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désaccord. Et quand on songe jusqu'où ont été poussées les négociations entre le groupe Stinnes et le groupe anglais, sur l'exploitation du marché russe (Matin du 5 et Libre Parole du 9 mai), lorsqu'on compare ces documents d'une importance capitale à la correspondance franco-britannique relative aux dettes russes, on regrette que le Quai d'Orsay n'ait pas cherché, sur le -terrain industriel et commercial, le moyen de réaliser l'accord, irréalisable sur le terrain politique et financier. C'est à une commission de juristes que le Conseil Suprême s'en est remis du soin de définir sa politique dans la question des coupables. Cet ajournement est une erreur. Plus le temps joue, plus le problème devient insoluble. Les pangermanistes, grâce à la tactique dilatoire des alliés, sont parvenus à réaliser, contre l'application de la justice, le bloc des Allemagnes. Seuls, quelques socialistes minoritaires ont encore le courage de dénoncer ces crimes et de réclamer des châtiments. Tous les autres partis, même les sociaux-démocrates et les radicaux démocrates, sont d'accord pour s'opposer à des débats qui éclaireraient cependant l'opinion germanique sur la splendeur de la mentalité prussienne. Comment arriver à rénover l'Allemagne, si les bourreaux des enfants belges et lillois, des prisonniers anglais et français échappent à toute flétrissure et même à toute publicité ? Ici encore, il fallait avoir une solution prête. Je n'en vois pas d'autre que le transfert des dossiers relatifs aux crimes commis loin du champ de bataille, contre les civils et les prisonniers, à un tribunal neutre siégeant en territoire neutre et jugeant d'après la loi allemande. Seul il aura l'autorité nécessaire pour liquider ce passé promettre l'avenir, pour éclairer les esprits obtus de Germanie sans favoriser les complots dangereux de pangermanistes. La délégation française a préféré recourir à une improvisation parlementaire, éviter vote et nommer une commission. C'est la diplomatie nouveau jeu.

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ne puis davantage porter à son crédit la solution donnée à l'affaire silésienne. Sans doute, l'Opinion a toujours affirmé qu'une transaction était possible et un est arbitrage nécessaire. Mais cet arbitrage il ne fallait pas le subir comme un échec de la France, mais le propogeste de paix. Non seulement M. Briand n'a pas su prendre cette initiative au moment opportun, mais il a accepté la solution arbitrale, après que

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le premier ministre britannique se soit montré décidé à déclarer, devant le Conseil suprême, que la France seule em pêchait de résoudre la question de Haute-Silésie et qu'elle seule serait responsable des conséquences. » (Temps, 15 août.) La France mise, par ses alliés unanimes, au banc du Droit Une flétrissure et l'isolement ! L'arbitrage, qui permit-à M. Briand d'éviter ce double désastre moral et politique, ne m'apparaît, pas moins, comme une solution britannique et une défaite française, alors qu'il pouvait être une thèse française et un échec anglais. Au lieu d'improviser, le Quai d'Orsay aurait dû, longtemps à l'avance, acheter à Washington, au prix d'une coopération active à la Conférence prochaine, la faculté de recourir éventuellement à l'arbitrage d'un ambassadeur américain. Celui de la Société des Nations

a deux graves inconvénients. Il crée un précédent dangereux pour la France. Or on sait l'art avec lequel les pensées anglaises, élevées dans le culte du droit coutumier, savent utiliser les précédents. Chaque fois qu'un désaccord se produira entre Londres et Paris, sur l'application du traité de Versailles, par exemple sur les délais d'occupation des terres rhénanes, le Foreign Office invoquera l'arbitrage de Genève. Et la France, si elle passe outre, ne courra plus seulement le risque de briser l'Entente Cordiale, mais celui, infiniment plus grave, de déchirer sa parure et de briser son auréole, pour apparaître aux yeux de l'univers sous

les apparences d'une nation de proie. De toutes les fautes qu'a commises le Quai d'Orsay, au cours des conférences du Conseil suprême, il n'en a jamais commis de plus graves que le jour où, le 12 août, il a laissé son ministre, ligoté et impuissant, tomber dans le piège tendu par la Consulta et le Foreign Office. La France n'est plus maîtresse désormais d'assurer l'application du traité et le respect de sa sécurité : elle est désarmée. Et, en même temps, elle a créé un précédent désagréable pour les Etats-Unis. Lisez le New York Herald du 13 août :

