: X x comment dirai-je ?... Nous parlames donc d'autre chose. mai 1917, le stock avait atteint une première fois un Pourtant, comme je partais, ayant pris congé du maximum avec 3.122 millions. Puis il avait décru jussavant, Mme Camille Flammarion voulut bien me re- qu'à la fin de 1919, par suite des paiements que les conduire jusqu'à la porte. États-Unis avaient été obligés de faire en Argentine et Madame, lui dis-je en souriant, le maître ne m'a en Extrême-Orient. L'exportation d'or atteignait alors pas affirmé, en somme, d'une manière formelle, au mi- 30 millions de dollars par mois.. Au printemps de 1920, lieu de tout cela... les achats de matières premières dans l'Amérique du Sud Je sais ce que you's allez dire, répondit-elle ; mais et au Japon se sont considérablement ralentis. alors, c'est que vous n'avez pas compris. Je vous dis Comme de ralentissement a coïncidé avec des envois que mon mari n'est pas spirite. Je vous le répète : Pas | importants de la part de l'Europe, et a été suivi du spirite du tout. remboursement de l'emprunt anglo-français, il en est Je m'inclinai et partis. résulté la situation que nous constatons aujourd'hui. Quelques jours après, je pouvais lire, dans la Revue Elle se traduit par une énorme augmentation de l'enspirite, un long exposé, fait par M. Camille Flamma- caisse des banques de réserve fédérale. rion, d'une « histoire de reyenant », de laquelle il indique lui-même une interprétation spirite (au début) et une interprétation non spinte (à la fin) ! Cette pléthore du métal précieux n'empêche pas les Et qui, en tout cas, une fois de plus, ne prouve abso Etats-Unis de traverser une crise économique des plus lument rien. graves. Commencée avant celle qui sévit en Europe, elle s'y terminera aussi plus tôt.; certains symptômes font Et voici une autre grand nom : Charles Richet. même penser que les Américains ne sont pas loin d'en Nous l'entendrons la prochaine fois. Mais, dès au- voir la fin. Elle n'arrivera pourtant que lorsqu'ils pourjourd'hui, je veux terminer par quelques paroles qui ront reprendre l'exportation de leurs stocks de produits peuvent avoir, je crois, un certain retentissement dans agricoles et de marchandises fabriquées. les milieux où l'on interroge les esprits. Ils le savent bien.. Un des leurs disait récemment Dans ces milieux, le nom du professeur Richet a été que leurs banquiers, au lieu de consentir au rembourseet est toujours cité, partout et en tous lieux, comme ment de 400 millions de dollars de l'emprunt franco celui d'un des plus fermes piliers de la doctrine. Ce anglais émis en 1915, auraient mieux fait d'en proroger n'est pas assez dire : les spirites le brandissert, ce l'échéance. Il serait bien préférable, ajoutait-il, que l'Eunom, absolument comme un étendard : Richet a dit ! rope pût continuer l'achat de marchandises américaiRichet a vu ! Richet prétend ... nes plutôt que de régler ses dettes envers les EtatsJe m'attendais donc à entendre, une fois encore, un Unis, ou même d'en payer l'intérêt. Ce qui entrave l'exexposé des dogmes spirites, ce qui me faisait même portation, c'est la dépréciation des monnaies européerncraindre, un un « double emploi » nes par rapport au dollar. Si les pays qui ont déjà tant avec celui, si remarquable, de M. Gabriel Delanne. de difficultés à se procurer des devises américaines pour Or, les premiers mots que M. Charles Richet m'a dit, régler leurs maigres achats, sont encore obligés de couà moi-même, avec un calme parfait, ont été ceux-ci : rir après d'autres devises pour payer l'intérêt de leurs Je commence par vous déclarer que je ne crois pas dettes, le change se dépréciera davantage et le commerce un mot du spiritisme. deviendra tout à fait impossible. (A suivre.) PAUL HEUZÉ. Est-ce à dire que les Américains soient disposés à remettre ces dix milliards à leurs débiteurs ? Nullement. Ce serait une dangereuse illusion que de nous le figurer. Ils ne perdent pas une occasion de nous faire La Vie Economique, entendre qu'en affaires un débiteur doit acquitter sa dette. Or, si l'enthousiasme mystique pour une idée a Le commerce des Etats-Unis avec l'Europe puissamment agi en faveur de leur intervention mili taire, les emprunts qu'ils ont consentis aux Alliés sont Les Etats-Unis regorgent d'or. Au 10 juin, le stock une affaire et doivent être réglés comme tels. Cela n'emdu métal précieux y atteignait un total qui n'avait pêche pas les sentiments, et nous trouvons l'expression jamais été réalisé jusque là, de 3.175 millions de dol- des sympathies les plus chaudes chez ceux mêmes qui lars. Pendant