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Et voici une autre grand nom : Charles Richet. Nous l'entendrons la prochaine fois. Mais, dès aujourd'hui, je veux terminer par quelques paroles qui peuvent avoir, je crois, un certain retentissement dans les milieux où l'on interroge les esprits.

Dans ces milieux, le nom du professeur Richet a été et est toujours cité, partout et en tous lieux, comme celui d'un des plus fermes piliers de la doctrine. Ce n'est pas assez dire: les spirites le brandissent, ce nom, absolument comme un étendard: Richet a dit ! Richet a vu! Richet prétend !...

Je m'attendais donc à entendre, une fois encore, un exposé des dogmes spirites, ce qui me faisait même craindre, comment dirai-je ?... un « double emploi >>> avec celui, si remarquable, de M. Gabriel Delanne.

Or, les premiers mots que M. Charles Richet m'a dit, à moi-même, avec un calme parfait, ont été ceux-ci : Je commence par vous déclarer que je ne crois pas un mot du spiritisme.

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Le commerce des Etats-Unis avec l'Europe Les Etats-Unis regorgent d'or. Au 1er juin, le stock du métal précieux y atteignait un total qui n'avait jamais été réalisé jusque là, de 3.175 millions de dollars. Pendant les cinq premiers mois de l'année, le stock s'est accru de 390 millions de dollars. L'or y afflue de tous les points de la terre. Qu'il en soit venu, entre le 1er janvier et le 15 avril 67 millions de France, 55 millions d'Angleterre, 9 millions de Suède, 6 millions de Hollande, rien d'étonnant. Mais la Turquie d'Europe elle-même y a envoyé 238.000 dollars, le Portugal, 7.000 dollars; l'Allemagne, 3.500 dollars d'or. Le relevé qui a été fait de ces importations mentionne même 600 dollars venant des Bermudes et 98 de Bolivie.

On pourrait croire qu'en raison de la situation particulière des Etats-Unis ce mouvement s'est poursuivi sans interruption depuis sept ans. Il n'en est rien. En

lui a répondu qu'il est bien, en effet, habillé comme sur la terre, mais que ses vêtements sont plus légers, c'est-à-dire fabriqués avec une matière moins dense. Cette matière, d'où vient-elle ? Il la prend chez les tailleurs terrestres, où elle s'échappe des étoffes sous la forme de petites particules. De même, les « émanations » de nos, maisons servent aux esprits à bâtir des maisons, etc., etc. - Je pense inutile de nous aventurer plus loin dans cette voie.

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mai 1917, le stock avait atteint une première fois maximum avec 3.122 millions. Puis il avait décru jusqu'à la fin de 1919, par suite des paiements que les États-Unis avaient été obligés de faire en Argentine et en Extrême-Orient. L'exportation d'or atteignait alors 30 millions de dollars par mois.. Au printemps de 1920, les achats de matières premières dans l'Amérique du Sud et au Japon se sont considérablement ralentis. Comme ce ralentissement a coïncidé avec des envois importants de la part de l'Europe, et a été suivi du remboursement de l'emprunt anglo-français, il en est résulté la situation que nous constatons aujourd'hui. Elle se traduit par une énorme augmentation de l'encaisse des banques de réserve fédérale.

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Cette pléthore du métal précieux n'empêche pas les Etats-Unis de traverser une crise économique des plus graves. Commencée avant celle qui sévit en Europe, elle s'y terminera aussi plus tôt ; certains symptômes font même penser que les Américains ne sont pas loin d'en voir la fin. Elle n'arrivera pourtant que lorsqu'ils pourront reprendre l'exportation de leurs stocks de produits agricoles et de marchandises fabriquées.

Ils le savent bien.. Un des leurs disait récemment que leurs banquiers, au lieu de consentir au remboursement de 400 millions de dollars de l'emprunt francoanglais émis en 1915, auraient mieux fait d'en proroger l'échéance. Il serait bien préférable, ajoutait-il, que l'Europe pût continuer l'achat de marchandises américaines plutôt que de régler ses dettes envers les EtatsUnis, ou même d'en payer l'intérêt. Ce qui entrave l'exportation, c'est la dépréciation des monnaies européennes par rapport au dollar. Si les pays qui ont déjà tant de difficultés à se procurer des devises américaines pour régler leurs maigres achats, sont encore obligés de courir après d'autres devises pour payer l'intérêt de leurs dettes, le change se dépréciera davantage et le commerce deviendra tout à fait impossible.

sa

Est-ce à dire que les Américains soient disposés à remettre ces dix milliards à leurs débiteurs ? Nullement. Ce serait une dangereuse illusion que de nous le figurer. Ils ne perdent pas une occasion de nous faire entendre qu'en affaires un débiteur doit acquitter dette. Or, si l'enthousiasme mystique pour une idée a puissamment agi en faveur de leur intervention militaire, les emprunts qu'ils ont consentis aux Alliés sont une affaire et doivent être réglés comme tels. Cela n'empêche pas les sentiments, et nous trouvons l'expression des sympathies les plus chaudes chez ceux mêmes qui se montrent le plus stricts sur la question de la dette.

