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magazines et, leur repas fini, ne desserrèrent plus les dents. Les heures passaient, la nuit vint.

Après un changement imprévu de train, Philippe se trouva seul avec un inconnu dans une cabine de sleeping à deux lits. Il se coucha aussitôt et s'endormit, ayant épuisé tous les sujets auxquels il pouvait appliquer sa pensée. A la frontière même, il n'eut qu'un demiréveil; il reprit tout juste assez de conscience pour songer qu'il était échappé du piège et en sourire malicieusement. Ce n'est qu'au vrai réveil du lendemain qu'il eut le sentiment d'être « dans nos lignes ». Il se hâta de se lever, « pour voir ». Un aspect nouveau de toutes choses

le saisit.

Au premier pont qu'il vit gardé par un soldat, il comprit que l'alerte était donnée. Il venait de traverser l'Allemagne dans un cliquetis de sabres, parmi le torrent des armées dirigées vers les deux frontières; et le doute une fois dissipé, l'angoisse passée, en dépit, à cause peutêtre de l'avertissement qu'il avait reçu, ce spectacle trop ordonné ne lui avait pas fait plus d'impression qu'une colossale parade: ici, où il n'apercevait aucun mouvement de troupes, la vue de quelques sentinelles suffit à lui donner l'émotion de la prise d'armes. Il lui parut que c'était la France, surprise et menacée, qui cependant était la première prête et déjà sur la défensive. Il avait confiance.

Puis, il n'était maintenant plus entouré que de Français. Il devait s'y attendre, mais il était comme heureusement dépaysé, il hésitait encore à se livrer. Autour de lui circulait cette chaleur d'amitié qu'il avait lui-même pressentie au cours de sa méditation solitaire. Presque tous les passagers du train venaient d'Allemagne, d'où ils s'étaient, comme Lefebvre, tout juste évadés à temps. Ils se contaient mutuellement leurs histoires, qui ressemblaient à la sienne; et c'est en les écoutant qu'il commençait de prendre peur du danger qu'il ne courait plus, d'admirer avec moins d'ingratitude le miracle de sa délivrance. On se faisait part des nouvelles que l'on avait pu recueillir çà et là, dont la plupart étaient fausses, mais les curiosités avaient un appétit si aiguisé qu'elles s'en accommodaient. Philippe s'amusait de voir que, par un brusque retour de son caractère, il devenait, à l'exemple des autres, familier, communicatif, crédule. Il songeait si peu à s'isoler de ces frères inconnus qu'il ne s'avisa que fort tard d'envoyer une dépêche à Madeleine il ne l'aurait pu faire en Allemagne, mais l'aurait dû faire dès la première station ce matin. La crainte que ce télégramme n'arrivât plus tard que lui l'irrita et le divertit pendant les dernières heures du voyage. Aux approches de Paris, il fut ressaisi par le sublime et mystérieux intérêt du drame partout secret et partout sensible. Nulle agitation, nuls gestes, nuls éclats de voix ne trahissaient la fièvre universelle, mais seulement une odeur de fièvre, la montée de la température, l'haleine chaude de Paris tout proche. Seulement, ici, uniquement sans doute parce que les ponts et les ouvrages d'art sont plus nombreux, on voyait beaucoup plus de sentinelles et, sur les chemins de la banlieue, plus de pantalons

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aucune, il était en harmonie. Puis il observa chez les voyageurs qui débarquaient en même temps que lui, chez les amis ou les parents, beaucoup plus nombreux que d'ordnaire, qui étaient venus au-devant d'eux, ce même sérieux, cet air de préoccupation sans accablement; la dignité simple des accueils, la suppression, par un accord tacite, de toutes les fausses marques de joie qui rendent si ridicules les arrivées dans les gares; la décence et la brièveté des dialogues qu'il prenait au vol, ou qu'il devinait rien qu'au mouvement des lèvres; et partout l'action, une hâte méthodique; quelques plantons en tenue de campagne qui, pour ainsi dire, encore plus officiellement. qu'aux stations précédentes, signifiaient la menace de guerre; et cette mise en place, cette première répétition d'un spectacle militaire faisait un frappant contraste avec le spectacle déjà au point que Philippe venait de voir en traversant l'Allemagne : chez l'ennemi, c'était le branle-bas d'une garnison que l'empereur vient d'alar mer, ici la nation libre, prête à se lever en armes.

