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Le Congrès des Cheminots (1)

II

LES CONGRÈS RÉGIONAUX DE LA FÉDÉRATION NATIONALE Comme toujours, une série de congrès régionaux, un par réseau, avait précédé le congrès national. Mais l'addition des résultats donnés par chacun d'eux ne permettait guère d'aboutir à une certitude sur l'issue définitive de la lutte engagée entre majoritaires ou réformistes d'une part, minoritaires ou extrémistes d'autre part.

Dans chaque région, les premiers, sous l'étendard de M. Bidegaray et avec l'estampille du parti socialiste, s'étaient violemment affrontés avec les seconds, rangés à la suite de M. Monmousseau et inféodés au communisme de Moscou; les divers scrutins totalisés montraient les deux factions rivales équilibrant à peu près leurs forces, avec une légère avance en faveur des partisans de M. Bidegaray; l'événement a néanmoins établi combien on eût été mal avisé de fonder des présomptions sur cette faible supériorité numérique, qui se renversa à la dernière heure.

En somme, si la physionomie particulière de chaque congrès est intéressante comme manifestation fragmentaire d'une mentalité générale, l'intérêt de leur examen réside principalement dans l'impression d'extrême incohérence collective et de tumultueux désordre chro

nique qui se dégage de ces réunions préparatoires. Quand on les a étudiées une à une, on peut s'attendre

à tout.

Des six grands réseaux français, qui doivent, le 31 (1) Voir l'Opinion du 25 juin.

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mai, se retrouver au congrès national de Paris, trois sont à tendances réformistes et trois à tendances extrémistes, sans que du reste le fond de leurs programmes respectifs contienne la moindre trace de différences doctrinales appréciables. Tous sont également révolutionnaires et divisés surtout par des rivalités de personnes; tous apparaissent donc identiquement dangereux, les uns d'une façon plus immédiate, les autres avec les délais que comporte une tactique plus lente.

Les trois premiers, l'Est, le Midi et le Nord regardent avec M. Bidegaray du côté de l'Internationale d'Amsterdam; les trois seconds, le Paris-Lyon-Méditerranée, l'Orléans et l'Etat, tournent les yeux, avec M. Monmousseau, du côté de Moscou. C'est sur la concurrence de ces deux villes saintes du socialisme que repose tout le litige et que se livre toute la bataille entre membres d'associations censément professionnelles, l'on parle surtout comme nous allons le voir de questions purement politiques.

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Son opinion est évidemment celle de l'immense majorité des congressistes; ceux-ci en effet, par 37 mandats contre 8, et avec 7 abstentions, votent un ordre du jour de confiance aux dirigeants en exercice.

Au cours des débats, ils ont même un élan de libéralisme démocratique et de bon sens élémentaire, très remarquable parce que extrêmement rare en de pareils milieux il s'agissait d'établir qu'aucune grève ne pût être déclarée sans une consultation et un scrutin préalables des syndiqués menacés d'un chômage éventuel. Cette motion, furieusement combattue, cela va de soi, par l'orateur des Moscovites, M. Routier, n'en fut pas moins adoptée par 44 voix contre 5, avec 2 abstentions.

Les cheminots du Midi tiennent leur congrès à Toulouse, du 29 au 30 avril.

Ils y retrouvent bien les trente-trois syndicats de l'année précédente; mais ceux-ci n'ont plus envoyé que quarante délégués au lieu de soixante-dix huit, et ne représentent que treize mille syndiqués sur trente-quatre mille agents.

La même lutte sur les mêmes questions que dans les 'Ardennes s'engage dans la Haute-Garonne. M. Langlois, extrémiste, accuse la C. G. T. d'incliner vers une collaboration des classes « qui n'a donné aucun résultat; il attaque M. Bidegaray pour n'avoir obtenu ni la réintégration des révoqués, ni la suspension des sanctions prises au lendemain de la grève; en raison de quoi, il conclut à la « faillite » des réformistes.

Le président du Congrès, M. Toulouse, lui répond que les réformistes ont obtenu la journée de huit heures, les nouvelles échelles de traitement, le nouveau statut du personnel, tandis que les extrémistes n'avaient abouti qu'à provoquer les révocations qu'ils reprochent maintenant à leurs camarades de n'avoir pas fait annuler; il appuie sur la responsabilité encourue par ses adversaires dans la formidable diminution des contingents syndicalistes...