« Jetant un regard presque féroce, au-dessus de ses lunettes, à l'auteur de ce plan, qui, il le savait, pouvait saisir les nuances de la langue anglaise mieux que ses collègues français, M. Harvey, parlant avec lenteur et solennité: «Le << président des Etats-Unis, dit-il, a cru, dès le début, que «< cette affaire intéressait exclusivement l'Europe. C'est donc << avec un sentiment de soulagement qu'il apprendra que cette << opinion a été approuvée par le Conseil suprême, en tians« férant l'affaire à un organisme auquel les Etats-Unis ne << se sont point associés. Par conséquent, en tant que représen<< tant du président Harding, je m'abstiendrai de toute parti«cipation. Ces paroles furent suivies d'un long et profond silence.... >>

Et quand on sait le jugement qu'a porté M. Harvey sur le spectacle donné par le Conseil suprême, sur sa méthode de travail et sur le caractère de ses délibérations, lorsqu'on connaît son talent de journaliste et son intimité avec Harding, il est impossible de ne pas redouter les conséquences de ce témoignage irrité et de cette décision imprudente. Restaurer le prestige et confirmer l'autorité de la Société des Nations, à la veille de la Conférence de Washington, au moment où les Etats-Unis vont proposer de remanier cet organisme : quelle folie ! Après avoir accru nos désaccords avec trois alliés, arriver à froisser les Etats-Unis c'est vraiment un record.

Les Conseils suprêmes coûtent cher. Mais, m'a dit Jacques Bainville, le 14 août, dans l'Action Française, par quoi les remplacerez-vous? Par le retour aux traditions de l'art diplomatique, aux négociations indirectes et à la méthode écrite. M. Benès a réalisé l'entente de l'Est par la garantie du statu quo. M. Hoover a lancé l'idée des alliances économiques. ganisé et modernisé - M. Millerand en avait compris C'est dans cette double voie que le Quai d'Orsay, réorla nécessité doit s'engager résolument. La Conférence de Washington ferme le cycle des Conseils suprêmes. Après Algérisas, c'est-à-dire Londres « hélas ! Après Attila, Paris holà !

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JACQUES BARDOUX.

NOTES ET FIGURES

Sous le chaume.

Curieux d'un authentique intérieur breton et apercevant une chaumière à vendre, une chaumière trapue et moussue du plus loyal aspect, tandis que j'errais en l'île de Bréhat, je poussai la porte du jardin fermé d'un petit mur de pierres sèches. Dès que j'eus pénétré dans l'authentique intérieur breton, je découvris d'abord, accrochée sous verre, une flamboyante dédicace de Barbey d'Aurevilly, une dédicace «< à Monsieur Havet, l'illustre commentateur de Pascal », empennée, soulignée, multicolore et emphatique, selon le goût fâcheux du conné

table. Non loin de cette dédicace, des vers accolés à

duire ses charmes. Point de lit clos ni de huche, mais des tableaux encore, de vieilles clefs, des cuivres, des armes, des monnaies et des médailles, des faïences marocaines, tout un bric-à-brac cocasse et saugrenu encom

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brant meubles et murs. « Voici, me dis-je, de la couleur locale », et je savourai avec une ironique consternation ce décor de rapin montmartrois transporté en Bretagne. Me jugeant sans doute parvenu à un degré d'ahurissement convenable, la vieille dame qui m'avait ouvert la porte me renseigna :