Il toucha la main de Madeleine, ou plutôt leurs yeux se touchèrent, s'interrogèrent et se répondirent avant qu'ils eussent articulé une syllabe. Madeleine, d'une assez haute intelligence pour se permettre d'avoir des opinions sur toutes choses, était avec cela si femme et si épouse qu'elle semblait, sitôt qu'elle se retrouvait au contact de Philippe, lui demander d'abord avec déférence ce qu'elle devait croire. Elle sut, dès ce premier regard, non point certes ce qu'on lui avait annoncé à Wieliczka, mais ce qu'il pensait intimement et qu'il était raisonnable de penser comme lui; elle sut qu'il avait la certitude de la guerre, qu'elle avait depuis deux jours. Certains d'en être affectés de même, selon leur coutume ils ne perdirent pas leur temps à échanger des réflexions, nécessairement pareilles. Le premier mot de Philippe fut:

F.t Rex?

- Il est à la maison, dit Madeleine. Il est arrivé hia Philippe se rappela un autre retour: son retour de Naples et de Pompéi, où il avait erré parmi les ruines avec Zosia et vu la ville morte se ranimer sous la pluie. Il se rappela comme il était angoissé ce jour-là, que, pour être délivré plus tôt de son angoisse, il avait télégraphié à Madeleine de venir au-devant de lui, à la gare, et que de même son premier mot avait été : « Et Rex? » et que Madeleine lui avait répondu : « Il est au collège », comme elle lui répondait aujourd'hui le contraire : <<< Il est à la maison. >>

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Alors, et aujourd'hui, avec cette faculté de pressentir qui l'étonnait, qui l'effrayait parfois comme un don surnaturel, il avait, en effet, prévu les deux réponses. Les mêmes mots allaient encore sortir de ses lèvres : « Il n'est pas venu ?» Mais Madeleine les devina et ne lui laissa pas le temps de les prononcer.

Rex, dit-elle, m'a chargée de l'excuser auprès de toi. L'entente perpétuelle et l'extrême politesse du père, de la mère et du fils rendaient tout froissement impossible entre eux, malgré leur ombrageuse sensibilité : l'excuse ou la justification précédaient toujours le teproche. Madeleine expliqua brièvement que Rex, à la première menace de guerre, avait demandé son rappel en France et l'avait obtenu aussitôt. Arrivé à Paris l'avant-veille, il devait partir le surlendemain, pour joindre le régiment d'infanterie auquel il était attaché, à la frontière du Nord. Il était de ceux qui avaient reçu leur fe uille de route avant le décret de mobilisation. Ces trois Journées qu'il passait à Paris étaient prises par d'innombrables courses et par la mise en ordre de ses affaires personnelles. Il avait dû se rendre au gouvernement militaire. Nous le retrouverons sans doute à la maison, dit Madeleine. Au lieu de rentrer, s'il avait su que ton train aurait tant de retard...

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prononcer aucun nom.

Je n'ai fait, dit-il, qu'aller et venir. Les voyages, là-bas, sont déjà entravés bien autrement qu'ici, et les retards, considérables. Deux heures après mon arrivée, j'ai été avisé par quelqu'un du pays que je devais repartir le lendemain à l'aube, ou que sinon je ne passerais plus.

Madeleine devina, mais sans presque le sentir, tant elle était environnée d'un tragique plus pressant, le tragique de ce grand voyage inutile et de cette visite suprême écourtée.

Ils étaient enfin hors de la gare et, malgré la bousculade, ils retrouvèrent sans peine l'auto. En y montant, Madeleine sourit, et dit :

Nous n'avons probablement plus beaucoup de temps à en profiter. Il paraît qu'on réquisitionnera les

voitures?

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-Est-ce que?... murmura-t-il.

Et, sur une interrogation muette de Madeleine : -Non, je me demandais si... si c'était déjà l'affiche... Mais on ne peut guère l'attendre avant deux ou trois jours.

Cela le fit penser qu'il n'avait pas encore dit positivement à Madeleine ce qu'il savait; car il savait, lui: les autres pouvaient douter encore. Il se reprocha de ne lui avoir pas rapporté sa conversation avec le comte Zecki. Il le fit aussitôt, avec la précision et cette sorte de loyauté qui lui étaient coutumières, mais d'une façon, pour ainsi dire, abstraite,

en oubliant lui-même si tota

lement les circonstances, le lieu et le décor que pas un mot n'évoquait, fût-ce malgré lui et à son insu, le parc romantique et le château, sa chambre, ni au-dessous de lui, dans l'atelier, parmi les costumes et les ébauches, sous la tapisserie des drapeaux, cette fille glorieuse et passionnée, depuis si longtemps mourante, qui n'était

pas morte à temps.