les cinq premiers mois de l'année, le se montrent le plus stricts sur la question de la dette. stock s'est accru de 390 millions de dollars. L'or y A dire vrai, les bonnes raisons ne leur manquent pas : affue de tous les points de la terre. Qu'il en soit venu, pour appuyer leur détermination de ne pas abandonner entre le 1er janvier et le 15 avril 67 millions de France, leur créance sur les pays d'Europe. Les Etats-Unis ont 55 millions d'Angleterre, 9 millions de Suède, 6 millions d'énormes besoins de capitaux. M. G. E. Roberts, préde Hollande, rien d'étonnant. Mais la Turquie d'Eu- sident de la National City Bank de New-York, les rope elle-mênie y a envoyé 238.000 dollars, le Portugal, évalue à 25 milliards de dollars pour les chemins de fer, 7.000 dollars ; l'Allemagne, 3.500 dollars d'or. Le re; les constructions d'immeubles, certains services publics levé qui a été fait de ces importations mentionne même d'intérêt commun et les industries particulières. Ajou600 dollars venant des Bermudes et 98 de Bolivie. tons que certains banquiers mal informés ou plutôt mal On pourrait croire qu'en raison de la situation parti- influencés, nous reprochent de manquer de courage fis , culière des Etats-Unis de mouvement s'est poursuivi cal et parlent de gaspillage et d'armements excessifs.Sur ce dernier point, ils oublient que notre situation n'est pas la leur. Ils 'ont d'ailleurs assez mauvaise grâce à lui a répondu qu'il est bien, en effet, habillé comme sur la nous reprocher nos armements, alors qu'ils font euxterre, mais que ses vêtements sont plus légers, c'est-à-dire fa mêmes l'effort naval que l'on sait. Toujours est-il que briqués une matière moins dense. Cette matière, d'où M. Vanderlip, dans les déclarations qu'il a faites le vient-elle ? Il la prend chez les tailleurs terrestres, où elle s'é 2 août au Manchester Guardian, å dit sans ambages : chappe des étoffes sous la forme de petites particules. De « Si vous espérez encore des crédits d'Amérique, vous même, les « émanations » de nos, maisons servent aux 'esprits allez à une cruelle désillusion. Non point que l'Amérique à bâtir des maisons, etc., etc. — Je pense inutile de nous aven- manque à un devoir, mais simplement parce que nous, turer plus loin dans cette voie. banquiers, ne pouvons conseiller à nos capitalistes au sans interruption depuis sept ans. Il n'en est rien. En ce avec et. escompter le po une de locomotives, de cum placement important de capitaux en valeurs euro destinées à favoriser le commerce extérieur. Elles sont péennes. » issues des lois. Webb-Pomerené et Edge. La premièreIl faut pourtant sortir de l'impasse, et pour cela res- eut pour objet de permettre aux industriels de se groutaurer le pouvoir d'achat des nations appauvries, en per pour faire de l'exportation. Elle était indispensable, aidant au rétablissement de leur production. Mais pour les lois Sherman et Clayton interdisant, comme on le leur veridre les matières premières dont elles ont besoin, şait , la constitution des trusts. La loi Edge, qui date il est nécessaire de leur consentir des crédits à long seulement du 23 décembre 1919, permet la formation terme. Le gouvernement américain l'avait compris dès d'associations de banques destinées à ouvrir des crédits le début. C'est pourquoi il avait créé, en 1918, la à l'exportation. Elle précise que ces sociétés financières, Société des finances de guerre (War Finance Corpora bien distinctes des banques nationales, peuvent accepter tion). Elle avait pour objet d'accorder un concours commercial américain et étranfinancier aux industries, dont le fonctionnement présen- ger, à accepter des dépôts en dehors des Etats-Unis, tait un intérêt pour la conduite de la guerre. Elle devait prendre des gages réels et personnels, émettre des oblien outre soutenir les banques qui donnaient leur con- gations jusqu'à concurrence de dix fois la valeur de cours financier à de pareilles, industries. La société était leur capital et de leurs réserves. Elles peuvent avoir des au capital de 500 millions de dollars qui furent sous- succursales à l'étranger et posséder des actions d'autres crits par le gouvernement, mais sur les 306 millions sociétés consacrées au commerce d'exportation. Elles d'avances qu'elle fit d'abord, il n'y en eut que 's aux peuvent surtout créer en Europe des sociétés corresponbanques, 23 aux sociétés industrielles, et 25 aux commer- dantes qui cautionneront les importateurs européens et. cants. 