Vous regardez les collections de mon mari? Il est mort, le pauvre homme. C'est à cause de cela que je cède la maison. Mon mari, monsieur, était un poète, le poète Auguste Princhette. Et célèbre. Il a eu une poésie imprimée dans les Annales, oui, monsieur. Et M. Haraucourt qui, comme vous le savez sans doute, passe ses vacances dans l'île depuis trente ans, M. Haraucourt lui-même a écrit une préface réservée spécialement au recueil de mon défunt, je vends le livre cinq francs, mais je vous le laisserai au prix de trois francs parce qu'il n'est pas broché. Voici les feuillets, mon cher monsieur, et voici la couverture. Tout y est. Que voulezvous, mon pauvre Princhette s'y est pris trop tard pour publier. Songez un peu, il avait 75 ans ! Il finissait à peine d'imprimer son volume quand la congestion l'a saisi en allant aux goémons.

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plutôt.

D'imprimer son volume? De le faire imprimer

Non pas, mon cher monsieur, non pas. Princhette, de son métier, était ouvrier typographe comme j'étais moi, compositrice. A nous deux, nous avons tiré son premier et dernier livre. Du reste, voyez, on l'a marqué à la fin du recueil.

Et je lus, en effet : « Tiré à 550 exemplaires, chez l'auteur. Il en fit l'impression et la composition typographique, aidé par sa dame compositrice à l'Illustration. » Et, plus loin: « Les annotations sont faites sur le modèle de celles qui figurent dans les œuvres de la collection Charles Péguy, notre cher et très regretté vulgarisateur de jeunes auteurs qui seraient restés inconnus sans ce bienfaiteur, n'hésitant pas de faire figurer les noms de ses chers collaborateurs typographes. Aussi, il gardera toujours pour cet ami des jeunes, pour ce lettré primé par l'Académie française, pour ce martyr de la patrie, un douloureux souvenir. Il lui envoyait ses Cahiers de la Quinzaine à titre gracieux, bien qu'il les lui imprimât pendant de longues années. Le tirage de cette édition a commencé le 2 mars dernier sur la petite machine de l'auteur n'imprimant que 4 pages à la fois; il fut terminé non sans difficulté le 20 juin 1920. » Est-ce que vous n'aimez pas cet accent? Si, bien sûr, ou j'en serais fâché pour vous.

Dans le moment que je m'attendrissais, je vis, accrochés au-dessus de la cheminée, des gants de boxe et ces belliqueux insignes interrompirent tout net mon émotion.

- Il faut vous dire, reprit la bonne dame, que Princhette était aussi boxeur dans le temps, et quel boxeur, mon cher monsieur! C'est encore marqué dans le livre. Il y a une lettre de M. Charlemont, de ce M. Charlemont qui a écrit de si belles choses sur la boxe. Oh! mon mari avait des relations! Tenez: « Nous causions boxe, écrit M. Charlemont, et je vous rappelai que nous étions tous deux les doyens, moi, pour la boxe française à laquelle j'ai su donner un renom mondial, et vous le dernier survivant des peu nombreux Français pratiquant la boxe anglaise dès leur jeunesse. >> Princhette était bon boxeur, mais il était encore meilleur poète. Comme il a beaucoup voyagé, ça lui a forcément servi pour ses vers. Il a été en Algérie, en Espagne. Regardez les titres Au désert, La noce arabe, Les deux Musiciennes, Sur la route d'Alicante. Avec la vieillesse, Princhette était devenu tranquille et nous avions été bien contens de mettre nos économies dans cette petite maison. On vendait du cidre; Princhette disait ses vers; il venait du monde, des touristes Lorsqu'il ne

composait pas, mon défunt bêchait son champ, jardinait. On était heureux, oui!

Il y eut un lourd silence. J'emportai le petit livre riche de poésies bretonnes, algériennes, espagnoles, patriotiques, de contes, de dialogues et de satires, selon les promesses de la couverture. Je l'ai feuilleté. Princhette a tendrement parlé des couchers de soleil de Bréhat: Là, les tons d'Orient couramment sont offerts. Il a parlé de l'Aurore :

Troussant sa jupe de carmin

Que déjà le soleil colore.