Puis, comme si sa langue se fût enfin déliée, il fit, mais à rebours: le retour d'abord, ensuite l'aller; et revenant plus en arrière, le récit de son double trajet, cette fois ce fut tout le contraire : les images obsédaient

mes. Le visage de Rex ne contrariait plus des souvenirs si lointains. Il n'avait plus cet aspect de moine soldat que Philippe lui avait vu lors de son premier retour d'Afrique. Non seulement il avait coupé sa barbe, mais

il s'était, selon la mode, entièrement rasé. Cet homme grave semblait un adolescent, et même qui a des ingé nuités de physionomie, des éclairs d'enfance dans les yeux. Pour ces raisons visibles, Philippe eut encore mieux le sentiment de l'avoir retrouvé. Ils s'embrassèrent tendrement, sans la gaucherie des hommes qui s'embrassent; et de ce moment ils semblèrent ne se plus pouvoir séparer. Lorsque l'un des deux quittait la pièce où ils se trouvaient ensemble, l'autre était distrait et désemparé. Ils se suivaient de chambre en chambre, si incapables de résister au besoin de se voir constamment que, pour la première fois peut-être de leur vie, ils se relâchaient de cette discrétion scrupuleuse qui avait toujours été la règle de leur amitié.

Cette reprise de l'intimité ancienne ne devait durer que jusqu'à demain. Pouvaient-ils, une seule minute, n'y point songer? En toute autre circonstance, leur plaisir en eût été gâté; mais aujourd'hui, ils étaient trop pénétrés de la gravité de l'heure pour se permettre des raffinements de sensibilité si puérils et si peu stoïques. Ils voulaient pleinement jouir de leur réunion brève, et ils se forçaient d'oublier l'adieu si proche. Ils voulaient surtout être et causer «< comme à l'ordinaire ». Leur entretien était sérieux; il était aussi enjoué, facile : ce n'était pas pour eux une nouveauté. Ils évitaient de se faire mutuellement des recommandations, de prendre des dispositions solennelles. Il fallut bien cependant que, le lendemain, Rex dît à son père les choses que l'on ne peut se dispenser de dire à ceux qu'il est possible que l'on ne revoie jamais. Il le fit avec une parfaite simplicité, une grâce charmante.

Il remit à Philippe un assez volumineux paquet; il avait, comme jadis, le sourire timide et inquiet des débutants en présence d'un maître.

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Père, dit-il, veux-tu me permettre de te confier mes paperasses? Tu as eu la bonté de ne pas me dire, mais j'ai bien appris tout seul, qu'à vingt ans on écrit un livre, et que même on y prétend mettre tout ce qu'on croit avoir dans la tête, on fait une « somme ». Ensuite, on devient plus prudent, moins pressé. C'est ce qui m'est arrivé. J'ai été plus sage que toi, ajouta-t-il avec une expression de malice qui était presque d'un enfant gâté; car toi, tu voulais publier mon premier ouvrage, et c'est moi qui ne l'ai pas voulu.

Philippe songea : « N'était-ce que par sagesse? » Mais il s'interdit de réveiller, fût-ce en lui-même, le souvenir des différends de pensée qui s'étaient élevés entre son fils et lui; et même il sut gré à Rex d'avoir peutêtre forgé cette explication.

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J'ai seulement beaucoup réfléchi depuis trois ans; et comme je pense volontiers la plume à la main, tu

sa mémoire, rien que les images, les sensations, l'an- vois, cela fait un grand nombre de pages. Ce n'est pas

goisse, qu'il traduisait en termes saisissants. Cette antive. Tous deux étaient si loin, là-bas, qu'ils ne s'apergoisse, il la communiquait à Madeleine, muette et attençurent qu'à l'arrêt de l'auto qu'ils étaient à la maison. Et de nouveau, mais plus franchement que tout à l'heure

en débarquant à la

gare, Philippe eut le sentiment de

un journal, mais de simples notes, quoique je les aie datées, pour me donner des points de repère si je veux me relire, m'examiner et reconnaître la route que j'ai suivie... Je n'ai pas toujours suivi, père, celle que tu m'avais montrée...