A dire vrai, les bonnes raisons ne leur manquent pas pour appuyer leur détermination de ne pas abandonner leur créance sur les pays d'Europe. Les Etats-Unis ont d'énormes besoins de capitaux. M. G. E. Roberts, président de la National City Bank de New-York, les évalue à 25 milliards de dollars pour les chemins de fer, les constructions d'immeubles, certains services publics d'intérêt commun et les industries particulières. Ajoutons que certains banquiers mal informés ou plutôt mal influencés, nous reprochent de manquer de courage fiscal et parlent de gaspillage et d'armements excessifs.Sur ce dernier point, ils oublient que notre situation n'est pas la leur. Ils ont d'ailleurs assez mauvaise grâce à nous reprocher nos armements, alors qu'ils font euxmêmes l'effort naval que l'on sait. Toujours est-il que M. Vanderlip, dans les déclarations qu'il a faites le 2 août au Manchester Guardian, á dit sans ambages: « Si vous espérez encore des crédits d'Amérique, vous allez à une cruelle désillusion. Non point que l'Amérique manque à un devoir, mais simplement parce que nous, banquiers, ne pouvons conseiller à nos capitalistes

au

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cun placement important de capitaux en valeurs européennes. >>>

Il faut pourtant sortir de l'impasse, et pour cela restaurer le pouvoir d'achat des nations appauvries, en aidant au rétablissement de leur production. Mais pour leur vendre les matières premières dont elles ont besoin, il est nécessaire de leur consentir des crédits à long terme. Le gouvernement américain l'avait compris dès le début. C'est pourquoi il avait créé, en 1918, la la Société des finances de guerre (War Finance Corporation). Elle avait pour objet d'accorder un concours financier aux industries dont le fonctionnement présentait un intérêt pour la conduite de la guerre. Elle devait en outre soutenir les banques qui donnaient leur concours financier à de pareilles industries. La société était au capital de 500 millions de dollars qui furent souscrits par le gouvernement, mais sur les 306 millions d'avances qu'elle fit d'abord, il n'y en eut que 5 aux banques, 23 aux sociétés industrielles et 25 aux commerçants. 205 millions allèrent aux chemins de fer, alors administrés pas l'Etat, et 40 millions à divers établissements d'utilité publique.

Après l'armistice, le Congrès avait étendu les pouvoirs de la société, de façon à la mettre en mesure de faciliter le passage de la situation de guerre à la situation de paix. Elle devait surtout aider les exportations, à la fois pour activer l'écoulement des stocks américains et favoriser le relèvement des pays alliés et même des autres pays d'Europe. A la fin de 1919, et au commencement de 1920, la Société des Finances de guerre fit à diverses sociétés industrielles des avances montant à 20 millions de dollars pour l'exportation de locomotives, de matériel électrique et de machines agricoles. En même temps 26 millions furent avancés à des banques pour l'exportation, en Tchécoslovaquie et en Belgique, de céréales et de coton.

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Mais l'activité de la société fut suspendue au mois de mai, à la demande du secrétaire du Trésor, lequel allégua que les exportations n'avaient pas besoin d'être soutenues. Il était d'ailleurs en contradiction sur ce point avec le reste du Conseil de direction, auquel les événements devaient à bref délai donner raison. En effet, la crise survint alors, si bien que les agriculteurs et les industriels réclamèrent Faide du gouvernement. Au mois de décembre, le Congrès vota la reprise des opérations de la Société. En vain le président Wilson opposa son veto: le jour même, le Sénat vota de nouveau le bill, par 53 voix contre 5. La Chambre le vota le lendemain, par 250 voix contre 66. L'échec du président était complet; dans un message il avait déclaré que les difficultés qui empêchent les grandes exportations ne résident pas tant dans un défaut de capacité financière que dans les trop faibles ressources de l'Europe pour opérer les paiements. Le fonctionnement de la Société, ajoutait-il, ne pouvait que faire du tort aux procédés naturels et bien réglés des affaires et des finances. C'est aux particuliers et non au gouvernement qu'il appartient de fournir l'effort nécessaire.