Il a parlé de la tempête qui « se montre très fière de son effet rageur » et même il a parlé de Renan :

Qui pouvait penser qu'un Breton
A l'âme aussi douce que pure,
Se mettrait au ban du canton
En osant faire la brisure ?

Princhette a chanté, célébré, exalté beaucoup d'autres choses, de tout son cœur, et dans une note semblable, et non sans coquilles. Mais quoi, Princhette était un il demande si gentiment, si simplement pardon de ses brave homme et, dans une note de son petit bouquin, << fautes de style, de vérification, de foliotage, voire d'orthographe »>! A. DE BERSAUCOURT.

Rule Britannia.

Le 1er août 1740, le prince de Galles offrait à ses invités le spectacle d'une comédie nouvelle, Alfred, qui leur ménageait une surprise flatteuse. Au cours de la re présentation, un acteur entonna en effet le chant triom phant :

Quand la Bretagne jadis au ciel obéissant
Surgit des flots d'azur,

Telle fut la charte de sa terre

Et des anges gardiens chantaient ce refrain:

« Règne Bretagne ! La Bretagne règne sur les flots! Les Bretons jamais ne seront esclaves. >>

L'hymne politique de la Grande-Bretagne était né L'auteur, James Thomson, poète connu des Saisons n'en était plus à ses débuts dans le genre. Plusieurs an nées auparavant, Britannia, chanson patriotique popu laire où le ministre Walpole s'entendait accuser d'humilier l'Angleterre devant l'Espagne, et Liberty, dé diée au prince de Galles qui devait la récompenser d'une pension, avaient déjà exalté avec succès et profit la fierté nationale. Homme de théâtre averti, Thomson reprenait donc ici les deux thèmes auxquels les événements venaient d'apporter un regain d'actualité

A l'extérieur, la politique de l'Angleterre était alors dominée par sa rivalité avec l'Espagne. Maîtresse des mers depuis la bataille de La Hogue, l'Angleterre avait reçu au traité d'Utrecht la plus large part des avan tages matériels et commerciaux. Une clause spécifiait cependant que les marchands anglais ne devaient en voyer à Panama qu'un seul vaisseau de 600 tonnes par an. Mais, pour esquiver la difficulté, ce gros navire s'ac compagnait toujours d'une flottille de bateaux plus modestes qui le rechargeaient à la nuit. Flairant la ruse, les douaniers espagnols ne se montraient guèr tendres aux contrebandiers anglais qui avaient malheur de tomber entre leurs mains.

Or, vers la fin de 1738, un certain capitaine Jenkins qu'on dirait apparenté à quelque héros de roman, s'avis que les douaniers espagnols lui avaient, sept ans plu tôt, coupé l'oreille qu'il conservait précieusement dan une petite boîte pour la montrer à tout venant. Exploi tant les plaintes du capitaine, l'opposition parlemen taire, en dépit des efforts de Walpole, réussit à fair

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20 août 1921

sortir de la boîte de Jenkins les maux d'une guerre avec l'Espagne (1739).

D'abord, l'amiral Anson, au cours d'une croisière autour du monde, pilla les ports espagnols du Pérou et se saisit, rapporte Voltaire, du galion immense que c Mexique envoyait tous les ans dans les mers de Chine à l'île de Manille. Ces premiers succès déchaînèrent en Angleterre un enthousiasme dont Thomson, habile à flatter le goût du public, ne pouvait manquer de se faire l'écho :

Toujours plus majestueuse, Bretagne, tu te dresseras,
Plus terrible après chaque coup de l'ennemi ;
Ainsi la tempête qui déchire les cieux

Ne peut qu'enraciner ton chêne natal.

