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Au pays de Werther. pays

Après avoir adoré Mars, l'Allemagne prétend honorer une déesse plus pacifique. Une société des « Amis de la Nature» s'est constituée, et dont les adhérents ont un beau zèle de néophytes. Jean-Jacques lui-même aurait sans doute réprouvé leurs excès. Ne s'avisent-ils pas de se promener tout nus dans les bois ?

Trois couples, de cette caste sauvage, excursionnaient dans les Alpes. Ils prirent un repas sur l'herbe, se dévêtirent et entreprirent leur promenade sacrée.

Mais une fermière les aperçut, et, insensible au sens philosophique et moral de ce spectacle, elle lâcha un vieux bélier qu'elle excita de ses cris. L'animal fonça sur les amis de la nature » qui se virent contraints de fuir et ne trouvèrent de refuge que... dans la rivière.

Les devanciers de Christophe Colomb.

Ainsi, l'on s'apprête à fêter chaque année la découverte du nouveau monde. Mais Christophe Colomb ne recevra-t-il pas plus d'hommages qu'il n'en mérite ?

Nous savions déjà que l'illustre explorateur avait été précédé là-bas par de hardis navigateurs norvégiens; et, d'autre part, le nom d'Americ Vespuce a fait croire parfois que l'Amérique avait été découverte par le célèbre Florentin.

Mais voici mieux. On vient de découvrir en Egypte une momie datant de 5.000 ans ; sur la tête de cette momie, se trouvait une couronne nuptiale; cette couronne était desséchée, mais les graines qu'elle contenait, sous l'influence de la lumière et de la chaleur, ont germé, et ont donné naissance à des fleurs inconnues en Egypte ; ces fleurs ont été examinées dans un museum ; et les professeurs du museum ont déclaré que ces fleurs étaient des Fleurs de Lune. Or, on ne rencontre ces fleurs-là que dans l'Amérique tropicale.

En faut-il conclure que l'Amérique fut découverte par les Egyptiens 4.600 ans avant l'arrivée du célèbre explorateur gênois ?

On avait déjà tenté de le prouver en se basant sur la grande analogie entre les temples du vieux Mexique et ceux de l'ancienne Egypte

Quoi qu'il en soit, Christophe Colomb n'a rien à craindre; c'est lui que l'on continuera de fêter, son nom est passé dans la légende ; et la légende est chose bien plus durable que l'histoire...

Une distraction.

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Un agent de police de Bruxelles trouva l'autre nuit un fiacre abandonné. Il appela ses collègues. On examina le véhicule; on retourna les coussins en tous sens pour y découvrir des marques de sang... ; car, n'est-ce pas, une voiture trouvée ainsi abandonnée à 2 heures du matin au beau milieu d'une rue, cela ne peut que dénoncer une sombre tragédie, comme il y en a tant cette année.

L'arrivée du cocher expliqua tout. C'était un brave collignon bruxellois. Il ramenait sa voiture vers 2 heures du matin, sa journée enfin terminée.

A un tournant de rue, il avait arrêté son cheval, était descendu de son siège, s'était arêté un instant, puis... avait repris à pied le chemin du logis, laissant derrière lui cheval et voiture.

C'est seulement en ouvrant sa porte qu'il s'aperçut de sa distraction. Il avait oublié son attelage !...

Le lendemain, tous les journaux de Bruxelles s'égayaient aux dépens de Ménalque devenu cocher.

Affaires Extérieures

Politique allemande1)

La politique allemande de la République française vise un double objectif: briser l'Allemagne de 1914 et empêcher sa restauration; consolider l'Allemagne de 1919 et faciliter son évolution. Pour réaliser cette double sécurité, le gouvernement doit faire comprendre la néces sité et tous ses agents doivent faire preuve d'une fermeté, juste et courtoise, la seule qui convienne à un peuple libre et victorieux.

critique puisse blâmer ni le quai d'Orsay, ni la rue Il ne semble pas que sur ce terrain l'esprit le plus Saint-Dominique.

Dès le mois d'août 1920, les agents de l'Heitmadienst, dont les complots menaçaient la sécurité des troupes d'occupation, passaient en conseil de guerre. L'ordonnance 63 de la Haute Commission interalliée frappe les groupes pangermanistes. Les sections locales des trois grandes fédérations militaires, qui servent à la fois de centres de propagande et de bureaux de recrutement ont été dissoutes. Des expulsions nombreuses ont eu lieu. Le 19 juin, la Haute Commission a complété cette répression en publiant l'ordonnance 93. Cet arrêté dont la Frankfurter Zeitung signale, le 21, l'importance et l'efficacité, donne le droit de lever toute poursuite, intentée par une autorité ou par un tribunal du Reich, contre les personnes qui auraient pu rendre des services aux fonctionnaires alliés, civils ou militaires. Il était temps de lutter contre l'organisation du boycottage et contre les mises à l'index.