205 millions allèrent aux chemins de fer, alors. dont le papier, accepté par elles, couvrira l'émission des administrés pas l'Etat, et 40 millions à divers établis- obligations dans le public américain. sements d'utilité publique. Dans l'idée du sénateur Edge, il s'agissait d'obtenir Après l'armistice, le Congrès avait étendu. les pou- de la part du public. américain, . enorme voirs de la société, de façon à la mettre en mesure de quantité de capitaux, plusieurs milliards de dollars. faciliter le passage de la situation de guerre à la De nombreuses organisations financières se sont forsituation, de paix. Elle devait surtout aider les exporta- mées en effet, ou plutôt sont en voie de formation. tions, à la fois pour activer l'écoulement des stocks Elles visent à étendre leur réseau sur toutes les parties: américains et favoriser le relèvement des pays alliés et du monde. Les unes émettent des obligations, les autres même des autres pays d'Europe. A la fin de 1919), et au se proposent seulement de francer le commerce internacommencement de 1920), la Société des Finances de tional par le moyen d'acceptation des effets de change guerre fit à diverses sociétés industrielles, des avances à terme. Leur activité se trouve restreinte aujourd'hui montant à 20 millions de dollars pour l'exportation par les conditions défavorables, mais il n'est pas d'ou. matériel électrique et de machines | teux qu'elles ne doivent jouer un rôle important pour la agricoles. En même temps 25 millions, furent avancés à reprise des affaires et en profiter elles-mêmes. On a des banques pour l'exportation, en Tchécoslovaquie et beaucoup parlé de l'accord passé à Paris, entre le gouen Belgique, de céréales et de coton. vernement polonais et une de ces sociétés, la Guaranty: Trust Company de: New-York. Err ventu de: ce contrat, le gouvernement polonais avait concédé à cette banque Mais l'activité de la société fut suspendue au mois le monopole du transfert des dollars en Pologne, lui accordant ainsi un monopole extrêmement avantageux, de mai, à la demande du secrétaire du Trésor, lequel Attaqué à la fois en Pologne et aux Etats-Unis, cet allégua que les exportations n'avaient pas besoin d'être accord, paraît-il, aurait été rompu. Il montre en tous cas: soutenues. Il était d'ailleurs en contradiction sur ce la grande influence que les banques américaines peuvent: point avec le reste du Conseil de direction, auquel les prendre sur les affaires de l'Europe: événements devaient à bref délai donner raison. En effet,' la crise survint alors, si bien que les agriculteurs Notons à ce propos que les financiers américains se et les industriels réclamerent Paide du gouvernement. montrent favorables, au projet Ter Meulen. Or celui-ci, Au mois de décembre, le Congrès vota la reprise des présenté à la Conférence financière internationale de opérations de la Société. En vain le président Wilson Bruxelles en septembre 1920, par M. Ter Meulen, de la opposa son veto : le jour même, le Sénat vota de nou Banque Hope et Cie d'Amsterdam, a été adopté après veau le bila le lendemain, par 250 voix contre 66. L'échec du prépar 53. voix contre 5. La Chambre le vota de légers remaniements par la Commisison économique et financière provisoire de la Société des Nations. II sident était complet; dans un message il avait déclaré vient d'être présenté de nouveau au Congrès de la que les difficultés qui empêchent les grandes exporta Chambre de. Commerce internationale qui lui a fait bon accueil. Il consiste essentiellement à émettre: comme tions ne résident pas tant dans un défaut de capacité financière que dans les trop faibles ressources de l'Eu couverture des achats faits à l'étranger par les citoyens rope pour opérer les paiements. Le fonctionnement de la des pays de l'Europe, des obligations garanties par Société , ajoutait-il, ne pouvait que faire du tort aux l'Etat et gagées sur le domaine public. Elles seront prêprocédés naturels et bien réglés des affaires, et des finan tées par l'Etat à ses propres nationaux. L'importateur ces. C'est, aux particuliers et non au gouvernement qu'il l'Américain S'il est incapable de tenir ses engagements, les remettra en garantie à son vendeur, en l'espèce appartient de fournir l'effort nécessaire. Le Congrès, poussé par l'opinion publique, surtout elles deviendront la propriété de celui-ci. On devine les conséquentes que cela peut entraîner en ce qui concerne par les agriculteurs, ne fut pas de cet avis. Les parti-, la mainmise sur les richesses de certains pays sans de l'institution soutiennent en effet que son action est justifiée pour faciliter certaines transactions deman Signalons enfin la tendance qui s'accentue