Il baissa les yeux d'un air si docile et si confus que

l'arrivée, de la délivrance, de l'asile - un asile si pré- Philippe, à son tour, ne put se défendre de sourire, et

caire! Il eut aussi une de ces grandes joies puériles,

dont il était fier de se sentir capable encore, presque au

seuil de la vieillesse

était

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sur le trottoir, et le guettait; comme jadis, quand papa

Rex, impatient, était à la porte,

par hasard un

peu en retard, et qu'il venait ainsi,

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nu-tête, le guetter dehors, toute sa petite âme bouleversée beau regard franc, qui avait, comme celui de Philippe,

par la crainte d'un invraisemblable accident.

la paternité passionnée d'autrefois qu'en même temps Ce souvenir s'accordait si bien avec la résurrection de que Philippe en souriait, il en fut ému jusqu'aux lar

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Si tu es très curieux, tu liras tout cela tout de suite. Si tu veux me faire bien plaisir, tu attendras... la fin... de ce qui commence. Je suis encore très incertain. J'ai des idées en puissance... d'autres qui ont déjà changé... d'autres qui changeront... Cette lecture t'irriterait peut-être, et peut-être injustement... S'il m'arrive accident (il ne dit même pas «< s'il m'arrive malheur »), oh! alors, tu liras, et je suis tranquille : tu es non seulement si intelligent, papa, mais si jeune, d'intelligence comme de visage, que tu comprendras, bien mieux que moi, ce que j'aurais fait un jour de ces éléments épars, divers, incohérents. Si tu as à me regretter, tu regretteras le Rex que j'aurais pu être ou que tu imagineras, et je n'y perdrai rien. Ne parlons pas de ça. Voici un autre paquet. Ce sont les lettres que j'ai reçues depuis trois ans de la princesse Tverskoï.

Bien qu'il l'eût dit du ton le plus naturel et avec assurance, aussitôt après il rougit, comme un tout jeune homme qui est sorti par bravade avec sa première maîtresse et qui rencontre son père au coin de la rue. Pour se donner du courage, il plaisanta légèrement.

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Cette fois, ils ne s'embrassèrent point. Cela leur eût semblé trop dramatique. Ils ne se serrèrent même pas la main. Mais Rex, qui avait placé le tabouret où il était assis tout à côté de la chaise où était assis Philippe, se laissa tendrement aller contre lui. Comme jadis quand il était petit, il reposa sa tête sur l'épaule de son père. Un moment, se renversant plus encore, il regarda de tout près le visage de Philippe, qui était un peu audessus du sien, et il fit un délicieux sourire d'enfant où il y avait de la fatuité, de la confiance et encore de là malice. Ce fut leur véritable adieu.

Le reste de la journée se passa comme si le monde et chaque famille n'eussent pas été à la veille de l'épou

LETTRES

vante et de la catastrophe. Après dîner, Philippe et Madeleine conduisirent Rex à la gare du Nord. Ces premiers départs étaient « individuels » (c'est le terme technique), et aucun signe trop visible ne les obligeait de se rappeler pourquoi leur fils les quittait. Ils pouvaient s'imaginer, à cette époque de vacances, que Rex, insouciant, s'en allait passer quelques semaines à ia campagne chez un ami. Ils avaient peu d'émotion apparente, peut-être point d'émotion réelle. Ils étaient seulement comme engourdis et mornes; une fatigue géné rale les empêchait de surveiller eux-mêmes ce qu'ils pouvaient sentir et penser.

Cependant, par réaction contre un état qui lui était si peu coutumier, Philippe éprouva le besoin d'être seul, de s'interroger, de se recueillir.

Je voudrais faire quelques pas, dit-il à Madeleine. Me pardonnes-tu, de ne pas t'accompagner?

Elle préférait peut-être aussi être seule. L'auto lat

ramena.

Philippe alla vers le boulevard, où il y avait un peu de fièvre. La déclaration de guerre de l'Autriche à la Serbie venait d'être publiée. L'action historique se développait, comme beaucoup pressentaient déjà, comme il savait, lui, qu'elle devait se développer, sans que rien pût désormais en arrêter le cours fatal. Et il songeait : Quand est-ce que nous, nous mobiliserons?

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La certitude que cela serait, dans quelques jours, ou dans quelques heures, lui donnait une impatience que cela fût tout de suite, pour en finir. D'ailleurs, pour lui, est-ce que la guerre n'était pas déclarée, puisque Rex était parti?

Machinalement il regardait les vitres des bureaux de poste, les façades des monuments publics où devait bientôt être affiché l'ordre de mobilisation, comme s'il avait pu l'être déjà. Il poussa jusqu'à la mairie de la rue Drouot et rôda quelque temps devant la porte; mais il y avait là trop de monde.

Il alla rue d'Anjou, à la mairie du huitième arrondissement, et comme une dizaine de personnes semblaient aussi attendre quelque chose, il s'enhardit. Il demanda à l'agent de service si c'était pour ce soir qu'on attendait l'ordre de mobilisation. L'agent « n'en avait pas connaissance ». Il rôda encore près d'une heure, sans penser distinctement à rien. Puis, il alla vers l'Elysée, où il vit des lumières; et il se promena sur le trottoir en face, longtemps.