Ajoutez les mesures d'ordre militaire : le renforc ment des troupes d'occupation en Rhénanie et en Silésie, le maintien d'une avant-garde aux portes de Rühr. La fermeté de cette politique allemande n'a-t-ell point été suffisante ? N'est-elle pas quotidiennement dénoncée comme excessive par des organes importants de la presse anglo-italienne?

Je ne suis pas sûr que la France tire, au point de vue de son prestige vis-à-vis de l'Allemagne vaincue, tous les avantages que pourrait lui ass urer, en Rhénanie notamment, l'occupation militaire.

Les trois armées qui sont représentées aux barrières du monde occidental ne dépensent pas les mêmes sommes, pour équiper, nourrir et distraire leurs soldats (2).

Il a été convenu que Dumanet, étant donné ses traditions égalitaires et son économie paysanne, n'avait besoin ni du même confort, ni de la même élégance. Ses fournisseurs, dont les marchés de guerre n'ont point accru les scrupules, livrent des draps de teintes différentes et des uniformes d'une coupe ridicule. Mal ficelés, nos conscrits de vingt ans regardent, avec curio sité, passer les vétérans professionnels, anglais et américains, chevronnés et décorés, habillés sur mesure et équipés de neuf, les camions peints de frais, les essieux passés au tripoli et les mules enrubannées. Leur stupeur admirative est partagée par les Allemands à qui la

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Prusse inculqua le culte des uniformes sanglés et des défilés rigides.

Pour rétablir leur prestige ainsi compromis, il faudrait que les troupes françaises, groupées en masses et accompagnées d'un important matériel puissent au cours de nombreux et rapides mouvements, impressionner les populations par leur expérience manœuvrière et leur allure martiale. Or, pour des raisons financières et politiques également évidentes, il est difficile de grouper et de déplacer les unités. Morcelées par petits paquets elles connaissent les avantages et aussi les inconvénients des petites garnisons paisibles et isolées.

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Si elles n'étaient composées que d'éléments français, elles pourraient de même profiter de ces circonstances pour établir des contacts faciles et nouer des relations cordiales. Mais la nécessité où s'est trouvé le commandement de fournir pour les régions à plébiscites des unités métropolitaines, l'a obligé d'accroître la proportion de troupes africaines. Il est certain que cette proportion trop élevée près de 50 0/0 nuit au prestige et à l'influence de l'armée française. Certes la campagne des feuilles pangermanistes contre la troupe noire est mensongère. J'ai vécu pendant des semaines au contact du 16 tirailleurs. La tenue discrète et courtoise de ce paysan tunisien est au-dessus de tout éloge. Les Allemands et les étrangers étaient d'accord pour leur rendre hommage. Il eût été certainement impossible d'imposer à une troupe métropolitaine la même réserve et la même discipline. J'ajoute que la taille et la vigueur de ces soldats leur donnaient une allure de vieux grognards, que n'ont plus les conscrits de notre infanterie. cott Je ne suis pas sûr cependant que ces séjours prolongés en terre étrangère soient excellents pour nos fantassins ra indigènes ils n'apprennent plus le français ; ils baraHegouinent le tudesque; des contacts s'établissent; une action devient possible. Il vaudrait bien mieux renforcer en unités africaines les divisions de renforts cantonnées sur la frontière et accroître la proportion de bataillons métropolitains dans les divisions d'occupation appelées à une tâche spéciale. Elles doivent justifier d'une supériorité intellectuelle et préparer des contacts politiques. Leur œuvre de pénétration est impossible, si la presse pangermaniste peut continuer, en dénonçant la pénurie de nos contingents et en exploitant des affaires de mours, à exciter les colères rhénanes et à affaiblir le prestige français.