aux Etatsdantdes, ciédits que les banques ordinaires ne peuvent, pas fourmir et pour lesquels il n'existe encore aucun mar leurs eangere a fonds d'Etat et titres industriels. Les Unis de créer à New-York marché étrangère = ché. Elle ne doit d'ailleurs être regardée que comme une banques améri vines y voient le plus sûr moyen d'améorgamsation temporaire, jouant son rôle pour la recons liorer le cours les changes, en même temps que les titution économique et favorisant la création d'organis-.. valeurs étrangè :'s pourront garantir l'es' avances à long ou à court terni - que les sociétés financières américaines . sont forcées d'a: corder à leurs clients européens: Il existe déjà un bon nombre de sociétés particulières ANTOINE DE TARLÉ: 5 dec X mes privés - qui devront reprendre D'une guerre à l'autre l'autre guerre CRÉPUSCULE TRAGIQUE LE XI auquel il n'était pas seulement uni, mais identifié : de sorte que c'était comme un mystère de la Trinité, un LA VICTOIRE EN DEUIL seul être en trois personnes. Et voilà que ce mystique Philippe Lefebvre croyait ne point partager l'illusion, pregugé était nettement démenti! alors générale, d'une guerre très brève; mais ce qu'il Jamais au contraire le moi propre de Philippe Leappelait une guerre très longue était si loin de ce qui febvre n'avait été si conscient de son indépendance. fut, si voisin des calculs qui la prévoyaient courte, qu'il Même parmi la foule, dans la rue où il errait à toute ne semble pas, à distance, avoir différé sensiblement heure, il ne subissait que par brefs assauts cette influence de l'opinion commune. Son impression, tout à fait naïve à laquelle, en temps ordinaire, on ne se dérobe point et primitive comme à cette époque, où nul événement facilement dans une simple salle de théâtre, et qui fait ne répondit aux expériences du passé ni ne fut à la que l'on cesse d'être un individu distinct. Au lieu d'y mesure de l'histoire, son impression était qu'il avait dit céder malgré lui, malgré lui il y résistait, et comme adieu à Rex pour toute la guerre, et que jusqu'au der- parlent les philosophes, dont il ne se déshabituait point nier jour, non seulement il ne le verrait plus, mais pas d'aimer les formules, « il se posait en s'opposant ». une seule fois il n'entendrait parler de lui. Il sentit cette opposition avec une force singulière Ayant passé l'âge de participer à l'action, il se repré- quand il vit, environ la fin d'août, presque tous les gens sentait son propre rôle comme réduit à l'attente du de son monde partir à la débandade. Certes, il ne retour de Rex. Et sans doute, il concevait cette attente songea pas un instant à les imiter et ne discuta même assez dramatique, ou traversée d'angoisses, ou toute point avec Madeleine une question tranchée d'avance. faite d'une seule angoisse continue et sourde : ainsi, du Il ne s'attribua, pour cette constance, aucun mérite : il haut de la falaise, la femme du pêcheur d'Islande avait la certitude intime, absurde lui-même la juguette la voile tardive et lente à revenir; mais il avouait | geait absurde que la Ville ne serait pas prise. Mais que cette angoisse, pour ainsi dire obligatoire et de il éprouvait un étrange et déclaigneux plaisir à voir convenance, était supportable, grâce à une certitude de fuir tous ces gens, une impatience de les voir filer plus tous les dénouements heureux, qui s'était imposée à lui vite, pour être encore plus indépendant, étant seul; et dès le premier jour et ne laissait point de place à la il reconnaissait son ancien goût de la solitude, à peine plus légère inquiétude, au plus vague : « Si pourtant... » humain, presque pervers. Lorsque les Allemands furent aux portes de Paris, Quand ce qu'on appelle Paris, le sien, fut vide, 12 more quand le plus élémentaire et le plus irrefutable raison- eut un immense soulagement. Il repcommença ses pro nement démontrait qu'ils n'avaient qu'à le prendre, l'ins- menades des premiers jours. Paris, sauf dans les quartinct de Philippe lui attestait qu'ils ne le prendraient tiers riches, n'était pas réellement vide; mais le peuple pas. Cependant la patience, une sorte de sagesse plutôt qui restait, ce peuple avec qui d'abord il s'était s enti que de résignation, un stoïcisme, après tout, facile, lui si mêlé, malgré ses instincts de classe et d'inégalité jasemblaient pour le moment les seuls efforts, les seuls louse, maintenant il le regardait en spectateur, oh! as.. sacrifices que l'on pût exiger de ceux qui assistaient à surément avec sympathie. Avec amour... Rien ne suppose la guerre et ne la faisaient pas. la dualité