C'est alors que M. Bidegaray, présent à la séance, intervient en personne ; il rappelle les résultats déjà mentionnés par M. Toulouse ; il se flatte d'être « un réédificateur et un organisateur » ; il défend le programme de la C. G. T.: « Du reste, proteste-t-il, si je n'obtiens pas, comme je l'ai promis, la réintégration des révoqués et la suspension des sanctions contre les grévistes, mes amis et moi nous sommes d'accord pour quitter la Fédération au prochain Congrès, vous prendrez notre place ». Et, non sans une nuance de défi ironique, il ajoute « Nous verrons ce que vous ferez. » Puis, fonçant brusquement sur son rival, M. Monmousseau, il l'inculpe de n'avoir joué du principe de la « nationalisation et de n'avoir déclanché la grève de mai que pour mener les grévistes « à la désorganisation de leur organisme, ce qu'il était chargé de faire ».

Et cette grave accusation de trahison n'étonne pas démesurément, 'semble-t-il, l'assemblée; nul contradicteur ne riposte; en fin de compte, on adopte, à l'unanimité moins quatre voix, l'ordre du jour déposé par les partisans de M. Bidegaray!

Les cheminots du Nord se réunissent entre le 20 et le 22 mai à Calais.

Notons tout de suite que, parmi les 23.394 agents inscrits à leurs syndicats, il en est 3.521 qui appartiennent au Nord belge, et que ces derniers joueront un rôle essentiel quand s'ouvrira le scrutin décisif du Congrès National. Mentionnons encore que les cinquante-cinq syndicats représentés l'année précédente ne sont plus que cinquante et un en 1921, et que dix-sept autres ont proclamé leur intention de demeurer à l'écart.

Les mêmes griefs des extrémistes défilent une fois de plus « On entretient de trop bons rapports avec la Compagnie... L'action révolutionnaire reste stagnante... » Au cours des débats, un interrupteur semble bien

traduire le sentiment intime de l'auditoire: «Allons! s'écrie-t-il, voilà les bêtises qui reprennent des questions personnelles pour des intérêts particuliers » Et l'on a, en effet, l'impression d'une querelle furieuse entre deux boutiques concurrentes plutôt que d'une lutte entre deux doctrines opposées...

Au moment du vote, la motion réformiste groupe, du reste, cent six mandats; la motion extrémiste, vingt. Ce qui n'empêche pas, dans son numéro du 24, l'Humanité de se déclarer pleinement satisfaite, et d'annoncer à ses lecteurs que « le Congrès marque un réveil de la conscience révolutionnaire dans le Nord ». Mais il n'y a que les yeux des rédacteurs de l'Humanité pour discerner « la marque de ce réveil » et y découvrir des motifs d'optimisme.

En revanche, les bolchevistes les plus exaltés ont toutes raisons de se réjouir des succès obtenus par leurs amis sur le Paris-Lyon, sur l'Orléans et sur l'Etat, sans parler, bien entendu, des réseaux de moindre importance, comme celui de l'Alsace et de la Lorraine, où 9.897 voix sur 14.000 votants réclament l'affiliation à l'Internationale de Moscou.

Pour expliquer cette mentalité, il faudrait en examiner longuement les causes multiples et complexes, où certaines erreurs politiques de l'administration française ont et surtout ont eu une part; mais il faut surtout considérer que les syndiqués alsaciens et lorrains comptent dans leurs rangs un pourcentage énorme d'ouvriers des ateliers de l'Etat, dont les tendances ordinaires se trouvent renforcées, dans nos provinces de l'Est, par des influences allemandes et par la présence trop réelle d'une multitude d'Allemands.

travaux

Quant au P.-L.-M. lui-même, qui tint son Congrès à Nice du 5 au 7 mai, personne ne se fit une minute d'illusion sur les scrutins par où devaient se conclure ses ; la dictature de M. Midol y avait laissé son empreinte; la C. G. T., parfaitement sûre de l'échec qui l'attendait, n'avait seulement pas jugé opportun d'envoyer à Nice un quelconque de ses représentants attitrés.