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Il est difficile, par une occupation prolongée, de donner une impression de fermeté. Elle n'est possible qu'au prix d'efforts constants, qui 'exigent autant d'ingéniosité et d'énergie de la troupe que du commandement. Il faut, en outre, par une large publicité, éclairer périodiquement l'opinion allemande sur la responsabilité de ceux qui ont obligé les Alliés, et la France en particulier, à imposer cette charge et à exiger cette garantie. Les discours prononcés à plusieurs reprises par tels de nos ministres pour dénoncer telle manifestation de l'Allemagne de 1914 et démontrer la nécessité d'une garde vigilante, ne suffisent pas. D'autres avertissements sont indispensables. Il faut indiquer, avec une brève précision, dans des notes officielles, ce que coûteraient à l'Allemagne la chute de la République et la restauration d'un Hohenzollern.

Des Allemands, qui luttent contre le pangermanisme, sont les premiers à réclamer cette signification par voie d'huissier:

"Les éléments enclins au Putsch seraient considérablement effrayés en apprenant que l'Entente n'accepterait, en aucun cas, d'entrer en relations diplomatiques avec un gouvernement issu d'un Putsch réactionnaire. >>

« Une note très claire, énergique et tranchante, menagent l'Allemagne d'une action militaire, au cas où des menées militaristes seraient dirigées contre le désarmement, ten

drait à déclencher une émeute pour dégager l'Allemgne de ses devoirs internationaux, justifierait l'action des cercles ouvriers contre le militarisme, en montrant la grandeur du péril. >>

La fermeté ne suffit pas. La pression militaire est une arme à deux tranchants. Elle peut débrider une plaie dangereuse. Elle peut aussi couper des nerfs utiles. La France ne doit y recourir vis-à-vis de l'Allemagne qu'à bon escient pour garantir un intérêt direct et vital désarmement ou réparation sinon elle risque de faciliter le jeu de ses adversaires et de restaurer l'Allemagne de 1914, en réalisant contre elle la levée de tous les boucliers et le bloc de toutes les colères.

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Aucune politique allemande n'est possible sans une coopération avec des partis allemands. Aucune rénovation allemande n'est possible sans une coopération de la politique française.

Il ne suffit même pas que l'armée d'occupation, renforcée ou réduite suivant les événements, constitue une sorte de baromètre politique qui éclaire le peuple allemand sur les conséquences de ses votes parlementaires. La leçon ne serait point assez tangible ni la participation assez étroite. Au lendemain de l'assassinat d'Erzberger, le cabinet Wirth vient de prendre contre la propagande pangermaniste les mesures tardives d'une urgente répression. Une ordonnance, en date du 29, restreint la liberté de presse, de réunion et de circulation, si publications et manifestations sont dirigées contre la République. Un certain nombre de journaux ont été suspendus. Et, d'autre part, le chancelier maintient son projet de réformes fiscales et autorise les conversations de Wiesbaden. Si le gouvernement français, tenant compte de cet effort, peut-être le dernier, pour barrer la route à l'Allemagne de 1914, proposait aux Alliés la suspension provisoire des sanctions militaires et leur rétablissement immédiat en cas de restauration monarchique, cette initiative n'aurait-elle point un profond retentissement et ne consoliderait-elle pas une vacillante autorité ?

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C'est

Ce serait, en tout cas, un acte de politique allema ade aussi logique et aussi opportun que celui décidé par M. Briand le jour où il a autorisé M. Loucheur à reprendre les 26 et 27 août, les pourparlers de Wiesbaden. Certes, tant que l'industrie allemande continuera à subventionner la propagande militariste je sais maintenant d'où vient l'argent une coopération économique, sur de vastes terrains, reste dangereuse. On ne collabore point avec des assassins. Mais des ententes localisées restent possibles. Elles détendent et dissocient. un de ces accords restreints que poursuivent M. Loucheur et M. Rathenau avec une courageuse ténacité. Sans doute, il ne corigera pas les vices croissants des accords de Spa, de Londres et de Paris: des paiements en capitaux, je veux dire en participations, esquissés par le projet de Boulogne, eussent été préférables aux versements par annuités. Sans doute, il est impossible de ne pas songer sans effroi à l'afflux de ces produits fabriqués d'origine allemande, qui pénétreront avant que le marché intérieur ait retrouvé son activité et avant que les exportations françaises aient été organisées avec méthode. Le risque est certain. Néanmoins, c'est bien dans cette voie qu'il fallait s'engager. Etablir le contact direct entre sinistrés français et fournisseurs allemands; acheter par certaines concessions un accroissement immédiat des réparations en nature; subordonner cette extension des importations allemandes à des garanties pour les exportations françaises ces solutions étaient dictées autant par les exigences de la situation française que par celles d'une politique allemande. Des

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livraisons en nature peuvent compenser partiellement l'absence de paiements en capital. Une action politique est impossible sans un contact économique.

