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qu'expliquent les observations personnelles de M. Leroy, qui a remarqué leur situation habituelle sur une crête et à proximité d'une source, donc dans un lieu où l'on avait des vues et où l'on pouvait boire. Cette situation privilégiée justifie parfaitement l'existence d'agglomérations successives non seulement à l'époque préhistorique mais pendant les premiers siècles de l'histoire ; c'est pourquoi, sur l'emplacement des stations préhistoriques M. Leroy a presque toujours trouvé des vestiges de stations gallo-romaines. Cela devait être fatalement en un pays de montagnes où les observatoires naturels dominant des vallées étroites et encaissées sont relativement rares, donc ont toujours dû être particulièrement fréquentés. Cette idée dictée par le bon sens guida toutes les recherches de M. Leroy, et c'est à elle qu'il doit sa plus belle découverte.

Son attention avait été attirée, en effet, par la situation exceptionnellement favorable d'un plateau, long de 600 mètres et large de 400 environ, qui à 900 ou 1.000 mètres d'altitude, commandait le débouché de deux grandes vallées. Tout de suite il s'était dit « qu'il devait y avoir quelque chose là »>. Un examen sommaire des lieux lui donna raison autour du plateau, on voyait très distinctement des restes de fortifications en pierres sèches et les traces d'un double fossé doublé d'un vaste chemin circulaire ; à l'intérieur de l'enceinte et au midi, des masses de pierres amoncelées.

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Les premiers coups de pioche furent donnés autour de ces ruines; ils firent apparaître à fleur de sol d'asnombreux fragments de poteries gallo-romaines pour dénoncer l'existence d'anciennes habitations. Les jours suivants, étendant alentour leurs fouilles, les débris se multiplièrent et, et, à une profondeur moyenne d'un mètre, légèrement espacés l'un de l'autre et dessinant un grand fer à cheval, ils eurent la surprise de tomber sur une série de dépôts de lampes à huile en argile absolument intactes et s'accumulant en profondeur.

Pour donner une idée de leur aspect, je ne saurais mieux comparer ces lampes qu'aux caleil de cuivre et de fer qui étaient encore en usage dans les campagnes il y a trois quarts de siècle : même forme en cœur avec les deux trous pour passer la mèche et verser l'huile, à cette différence près qu'elles sont généralement plus petites, leur diamètre étant en moyenne de 5 centimètres. Il y en avait là, sur un petit espace, des centaines et des centaines.

ou

essais d'ornementation, quelques-uns d'inspiration chrétienne évidemment, tels que poissons, colombes croix esquissées en pointillé. Les plus belles, rarement intactes malheureusement et probablement les plus anciennes, portent des figures de dieux ou d'animaux d'un fini et d'une délicatesse qui rappellent les pièces analogues du musée d'Arles, dont on vend des reproductions aux Alyscamps.

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M. Leroy n'a pas gardé toutes celles qu'il a trouvées. Il a conservé seulement un échantillon de chaque type soit une centaine de pièces différentes, formant un ensemble des plus curieux sur la petite étagère de bois blanc qu'il a construite de ses mains. Elles voisinent, dans son musée, avec les objets préhistoriques et une importante collection de monnaies d'argent trouvées dans la région où il découvrit les lampes, dont les plus anciennes sont à l'effigie de Néron, et les plus récentes à celle de Géta. A examiner le tout, j'ai passé une matinée passionnante.

J'ajouterai que M. Leroy n'est pas un collectionneur jaloux outre de nombreux spécimens préhistoriques, il a fait don au musée de Digne de cinquante lampes, choisies parmi les plus belles, et je crois savoir qu'il est prêt à renouveler ce geste libéral en faveur d'une autre ville de la région.

Telle est l'œuvre de ce travailleur modeste et désintéressé, accomplie de bon gré, sans aucun encouragement, à ses frais, dans les conditions les plus pénibles et au prix d'efforts que l'on devine. Les palmes académiques ont jadis récompensé sa peine et celle de son collaborateur. Mais M. Leroy est un sage qui n'a qu'un regret c'est, faute de ressources matérielles, de pouvoir continuer sa besogne. La guerre, en effet, a interrompu ses fouilles de la montagne aux lampes. Il avait mis alors à jour une construction en pierre taillée. Il y aurait gros intérêt à les continuer en cet endroit. Le département est sans doute trop pauvre pour les subventionner, mais, si le ministère des Beaux-Arts, après examen par les autorités compétentes, pouvait employer là une partie des crédits dont il dispose pour les recherches archéologiques, la science trouverait à y gagner. La preuve est désormais faite «< faite « qu'il y qu'il y a quelque

chose là ».