Il vit sortir une automobile, éclairée à l'intérieur, où il reconnut le président du Conseil. Il murmura :

Ce n'est pas pour ce soir. Et il appela un fiacre pour rentrer chez lui. (A suivre.)

Feuillets de la Semaine

Littérature de sommet

Quelques personnes, qui portent en elles le cadavre d'un poète mort dès l'enfance, éprouvent irrésistiblement, à cette époque de l'année, quand elles atteignent une certaine altitude, le besoin de faire de la littérature. C'est à leur intention qu'ont été placés dans les hôtels de montagne ces énormes registres où elles peuvent déposer leurs impressions et leurs pensées.

A côté des manifestations de cet intarissable esprit qui a rendu célebre dans

le monde entier le commis voyageur
français, et les amateurs de romances
qui soupirent: « Ah! pouvoir vivre ici
toujours », apparaissent des visiteurs
plus littéraires. C'est un fait bien etabli
aux yeux d'un grand nombre de gens
que le contact avec la naiure provoque
des réactions intellectuelles excellentes.
Aussi parlent-ils courageusement sur les
registres d'hôtel de la Vie et de la Mort,
de l'Amour ct de la Beauté sans oublier
les majuscules. Dieu intervient aussi. Et
ils ne manquent pas ainsi de constater
combien les montagnes sont grandes et
les hommes petits.

Les plus modestes citent: « Comme

ABEL HERMANT.

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D. (

dit Victor Hugo »; « comme dit Chateaubriant D écrivent-ils, à quoi ils Jaajoutent : « Je suis de son avis mais je n'ai si bien senti la vérité de celte parole profonde ». D'autres n'ont point cette prudence. Ce sont leurs pro pres réflexions qu'ils transcriz ent. Et ils signent en indiquant mê adresse et leur profession.

leur

que seul le sur la ces lieux

Lorsque la nuit est venue et à la lueur d'une bougie qui cot iable massive, on pense à tous etite maicommuns prétentieux, dans la p Et dont le son de bois entourée de neige vent fouette furieusement les olers fer més, on se sent un peu triste. Ces pau

vres lignes expriment l'impuissance des hommes à dominer la vie, comme tout à l'heure d'ici, ils dominaient la vallée aux toits minuscules. Et ils le voudraient bien pourtant. Leurs mots pitoyables semblent dans le silence appeier au secours. Et l'on s'aperçoit que les passants qui se sont le mieux exprimés euxmêmes, ce sont ceux-là qui se sont souvenus tant bien que mal de deux beaux d'une phrase pleine et sonore humbles parcelles du grand trésor...

טות

vers,

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Le bruit avait couru la semaine dernière que Mme Aurel avait posé sa candidature au fauteuil de Jean Aicard. Nous nous étions empressé de téléphoner chez la femme de lettres et sa secrétaire en son absence nous avait déclaré qu'elle doutait de l'authenticité de cette lettre de candidature. De la campagne, Mme Aurel déclare dans un mot écrit à l'Intransigeant n'avoir jamais eu de telles ambitions. La lettre est l'œuvre d'un fumiste.

Admirons cette modestie, en regrettant qu'aucun écrivain femme digne des palmes vertes n'ait encore réclamé un fauteuil.

L'expérience mérite d'être tentéc. Que feraient les académiciens ? Veirionsnous les candidats galants s'effacer devant une femme et recommençant rontenoy lui dire a Passez la première ? » A-t-on des textes pour la refuser? Ah ! M. le secrétaire perpétuel aurait certaiannement des mots charmants à ce pro pos!

024

On sait déjà qu'il existe sous la coupole deux camps: ceux qui-consentent à admettre les femmes et ceux qui s'y op posent. M. Barthou y a fait allusion dans le discours de Chantilly lors de la réception des académiciens belges; serait amusant de voir de quel nombre il de voix on dispose de chaque côté.

X

veto ministériel. Ce veto, il l'exécute simplement.

Mais a-t-il une opinion? Il en a une et elle apparaît favorable à la levée de la consigne officielle.

Cette consigne avait été donnée en 1916 par M. Painlevé et la guerre l'expliquait. Mais plus tard M. Lafferre la renouvela pour une période qui ne nrendrait fin qu'en 1925 et pourrait être encore prolongée.

M. Louis Léger, le très savant slavi sant de l'Académie des Inscriptions professeur au Collège de France, a entretenu ses confrères de la Haute-Silésie au point de vue de la toponomasti

que, dans le moment même

M. Llovd que

George s'évertuait à prouver que cette province était germanique.

