiment d'y être accueilli (1) Ces lignes sont de M. Marcel Proust (A.H.)

comme doit l'être un père dans le premier, le modeste logis de son fils devenu homme. On ne s'était pas toujours, dans l'arrangement des choses, conformé servilement à son goût; mais on avait eu le souci visible de ne le point blesser et de lui rendre çà et là un délicat hommage. Ainsi que le père invité, Philippe pouvait-il faire autrement que d'approuver, d'admirer, de se récrier surtout? Mais il le faisait sans effort de complaisance et de tendresse, dans un élan de sincérité naïve, et son émotion était si douce d'être si bien reçu que les larmes lui venaient encore aux yeux.

Cette épreuve décida de l'esprit dans lequel il voulait lire toute la suite des notes. Il avait entretenu avec Rex, à l'époque où leurs âmes divorçaient, la même sorte de rapports intellectuels qu'avec Ashley Bell jadis, quand cet étrange drame d'Abijah, qui lui semblait une trahison, les avait secrètement brouillés. Maintenant, il ne s'opposait même plus à Rex comme une personne s'oppose à une autre personne jusque dans l'intimité la plus étroite: il faisait complètement abstraction de lui-même, ou plutôt il s'identifiait avec sa créature, ainsi que le jeune artiste lui avait paru tout à l'heure se fondre et ne faire plus qu'un avec les objets de sa sensibilité. Ce père, toujours maternel, assistait en tremblant et en se reprochant de trembler, parfois en tendant malgré lui les bras, aux évolutions de cette conscience. ingénue qui se cherchait toujours sans se trouver comme une mère, cachée derrière un arbre, assiste aux premières courses et aux jeux téméraires de son enfant, évitant de se montrer, prête d'accourir et de le relever s'il tombe.

Il se rappelait un dialogue, peut-être apocryphe, que l'on prête à Marie-Antoinette et à la gouvernante des enfants de France. Le petit dauphin courait comme un fou dans les jardins de Trianon. Sa gouvernante voulut l'arrêter, la reine l'en empêcha.

[ocr errors]
[ocr errors]

Mais, madame, il va tomber !
Eh bien, il tombera.

Mais, s'il tombe, il se fera mal!

Il faut, dit la reine, qu'il apprenne à se faire mal Plus tendre, et sachant trop combien on se fait mal à l'esprit quand il s'égare et qu'il bute, Philippe ne voulait point que cet accident arrivât à son petit; mais il ne songeait qu'au mal possible de Rex, il oubliait le sien, et ne souffrait plus, égoïstement, de le voir se hasarder en celles des allées du jardin d'où il s'était luimême exclu.

la

Il épousait si bien tous les mouvements de Rex qu'il sentait par lui, en même temps que lui, les doutes, les espoirs et les joies incompatibles avec sa propre doctrine. Il cherchait parmi les sables du désert, où Rex l'entraînait par la main, ce Dieu auquel il ne croyait plus, transporté de bonheur quand il s'imaginait l'y surprendre, tout meurtri quand il voyait sa poursuite vaine. Il poussait si loin ce renoncement à toutes ses idées, cette abdication de soi, cette tolérance enthousiaste, que rien des écrits de Rex ne le séduisait davantage que ce qui le heurtait le plus, ce que, dans un état normal, sa raison n'aurait seulement pas dû concevoir. Ce dialecticien rigoureux n'était plus indigné par faiblesse des raisonnements, par la perpétuelle pétition de principe, coutumière à ceux qui veulent se convertir, mais, coûte que coûte, tant bien que mal, justifier leur désir par les lois mêmes de la raison qu'il outra ge. « Tu ne chercherais pas si tu n'avais déjà trouvé ».. L'admiration de Philippe était si naïve que, malgré le refus anticipé, trop modeste, de Rex, déjà il ne co sentait plus à laisser ensevelies ces reliques. Il forma lors le projet de publier, non toutes ces notes épars ses, mais un florilège et de donner à ce recueil factice air de composition. Il en dressa le plan et, par un singulier hasard, les morceaux qu'il choisit pour y figurer

on

dès

un

d

201

L

[graphic]
« AnteriorContinuar »