Peu traversée, peu visitée, sans moyens pratiques de communications, la région des Basses-Alpes mérite d'être tout entière explorée. On y retrouve presque intactes les traces de civilisations successives ailleurs bien effacées. A ce point de vue, ce département si pauvre est un des plus riches de France; attendronsnous pour nous y intéresser que les étrangers, une fois de plus, exploitent nos antiquités nationales ? Souvenons-nous de la leçon des Eyzies!

La première pensée de M. Leroy et de ceux à qui il fit part de sa découverte fut qu'il avait trouvé un atelier de potier. Idée séduisante aussitôt démentie par les faits. Car pour fabriquer es lampes, il avait fallu de l'argile et de l'eau: or, le sol n'était pas argileux et l'eau ne se trouvait pas à proximité, la source la plus rapprochée étant éloignée de quelque 600 mètres. D'au- La Vie Economique tre part, plusieurs sortes d'argile avaient été employées. En les lampes, qu'on pouvait avec certitude de l'époque de la décadence romaine, portaient différentes marques de potier, dont certaines déjà identifiées en d'autres endroits de la Provence et même en Italie, d'autres encore inconnues. Cette diversité d'origine détruit l'hypothèse de l'existence d'un atelier ignoré.

dater

Etudiant la question peu avant la guerre, un érudit marseillais concluait à la présence d'un temple, sorte de lieu de pèlerinage où l'on eût déposé des lampes en offrande: ainsi en expliquait-il l'accumulation vraiment anormale. Absolument incompétent en la matière, j'indique son opinion sans me permettre de la discuter. Quoi qu'il en soit, la découverte présente un indiscutable intérêt.

Car il n'y a pas seulement diversité d'origine, mais de type. Certaines de ces lampes sont frustes et d'un art rudimentaire. D'autres, au contraire, offrent des

GEORGES GIRARD.

CORRESPONDANCE

Nous avons reçu la lettre suivante :

Messieurs,

Abonné à votre journal depuis sa fondation, lecteur assez assidu d'un grand nombre de ses rubriques, collaborateur d'occasion, j'ai lu avec une vive surprise l'article de Marcel Lebon paru dans le numéro du

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6 août.

A côté de critiques justifiées de l'action quelquefois singulière de notre ministère des programmes de travaux publics et de son culte excessif des formalités administratives, Marcel Lebon émet sur le problème de d'énergie hydroélectriques des aperçus qu'il importe de combattre parce que erronés.

la création et de l'utilisation des sources

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L'alimentation de Paris en énergie d'origine hydroélectrique est une question qui dépasse de beaucoup celle de savoir s'il y a avantage d'un centime ou de 1/2 centime sur le coût de production. D'ailleurs, le prix de revient de l'énergie thermo-électrique est un de ces problèmes sur lequel les événements de la guerre ont apporté beaucoup de scepticisme dans l'esprit des usagers ce prix de revient dépend du prix du charbon et nous savons par une cuisante expérience que ce prix peut varier du simple au décuple mais il y a autre chose que l'expérience nous a appris, non seulement le charbon peut être cher, mais encore il peut manLes industriels de la région parisienne n'ont pas quer. encore oublié qu'ils ont dû, pendant des mois, subir un rationnement des plus onéreux, s'imposer des régimes de travail bizarres autant que peu économiques pour assurer de l'ouvrage à la population ouvrière qui a, dans cette circonstance, montré une très grande bonne volonté et une vive intelligence de la situation. Combien de dizaines de millions ont été perdus ?

Les industriels et les ouvriers de la région parisienne en ont assez et ils pensent que la Ville de Paris a mille fois raison de se préoccuper d'assurer à sa population un contingent important de courant hydroélectrique, le gouvernement a raison de favoriser la création de grands réseaux de transport d'énergie afin qu'en cas de nécessité, de famine de charbon ou de sécheresses anormales, les sources d'énergie diverse puissent se substituer les unes aux autres.

que

L'utilisation exclusive sur place de l'énergie hydroélectrique est une dangereuse hérésie au point de vue

national.

La France est un pays pauvre en charbon, mais riche en reliefs qui permettent d'utiliser ou de créer des réserves d'eau. Il faut entrer handiment dans la voie de l'aménagement général de l'énergie hydroélectrique et de son transport.

A quoi serviront les centrales des mines en cas de grève ou d'accident?

Si le grand projet d'adduction de l'énergie du Rhône à Paris n'avait pas été aussi longtemps ajourné par les scrupules de la vieille maison des travaux publics et si cette adduction avait été réalisée au début de la guerre..... comme elle aurait pu l'être.....