En somme, l'Etat n'exécute pas le testament d'Edmond de Goncourt. Il chicane. Cela pourrait bien inquiéter les donateurs futurs et priver par conséquent la Bibliothèque Nationale des nouveaux legs qu'on aurait pu avoir le dessein de lui faire.

Pierre Lassere décoré Depuis plus de vingt ans, M. Pierre Lasserre consacre aux Lettres toutes les forces de sa belle intelligence, et l'on peut dire qu'il n'a pas publié un seul livre sans apporter une aide efficace au progrès intellectuel de notre génération.

Il est passé maître dans l'art délicat de la critique littéraire, où il déploie à l'aise les ressources de son esprit subtil, servi par une érudition étendue et une connaissance toujours exacte de son sujet. Il excelle à démêler les traits distinctifs d'une œuvre, à lui assigner, dans la hiérarchie des valeurs intellectuelies, son vrai rang.

On n'a pas oublié le profond retentissement de son grand livre du Romanisme français, chef-d'œuvre d'analyse lucide conduite par une saine raison, et qui a définitivement fondé sa réputa tion. C'est, avec la Doctrine officielle de l'Université, le plus connu de ses ouvrages. Mais toute son œuvre porte té

ege des mêmes éminentes qualités. Ce n'est, peut-on dire, qu'une longue défense de l'humanisme et du goût. Il faut lire et relire ces belles études sur Nietzsche, sur Mistral, sur Renan, ces Chapelles Littéraires et tant d'articles précieux qu'on regrette de voir encore épars dans des revues.

Il a établi parfaitement que les nos des villes et des villages de la HauteSilésie, pays essentiellement slave, avaient été camouflés par les Allemands bien avant que ceux-ci eussent mis la main sur le pays. Il n'est pas un ha-、 Imeau de la Haute-Silésie dont le nom originel ne soit slave et n'ait un sens, signification que n'a plus le nom

une

germanique que lui Allemands.

www

ont

substitué les

Le beau talent de M. Lasserre est souple et varié critique et philosophe, il est encore musicien et romancier. Il a écrit deux romans très attachants.

Le journal inédit des Goncourt M. Homolle, administrateur général de la Bibliothèque Nationale, est naturellement très interrogé par ses confrèil, d'être pour quoi que ce soit dans le

res de l'Institut. Il

se défend, paraît

Henry de Forge, André Fribourg, André Lamandé, Pierre Mac Orlan, Henry Malherbe, Jacques Péricard, René de Planhol, Jérôme et Jean Tharaud, Valmy-Baysse, etc.

Qu'un ministre lettré ait enfin accordé à cet excellent écrivain la distinction officielle que son fécond labeur lui voilà avait depuis longtemps méritée, qui est bien fait pour réjouir tous ceux qui s'intéressent aux lettres.

Chez les Combattants

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C'est une très bonne idée. Elle appartient à M. Jacques Péricaud. Son almanach, qui s'adressera aux anciens combattants, aux parents des morts, à tous ceux qui ont eu à souffrir de la grande guerre, donnera tous les renseignements juridiques, administratifs et autres utiles aux pensionnés, aux sinistrés, aux prisonniers, etc., des contes, des fantaisies; il organisera des concours dotés de nombreux prix. Collaboreront,

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Molière corrigé

M. Paul Ginisty a découvert chez un de ses voisins de campagne un bien curieux ouvrage daté de 1874 et signé d'un M. Baju. Celui-ci ayant jugé Mo lière immoral se résolut de l'expurger.

notamment : Pierre Benoît, Binet-Valmer, Jacques Boulenger, Roland Dorgelès, Claude Farrère,

Et voici comment il s'y prit. Il supprima tous les rôles de femmes et dans aucune comédie il ne fut plus question d'amour. Cela obligea l'étrange maniaque à transformer toutes les œuvres du poète.

Dans le Médecin malgré lui, Lucinde devient Lucien. Et savez-vous pourquoi ce Lucien se fait passer pour muet ? C'est parce que sa famille contrarie sa vocation. Il veut être avocat; on voudrait qu'il fût militaire.

Les titres eux-mêmes sont modifiés. L'Amour médecin s'appelle l'Amitié médecin.

Légion d'honneur

Nous relevons parmi les récentes promotions dans la Légion d'honneur les noms de M. André Chaumeix, codirecteur de la Revue de Paris qui est fait officier; de M. Arapu, chroniqueur scientifique du Temps et du docteur Berger, collaborateur de V. Cyril et qui est pour moitié dans la signature littéraire Cyril-Berger, nommés chevaliers.

Un cours sur Flaubert

La Société des conférences donnera l'hiver prochain un cours sur Flaubert. C'est M. Albert Thibaudet qui a accepté de faire ces douze leçons.