Il ne suffit pas. Une interpénétration est nécessaire. Elle doit être réalisée sur le sol des marches rhénadans le cadre de l'Etat allemand. Ces provinces ne doivent pas rester un bastion prussien enfoncé dans les terres occidentales, mais devenir le marché allemand ouvert sur les plaines de l'Ouest. Ce mur doit tomber. Cette fenêtre doit s'ouvrir. Le jour où le Reich, au lieu de barrer la route à l'affranchissement rhénan, rappellera les fonctionnaires prussiens et créera une seconde Bavière, il aura donné au monde la meilleure garantie de la rénovation nationale du désarmement militaire et de la détente franco-allemande, en attendant que la liquidation des questions brûlantes et l'allègement de la pression militaire, l'exécution des réparations promises et la consolidation du régime républicain aient rendu possible l'exécution des clauses inscrites dans la sharte constitutionnelle. Il appartient au gouvernement ançais de faciliter cette levée de l'emprise prussienne. Il ne suffit pas de dissoudre les associations pangermanistes et d'expulser les agitateurs professionnels. Il faut faciliter les contacts, atténuer les charges et servir les intérêts.

Des efforts ont été tentés dans ce sens. Les 1er et 2 mars dernier, au cours de quatre séances successives, la haute commission interalliée a reçu les représentants des Universités, des clergés et de la presse rhénane. Des renseignements ont été donnés et des questions posées au cours d'entretiens empreints d'une courtoisie réciproque. Le Quai d'Orsay s'est tardivement aperçu que la désignation d'un haut commissaire allemand n'avait point été prévue par le Traité de Versailles. Et comme von Starck avait dû interrompre son séjour, la commission des ambassadeurs a accepté, sur les propositions de la France, de subordonner l'arrivée de son successeur, le prince Hatzfeld, un haut personnage catholique et influent, à certaines conditions qui causèrent à Berlin quelque émoi :

1° Livraison des individus réclamés par les autorités alliées pour infraction aux ordonnances de la H. C. I. I. R.; fermeture des centres de propagande anti-alliée ; 3° suppression des indemnités accordées aux fonctionnaires frappés par les autorités alliées; 4° engagement que les fonctionnaires entretiendront des relations plus correctes avec les autorités alliées. 11 a suffi d'exiger cette loyauté élémentaire pour que la Wilhelmstrasse retînt le prince à Berlin!

Ce sont là d'intéressantes velléités. Mais pourquoi la haute commission n'a-t-elle point noué des rapports officiels et réguliers avec municipalités et Landtags ? Pourquoi l'armée française ne reçut-elle pas de M. Paul Tirard des directives politiques et ne les exécuta-t-elle point sous son contrôle ? Pourquoi ? Sinon parce que n'ayant point de politique allemande précise et logique nous n'avons point de politique rhénane, méthodiquement coordonnée et officiellement définie.

X

Mais, dira-t-on, cette œuvre difficile, difficile, qui exigera beaucoup de temps et beaucoup de discipline, autant de ténacité que d'intelligence, ne saurait réussir. Le mal est fait. La rénovation est impossible. La restauration prochaine. Ouvrez les journaux lisez les commentaires sauvages qu'a inspirés à des passants inoffensifs, à des journaux bien pensants, comme la Kreuz Zeitung ou le Deutsche Tageblatt (27 août), le meurtre d'Erzberger, le 315° assassinat réactionnaire dont six seulement ont été punis et comment 31 années de détention. Et vous n'aurez plus d'hésitation !

Soit, admettons que la République croule et que cette

| politique échoue. Quel préjudice ces initiatives aurontelles causé à la France? Aucun. Elle n'aura rien abandonné de décisif. Elle aura au contraire donné des preuves indiscutables de sa modération pacifique et de sa supériorité morale. Elle aura forcé l'estime de ses alliés méfiants et acquis le concours de partis allemands. Elle sera moins discutée et moins critiquée, plus grande et plus forte. Et si sa sécurité est menacée par la restauration de l'Allemagne de 1914, la France pourra réclamer des gages, ou plutôt les garder. Elle sera «sans crainte, étant sans reproche. >>

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JACQUES BARDOUX

NOTES ET FIGURES

Un candidat indésirable.

Ainsi les socialistes de Charonne, désigneraient pour candidat aux prochaines élections municipales, l'ex-officier mécanicien de la marine André Marty.