Mais voilà, il faut quelquefois avoir le courage de sortir de la tranchée de la critique pour s'exposer dans la zone des responsabilités.

On y entre, qu'on y persévère, qu'on ne marche pas en arrière dans la voie chère à M. Lebon.

ALBY, industriel,

Ancien ingénieur en chef des Ponts et Chaussées. Nous avons communiqué cette lettre à M. Marcel Lebon qui nous adresse la réponse suivante :

Je tiens à préciser ma pensée, qui semble n'avoir pas été saisie exactement par M. Alby.

J'estime que la façon de voir les choses qui consiste à vouloir sanctionner les projets généreux par un examen, dénué d'emballement, des conséquences pratiques de leur application n'est nullement rétrograde; en Poursuivant un but excellent, il faut se garder de sortir le domaine de l'utopie. de la voie du bon sens et ne pas se lancer dans

Je me suis élevé contre la croyance qu'on répand à Rhône, par exemple, on pourrait avoir l'électricité à ort dans le public que, grâce à l'aménagement du très bon compte à Paris. Que ce soit l'Etat ou les industriels qui fassent les frais des dépenses néces saires, il faut que ces dépenses soient faites pour exécuter les travaux. Je ne disconviens pas que, dans l'inté

les charges, mais il reste vrai qu'il ne faut pas croire que l'énergie que l'on apporterait ainsi du Rhône à Paris ne coûterait pas cher.

uns

La construction de grands réseaux reliés les aux autres doit faire l'objet de travaux de longue haleine qui doit retenir l'attention d'un gouvernement soucieux du lendemain ; et je me rencontre là avec M. Alby.

Mais avant que ce réseau existe, il faut créer les. barrages et utiliser l'énergie produite.

J'ai dit que cette énergie devait d'abord être utilisée sur place avant de chercher à l'écouler à grande distance. Je ne vois pas qu'il y ait une hérésie au point de vue national à souhaiter qu'une région possédant des chutes d'eau devienne une région industrielle plutôt que telle ou telle autre moins désignée qu'elle et à laquelle on se verrait obligé d'amener la force de très loin, ce qui aurait pour conséquence de la rendre coû

teuse.

L'objection de M. Alby en ce qui concerne les industriels de la région parisienne tombe d'elle-même car, le jour où les barrages fonctionneront, l'industrie se Portera là où existera la force à pied-d'œuvre, parce qu'elle sera meilleur marché. Ce que j'avance ainsi n'est pas une hypothèse, c'est une réalité un grand nombre d'usines des régions normande et bretonne se sont déjà transportées aux environs de Grenoble.

D'un point de vue très général, j'estime qu'il ne faudrait pas que l'Etat fasse des sacrifices très lourds qui n'auraient pour résultat que d'empêcher les industries de se déplacer pour aller trouver de la force meilleur marché, car l'ensemble du pays aurait supporté des dépenses importantes pour la création des chutes et la construction de réseaux pour arriver, en définitive, à payer plus cher les produits livrés par ces indus

tries.

Pour conclure, je pense qu'il faut :

1° Que l'Etat fasse les sacrifices qu'il faut pour aménager des sources de production d'énergie hydroélectrique.

2° Que cette énergie soit, le plus possible, absorbée sur place, et que l'on pousse l'industrie à se porter à l'endroit où elle trouvera la force à bon marché. Cela aurait, outre l'avantage de permettre aux industriels de vendre leurs produits moins cher, celui de décongestionner des régions comme la région parisienne.

3° Que l'Etat, dans un travail d'envergure, utilise par de grands réseaux le surplus de l'énergie qui n'aura pas été absorbée sur place, et relie ces stations à des centrales thermiques avec lesquelles elles pourraient faire des échanges.

MARCEL LEBON,

Ingénieur des Arts et Manufactures.

Actualités Scientifiques

L'incendie des dirigeables

UN GAZ INCOMBUSTIBLE

L'accident survenu au cours des essais du grand dirigeable anglais, le ZR-2 et qui a causé la perte de cet immense vaisseau aérien, ramène à nouveau l'attention du public sur le gonflement des aéronefs par des gaz incombustibles. Des recherches datant déjà de quelques

années ont abouti à l'emploi d'un gaz rare, ininflammable : l'hélium, pour le remplissage des ballons.