Le Congrès, poussé par l'opinion publique, surtout

par les agriculteurs, ne fut pas de cet avis. Les partisans de l'institution soutiennent en effet que son action est justifiée faciliter certaines transactions deman

pour

destinées à favoriser le commerce extérieur. Elles sont issues des lois Webb-Pomerené et Edge. La première ssues des eut pour objet de permettre aux industriels de se grouper pour faire de l'exportation. Elle était indispensable, les lois Sherman et Clayton interdisant, comme on le sait, la constitution des trusts. La loi Edge, qui date seulement du 23 décembre 1919, permet la formation d'associations de banques destinées à ouvrir des crédits à l'exportation. Elle précise que ces sociétés financières, bien distinctes des banques nationales, peuvent accepter et escompter le papier commercial américain et étranger, à accepter des dépôts en dehors des Etats-Unis, prendre des gages réels et personnels, émettre des obligations jusqu'à concurrence de dix fois la valeur de leur capital et de leurs réserves. Elles peuvent avoir des succursales à l'étranger et posséder des actions d'autres sociétés consacrées au commerce d'exportation. Elles peuvent surtout créer en Europe des sociétés correspondantes qui cautionneront les importateurs européens et dont le papier, accepté par elles, couvrira l'émission des obligations dans le public américain.

dant, des, crédits que les banques ordinaires ne peuvent pas fournir et pour lesquels il n'existe encore aucun marché. Elle ne doit d'ailleurs être regardée que comme une organisation temporaire, jouant son rôle pour la reconstitution économique et favorisant la création d'organismes privés qui devront reprendre et continuer son

œuvre.

Il existe déjà un bon nombre de sociétés particulières

Dans l'idée du sénateur Edge, il s'agissait d'obtenir de la part du du public américain, une énorme quantité de capitaux, plusieurs milliards de dollars. De nombreuses organisations financières se sont formées en effet, ou plutôt sont en voie de formation. Elles visent à étendre leur réseau sur toutes les parties du monde. Les unes émettent des obligations, les autres se proposent seulement de fmancer le commerce international par le moyen d'acceptation des effets de change à terme. Leur activité se trouve restreinte aujourd'hui par les conditions défavorables, mais il n'est pas douteux qu'elles ne doivent jouer un rôle important pour la reprise des affaires et en profiter elles-mêmes. On a beaucoup parlé de l'accord passé à Paris entre le gouvernement polonais et une de ces sociétés, la Guaranty. Trust Company de New-York. En vertu de ce contrat, le gouvernement polonais avait concédé à cette banque le monopole du transfert des dollars en Pologne, lui accordant ainsi un monopole extrêmement avantageux. Attaqué à la fois en Pologne et aux Etats-Unis, cet accord, paraît-il, aurait été rompu. Il montre en tous cas la grande influence que les banques américaines peuvent prendre sur les affaires de l'Europe.

Notons à ce propos que les financiers américains se montrent favorables au projet Ter Meulen. Or celui-ci, présenté à la Conférence financière internationale de Bruxelles en septembre 1920, par M. Ter Meulen, de la Banque Hope et Cie d'Amsterdam, a été adopté après de légers remaniements par la Commisison économique et financière provisoire de la Société des Nations. II vient d'être présenté de de nouveau au Congrès de l'a Chambre de Commerce internationale qui lui a fait bon accueil. Il consiste essentiellement à émettre comme couverture des achats faits à l'étranger par les citoyens des pays de l'Europe, des obligations garanties par l'Etat et gagées sur le domaine public. Elles seront prêtées par l'Etat à ses propres nationaux. L'importateur l'Américain S'il est incapable de tenir ses engagements les remettra en garantie à son vendeur, en l'espèce elles deviendront la propriété de celui-ci. On devine les conséquences que cela peut entraîner en ce qui concerne la mainmise sur les richesses de certains pays.

Signalons enfin la tendance qui s'accentue aux EtatsUnis de créer à New-York un vaste marché des va

leurs étrangère fonds d'Etat et titres industriels. Les banques améri ines y voient le plus sûr moyen d'améliorer le cours des changes, en même temps que les valeurs étrangès pourront garantir les avances à long ou à court term que les sociétés financières américaines sont forcées d'a corder à leurs clients européens.

ANTOINE DE TARLÉ.