« Ce pur héros de la Mer Noire », écrit l'Humanité simplement. Ni héros, ni pur, à dire vrai, cet autodidacte, qu'un matin d'avril, l'équipage d'un croiseur français vit monter à bord, en rade d'Odessa, sous bonne escorte. Quatre matelots, l'air décidé, l'encadraient revolver au poing. C'était pourtant dans un autre appareil que le mécanicien principal Marty, du torpilleur Protét, amarré au quai de Galatz, avait eu dessein d'arriver sur rade d'Odessa. L'officier en second abattu, pour l'exemple devant son équipage, le médecin du bord empoisonné à table, et le comman dant gardé à vue sur la passerelle pour la route, le torpilleur Protét, sous pavillon rouge et commandé par Marty, devait être livré aux bolcheviks, alors maîtres d'Odessa. Quant au croiseur français stationné devant Odessa, s'il tentait de l'arrêter, une torpille lancée devait l'envoyer aussitôt par le fond.

C'était là le plan exposé par Marty aux hommes du Protét qu'il rassemblait à terre, le soir, à Galatz. Mais un matin, tout l'équipage; excepté un seul homme, le quartier-maître mécanicien Badina, livrait au commandant son officier félon. Imprudence, aveuglement ou pour toute autre cause, Marty aussitôt arrêté, était incarcéré dans sa chambre même. Avec la nuit, le courant rapide du Danube emportait les papiers que Marty lançait par son hublot... M. Vaillant-Couturier, qui sut autrefois ce qu'on doit à la sainte Vierge, n'a-t-il jamais conseillé à MM. Brizon et Longuet de faire brûler un gros cierge? A M. Alexandre Blanc surtout, car plus que de M. Cachin, agrégé de l'Université, Marty s'était réclamé du député instituteur de ce Vaucluse dont toute l'eau vive n'étancherait pas le prosélytisme communiste.

Ainsi, avec les papiers de Marty s'est engloutie la preuve même du complot de la mer Noire

Transféré, sur un ordre insensé, de la prison militaire de Galatz à bord du croiseur où le devait juger un Conseil de guerre, Marty pouvait encore connaître une lueur d'espérance. Pour le délivrer, des meneurs communistes, glissés à dessein dans les équipages, préparaient une mutinerie. Mais, en secret, débarqué quelques heures avant, Marty faisait route déjà vers Constantinople, que les vrais meneurs battaient en arrière, ne laissant entre les mains de la justice que des comparses qu'ils avaient surexcités.

Au Conseil de guerre tenu à Constantinople, Marty donne une nouvelle explication de son geste. Il a oublié les lourds aveux de l'enquête à Galatz; la jactance des journées de mai est tombée aussi depuis la condam

nation des mutins du croiseur. En France, la poigne de Clemenceau a maintenu l'ordre. Pour Marty, c'est l'acceptation; mais l'indulgence du tribunal a étonné. Sur ce même croiseur qu'il pensait révolter, Marty voit un gradé arracher ses épaulettes, et casser son épée. Son veston d'uniforme sans galons, ni boutons, i déjà l'air d'une casaque de forçat. En vain, Marty s'efforce au dédain comme il passe entre les files de et équipage qui n'a pas délivré Barrabas.

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Un coup de canon a appuyé la lecture du jugement; son roulement s'efface lentement sur la Corne d'Or. Les jeunes recrues embarquées d'hier regardent longtemps, entre les baïonnettes, descendre dans l'entrepont l'homme qui fut un officier et auquel ils ne devront plus le salut. La mâchoire serrée, des officiers, très pâles, rivent leur regard aux couleurs que la brise du Bosphore fait onduler à la corne d'arrière. Ils tentent d'oublier la déchéance d'un de leurs pairs, de l'égaré qui crut au verbiage des cuistres, au désintéressement des démagogues de la ploutocratie.

Ces politiciens l'ont assez avili pour vouloir maintenant en faire un des leurs.

TESTIS.

Le centenaire de Champfleury.

Champfleury, dont on ne pensera guère, sans doute, à fêter le centenaire qui a lieu aujourd'hui même, est cependant une intéressante figure, et je m'étonne que quelque curieux n'ait point déjà cherché à la faire revivre, ajoutant ainsi un chapitre aux Oubliés et Dédaignés de Monselet ou une préface aux Excentriques de Champfleury lui-même. Jules-Husson Fleury, de son vrai nom, naquit à Laon le 10 septembre 1821. Il ne crut point utile de végéter dans les bureaux de la mairie où son père occupait un emploi modeste et décida de gagner Paris. « C'est en sortant du collège, a dit Augère, que l'on commence à faire ses humanités. » Cancre invétéré au cours de ses études, Champfleury, dès qu'il fut entré comme garçon libraire dans la maison Legruel et Bergounioux, se sentit en appétit de lecture. Bientôt il connut des écrivains. Connaître des écrivains, c'est déjà, pour beaucoup de jeunes gens, réaliser leurs rêves de poètes ou de romanciers. Et combien s'en tiennent là !