Les caractéristiques de l'hélium sont les suivantes : L'hélium est un gaz parfait; sa température de liquéfaction est encore plus basse que celle de l'hydrogène : d'après les admirables déterminations de Kamerlinc Onnes, professeur à l'Université de Leyde, elle atteint

ret national, il faut que ce soit l'Etat qui en supporte seulement 272° au-dessous de zéro de notre thermomètre

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centigrade. L'hélium est extrêmement léger, son poids est deux fois celui, de l'hydrogène, ce qui lui donne un pouvoir ascensionnel égal aux 92 centièmes de ce gaz; il est doué d'une inertie chimique complète; on a vainement essayé de le combiner à d'autres substances. Ce sont ces deux propriétés: ininflammabilité et légèreté, qui ont amené les techniciens de l'aéronautique à le considérer comme le gaz idéal pour gonfler les ballons. L'hélium a, de plus, l'avantage qu'il diffuse à travers les enveloppes d'aérostat, deux fois moins vite que ne le fait l'hydrogène. C'est un savant allemand qui, le premier, pensa à l'employer pour le gonflement des aéronefs. En réalité, cette idée fut énoncée avec toute la précision désirable, pour la première fois, par sir William Ramsay, dans une lettre adressée par cet illustre chimiste, en février 1915, à M. le docteur Moore, du Bureau des Mines des Etats-Unis.

On a commencé à cette date les travaux préliminaires nécessités pour l'organisation d'une entreprise d'extraction de l'hélium, des gaz naturels d'une source située à Pétrolia, dans le Texas. Le débit de cette source est estimé à 700.000 mètres cubes en 24 heures. Le gaz est conduit par une canalisation à deux villes voisines distantes de 150 kilomètres de la source: Fort-Worth et Dallas. A sa sortie du puits, le mélange gazeux est formé principalement de méthane, ou grisou des mineurs. Il contient, en outre, 10 o/o de composés carburés homologues supérieurs du méthane, 30 0/0 d'azote, et environ I 0/0 d'hélium.

D'après les renseignements qui ont été fournis par M. Frédéric Cottrell, le procédé mis en œuvre pour isoler l'hélium a été celui de la liquéfaction, suivie de la distillation à très basse température. Trois usines ont été construites: l'une par la Linde Air Products Company, employant le procédé Linde; l'autre par l'Air Reduction Company, utilisant la méthode Georges Claude; la troisième installée, non pas comme les précédentes, à Forth-Worth, mais à Pétrolia, sur le puits même, par la Loru Star Company, qui emploie le pro

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cédé Jeffries-Norton, où se trouvent appliqués et développés les principes de Georges Claude.

L'usine Linde marche depuis mars 1918, elle donne 200 mètres cubes d'hélium par jour à 70 0/0 qui peuvent être purifiés par un traitement ultérieur. Celle de l'Air Reduction Company donne un rendement moitié moins grand.

A la date de l'armistice, la production des EtatsUnis en hélium allait pouvoir permettre l'envoi en Europe de 5.000 mètres cubes d'hélium à 93 0/0. Le problème de la production industrielle de l'hélium est donc résolu. Les spécialistes espèrent le réduire rapidement aux environs de 4 francs, prix encore supérieur à celui de l'hydrogène; mais faut-il encore, pour établir une comparaison entre le prix de revient de l'emploi de ces deux fluides, tenir compte des pertes en hydrogène à travers les parois de l'aérostat, qui sont le double de celles de l'hélium.

Pour se rendre compte de l'importance du développement de cette nouvelle industrie, il suffit de dire qu'en 1917 on avait isolé en tout trois à quatre mètres cubes d'hélium. Le prix du mètre cube était alors de 200.000 francs. D'après les recherches de Charles Moureu, on rencontre le précieux corps dans un grand nombre de mélanges gazeux, issus de sources thermales françaises, dans la proportion quelquefois voisine de 10 0/0. Ce fait doit être retenu et étudié au point de vue industriel. On le trouve aussi, mais avec une teneur moindre, dans des soufflards des centres charbonniers. La mise en exploitation d'une source quelconque d'hélium est à la fois un problème technique et financier et, par cela même, nous est impossible, vue la complexité des questions nouvelles, précises et spéciales que sa solution soulève.

Il mérite d'être étudié puisque l'emploi de l'hélium des accidents aux terribles conséquences comme celui pourrait éviter aux compagnies de navigation aérienne que les Anglais ont eu à déplorer il y a quelques jours. Docteur LAROCHE-BRANSSAT.