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LE

D'une guerre à l'autre guerre

CRÉPUSCULE TRAGIQUE

XI

LA VICTOIRE EN DEUIL

Philippe Lefebvre croyait ne point partager l'illusion, alors générale, d'une guerre très brève; mais ce qu'il appelait une guerre très longue était si loin de ce qui fut, si voisin des calculs qui la prévoyaient courte, qu'il ne semble pas, à distance, avoir différé sensiblement de l'opinion commune. Son impression, tout à fait naïve et primitive comme à cette époque, où nul événement ne répondit aux expériences du passé ni ne fut à la mesure de l'histoire, son impression était qu'il avait dit adieu à Rex pour toute la guerre, et que jusqu'au dernier jour, non seulement il ne le verrait plus, mais pas une seule fois il n'entendrait parler de lui.

Ayant passé l'âge de participer à l'action, il se représentait son propre rôle comme réduit à l'attente du retour de Rex. Et sans doute, il concevait cette attente assez dramatique, ou traversée d'angoisses, ou toute ou toute faite d'une seule angoisse continue et sourde: ainsi, du haut de la falaise, la femme du pêcheur d'Islande guette la voile tardive et lente à revenir; mais il avouait que cette angoisse, pour ainsi dire obligatoire et de convenance, était supportable, grâce à une certitude de tous les dénouements heureux, qui s'était imposée à lui dès le premier jour et ne laissait point de place à la plus légère inquiétude, au plus vague: « Si pourtant... » Lorsque les Allemands furent aux portes de Paris, quand le plus élémentaire et le plus irréfutable raisonnement démontrait qu'ils n'avaient qu'à le prendre, l'instinct de Philippe lui attestait qu'ils ne le prendraient pas. Cependant la patience, une sorte de sagesse plutôt que de résignation, un stoïcisme, après tout, facile, lui semblaient pour le moment les seuls efforts, les seuls sacrifices que l'on pût exiger de ceux qui assistaient à la guerre et ne la faisaient pas.

A rebours de ce qui lui arrivait d'ordinaire, aucun des menus faits de ces premières semaines ne s'accomplit, pour lui du moins, en conformité de ce qu'il avait pressenti. D'étranges dédoublements de sa conscience l'étonnèrent; dont le premier fut que, sans perdre l'illusion d'attendre dans l'immobilité, il passa pratiquement toutes les premières journées de la guerre dans un état de mouvement perpétuel. Il ne tenait pas en place. Il avait une extrême curiosité de tous les spectacles, bien naturelle si elle ne se fût accompagnée de ce sentiment bizarre qu'ils lui étaient tous indifférents, et qu'une seule chose ne lui était pas indifférente. Du matin au soir, il allait de tous les côtés, toujours à pied il ne croyait pas que de fût par besoin de vivre, de voir, par scrupule de ne rien laisser échapper, mais plutôt pour tuer son idée fixe, qui cependant ne le gênait pas; pour la tuer par une fatigue physique, dont, malgré tous les excès, il n'obtenait pas la sensation.

auquel il n'était pas seulement uni, mais identifié : de sorte que c'était comme un mystère de la Trinité, un seul être en trois personnes. Et voilà que ce mystique préjugé était nettement démenti!

Jamais au contraire le moi propre de Philippe Lefebvre n'avait été si conscient de son indépendance. Même parmi la foule, dans la rue où il errait à toute heure, il ne subissait que par brefs assauts cette influence à laquelle, en temps ordinaire, on ne se dérobe point facilement dans une simple salle de théâtre, et qui fait que l'on cesse d'être un individu distinct. Au lieu d'y céder malgré lui, malgré lui il y résistait, et comme parlent les philosophes, dont il ne se déshabituait point d'aimer les formules « il se posait en s'opposant ».

il

Il sentit cette opposition avec une force singulière quand il vit, environ la fin d'août, presque tous les gens de son monde partir à la débandade. Certes, il ne songea pas un instant à les imiter et ne discuta même point avec Madeleine une question tranchée d'avance. Il ne s'attribua, pour cette constance, aucun mérite avait la certitude intime, absurde -lui-même la jugeait absurde que la Ville ne serait pas prise. Mais il éprouvait un étrange et déclaigneux plaisir à voir fuir tous ces gens, une impatience de les voir filer plus vite, pour être encore plus indépendant, étant seul; et il reconnaissait son ancien goût de la solitude, à peine humain, presque pervers.