comme l'amour. A rebours de ce qui lui arrivait d'ordinaire, aucun Le premier dimanche de septembre , ! fit une très des menus faits de ces premières semaines ne s'accom- longue marche. Il alla jusqu'aux barrières, jusqu'à la plit, pour lui du moins, en conformité de ce qu'il avait porte de Vincennes. Ce fut une étrange après midi, pressenti. D'étranges dédoublements de sa conscience chaude et splendide, où il reconnut l'ancienne douceur l'étonnèrent; dont le premier fut que, sans perdre l'illu- de vivre, et où rien ne décelait l'angoisse d'un peuple sion d'attendre dans l'immobilité, il passa pratiquement entier menacé de disparaître demain. C'est qu'il ne toutes les premières journées de la guerre dans un état restait plus personne, lui peut-être excepté, de ceux qui de mouvement perpétuel. Il ne tenait pas en place. Il avaient les moyens d'avoir peur. Philippe, qui dédai. avait une extrême curiosité de tous les spectacles, bien gneusement les avait regardés fuir et ne se sertait rien naturelle si elle ne se fût accompagnée de ce sentiment de commun avec eux, aurait dû en revanche être à bizarre qu'ils lui étaient tous indifférents, et qu'une seule l'unisson de cette foule plébéienne, endimanché, naive. chose ne lui était pas indifférente. Du matin au soir, il Il souriait quand il 'la voyait admirer ingénurent les allait de tous les côtés, toujours à pied : il ne croyait défenses très défenses très peu formidables que l'on improvisit sous pas que de fût par besoin de vivre, de voir, par scrupule | les murs de Paris : troncs d'arbres renversés, hoses de. de ne rien laisser échapper, mais plutôt pour tuer son fer ou de bois, en forme de râteliers pour bicyclettes. idée fixe, qui cependant ne le gênait pas; pour la tuer Il recueillait les propos, les mots « peuple », pour les par une fatigue physique, dont, malgré tous les excès, quels il avait un goût de raffiné. Il éprouvait, en vérité, il n'obtenait pas la sensation. pour tous ces braves gens, une sympathie fresque Autre chose le déconcertait, et lui causait cette anxiété, tendre, ce qu'on appelle fraternité. Il n'eût denande ce malaise presque physique et cependant parent du qu'à frayer avec eux : il ne parvenait pas à se conondre. remords, que provoquent en effet les dédoublements de Il souffrait de cette sorte d'excommunication, quo qu'elle conscience, quand ils sont trop marqués et affectent notre fût à demi volontaire. En souffrait-il? Sa tistesse vision intérieure d'une sorte de diplopie. Il avait pré- n'était pas sans orgueil, comme celle du Moïse de Vigny, jugé dès la première alarme que sa personne, jusqu'à dont il se répétait les sombres et hautaines paro's : la fin de la guerre, se fondrait avec celle de la patrie, Hélas! je suis, Seigneur, puissant et solitaire. qu'il n'aurait plus de pensées ni de sentiments que Il rentra rue de Babylone, à pied encore, très lentepuisés à la source commune, et que sans peine, proba- ment. Il n'était guère plus de cinq heures quand il arblement sans aucune intervention de sa volonté, par la riva, et il fut surpris de voir qu'on le guettait d'enforce majeure des circonstances, il abdiquerait son moi. tendre que, du plus loin qu'on l'aperçut, on criai MaPar ce « moi », il entendait aussi bien celui de Rex, deleine : 1 . Ah! Voilà monsieur !... ment Rex, parmi cette agitation, ce désordre, ces maL'ébranlenient continue des nerfs faisait alors que les nouvres où ils ne comprenaient rien, ne leur eat-il pas plus fermines talet toujours prêts de supposer le pire: échappé? Ils pensaient : Philippe imagina pour la première fois la possibilité Pourquoi nous a-t-on fait une fausse joie ? de recevoir une mauvaise nouvelle; et il se hâta; son Cependant, d'apparence, ils étaient calmes, beaucoup ceur battait très fort. Madeleine venait à sa rencontre, moins ahuris, certes, qu'un capitaine que poliment ils alme et sérieuse prièrent de les renseigner. L'officier mit à leur dispo-- Non, rien de mal... répondit-elle d'abord à l'inter- sition un vieux territorial gårde-voie, fort peu militaire, rogation muette de Philippe. Mais on vient, il y a quel qui les conduisit au-devant du train dès qu'il fut siques minutes, de me téléphoner... Qui?... Un camarade gnalé. Ils marchaient entre les voies, trébuchaient sur de Rex, j'ai mal entendu le nom. le ballast. Et soudain, derrière une vitre sale, ils aperTéléphoner ? çurent le visage de Rex, qu'ils avaient cru ne point re-Leur régiment revient sous Paris, par chemin de voir tant que ces choses ne seraient pas finies. fer, en deux convois. L'officier qui m'a