Il y avait à cette époque une bohème dont on a voulu nous persuader qu'elle était pittoresque et dont nous voudrions croire qu'elle le fut, pour l'amour de Mimi et de Musette, mais qui nous apparaît aujourd'hui canaille et crasseuse en dépit des attendrissements classiques. Près de la barrière d'Enfer une porte charretière ouvrait sur une cour pleine de fumier et peuplée de poules et de canards. Au fond de la cour, se dressait une grande bâtisse flanquée de petites constructions auxquelles on accédait par des escaliers de bois escarpés. Là, régnait la bohème et fréquentait Champfleury. Un peuple de futurs ratés campait dans ces bizarres logis, et Murger occupait, à lui seul s'il vous plaît, deux mansardes sobrement et sentimentalement décorées de gants blancs devenus noirs, d'un loup en velours et d'un bouquet fané accroché au mur. Versifiant ou barbouillant d'exécrables aquarelles, Murger recevait ses amis : le paysagiste Chantreuil, le peintre Bonvic, Pierre Dupont, Banville, Baudelaire, Courbet, Barbara. A défaut de nourriture matérielle, ces amis, juchés sur les toits et les cheminées, se prodiguaient le réconfort de leur admiration réciproque. Champfleury approcha la bande d'assez près pour la peindre ensuite d'une encre fort noire. Cette faculté d'observation dénigrante était l'indiscutable preuve d'une certaine vocation littéraire..

A côté de Murger, Champfleury débuta en 1846 dans

Le Corsaire. Il ne tarda point à donner à L'Artiste, à L'Evénement, des esquisses, des nouvelles, des fantaisies, et La Voix du peuple accepta son premier roman. Il avait d'autres ambitions; il lui fallait la gloire. Déjà, on confondait la gloire avec le tapage, et, déjà, le bon moyen d'obtenir le tapage était de fonder quelque chose en isme, avec préalable déclaration de renouveler la beauté caduque et de sauver l'art en péril. Champfleury, madré, n'y manqua point. A propos de sa nouvelle, Chien-Caillou, qui eut, en 1847, un vrai succès, il créa Le Réalisme. Le réalisme de Champfleury, c'est, si l'on veut, la première formule du naturalisme, mais Champfleury ne tenait point à ce que ce fût cela plutôt qu'autre chose. On le railla et bafoua à souhait. Il avait maintenant une situation littéraire. Bien tranquille dès lors, il accumula sans trêve des livres divers et où l'on ne saurait trouver du tout l'illustration de ses bruyants Bourgeois de Molinchard, M. de Boisdhyver, La Sucmanifestes. Les Souffrances du professeur Deltheil, Les cession Le Camus, qui ne se lisent plus, sont bonnement d'un brave homme de romancier qui sait à peu près son métier et ne s'embarrasse d'aucune présomptueuse ambition. Réaliste ou non, celui de ses romans qui mérite davantage de nous retenir est Les Aventures de Mariette, sorte d'autobiographie dont l'héroïne était le plus joli modèle de Pradier, cette jeune femme qui périt dans le naufrage de l'Atlas, en allant de Marseille en Algérie. Sans parti pris, ne craignons pas de rejeter également les pantomimes de Champfleury, à quoi il tenait Champfleury vaut surtout par les ouvrages d'érudition. fort néanmoins, et que lui joua Debureau. L'œuvre de Il serait injuste de ne pas reconnaître le labeur solide et consciencieux que représentent ses histoires de la caricature, de l'imagerie populaire, des faïences patriotiques sous la Révolution. Erudition amusante sans doute, et sans plus, mais aussi sans bévues ni sottises.