Quand ce qu'on appelle Paris, le sien, fut vide, il a eut un immense soulagement. Il recommença ses pro menades des premiers jours. Paris, sauf dans les quar tiers riches, n'était pas réellement vide; mais le peuple qui restait, ce peuple avec qui d'abord il s'était s enti si mêlé, malgré ses instincts de classe et d'inégalité jalouse, maintenant il le regardait en spectateur, oh! assurément avec sympathie. Avec amour... Rien ne suppose la dualité comme l'amour.

très

Le premier dimanche de septembre, fit une longue marche. Il alla jusqu'aux barrières, jusqu'à la porte de Vincennes. Ce fut une étrange après-midi, chaude et splendide, où il reconnut l'ancienne douceur de vivre, et où rien ne décelait l'angoisse d'un peuple entier menacé de disparaître demain. C'est qu'il ne restait plus personne, lui peut-être excepté, de ceux qui avaient les moyens d'avoir peur. Philippe, qui dédaigneusement les avait regardés fuir et ne se sertait rien de commun avec eux, aurait dû en revanche être à l'unisson de cette foule plébéienne, endimanche, naïve. Il souriait quand il la voyait admirer ingénurent les défenses très peu formidables que l'on improvisait sous les murs de Paris: troncs d'arbres renversés, heses de. fer ou de bois, en forme de râteliers pour bicyclettes. Il recueillait les propos, les mots « peuple », par lesquels il avait un goût de raffiné. Il éprouvait, en vérité, pour tous ces braves gens, une sympathie resque tendre, ce qu'on appelle fraternité. Il n'eût demandé qu'à frayer avec eux : il ne parvenait pas à se conondre. Il souffrait de cette sorte d'excommunication, quo qu'elle fût à demi volontaire. En souffrait-il? Sa tistesse n'était pas sans orgueil, comme celle du Moïse de Vigny, dont il se répétait les sombres et hautaines paro's:

Autre chose le déconcertait, et lui causait cette anxiété, ce malaise presque physique et cependant parent du remords, que provoquent en effet les dédoublements de conscience, quand ils sont trop marqués et affectent notre vision intérieure d'une sorte de diplopie. Il avait préjugé dès la première alarme que sa personne, jusqu'à la fin de la guerre, se fondrait avec celle de la patrie, qu'il n'aurait plus de pensées ni de sentiments que puisés à la source commune, et que sans peine, probablement sans aucune intervention de sa volonté, par la force majeure des circonstances, il abdiquerait son moi. Par ce moi », il entendait aussi bien celui de Rex, deleine: «

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Hélas! je suis, Seigneur, puissant et solitaire. Il rentra rue de Babylone, à pied encore, trèslentement. Il n'était guère plus de cinq heures quand il arriva, et il fut surpris de voir qu'on le guettait d'entendre que, du plus loin qu'on l'aperçut, on cria Ma

Ah! Voilà monsieur!... L'ébranlement continuel des nerfs faisait alors que les plus fermes étaient toujours prêts de supposer le pire: Philippe imagina pour la première fois la possibilité de recevoir une mauvaise nouvelle; et il se hâta; son coeur battait très fort. Madeleine venait à sa rencontre, calme et sérieuse

-Non, rien de mal... répondit-elle d'abord à l'interrogation muette de Philippe. Mais on vient, il y a quelques minutes, de me téléphoner... Qui?... Un camarade de Rex, j'ai mal entendu le nom.

Téléphoner?

-Leur régiment revient sous Paris, par chemin de fer, en deux convois. L'officier qui m'a parlé est arrivé par le premier train, à la gare de Pantin, où il m'a prévenu que nous pourrions, vers six heures, voir Rex qui arrive par le second.

Elle perdit soudain son sérieux; elle fit le délicieux sourire d'une mère qui va revoir son enfant, qui savait la chose impossible et qui dirait volontiers : « J'en étais stref » Philippe avait eu, un instant, la même expression de physionomie. Puis leurs sourires s'effacèrent. Ils se demandèrent - des yeux:

Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire?

Ils n'ignoraient pas la retraite précipitée, l'avance de l'ennemi; mais ils n'en savaient rien que par ouï-dire. Ils n'en avaient pas encore été avertis personnellement, comme ils l'étaient maintenant par ce retour de Rex, signe, demi-aveu du désastre. Leur joie en était glacée. Par bonheur, ils n'avaient pas le loisir d'examiner de si près leurs sentiments. Ils prirent l'auto, que la réquisition ne leur avait pas encore enlevée.

Quand je pense, disait Philippe, que j'aurais pu ne pas rentrer à temps!

Puis il ne disait plus rien, ni elle. Tous deux songeaient à vide. La voiture avait traversé la Cité, suivi Fle boulevard de Sébastopol, le boulevard de Strasbourg, sqdéserts, sans une auto de maître, sans un fiacre. Philippe

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se rappelait le mouvement de l'après-midi, et par conat traste, l'abandon, la solitude lui semblaient véritablealiment tragiques. Ils passèrent près de la gare de l'Est et oprirent la longue rue d'Allemagne la rue d'Allemagne toute droite, où ils retrouvèrent la foule, une foule de femmes, d'enfants, de vieillards; et Philippe, Songeant toujours à la femme du pêcheur d'Islande, qui, droite sur le sommet de la falaise, guette et attend, imagina ces villages de Bretagne où, pendant le temps de la pêche, on ne voit plus ainsi que des femmes, des vieillards et des enfants.

l'homme soit seul ».