D'une guerre à l'autre guerre

CRÉPUSCULE TRAGIQUE

XII L'EPAVE

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C'était, même pour les plus humbles victimes, combien plus pour un homme tel que Philippe Lefebvre! une gêne étrange d'être à la fois accablé par le deuil le plus cruel et préoccupé de la victoire. Il en avait l'ivresse, à laquelle il ne pouvait se refuser, et qu'il se reprochait, comme ceux qui viennent de perdre ce qu'ils avaient de plus cher, et qui cependant ont faim et soif. Il en goûtait la sécurité, l'orgueil, la joie, jusque dans les moments où, au moindre souvenir de son petit enfant disparu, il fondait en larmes comme un enfant. Il était si désemparé, si las, si intimement persuadé du néant de tout, qu'il n'avait plus en lui que le vouloir-mourir; et il était en même temps quelqu'un de la France qui voulait vivre. Il ne décachetait même plus ses lettres, et il se jetait sur les communiqués. Ceux-mêmes qu'a fait le plus cruellement souffrir cette antinomie de la sensibilité l'ont oubliée presque vite parce qu'elle n'est intelligible qu'à l'instant qu'on l'éprouve. Elle étonne, la mémoire. A distance, la raison n'est plus capable de la concevoir et n'essaie plus de se l'expliquer.

Plusieurs semaines avaient passé, et sans plus de motifs qu'auparavant, le sentiment d'une guerre longue,

d'une guerre indéfinie, avait remplacé chez lui, comme chez les autres, le sentiment d'une guerre courte. En lui, comme chez les autres, s'était peu à peu développé une faculté de résignation, si contraire au tempérament français et, plus encore, à sa nature personnelle, impatiente, ennemie de tout délai, qu'il ne s'en faisait pas mérite il la suspectait; il l'attribuait à la dépression, à l'apathie. Durant toute sa vie, il avait gardé la mesure, même aux heures tragiques, la maîtrise et le contrôle de soi; mais il savait bien qu'en dépit de son impassibilité apparente, il était celui pour qui la colère, selon la doctrine de Platon, est une des facultés de l'âme; et quand il se sentait vraiment impassible, sans le vouloir, sans le faire exprès, il se disait avec tristesse et avec humilité que c'était faute de ressort, qu'il n'avait pas pu se relever cette fois du coup qui l'avait consterné.

Il n'était pas fier de son stoïcisme. Il se le reprochait au contraire comme une infidélité à l'égard de Rex. Sa douleur était sa compagne assidue, mais ne le tourmentait pas à son gré; et parfois il prenait à tâche de l'exaspérer, d'irriter la plaie; comme les blessés qui ne veulent pas guérir, et qui, dès que le chirurgien s'est écarté de leur lit, arrachent leur panserment.

Tout ce drame intérieur se développait dans une solitude absolue. Philippe devinait, dans l'âme de Made

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leine, toutes les mêmes choses que, dans la sienne, il
sentait; mais bien qu'ils vécussent plus que jamais inti-
mement, au sujet de leur douleur ils ne se communi-
quaient pas. Elle restait muette et enfermée. Madeleine
ne prêtait à Philippe et ne lui demandait aucun secours.
Leurs longs tête-à-tête n'étaient pourtant pas silencieux.
Ils parlaient de tout le reste, et même plus abondamment
que de coutume, n'ayant l'un pour l'autre aucune pensée
secrète, que celle-ci. Ils parlaient avec chaleur, avec
passion, avec fièvre, c'était le ton en ce temps-là,
et comme s'ils se fussent oubliés eux-mêmes. Pourtant
ils ne s'oubliaient pas.

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Pour échapper les condoléances banales, ils avaient fermé leur porte. Ils n'avaient pas eu besoin de la fermer longtemps: les sympathies les plus vraies s'usaient vite alors. La visite de Sonia Jugon, témoin jadis de la nativité, leur avait été très pénible. André Jugon n'était venu les voir que bien plus tard. Il avait pris du service comme médecin-major et n'était pas fort éloigné de Paris, mais ne s'y pouvait rendre que rarement. Il n'y reparut, après la bataille de la Marne, qu'au bout de quatre semaines environ.

Un jour qu'il y était de passage pour vingt-quatre heures, il vint rue de Babylone, et dit à Philippe, sans phrases, mais de cette voix légèrement altérée, qui trahissait chez lui la pudeur d'une pensée trop haute ou d'un sentiment trop vif:

Je peux t'emmener demain, si tu veux, dans une auto militaire, jusqu'à l'ancien front.... (il baissa encore un peu la voix) à l'endroit où Rex a dû tomber.