Il jugeait autrement, certes, du mérite de ses cent vingt volumes, et tandis qu'il occupait, durant ses dernières années, les fonctions de conservateur du musée de la Manufacture de Sèvres, une amertume et une acrimonie croissantes lui étaient venues de l'isolement et de l'oubli où on le laissait Lorsqu'il eut publié sa comédie de l'Apôtre, et connu l'affront d'un total insuccès, il se confina dans ses fonctions administratives, et, demandant aux chats qu'il avait célébrés l'affection que lui refusaient les hommes, termina sa carrière en cataloguant, classant, annotant ses lithographies, ses caricatures, ses aquarelles, ses quatre mille Daumier, ses Constantin Guys et ses Goya. De toutes ses œuvres, cette collection était à coup sûr la mieux réussie, et son catalogue est, à tout prendre, ce qu'on relit de lui le plus volontiers.

A. DE BERSAUCOURT.

L'arrivée de "Paris-Brest".

Sur les bords de l'immense cuvette du Parc des Princes, une foule compacte grouille, s'évente, absorbe des bocks poussiéreux. Par delà les palissades qui célèbrent la louange de tel pneu ou de telle huile, on aperçoit de lointains spectateurs massés sur l'herbe pelée des fortifs ou aux fenêtres d'une caserne.

Aux « populaires », j'admire l'endurance des assistants, debout, en plein soleil. Les tout jeunes gens, les soldats dominent, mais l'élément féminin paraît assez nombreux. Cette foule, stoïque et cramoisie, attend l'arrivée de Paris-Brest.

Course derrière grosses motos. (C'est le programme dominical). Coiffés de singuliers petits casques à bourrelets, les cyclistes collent à la volumineuse machine pétaradante, qui semble les happer et qui mène un train vertigineux. On ne perçoit que des taches de maillot,

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des jambes-bielles qui tournent désespérément. Et l'œil ne se lasse pas d'admirer cette position presque horizontale des coureurs, aux virages pris à toute allure. Parfois une houle s'élève, lorsqu'une équipe dépasse l'autre. Des cris montent, fouettent un peu la torpeur. Et toujours ce crépitement assourdissant des teuf-teufs.

Orchestre. Nous l'avons bien gagné. Des tribunes monte une molle harmonie qui se perd dans l'espace. Mais un homme surgit, porteur d'une pancarte «< Terront et Georget vont faire un tour d'honneur ». En effet, les deux doyens de Paris-Brest font leur petit tour de piste, majestueusement, à la papa. Le vieux Charles Terront, aux fortes moustaches blanches, salue avec dignité, tout comme un chef d'Etat, suivi de Georget, à la bonne face hilare. Les torses se penchent pour mieux dévisager ces ancêtres qui saluent. Des bravos, des acclamations éclatent. C'est la gloire populaire. Combien de ces jeunes spectateurs qu'emprisonne en semaine une boutique, un bureau, un magasin, rêvent aussi de devenir un jour le recordman fêté, le Jacquelin ou le Zimmermann futur !

Coup de revolver. Cloche. Un peloton de cyclistes aux maillots bigarrés s'ébranle, passe, scintille. Celui qui tient la tête serre les dents, sa tête semblant mordre sa roue d'avant. Ce spectacle, un peu monotone pour le profane que je suis, passionne la majorité des assistants. Mes voisins, gens avertis, saluent, encouragent leurs favoris « Bien Emile! Vive le négro ! » ou ils abondent en commentaires peu indulgents. « Il ne se casse rien, le frère ! Penses-tu, il ne pousse même pas... >>

Mais un mouvement se dessine. Des portes s'ouvrent, qui vomissent des autos puissantes, des reporters, tout un service d'ordre. L'attention se concentre sur cette porte par où doit entrer le triomphateur.

Un remous dans les tribunes, des applaudissements. L'homme, indistinct, avance à petite allure. Comme une vague, la foule oscille. Des noms courent : « Christophe! Non, Mottiat, Mottiat! >>

Le Belge, placide et puissant bes d'une invraisemblable couleur

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la figure et les jam

accomplit son tour de piste en souriant largement. Il pèse sur les pédales, visiblement à bout de forces. Mais après 55 heures de route !... Cependant, devant les tribunes, il plastronne, salue de son bouquet, avant d'être la proie des photographes.

Un peu déçue, malgré tout, l'assistance commente avec passion la défaite sportive française, tandis que les motos, suivies de cyclistes, recommencent à virer furieusement. Une partie de l'assistance suit le jeu. D'autres, indifférents à la course, surveillent la petite porte. Cinq heures et demie. Le second coureur est signalé. Aussi l'épreuve actuelle, brusquement, n'intéresse plus. « Allez-vous en ! Arrêtez donc ». Cette fois c'est Christophe. Des clameurs aiguës montent vers le ciel très bleu où traînent des nuées indolentes. Des bras gesticulent. Christophe passe, les yeux hagards dans une face poudreuse. Il paraît ne songer qu'à la douche réparatrice. On le voit soudain invectiver un des placides sergots dont le rôle sur la pelouse n'apparaît pas bien établi.