parlé est arrivé Ce qui frappa d'abord Madeleine et Philippe fut par le premier train, à la gare de Pantin, où il m'a pré- l'enfance de ce visage. Le rajeunissement qui les avait venu que nous pourrions ions, vers six heures, voir Rex qui charmés quelques semaines auparavant devenait excesarrive par le second sif et miraculeux; il les faisait sourire d'aise. Ils ne Elle perdit soudain son sérieux; elle fit le délicieux soupçonnaient pas le présage. Comme la mémoire, dit , sourire d'une mère qui va revoir son enfant, qui savait on, retrouve parfois, à la minute où elle va se perdre la chose impossible et qui dirait volontiers : « J'en étais . toute, ses images les plus lointaines, le visage, qui n'est süre! » Philippe avait eu, un instant, la même expres- que l'illustration de la mémoire, quand il retrouve ses sion de physionomie. Puis leurs sourires s'effacerent. plus anciens traits, cette transfiguration n'annonce-t-elle Ils se demandèrent des yeux : pas aussi la fin? Mais le signe eût été funèbre, et.comQu'est-ce que cela peut bien vouloir dire? ment rien concevoir de triste à la vue de cette innoIls n'ignoraient pas la retraite précipitée, l'avance de cence, de cette gaieté naive? l'ennemi ; mais ils n'en savaient rien que par ouï-dire. Rex avait les façons d'un écolier qui fait à ses paIls n'en avaient pas encore été avertis personnellement, rents la bonne surprise, la plaisanterie de tomber chez comme ils l'étaient maintenant par ce retour de Rex, eux quand ils le croyaient empêché, et qui rit de leur signe, demi-aveu du désastre. Leur joie en était glacée. étonnement joyeux. Lui-même avait un air émerveillé, Par bonheur, ils n'avaient pas le loisir d'examiner de parce que c'est l'expression ordinaire des enfants; mais si près leurs sentiments. Ils prirent l'auto, que la ré- il savait bien que ses parents seraient avertis de son quisition ne leur avait pas encore enlevée. passage et ne doutait pas qu'ils ne vinssent l'embrasser. Quand je pense, disait Philippe, que j'aurais pu Il ouvrit la portière, descendit lestement du wagon, et De pas“ rentrer à temps ! leur sauta au cou. Il ne se souciait pas des témoins, il Puis il ne disait plus rien, ni elle. Tous deux son- oubliait ses pudeurs ombrageuses, il était naturel et geaient à vide. La voiture avait traversé la Cité, suivi ingénu. =Ple boulevard de Sébastopol, le boulevard de Strasbourg, Et cette rapide embrassade, ce fut tout. La manoeuvre deserts, sans une auto de maître, sans un fiacre. Philippe du train pouvait, s'ils avaient eu plus de chance, durer ce pa se rappelait le mouvement de l'après-midi, et par con- une heure : elle dura cinq minutes. Rex dut, presque traste, l'abandon, la solitude lui semblaient véritable- aussitôt, regrimper dans son wagon. Il avait baissé la ali ment tragiques. Ils passèrent près de la gare de l'Est et vitre. Tandis que le convoi s'éloignait, penché deliors, od prirent la longue rue d'Allemagne la rue d'Alle- il faisait un geste d'adieu; et ce geste, et le geste d'ac- toute droite, où ils retrouvèrent la foule, une cueil de tout à l'heure, la vision de cette bonne figure foule de femmes, d'enfants, de vieillards ; et Philippe, si simplement gaie, où ne se marquait nul souci, tels songeant toujours à la femme du pêcheur d'Islande, qui, étaient les trois souvenirs que Philippe sentait se graver i droite sur le sommet de la falaise, guette et attend, ima- dans sa mémoire heureuse et cependant toute frémisgina oes villages de Bretagne où, pendant le temps de sante de peur après coup. 5:1 la pêche, on ne voit plus ainsi que des femmes, des Il se disait encore : vieillards et des enfants. - Et j'aurais pu le manquer ! Comme cela a été court -Il se ressouvint, parce que c'était le contraire, d'autres Rex avait déjà disparu depuis longtemps quand Mavillages qu'il avait jadis visités aux environs de Ma- deleine se demanda : rennes, où, quand vient la saison des huîtres, toutes les Comment pouvait-il avoir si bonne mine et ètre de 1 femmes, employées à la ville, s'en vont, et où il ne de- si bonne humeur après les terribles fatigues et les ar Heure que des mâles, dont l'inquiétude justifie l'adage goisses de ce mois? do Livre : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul » Le soupçon lui vint que, pour ne pas l'effrayer, ni Mais la longue rue n'avait point cette trouble mélan- son père, il avait pu feindre cette bonne humeur, peutcolie, ni des villages de Bretagne ni des villages de être même la bonne mine; et le mensonge lui parut si Charente . Sous le soleil encore très haut, très chaud, tendre