Huit seront consacré à l'étude des ceuvres. Dans les quatre premières, le conférencier parlera de la vie du grand

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romancier qu'il divise ainsi, les années | jours même et toujours changeant payde jeunesse; les relations avec Louise Collet; le voyage en Orient; enfin il fera une leçon sur le « laboratoire » de l'écrivain.

M. Albert Thibaudet est un pénétrant critique et son cours que l'on peut prévoir fort intéressant sera très suivi.

Et cela nous reposera un peu des pompes et discours officiels qui ne manqueront pas de sévir en l'honneur de l'auteur de l'Education sentimentale dès l'automne prochain où, comme on sait, doit être inauguré à Paris un monument sur l'initiative de la Sociét édes Gens de lettres.

ARTS

Un artiste wallon

C'est un grand artiste, peintre, décorateur, graveur, illustrateur de livres, que vient de perdre la Belgique. Auguste Donnay est mort, à Bruxelles, dans la maison de santé où s'éteignit tout à fait l'intelligence d'un de ses frères spirituels, Charles Van Lerberghe. Depuis quelques jours seulement, il avait quitté son ermitage de Méry, cette charmante petite maison paysanne faite de rudes moellons, accrochée au flanc d'un coteau qui s'élève au bord de l'Ourthe. Sa noble et discrète vie de travail et de méditation s'est écoulée là tout entière. Il ne délaissait cette exquise Thébaide que deux ou trois fois par semaine pour aller donner son cours à l'Académie des Beaux-Arts de Liége.

Cette colline des suprêmes contreforts de l'Ardenne, où il habitait, il l'appelait en souriant son Fusiyama. Il ne croyait pas si bien dire.

Cet unique paysage de l'Ourthe, il l'a peint à toutes les heures, dans toutes les saisons. Il a répété le motif à l'infini, nous donnant chaque fois une œuvre nouvelle, unique, parfaite. De même, un Claude Monet, devant une mare à Giverny, devant le portail de Rouen, trouvait à chaque instant de nouveaux motifs d'enthousiasme. Auguste Donnay faisait penser aux maitres japonais, non seulement par son dessin impeccable et bien vivant pourtant, par le sens qu'il avait de la poésie de la nature, mais jusque dans son aspect physique, sa façon d'être et de vivre. Longtemps, ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher se souviendront de ce visage tanné par le soleil et la bise, e sa barbe fourchue, de ses yeux brides et finauds sous un haut front dégarni. On ne le connaît guère en France, dans un public de bibliophiles d'ailleurs restreint, que par les charmantes ilustrations qu'il a dessinées.

Il a gravé des compositions exquises qu'on se disputera plus tard.

Mais c'est le peintre qu'il faut faire connaître, en Belgique autant qu'en France. Quelques touches sûres et délicates de pastel ou de couleur lui ont suffi pour évoquer une atmosphère, une saison, le jeune printemps sur les hauts plateaux au moment de la fonte des neiges dans les prés verts que coupe la sombre ligne des sapins, l'automne rouge et Parfois, le peintre anime ce tou

sage d'une scène dont nous goûtons le délicieux anachronisme. Il a retrouvé l'âme dévotieuse, fraiche et ingénue de nos grands primitifs wallons, depuis le maître de Flémalle pour ne citer que ces deux-là.

C'est à une campagne des amis de l'art wallon, qu'on doit d'avoir vu confier à Auguste Donnay, la décoration de la délicieuse église romane de Hastière, achevée peu de temps avant la guerre. Il n'y a pas lieu de s'étonner outre mesure que Donnay ne soit pas encore représenté au musée moderne de Bruxelles, ce musée qui fait si mauvaise figure, à côté du palais de Balat où triomphent Rubens et Jordaens. Nos fonctionnaires ont vécu jusqu'en ces dernières années sur cette idée que la Flandre seule était picturale, qu'il n'y avait guère que des peintres flamand's et qu'en dehors de la couleur rutilante et à larges empátements, des « coulées grasses D comme on dit dans le déplorable jargon des critiques d'art, rien de valable ne peut exister. Certes, il ne faut pas demander à Donnay des coups de poing sonores. Ses paysages sont comme de fines sonatines de couleur de nuances, encore et toujours ». Ils sont construits, ils ont un visage. L'art wallon existe : il est fait de grâce et de discrète harmonie, il est plus construit, plus raisonné que la peinture flamande. Les pastels d'Auguste Donnay s'apparient à la sculpture d'un Victor Rousseau, à la musique d'un César Franck ou mieux encore d'un Guillaume Leken. Que l'actuel ministre des Beaux-Arts de Belgique, M. Jules Destrée, en fasse entrer quelques-uns au musée de Bruxelles. Ainsi, quand ce Wallon égarera ses pas du côté de Méry, les nymphes de l'Ourthe pourront lui dire qu'elles sont contentes de lui.