Il se ressouvint, parce que c'était le contraire, d'autres villages qu'il avait jadis visités aux environs de Marennes, où, quand vient la saison des huîtres, toutes les femmes, employées à la ville, s'en vont, et où il ne demeure que des mâles, dont l'inquiétude justifie l'adage du Livre: « Il n'est pas bon Mais la longue rue n'avait point cette trouble mélanque colie, ni des villages de Bretagne ni des villages de Charente. Sous le soleil encore très haut, très chaud, de gaieté. Tous les gens riches elle se donnait des airs presque choquants de paix et

quartiers abandonnés, c'est là que les marchands ambulants venaient vendre les fleurs et les fruits, qui cette année étaient en abondance. Ils les vendaient presque rien. Les ménagères du voisinage se pressaient autour

ment Rex, parmi cette agitation, ce désordre, ces manouvres où ils ne comprenaient rien, ne leur eût-il pas échappé? Ils pensaient :

-Pourquoi nous a-t-on fait une fausse joie?

Cependant, d'apparence, ils étaient calmes, beaucoup moins ahuris, certes, qu'un capitaine que poliment ils prièrent de les renseigner. L'officier mit à leur disposition un vieux territorial garde-voie, fort peu militaire, qui les conduisit au-devant du train dès qu'il fut signalé. Ils marchaient entre les voies, trébuchaient sur le ballast. Et soudain, derrière une vitre sale, ils aperçurent le visage de Rex, qu'ils avaient cru ne point revoir tant que ces choses ne seraient pas finies.

Ce qui frappa d'abord Madeleine et Philippe fut l'enfance de ce visage. Le rajeunissement qui les avait charmés quelques semaines auparavant devenait excessif et miraculeux; il les faisait sourire d'aise. Ils ne soupçonnaient pas le présage. Comme la mémoire, diton, retrouve parfois, à la minute où elle va se perdre toute, ses images les plus lointaines, le visage, qui n'est que l'illustration de la mémoire, quand il retrouve ses plus anciens traits, cette transfiguration n'annonce-t-elle pas aussi la fin? Mais le signe eût été funèbre, et comment rien concevoir de triste à la vue de cette innocence, de cette gaieté naïve?

Rex avait les façons d'un écolier qui fait à ses parents la bonne surprise, la plaisanterie de tomber chez eux quand ils le croyaient empêché, et qui rit de leur étonnement joyeux. Lui-même avait un air émerveillé, parce que c'est l'expression ordinaire des enfants; mais il savait bien que ses parents seraient avertis de son passage et ne doutait pas qu'ils ne vinssent l'embrasser. Il ouvrit la portière, descendit lestement du wagon, et leur sauta au cou. Il ne se souciait pas des témoins, il oubliait ses pudeurs ombrageuses, il était naturel et ingénu.

Et cette rapide embrassade, ce fut tout. La manœuvre du train pouvait, s'ils avaient eu plus de chance, durer une heure: elle dura cinq minutes. Rex dut, presque aussitôt, regrimper dans son wagon. Il avait baissé la vitre. Tandis que le convoi s'éloignait, penché dehors, il faisait un geste d'adieu; et ce geste, et le geste d'accueil de tout à l'heure, la vision de cette bonne figure si simplement gaie, où ne se marquait nul souci, tels étaient les trois souvenirs que Philippe sentait se graver dans sa mémoire heureuse et cependant toute frémissante de peur après coup.

Il se disait encore :

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Et j'aurais pu le manquer! Comme cela a été court! Rex avait déjà disparu depuis longtemps quand Madeleine se demanda :

Comment pouvait-il avoir si bonne mine et être de si bonne humeur après les terribles fatigues et les angoisses de ce mois?

Le soupçon lui vint que, pour ne pas l'effrayer, ni son père, il avait pu feindre cette bonne humeur, peutêtre même la bonne mine; et le mensonge lui parut si tendre que des larmes lui montèrent aux yeux.