Il se hâta de revenir aux détails positifs et qui lais-
sent le cœur indifférent :

- On pourra te ramener à Paris, tard dans la soirée.
Lefebvre fit un signe de tête, qui ne semblait répondre
qu'à ces derniers mots. Puis, après un temps assez long,
simplement, il remercia, mais de cette même voix qui
donnait un sens profond à leurs paroles les plus banales.
Il ne pouvait être question d'emmener Madeleine.
Philippe du moins le supposa, puisque Jugon ne lui en
disait rien; et il ne lui déplut pas que la chose ne fût
point spécifiée il préférait qu'on le dispensât de se
demander à lui-même s'il souhaitait ou non faire seul
ce pèlerinage, et de se reprocher gratuitement la mau-
vaise foi probable avec laquelle il eût cherché. un pré-
texte pour en écarter Madeleine, au cas qu'elle l'y pût
accompagner. Il songea pourtant combien il lui serait
plus cruel, étant seul, de quêter la tombe incertaine,
d'hésiter entre celles des croix de bois où il lirait ces
mots: Soldat, officier inconnu. Comme il n'avait pas
encore vu de ses yeux un champ de bataille et ne l'ima
ginait que par l'ancienne description d'Ashley Bell,
comme il ne savait penser qu'au moyen de ses propres
images, en se figurant soi-même errant sur une
fosse commune, il se rappela la promenade funèbre de
Mlle de Varandeuil à la fin de Germinie Lacerteux. Et
aussitôt, par une échappée de sa mémoire, il revit le
vieux Goncourt, le maréchal Goncourt, le grenier d'Au-
teuil; il se ressouvint de ses visites du dimanche où,
quand il ne s'amusait guère, il songeait à Rex enfant,
en train de jouer au Ranelagh, et qui tout à l'heure al-
lait venir le chercher, avec la voiture.

vaste

Ce fut ce souvenir qui changea en émotion prête aux armes l'émotion un peu trop religieuse et non mouillée de tendresse humaine qu'il avait ressentie d'abord,

quand Jugon lui avait dit :

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Je t'emmènerai demain à l'endroit où Rex a dû tomber.

Mais il était toujours seul dans le secret de ses larmes, qu'il sentait quelquefois lui monter aux yeux, qui ne couTaient presque jamais. Sa façon de pleurer, comme celle d'André Jugon, c'était d'être obligé de garder le silence

quelques instants.

sée qu'il devrait dire à Madeleine ce qu'il allait faire. Il savait d'ailleurs que cet embarras, qu'il éprouvait par anticipation, sur le moment se dissiperait, et qu'il dirait la chose en peu de mots, pâles, très simplement. Cela fut, en effet, très simple. Madeleine rentra de l'hôpital où elle travaillait comme Jugon allait partir. Philippe lui dit :

Tu sais, André m'emmène demain à... (C'était le nom du village près duquel Rex était tombé.)

Elle fit « Ah! » sans expression. Puis ce fut encore un bref silence, deux ou trois mots exprès indifférents; puis ce rapide examen de la situation militaire que ne pouvaient manquer de faire, à cette époque, ceux qui

se rencontraient.

L'auto, le lendemain, fut à la porte des Lefebvre de très bonne heure. Philippe devait aller prendre Jugon non loin de là, mais il n'eut, durant plusieurs minutes, personne pour le divertir de ses premières impressions. Il était plutôt sérieux que profondément, triste, et s'il avait de la mélancolie, ce n'était peut-être qu'un de ces états de convenance dont les plus sincères sont coutumiers. Il avait aussi une de ces vagues et très légères angoisses qui sont comme un empêchement et une timidité physiques, mais point le sentiment de partir pour une cérémonie, où il y a toujours un peu de corvée, où l'on est obligé de se surveiller pour la galerie et de prendre une contenance. Il n'allait pas se surveiller pour André Jugon, autre lui-même, (André d'ailleurs n'était pas encore là); mais ce qui surtout modifiait et, pour ainsi dire, transposait sa sensibilité, était ce perpétuel dédoublement, à l'heure présente plus marqué, grâce auquel le père en deuil ne pouvait jamais se confondre avec le Français victorieux. Est-ce la tombe de son fils qu'il s'en allait visiter, ou le lieu consacré par la victoire?

André Jugon, quand ils se joignirent, fit d'abord semblant de ne prendre garde qu'aux choses matérielles du voyage, et s'étendit comme un Anglais sur les considérations météorologiques. L'automne était splendide, mais les soirées fraîches, la voiture était découverte. Il dit à Philippe :

Tu as bien fait de prendre un gros manteau. Ils s'installaient. Ils évitèrent, soit de se renfermer trop en eux-mêmes, ou d'engager une de ces conversations suivies qu'il ne leur aurait plus été loisible d'interrompre et qu'ils auraient eu grand'peine à soutenir pendant un trajet aussi long. Avec ce tact de leur enfance que ni l'un ni l'autre n'avait perdu, ils parlaient tour à tour et ne parlaient pas, devinant leur rêverie, la coupant toujours au moment juste qu'il fallait.