Mais des fanatiques sautent les barrières, l'entourent, l'étouffent, l'acclament, le portent en triomphe. Ruée par-dessus les barrières, une multitude court, envahit la pelouse. Une haie se forme pour voir arriver tour à tour Masson, Heusghem. Puis, lentement, le Parc des Princes dégorge sa foule, noire et dense, dans un embouteillement d'autos, de taxis, de trains surbondés. Poussière, vociférations de camelots. En voilà pour dix ans...

EDOUARD DEVERIN.

Le peintre d'Elne.

Elne est une petite ville de quelque 3.800 habitants, au milieu des jardins de primeurs et des vignes de la plaine roussillonnaise, entre Perpignan et Port-Vendres et à moins d'une lieue de la mer. C'est, à ce que disent les archélogues, l'antique Illiberis des Romains qui fut, plus tard, le siège d'un évéché souverain. Il reste de cette ancienne puissance des débris de remparts, une porte ogivale, une église qui aurait besoin de quelques réparations et un charmant petit cloître roman.

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Nous sommes venus nous abriter de la tramontane dans le cloître. Un grand cactus dressait sa haute hampe fleurie au milieu des arbustes et des fleurs du jardin carré, et nous contemplions les feuillages, les alérions, les animaux mêlés aux scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament qui ornent les chapiteaux des trente-deux colonnes doubles et des seize piliers carrés, tous de style roman, qui supportent la retombée de la voûte ogivale de la galerie où dorment les évêques d'Elne. Quel contraste avec la simple vie paysanne de ce bourg catalan: il n'est plus question d'art ici, mais bien du cours des piments, des poivrons, du vin et des gros oignons doux qui s'étalent sur le pas des portes.

Cependant, ici, dans une grange vaguement transformée en atelier, vit un des plus grands peintres français de ce temps. Des artistes comme Marquet, Matisse, Maillol se sont honorés d'échanger de leurs œuvres avec lui ou de faire son buste. Il est plus connu de certains habiles conservateurs de musée de l'Europe centrale que de nos aristarques officiels. Je veux parler de Etienne Terrus, né à Elne en 1858, et qui a vécu dans ce bourg presque toute sa vie, étranger à ses compatriotes, ignoré d'eux et en qui les habitants d'Elne ne voient presque qu'une sorte de bohème et de demi-vagabond capricieux et fantasquc.

Possédant une toile de ce solitaire, je me suis fait un devoir d'aller lui rendre visite chez lui. C'est aujourd'hui un faune râblé à la courte barbe blanche : il est gentil, quoiqu'il n'ignore rien de sa valeur, et il vit dans un désordre et un joyeux amas de poussière, de vieux cadres, de châssis et de débris de cinquante choses diverses qui rappellent les descriptions que l'on a faites de l'atelier de Cézanne. Comme je lui faisais remarquer que nous marchions sur une toile qui me paraissait inté ressante: « Ça ne fait rien, me dit-il, la poussière con

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C'est là qu'il m'a montré les plus légères aquarelles, traînées limpides de couleur dans beaucoup d'eau, et des peintures à la fois vigoureuses et calmes, comme les paysages de son pays. En voilà un qui ne s'est guère soucié de suivre ou de ne pas suivre les modes! Corot n'a pas été plus équilibré, plus suggestif, et les glacis étranges d'un contemporain comme Jean Marchand se trouvent déjà là, avant que notre contemporain n'en ait eu même l'idée.

Il serait souhaitable qu'un écrivain roussillonnais s'occupât dès maintenant de Terrus, et de savoir dans quelles galeries, chez quels amateurs sont enfouies ses œuvres. Nous dire aussi ce que fut la vie de ce solitaire : la tradition orale est souvent la meilleure source de renseignements. Je me permets également de recommander au Musée de Perpignan, qui possède deux peintures de Terrus, l'acquisition d'autres oeuvres du grand artiste avant qu'elles n'atteignent des prix énormes chez les marchands. Mais sait-on bien, à Perpignan, la valeur exacte de Terrus? Et n'a-t-on pas le tort, dans nos provinces, d'attendre que les gloires locales soient consacrées par Paris, où le truc et le bluff règnent en maîtres ?

LOUIS THOMAS

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