Elle était de nouveau, à côté- de Philippe, dans la voiture. Elle le regarda furtivement. Elle fut frappée de la mansuétude et de la bonté qui aujourd'hui se laissaient lire sur ce visage grave, ordinairement plus fermé, même pour elle. Elle ne savait que dire à Phiunt, pour la quemière fois, le silence, entre eux si frélippe et n'éprouvait le besoin de lui rien dire; cepen

marchands, qui n'avaient même pas de voiture et por- quent et si naturel, les gênait. Madeleine chercha la

taient seulement des paniers, coururent après l'auto. Philippe la fit ralentir, baissa la vitre, et acheta d'humbles fleurs, afin de les donner tout à l'heure à Rex. Puis ce fut la porte, le triste village, la gare de

Ceinture. Les trains se

succédaient

presque sans inter

main de Philippe, qui allait au devant de la sienne...

Il était l'heure du dîner quand ils arrivèrent à la maison. Ils n'avaient pas faim, quoiqu'ils n'eussent ni la gorge ni l'estomac serrés; ils étaient au contraire dans cet état d'aise recueillie où l'on est après les évé

ruption. Quand ils faisaient halte, c'était très loin du nements heureux; et pour se rappeler l'un à l'autre ce quai Philippe et Madeleine aussitôt désespérèrent. Com- qui leur était arrivé sans y faire trop précisément allu

premiers à oser ce mot de « victoire », que par l'effet d'une timidité incroyable ou d'une crainte de provoquer le mauvais sort, personne encore n'articulait. Il eut, en recouvrant son admirable justesse d'esprit et son sens de la mesure, pleinement conscience que c'était une des grandes dates, un des moments de l'histoire, et comme une victoire climatérique; mais en même temps il re tombait dans sa solitude, qu'il ne souhaitait plus, irrité de ne sentir autour de lui que des gens qui avaient des yeux pour ne point voir, et dont la cécité devenait, à son jugement, un défaut de gratitude injurieux envers le magnifique destin.

sion, de temps en temps ils se regardaient, et souriaient. Le lendemain, Philippe rencontra un de ses confrères de lettres, qui, bien que de fort peu plus jeune que lui, portait l'uniforme. Ce militaire avait d'ailleurs une fonction de tout repos dans les bureaux du gouvernement de Paris. Il confia, sous le sceau du secret, à Lefebvre, qu'étant l'ami du personnage important chargé de rédiger les communiqués, il y collaborait. Il avait donc le soir les nouvelles que le public n'avait que le lendemain matin ou, à l'occasion, n'avait pas. Philippe le conjura de les lui téléphoner à n'importe quelle heure de la nuit. Ainsi que tous les Parisiens demeurés à leur poste, Lefebvre sentait que les destinées de la France, à cette minute même, se jouaient, que les dés étaient déjà jetés. Ce n'était qu'une sensation, plutôt même qu'un sentiment. Il ne savait pas, ce qui s'appelle savoir, qu'une grande et décisive bataille fût engagée. Il ne prit conscience de son angoisse qu'en remarquant l'altération de sa propre voix lorsqu'il supplia son ami de lui donner quelques heures d'avance les nouvelles : l'ardeur de sa prière lui révéla soudain en quelles transes il les attendait.

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Une fois de plus, à cette époque où il ne désirait que de se perdre dans le moi commun, il se retrouvait isolé dans son moi et il en était ému de colère, d'une sainte colère. Il se figurait être la seule conscience où la France connût son salut et sa victoire ; et ce privilège qui, en toute autre conjoncture, eût semblé à son orgueilleuse intelligence légitime, naturel et ne lui eût point déplu, dans ce drame où il aurait voulu ne sentir, ne penser qu'avec tout le monde, l'humiliait plutôt et lui était presque odieux.

Il avait des tentations d'arrêter dans la rue les passants qu'il ne connaissait pas, de les secouer, de leur dire:

Vous ne comprenez donc pas que vous venez de gagner une des grandes parties de l'histoire ? Accoutumé à tout résoudre en formules, parfois un peu scolastiques, Philippe songeait qu'il n'y aurait point d'objets sensibles s'il n'y avait des sensibilités humaines pour les percevoir et, en quelque sorte, pour les créer ; que le monde serait obscur sans les yeux qui regardent la lumière, et muet sans les oreilles qui écoutent les bruits: il se demandait si, de même, la France n'abolissait pas la réalité de sa victoire en l'ignorant.