Les congressistes délégués par leurs syndicats, en 1921, ils ne sont plus que cent seize, au lieu de deux cent quatorze, en 1920, appartiennent donc presque tous à la nuance extrémiste; ils désavouent des hommes comme M. Charlot, député de la Côte-d'Or, ou M. Jossot, sénateur du même département, qui, à la Chambre et au Sénat, se sont nstitués les défenseurs des cheminots; ils ne veulent à aucun prix de rien qui puisse ressembler à une collaboration de classes, et affirment la fermeté de leurs principes par quatre-vingt voix contre dix-neuf; ils en arrivent à maintenir d'office dans leur conseil d'administration ceux de ses membres qui ont été révoqués aux grèves de mai ce qui revient à dire qu'ils confient la gérance de leurs inqui n'appartiennent plus à leur profession, et qui ne térêts censément professionnels à des individualités se rattachent à eux que par des liens politiques.

Le Congrès de l'Orléans, réuni à Montluçon le 6 et le 7 mai, tout en se rangeant du même côté que celui du P.-L.-M., ne se comporte cependant pas de la même façon.

sans

Ici, les réformistes ne se résignent pas d'avance à la défaite; ils engagent au moins la bataille ; grande chance d'ailleurs, si l'on envisage la situation; l'effectif syndical, qui était, en effet, avant la grève, de vingt mille agents, - sur soixante-dix mille attachés au réseau, se trouve réduit à moins de onze mille; les cent soixante délégués représentant soixante-quinze syndicats, en 1920, ne sont plus que cinquante-quatre, en 1921, et ne parlent plus qu'au nom de quarante-six syndicats ; selon le mot d'un assistant sceptique, c'est, en réalité, « un Congrès de révoqués », et l'on devine, par conséquent, quelle en peut être la psychologic

La thèse réformiste est soutenue par M. Le Guen et M. Sauve; la thèse extrémiste, par M. Chartier; en ce qui concerne celui-ci, le mot « thèse », d'ailleurs, peut paraître malaisément applicable aux diatribes haineuses et furibondes de ce véhément personnage ; il a la hantise de la trahison; il voit, dans le Bureau confédéral, un foyer de « trahison ouvrière »; pour lui, M. Merrheim est un « traître », M. Dumoulin, un autre «< traître»; après avoir dénoncé tous ces « traîtres »>, il conclut qu'il faut de l'action révolutionnaire, toujours de l'action révolutionnaire, et qu'on sortira vainqueur

avec la transformation sociale ».

Ce n'en est pas moins la grandiloquence baroque de cet enragé qui triomphe : par vingt-neuf syndicats contre quinze et 6.861 suffrages contre 3.194, le Congrès s'élève contre toute collaboration de classe et décide l'affiliation à l'Internationale de Moscou.

A travers ces folies, un détail cependant permet d'entrevoir à quel point le tempérament des masses françaises répugne d'instinct aux méthodes disciplinaires de dictature prolétarienne, dont s'accommodent si bien les åmes russes; comme le Congrès de l'Est, le Congrès de l'Orléans avait été saisi d'une motion tendant à rendre en cas de grève le referendum obligatoire ; en dépit de toutes les prédications sur les droits prééminents des minorités agissantes, l'Orléans extrémiste ne se comporta pas dans la circonstance autrement que l'Est réformiste, et la motion fut repoussée à une forte majorité.

Nous arrivons enfin au Congrès du réseau de l'Etat, qui, à Thouars, occupe les deux journées du 21 et du

22 mai.

agents,

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Ce réseau, qui possède quatre-vingt-dix-huit mille il est, on le voit, extraordinairement riche en personnel, comptait, avant les grèves de mai, 63.102 syndiqués; en 1921, il n'en compte plus de 23.907; et encore ce groupement révolutionnaire est-il coupé en deux fractions adverses à peu près égales.

Mais leur lutte prend un intérêt particulier du fait qu'elle est menée de part et d'autre par deux révoqués notoirés; ce ne sont rien moins que M. Bidegaray et M. Monmousseau qui conduisent eux-mêmes leurs troupes à la bataille et qui plaident chacun leur propre

cause.

M. Bidegaray souligne la lourde responsabilité des extrémistes dans la désorganisation générale des syndicats ; il met au contraire en lumière les avantages matériels que sa tactique a permis de conquérir, tels que les augmentations de salaires, la suppression du travail à la tâche, la journée de huit heures; il reconnaît que, en échange, ses amis et lui-même avaient promis un rendement plus intense de la production; seulement, les agitateurs ayant jugé bon d'encourager la paresse, les ateliers de plus en plus improductifs ont été fermés, et les organisations syndicalistes marchent à la ruine.