Ils sortirent de Paris assez vite, et Lefebvre, dès qu'il eut passé le mur d'enceinte, eût le sentiment que le spectacle commençait pour lui, qu'il avait, de ce moment, le devoir de regarder et de s'instruire. Il ne se faisait aucune idée de ce camp retranché dont tout le monde parlait, dont il parlait comme les autres, et qui n'avait commencé à vrai dire d'exister qu'après le recul de la horde allemande. On y travaillait à cette époque, ou plutôt on y employait un nombre considérable d'ouvriers, qui ne travaillaient guère, soit paresse naturelle, ou conscience, ou espérance de l'inutilité de cette besogne. Philippe cependant, si André. Jugon ne l'eût aidé, n'eût aperçu à peu près rien des défenses, cachées aux yeux d'un profane. Le major, qui avait parcouru maintes fois cette route, jouait le rôle de guide; il faisait arrêter la voiture et descendre Lefebvre pour lui montrer des tranchées-abris ou des batteries dissimulées. Mais ces haltes

impatientèrent Philippe, d'autant que l'on était obligé d'en faire d'autres, à chaque poste, pour exhiber les sauf-conduits. Il était aussi, où il voulait être certain que ces travaux ne répondaient plus à aucune nécessité pressante, et il s'irritait de voir qu'on les poursuivait

Il éprouva ensuite un peu d'ennui, de gêne, à la pen- comme si l'on avait eu encore quelque chose à craindre.

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Enfin il aimait, selon la vieille devise, « faire ce qu'il faisait», et l'inspection du camp retranché de Paris n'était pas l'objet de leur voyage. Il pria Jugon de ne pas davantage les retarder.

Si peu apparents que fussent les ouvrages du génie, ils frappaient l'imagination de Philippe ; ils lui semblaient prêter une sorte de caractère à cette horrible banlieue pelée qui commence dès les murs de la ville, et que le peuple appelle si joliment, mais si improprement, la campagne première. Ils en modifiaient pour lui l'aspect, ou ce qu'il croyait connaître de leur aspect ordinaire; ainsi que presque tous les Parisiens de sa classe, il n'y avait jamais mis les pieds; il n'en avait lu que des descriptions peu sincères, vu que des «< interprétations » artistes, comme celles de Raffaelli, et le nom

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de ce peintre reporta encore sa pensée vers le grenier

d'Auteuil.

Il passa bientôt de la campagne première à ce que les citadins appellent naïvement la vraie campagne. Ce ne fut point par des gradations insensibles. Brusquement, après les fabriques et leurs hautes cheminées, il voyait, au tournant de la route, un charmant village parmi les verdures. Puis, la banlieue industrielle, dont il s'était cru délivré, offensait de nouveau son regard. Puis enfin, il eut presque soudain le sentiment d'être, comme disent encore les Parisiens, à cent lieues de Paris. Il aimait ces belles lignes droites, ces longues rangées d'arbres, la suite presque continue des villages qui ne sont qu'une grande rue, de part et d'autre les champs divisés, et il se ressouvenait d'une phrase de Stendhal qui l'avait toujours choqué: « La campagne de France, la plus laide qui soit au monde... » Stendhal préférait la plaine lombarde: il y mettait quelque snobisme, ou bien il voulait d'avance justifier la fameuse épitaphe: Arrigo Beyle, milanese. Philippe ne haïssait pas la Lombardie, mais il prenait chaque jour un peu plus nettement conscience de sa sensibilité française. Non qu'il fût chauvin cette inintelligence lui avait toujours inspiré de l'horreur, et plus encore aujourd'hui que l'amour, ou l'amitié de la patrie, mise à l'épreuve, devenait en son cœur plus ombrageuse et plus délicate. Il avait pour cette campagne un goût ensemble instinctif et volontaire, qui se teintait d'affection, quelque chose comme un tendre parti pris. Il aimait l'Ile de France comme Mme la comtesse de Noailles, dont il savait par cœur les vers divins :

On croit que l'on va voir l'ombre de La Fontaine
Dans les chemins charmants marcher près de Perrault,
Tant le jour a de grâce amortie et lointaine
Sous le ciel si léger, si sensible et si haut.

Et cet autre vers, plus divin encore parce qu'il est plus naïf:

Et l'on est tout à coup heureux comme à neuf ans...