que des larmes lui montèrent aux yeux elle se donnait des airs presque choquants de paix et Elle était de nouveau, à côté- de Philippe, dans la de gaieté . Tous les gens riches étant partis et leurs voiture. Elle le regarda furtivement. Elle fut frappée quartiers abandonnés, c'est là que les marchands ambulants venaient vendre les fleurs et les fruits, qui cette de la mansuétude et de la bonté qui aujourd'hui .se laissaient lire sur ce visage grave, ordinairement plus année étaient en abondance. Ils les vendaient presque rien. Les ménagères du voisinage se pressaient autour fermé, même pour elle. Elle ne savait que dire à Phi lippe et n'éprouvait le dire; cepenmarchandsmême porde lours voitures pour profiter de faubaine. Quelques . dent, pour Tat première fois, le silence, entre eux si frétaient seulement des paniers, coururent après l'auto. et si , Philippe la fit ralentir, baissa la vitre, et acheta d'hum main de Philippe, qui allait au devant de la sienne... bles fleurs, afin de les donner tout à l'heure à Rex.. Il était l'heure du dîner quand ils arrivèrent à la Ceinture. Les trains se succédaient presque sans interPuis ce fut la porte, le triste village, la gare de maison. Ils n'avaient pas faim, quoiqu'ils n'eussent pi la gorge ni l'estomac serrés ; ils étaient au contraire ription. Quand ils faisaient halte, c'était très loin du nergents heureux ; et pour se rappeler l'un à l'autre ce dans cet état d'aise recueillie où l'on est après les évé quai Phippe et Madeleine aussitôt désespérèrent. Com qui leur était arrivé sans y faire trop précisément allo uppi magne prière lui révéla soudain en quelles transes il les atten presque odieux dire : sjon, de temps en temps ils se regardaient, et souriaient | premiers à oser ce mot de « victoire », que par l'effet Le lendemain, Philippe rencontra un de ses confrères d'une timidité incroyable ou d'une crainte de provoquer de lettres, qui, bien que de fort peu plus jeune que lui, le mauvais sort, personne encore n'articulait. Il eut, en portait l'uniforme. Ce militaire avait d'ailleurs une fonc- recouvrant son admirable justesse d'esprit et son sens tion de tout repos dans les bureaux du gouvernement de la mesure, pleinement conscience que c'était une des de Paris. Il confia, sous le sceau du secret, à Lefebvre, grandes dates, un des moments de l'histoire, et comme qu'étant l'ami du personnage inportant chargé de ré- une victoire climatérique ; mais en même temps il rediger les communiqués, il y collaborait. Il avait donc le tombait dans sa solitude, qu'il ne souhaitait plus, irrité soir les nouvelles que le public n'avait que le lendemain de ne sentir autour de lui que des gens qui avaient des matin ou, à l'occasion, n'avait pas. Philippe le conjura yeux pour ne point voir, et dont la cécité devenait, a de les lui téléphoner à n'importe quelle heure de la nuit. son jugement, un défaut de gratitude injurieux envers Ainsi que tous les Parisiens denieurés à leur poste, le magnifique destin. Lefebvrc sentait que les destinées de la France, à cette Une fois de plus, à cette époque où il ne désirait que minute même, se jouaient, que les dés étaient déjà jetés. de se perdre dans le moi commun, il se retrouvait isalé Ce n'était qu'une sensation, plutôt même qu'un senti- dans son moi et il en était ému de colère, d'une sainte ment. Il ne savait pas, ce qui s'appelle savoir, qu'une calère. Il se figurait être la seule conscience où la France, grande et décisive bataille fût engagée. Il ne prit cons- connût son salut et sa victoire ; et ce privilège qui, en cience de son angoisse qu'en remarquant l'altération de toute autre conjoncture, eût semblé à son orgueilleuse insa propre voix lorsqu'il supplia son ami de lui donner telligence légitime, naturel et ne lui eût point déplu, quelques heures d'avance les nouvelles : l'ardeur de sa dans ce drame où il aurait voulu ne sentir, ne penser qu'avec tout le monde, l'humiliait plutôt et lui était dait. Il erra tout l'après-midi dans un Paris presque dé- Il avait des tentations d'arrêter dans la rue les passert, mais très calme, où nul ne semblait soupçonner que sants qu'il ne connaissait pas, de les secouer, de leur ce fût commencé » ; et lui-même, sans son étrange et gagner une des grandes parties de l'histoire ? , place de la Madeleine, peu scolastiques, Philippe songeait qu'il n'y aurait point où le pauvre reste du « tout-Paris » qui avait « tenu » d'objets sensibles s'il n'y avait des sensibilités humaiprenait alors ses repas, - d'autant plus volontiers qu'on nes pour les percevoir et, en quelque