LOUIS PIERARD.

Un reportage avant Jésus-Christ

Dans les ruines de Pompei, rue de l'Abondance, on vient de découvrir, écrit sur des tablettes, un compte rendu vieux de 2.000 ans.

L'auteur fait en ces termes le récit de l'événement du jour :

« La nuit dernière, Tullius Servus a donné une superbe représentation en l'honneur des membres de l'aristocratie romaine actuellement à Pompei. Tullius Servus a fait son entrée dans un char magnifique traîné par quatre chevaux. Il était suivi de ses amis et de ses clients montés sur d'autres chars. Des bacch+11tes, la tête couronnée de guirlandes de fleurs, portant des vases remplis de vin, servaient les convives.

Après le festin on vit des combats à mert entre gladiateurs et on assista au pâture des bêtes sauvages nouvellement repas des lions, auxquels on donna en importées d'Afrique.

Les hôtes prirent part avec entrain à ces réjouissances qui n'étaient pas ene terminées quand je me suis retiré pour en faire le compte rendu. »

Le journaliste, obligé de partir avant la fin, obéissait sans doute, comme ses confrères d'aujourd'hui, aux exigences de 'a a dernière heure. D

Les mots sont dangereux. Depuis un peu plus de cent ans, depuis que l'aca démisme davidien hiérarchisa les genres, les arts appliqués à l'industrie ont tenu le rôle de parents pauvres.

Un des résultats de cette conception fut de reléguer nos écoles d'art décora tif au dernier plan. Sauf par gageure et par mauvais esprit, un jeune homme ambitieux de se faire artiste n'y serait point entré sans éprouver une impression de déchéance. Or on commence à comprendre que ces pauvres arts appliqués pourraient bien être l'art tout entier.

L'Officiel nous apprend qu'un poste d'inspecteur général des arts appliqués vient d'être créé. Certes, ce nouveau fonctionnaire ne manquera point d'ouvrage et le premier sera de coordonner s efforts de toutes les organisations plus ou moins ignorées, plus ou moins actives qui s'efforcent, loin de la faveur de l'Institut, de développer le goût de ces fameux arts appliqués.

Elles eurent, que dis-je, elles ont un grand projet organiser une exposition internationale. On la prévit pour 1922, puis pour 1923; aujourd'hui l'éventua lité d'une inauguration en 1924 ou 25 est envisagée. Combien sont-ils pour la mettre debout?

Le Petit Messager des artistes les en mère avec son habituelle précision.

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Il y a le Comité central technique des arts appliqués. Puis, la Fédération des Sociétés d'art pour le développe ment de l'art appliqué. Puis, la Com mission de l'Exposition de (ici choix s'exerce sur des chiffres allant de 1922 à 1925 ainsi que nous l'avons vu). Puis l'Office de liaison entre artistes et industriels, organisé au ministère du Commerce et dont le titre indique le bat. Puis l'Union Provinciale des arts déco ratifs, étrangère (pourquoi ?) à la Fé dération ci-dessus indiquée.

Puis il y a des rouages administra tifs aux beaux-arts qui n'ignorent pas,au moins quant à leurs titres, l'exis tence des arts décoratifs en France.

Enfin, il existe des syndicats profes sionnels. Et n'entrent pas en ligne de compte les petites associations ni les initiatives privées.

Ne nous moquons pas de tant de bonnes volontés annoncées. Après tout, ce n'est pas leur faute si le résultat pra tique de l'ensemble n'a pas été plus fé cond. Il n'est peut-être en somme qu'en gestation. Nous le verrons le jour où s'ouvrira l'Exposition Internationale. A condition toutefois que l'opinion publi que s'y passionne un peu, que sa curiosité soutienne l'action. Oh ! la belle et dure tâche qui attend M. Paul Steck, le nouvel inspecteur. Voulez-vous que tous nous poussions à la roue ? le moyen est simple. Il consiste à penser à cette manifestation qui doit être considérable et nouvelle, à nous en parler, à bien écou ter ceux qui nous entretiennent de la superbe, de la très utile exposition coloniale qu'on prépare, ou bien des grands jeux olympiques dont le règlement s'élabore, et à dire ensuite parlons un peu maintenant de la grande exposition. d'art appliqué de 1925 ». Il n'v faut qu'un peu d'entêtement.

ROBERT REY.

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