.

A ce réquisitoire solidement étayé sur des données trop irréfutables, M. Monmousseau se contente de répondre qu'il ne regrette rien, qu'il ne songe qu'à recommencer, et qu'il lui suffit, pour justifier ses actes, "d'avoir permis aux révolutionnaires de se compter en face du gouvernement et du patronat ».

Et, finalement, à l'heure du scrutin, c'est M. Monmousseau qui l'emporte par le vote de la motion qu'il a déposée; il y préconise la lutte des classes de plus en plus intense », et il professe ne voir « de libération possible pour le prolétariat exploité que dans les formes d'une action directe, présentées en bloc par la Révolution russe, en dehors de laquelle aucune révolution ne peut aboutir »; il recommande « la grève perlée », c'est-à-dire une observation stricte des règlements poussée au point de rigorisme où aucun service ne peut plus pratiquement fonctionner...

Mais son succès ne s'affirme que par une majorité

très faible, 11.908 suffrages contre 10773; et encore doit-on considérer que, un peu auparavant, le scrutin sur le rapport moral avait été pour M. Monmousseau échec partiel, où 13.150 bulletins réformistes s'étaient alignés contre 8.444 extrémistes.

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A LA VEILLE DU CONGRÈS NATIONAL Telle apparaissait la situation des organisations révolutionnaires de cheminots à la veille de leur congrès national.

cialistes, tactique qui semble empruntée à l'AlleOn sait que la tactique constante des agitateurs somagne, consiste à crier la victoire en la prophétisant avec audace et fracas. Sur des masses crédules, le procédé, du reste, ne paraît pas inefficace, du moment où il arrive à exercer une suggestion assez forte pour que, en des intelligences bornées, les démentis des événements ne puissent jamais prévaloir contre l'illuminisme de la Foi.

Nous avons déjà vu plus haut comment, dans les journaux du parti, la défaite des extrémistes sur le réseau du Nord servait de base aux pronostics les plus encourageants pour l'extrémisme. A plus forte raison, le succès, non pas triomphal certes, mais réel, obtenu sur l'Etat, fut-il accueilli dans tout le clan moscovite par des cris d'enthousiasme.

L'Internationale annonce alors que le vent de la défaite souffle sur les réformistes. La Vie ouvrière ne cache pas sa joie à la pensée que la C. G. T. va subir un blâme et une diminution de son autorité morale... Au fond, cette belle assuranse était si peu sincère chez les meneurs que, avant la réunion du congrès, ils ne jugèrent pas inutile de convoquer à Paris leurs amis de province et de s'entendre avec eux sur la meilleure marche à suivre contre leurs rivaux. Nous avons montré en effet comment les deux partis disposaient de forces à peu près équivalentes, malgré une légère différence numérique à l'avantage des réformistes.

Mais cette différence n'était pas telle qu'un revirement quelconque, comme il est toujours possible de voir subitement s'en produire dans une foule, ne fût susceptible de démentir des prévisions fondées sur une statistique très aléatoire. La tâche des assaillants contre les détenteurs du bureau fédéral devait donc consister à combiner leurs efforts pour provoquer le mouvement de bascule, dont, en dépit de leurs clameurs, ils n'avaient nullement la certitude... Nous verrons d'ailleurs, en de prochains articles, comment cette petite conjuration préalable réussit parfaitement au gré des conjurés.

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N'est-ce pas une honte, mon cher ami ? Lorsque, dans une centaine d'années, des curieux exhumeront de vieilles gazettes et reliront les journaux du 3 juillet 1921, ils verront une ou plusieurs pages entièrement consacrées à deux hommes qui se sont bourrés de coups de poing et dont les gestes ont été payés plusieurs millions ! Et ils verront ensuite, perdu dans une colonne de troisième page, un petit entrefilet relatant le retour en France de Mme Curie qui rapportait d'Amérique un gramme de radium... 1921 ! se diront-ils, c'était l'âge d'or, sans doute, pour que les gens n'eussent pas. de plus graves soucis!

Mon Dieu pourquoi vous indigner ainsi ? On nous a cependant assez rebattu les oreilles avec l'exemqui, étant (celui de jadis!) ple du peuple grec

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