Evoquant aussi les ambitions déçues de Louis XIV qui avait en vain tenté d'imposer à l'Angleterre un roi et une foi, le poète continuait :

Toi, les tyrans orgueilleux ne te dompteront jamais;
Tous leurs efforts pour te courber

Ne feront qu'at tiser ta généreuse flamme,
Préparer leur ruine, grandir ta renommée.

Si puissante qu'apparût dans le monde l'Angleterre de 1740, elle avait encore d'autres motifs de se féliciter. A l'intérieur, la révolution pacifique de 1688 avait définitivement établi le gouvernement parlementaire et Thomson, d'accord avec ses compatriotes, considérait son pays comme le berceau de la liberté.

Dans la liberté, disait-il, s'épanouissent non seulement les arts mais aussi l'agriculture, alors en pleine prospérité, et le commerce développé par la colonisation : A toi appartient la souveraineté champêtre ; Dans le commerce brilleront tes cités ; A toi-reviendont l'Océan subjugué Et tous les rivages qu'il baigne !

Il est aisé d'imaginer les applaudissements qui saèrent ces strophes ardentes. Depuis les appels de rompette de Shakespeare, jamais l'Angleterre ne s'était tendu célébrer avec une telle ferveur. Mais tandis que l'auteur de Richard II ne voyait dans la mer d'argent qu'un rempart contre l'ennemi, Thomson, élargisant l'horizon, découvrait dans l'Océan le véhicule de a grandeur britannique. Longtemps avant Cunningham surtout Kipling, il a ainsi exprimé le sentiment le plus profond et le plus tenace du peuple anglais.

La Littérature

LOUIS ROCHER

Les poésies de Jean-Louis Vaudoyer M. Jean-Louis Vaudoyer a débuté dans les lettres par des poèmes. Ce n'est pas là un cas fort rare, même chez les purs prosateurs, et l'on ne serait pas en peine de ater beaucoup de conteurs et de romanciers-nés qui, depuis Maupassant, ont fait de même : l'adolescence est lyrique, et il est naturel que celui qui a reçu le don d'écrire commence par se chanter avant que de s'expli quer et de se raconter. (Et sans doute les vrais poètes, ceux pour qui la poésie n'est pas seulement une technique savante, sont ceux qui gardent toujours cette Jeunesse intérieure; mais ce n'est pas moi qui ai trouvé cela.) Or, une certaine tournure critique, observatrice et réaliste de l'esprit n'est point favorable au lyrisme;

aussi ne

transporte-t-on pas la prose dans la poésie. En revanche on transporte aisément la poésie dans la prose aussi n'est-il guère de poète qui n'ait un jour laissé la lyre, soit pour exposer sa philosophie, soit pour composer quelque conte ou quelque roman. Alors il est un peu, pour ainsi parler, comme un homme qui

se met à l'aise dans ses pantoufles, et, quoi qu'on dise, ordinairement nos poètes en vers ne sont pas nos stylistes les plus exquis. Si j'osais rappeler une distinction que j'ai faite naguère, je dirais que leur prose manque souvent de cette beauté qu'il faut bien nommer << grammaticale » et de beauté musicale. Sans doute ils apportent leurs images somptueuses ou charmantes, mais la « langue » n'est pas ce qui les retient davantage, et nous ne leur devons pas nos plus harmonieux morceaux ni même nos meilleurs poèmes en prose. Ce n'est pas un Gautier, ni un Moréas, ni même un Baudelaire qui «< cadencent leurs phrases sur un rythme plus subtil que celui des vers » : ce sont les Barrès, les Jules Tellier, les Anatole France, les Renan, les Chateaubriand, les Bossuet, les La Bruyère, les Rabelais, et l'on ne me ferait pas dire que les poètes excellent à forger la prose, s'il n'y avait Musset...