Il aimait en ce moment l'Ile de France comme une malade pour laquelle on a tremblé. Il était curieux de ce visage nouveau que lui devait donner la guerre, et qu'il pensait ne pouvoir pas imaginer avant de l'avoir vu de ses yeux, Voici pourtant qu'à sa grande surprise il le reconnaissait. Déjà dans la zone des armées, mais si loin du véritable front, il se rappelait les grandes manœuvres, qu'il avait faites une fois, une seule fois, lors de son service militaire, en temps de paix.

Il en avait gardé, comme tous les Français, un souvenir très vif. En France, depuis l'institution du service obligatoire, les souvenirs du régiment ont pris la place des souvenirs de collège dans la mémoire des hommes qui touchent à l'âge mûr et commencent de regarder du côté de leur jeunesse avec une complaisance attendrie. Il est même né de là toute une littérature, de qualité sans doute inférieure, mais dont Philippe, avec un peu de honte, n'avait pas toujours dédaigné l'amusement.

Les manœuvres lui rappelaient une dépense d'énergie (pendant quinze jours) dont jamais il ne se serait cru capable, des fatigues surhumaines qu'il était fier d'avoir pu supporter. Elles lui rappelaient aussi des soirs où il était détaché de son unité, logé à sa guise dans des fermes, des nuits sans lune où il avait erré longtemps à la recherche de son gîte; des mouvements incompréhensibles, des batailles où il participait sans les voir, comme Fabrice à Waterloo; un défaut d'ordre et d'organisation invraisemblable, qui faisait dire à ses camarades et à lui:

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Eh bien, si c'était sérieusement la guerre, nous serions frais!

Dans tous les villages qu'il traversait, Philippe retrouvait ces images familières, le va-et-vient nonchalant des troupiers par les rues, les corvées, les distributions, la quête du cantonnement. Tout cela était tellement pareil à la petite guerre qu'ici, où l'on n'entendait même pas le bruit lointain du canon, il avait peine à se représenter que ce fût en effet la vraie guerre, la guerre qui lui avait coûté la vie de son fils.

Malgré la vue des tombes et des croix, il avait moins le sentiment de la mort que de la résurrection. La nature et l'homme avaient déjà repris possession des champs bouleversés. On était en train de reconstruire les maisons à demi détruites. Des paysans grimpés au faîte de leurs toits y remettaient des tuiles ou des ardoises; çà et là, des taches claires, neuves, trahissaient le rapiècement. Des soldats, n'ayant pas autre chose à faire, donnaient un coup de main aux civils, et Philippe était tout désorienté de voir ces maçons ou ces couvreurs. en uniforme. Le contraste de cette bonne volonté de

vivre, de cette joie de vivre, et de son propre deuil, n'était pas même assez brutal pour lui faire une pénible impression; mais le spectacle qui s'offrait à ses yeux préconçues qu'il en éprouvait plus que de l'étonnement: différait si entièrement des images de ruine qu'il avait presque du désenchantement. Il eût dit volontiers, empruntant la formule déjà usuelle des soldats gouailleurs :

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Penses-tu qu'il y ait la guerre ?

Le théâtre de ces uniques manoeuvres que jadis il avait faites, c'était justement la Champagne; et le programme en avait été si pareil aux opérations de la guerre présente, qu'il se souvenait d'avoir exécuté presque tous les mêmes mouvements que les armées en septembre. Il reconnaissait le terrain. Il reconnaissait un à un les villages, dont l'aspect n'avait point changé. Celui près duquel on lui avait dit que Rex était tombé, il y avait été cantonné lui-même plus de trente années auparavant, et il le reconnut!

C'était une longue ligne de maisons, à droite, et une autre à gauche de la route nationale, qui devenait «< la grande rue ». Les maisons étaient propres, bourgeoises, entourées de petits jardins fruitiers. A gauche, il y avait un talus, et à droite le sol se dérobait; même, la première maison du village était bâtie en contre-bas. Un peu plus loin, mais de l'autre côté, se trouvait la boutique du marchand de toutes choses, mercerie, papeterie, épicerie, tabac, avec un estaminet. Lefebvre et Jugon entrèrent un moment dans la salle basse, enfumée, qui sentait l'odeur de cantine, et était pleine de soldats. Les uns se hâtaient de manger ou de boire sur un coin de table; les autres flânaient au comptoir et faisaient, avec des hésitations d'enfants, des emplettes inutiles. Philippe et André ressortirent, allèrent chercher dans la voiture les provisions qu'ils avaient apportées, et ils revinrent déjeuner là. Sûrement, Philippe y avait aussi déjeuné, l'autre fois, et qui sait? à la même table. Sa mémoire complaisante précisait et situait, plus même qu'elle n'en avait le droit, les images de cette autre fois. C'était ce souvenir-là, et non les choses d'hier qui le

I ང་

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