Il erra tout l'après-midi dans un Paris presque désert, mais très calme, où nul ne semblait soupçonner que ce fût commencé »; et lui-même, sans son étrange et tout à fait involontaire agitation, sans l'inquiétude de ses jambes, il n'eût pas aperçu qu'il le soupçonnait. Il entra deux fois, à l'heure du déjeuner et à l'heure du dîner, dans un grand cabaret, place de la Madeleine, où le pauvre reste du « tout-Paris » qui avait «< tenu >> prenait alors ses repas, d'autant plus volontiers qu'on le nourrissait à crédit: on se contentait de faire signer les additions. Malgré cette commodité, fort appréciable au moment que les banques pouvaient refuser les chè ques de leurs déposants, les habitués étaient si peu nombreux que, pour ne pas les démoraliser par l'aspect lamentable d'une grande salle vide, on avait arrangé des rideaux qui en diminuaient sensiblement l'étendue. Philippe retournait déjeuner et dîner chez lui, mais entrait là pour prendre un instant le contact des quelques entêtés qui comme lui n'avaient pas voulu fuir ; et il observait chez eux comme en lui-même, avec une sourde angoisse, une ignorance absolue des événements, qui n'excluait pas une vague conscience de leur gravité.

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Il savait bien que, pour créer la lumière, un seul regard suffit, et une seule sensibilité pour donner l'être aux objets sensibles; mais son orgueil n'avait plus la force de lui persuader qu'il suffit, pour confirmer la victoire, que lui seul en eût conscience. Toutes les émotions qu'il avait subies depuis six semaines et qu'il avait paru dominer si bien, l'avaient ébranlé à petits coups, à son insu. Il n'était plus, comme les autres, qu'un pauvre homme, las, inquiet, parei! aux autres, égal aux autres, sans plus de résistance que le premier venu contre un malheur qui l'atteindrait personnellement.

Il observa, le soir, et les soirs suivants, autre chose qui ajoutait au malaise et à l'effroi du mystère. Il attendait très tard la communication promise; il finissait, de guerre lasse, par se coucher, le téléphone posé près de son lit; et il était réveillé en sursaut par la sonnerie dans son premier sommeil. Une voix altérée lui donnait des nouvelles, qui ne manquaient même pas de certaines précisions; mais un je ne sais quoi lui faisait sentir que celui qui les lui donnait n'y comprenait rien; et l'aveuglement de ce correspondant invisible, qui lui transmettait les arrêts de l'aveugle Destin, lui causait une sorte d'épouvante superstitieuse, même quand ces arrêts semblaient être favorables.

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C'est à cette minute précisément, comme si une providence méchante l'avait guettée, qu'il reçut le coup que tant d'autres avaient déjà reçu, que lui non seulement il n'avait pas prévu, émoussé par le pressentiment, mais qu'il tenait avec certitude pour impossible. Cela fut si soudain, si bref, si simple, qu'il n'éprouva aucune de ces émotions nuancées que sa conscience, aux heures les plus tragiques de sa vie, restait capable d'analyser. Rien qu'un froid de glace, et ensuite la stupeur, sans qu'il cût même senti le choc du coup. « Pas une larme, pas un mot». Une lettre du lieutenant-colonel, annonçant que Rex était disparu. Une autre, de cet officier qui, si peu de jours auparavant, leur avait téléphoné d'aller voir Rex tout à l'heure à la gare de Pantin. Celui-ci affirmait l'avoir vu tomber. Des quelques phrases, d'une convenance stoïque, d'une extrême pudeur, qu'on écrivait alors quand on annonçait de telles nouvelles, Philippe ni Madeleine ne lurent, ou ne comprirent rien. Les deux lettres se réduisaient pour eux à ces deux formu les: «Il est porté disparu »>. « Je l'ai vu tomber >>. Ils les répétaient en eux-mêmes sans remuer les lèvres, ears même les traduire par celle-ci : « Nous n'avons plus d'enfant ».

L'état d'esprit de Philippe Lefebvre, qui était alors celui de tous les Parisiens restés à Paris, est aujourd'hui peu explicable. Lorsque l'on relit après coup les communiqués de la Marne, on les trouve d'une entière franchise, d'une netteté parfaite, et qui donnent bien le sentiment de la bataille en train, de la victoire en marche. On imaginerait volontiers les témoins de cette grandiose histoire, comme les vieillards d'Homère, assis sur les remparts de la ville et suivant les péripéties du combat dont pas un seul détail ne leur échappe, qui a bien un commencement et une fin. Mais, en vérité, s'ils n'eurent pas le sentiment de la victoire, qu'après plusieurs semaines, ils eurent encore moins, pendant la bataille, le sentiment de la bataille.

Au dénouement, Philippe eut, à rebours des autres, comme une crise soudaine de lucidité. Il fut l'un des.

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Et ils restaient assis côte à côte, sans rien se dire, san se regarder, glacés, tout le corps agité d'un tremblemer qui ne finissait pas. ABEL HERMANT.

(A suivre.)

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Les Acade

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