sorte, pour les le nourrissait à crédit : on se contentait de faire signer créer ; que le monde serait obscur sans les yeux qui reles additions. Malgré cette commodité, fort appréciable gardent la lumière, et muet sans les oreilles qui écoutent au moment que les banques pouvaient refuser les che- les bruits : il se demandait si, de même, la France ques de leurs déposants, les habitués étaient si peu nom- n'abolissait pas la réalité de sa victoire en l'ignorant breux que, pour ne pas les démoraliser par l'aspect la- Il savait bien que, pour créer la lumière, un seul rementable d'une grande salle vide, on avait arrangé des gard suffit, et une seule sensibilité pour donner l'être rideaux qui en diminuaient sensiblement l'étendue. Phi- aux objets sensibles ; mais son orgueil n'avait plus la lippe retournait déjeuner et dîner chez lui, mais entraii force de lui persuader qu'il suffit, pour confirmer la viclà pour prendre un instant le contact des quelques entê- toire, que lui seul en eût conscience. Toutes les émotés qui comme lui n'avaient pas voulu fuir ; et il obser- tions qu'il avait subies depuis six semaines et qu'il avait vait chez eux comme en lui-même, avec une sourde an- paru dominer si bien, l'avaient ébranlé à petits coups, à goisse, une ignorance absolue des événements, qui n'ex- son insu. Il n'était plus, comme les autres, qu'un pauvre cluait pas une vague conscience de leur gravité. home, las, inquiet, pareil aux autres, égal aux autres, Il observa, le soir, et les soirs suivants, autre chose sans plus de résistance que le premier venu contre un qui ajoutait au malaise et à l'effroi du mystère. Il atten- malheur qui l'atteindrait personnellement. dait très tard la communication promise ; il finissait, C'est à cette minute précisément, comme si une provide guerre lasse, par se coucher, le téléphone posé près de dence méchante l'avait guettée, qu'il reçut le coup que son lit ; et il était réveillé en sursaut par la sonnerie tant d'autres avaient déjà reçu, que lui non seulement il. dans son premier sommeil. Une voix altérée lui donnait n'avait pas prévu, émoussé par le pressentiment, mais des nouvelles, qui ne manquaient même pas de certaines qu'il tenait avec certitude pour impossible. Cela fut si précisions ; mais un je ne sais quoi lui faisait sentir que soudain, si bref, si simple, qu'il n'éprouva aucune de ces celui qui les lui donnait n'y comprenait rien ; et l'aveu- émotions nuancées que sa conscience, aux heures les plus glement de ce correspondant invisible, qui lui transmet- tragiques de sa vie, restait capable d'analyser. Rien fait les arrêts de l'aveugle Destin, lui causait une sorte qu’un froid de glace, et ensuite la stupeur, sans qu'il d'épouivante superstitieuse, même quand ces arrêts sem eut même senti le choc du coup. « Pas une larme, pas blaient être favorables. un mot ». Une lettre du lieutenant-colonel, annonçant L'état d'esprit de Philippe Lefebvre, qui était alors que Rex était disparu. Une autre, de cet officier qui, si celui de tous les Parisiens restés à Paris, est aujour- peu de jours auparavant, leur avait téléphoné d'aller d'hui peu explicable. Lorsque l'on relit après coup les voir Rex tout à l'heure à la gare de Pantin. Celui-ci afcommuniqués de la Marne, on les trouve d'une entière firmait l'avoir vu tomber. Des quelques phrases, d'une franchise, d'une netteté parfaite, et qui donnent bien convenance stoïque, d'une extrême pudeur, qu'on écrile sentiment de la bataille en train, de la victoire en vait alors quand on annonçait de telles nouvelles, Phimarche. On imaginerait volontiers les témoins de cette lippe ni Madeleine ne lurent, ou ne comprirent rien. Les grandiose histoire, comme les vieillards d'Homère, assis deux lettres se réduisaient pour eux à ces deux formu sur les remparts de la ville et suivant les péripéties du les : « Il est porté disparu ». les : « Il est porté disparụ ». -- « Je l'ai vu tomber ». ILS combat dont pas un seul détail ne leur échappe, qui à les répétaient en eux-mêmes sans remuer les lèvres, can bien un commencement et une fin. Mais, en vérité, s'ils même les traduire par celle-ci : « Nous n'avons plus n'eurent pas le sentiment de la victoire, qu'après plu- d'enfant ». sieurs semaines, ils eurent encore moins, pendant la ba Et ils restaient assis côte à côte, sans rien se dire save taille, le sentiment de la bataille. se regarder, glaces, tout le corps agité d'un tremblenes Au dénouement, Philippe eut, à rebours des autres, qui ne finissait pas. comme une crise soudaine de lucidité. Il fut l'un des (A suivre.). . |