On entend assez, d'ailleurs, que je considère ici la prose en dehors de ce qu'elle exprime, de ses images mêmes. Mais il est bien d'autres choses à goûter dans le style que cette qualité proprement grammaticalē, cette musique interne de la langue, et à plus forte raison dans un roman. J'avouerai même qu'un roman ne s'accommode pas très bien, à mon goût, d'être trop minutieusement écrit et savamment cadencé. Il y faut quelque liberté de facture : c'est une assez grande

fresque, en somme, et qui veut être peinte plus largement qu'un tableau de chevalet. Un poème (en prose d'Homère, il est trop long. S'il nous fallait lire un ou en vers) de 350 pages, quand il n'est de Dante ni roman rédigé d'un bout à l'autre dans un langage aussi subtilement harmonieux que celui des Stances à la bienaimée ou du Nocturne de Jules Tellier, nous serions vite las. Je l'ai dit les romans de poètes ne sont jamais écrits de ce style, car, en prose, un poète ne pèche jamais par excès de soin et de minutie: ne lui est-il pas naturel, en effet, dès qu'il veut rythmer son langage, de se traduire en vers? Mais à cela ils ne perdent guère, et au contraire. Rien de plus agréable qu'un roman de poète, quand il est bon la réalité s'y embellit et s'y stylise àmerveille... Mais c'est des vers de M. JeanLouis Vaudoyer, non de ses romans, que je me propose de parler aujourd'hui.

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Il en a publié plusieurs plaquettes, qu'il a ensuite rassemblées en deux volumes, en y ajoutant des poèmes nouveaux, l'un paru en 1913 et intitulé simplement : Poésies (1906-1912) (1), l'autre ce mois-ci: Rayons croisés (2). C'est une jolie mode que de recueillir ses poèmes, à mesure qu'on en a terminé une série, en quelque mince et luxueuse brochure qu'on offre à ses amis, fort propre aussi à enchanter la gent aimable des bibliophiles... Hélas! tout porte à croire que les tarifs actuels de l'imprimerie, et même le prix du papier, la rendront désormais difficile à suivre. C'est grand dommage. Mais le public n'y perdra rien.

Dès ses premiers vers, M. Vaudoyer montrait un des principaux caractères de son talent: c'est un don de représenter en couleurs d'émail et de pierreries le cours des saisons, la beauté des femmes, la variété des fleurs, les figures du désir et de la volupté, bref un goût de peindre. Nulle recherche de prosodie compliquée, de rimes bien rares et de rythmes très subtils : c'était de belles images plutôt qu'il était curieux dès lors, et il ne s'efforçait qu'à dire purement, en mètres réguliers, et avec une harmonie grande et simple les inventions de sa

(1) Calmann-Lévy. Les Compagnes du Rêve, poèmes en prose et première publication de notre auteur, n'ont pourtant jamais été réimprimés.

(2) Société littéraire de France.

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riche imagination visuelle. Avec cela, une facilité, une aisance remarquables, l'art le plus sain, le plus calme, le mieux équilibré, bref des dons et un tempérament de premier ordre. Sans doute ces pièces juvéniles ont quelque roideur encore, et M. Vaudoyer n'y fait point paraître toute la souplesse qu'il possédera plus tard, mais la beauté, la somptuosité et l'abondance annunziesques des images sont déjà frappantes. Qu'on cherche L'Amour et le Plaisir, la Lecture au jardin, Violante:

Violante, onduleuse et noble, apparaîtra.

Déplaçant doucement ses jambes paresseuses,
Comme une grande nue en marche sur le ciel,
Elle traversera la chambre dans le miel

Dont les ruches de l'air sunt, le soir, généreuses.

Et peut-on mieux faire les deux premiers vers de la première strophe, par exemple, du beau sonnet liminaire de l'Hommage à Théophile Gautier (postérieur il est vrai de plusieurs années à ces poèmes de jeunesse) :

Il est pareil au dieu puissant qui tient la lyre,
Ou plus encore peut-être au Bacchus indien
Qui mêle sur ses pas, dans l'air arcadien,

Le parfum du laurier à l'odeur de la myrrhe.

Comme son maître, le poète d'Emaux et Camées, M. Vaudoyer est plus peintre encore que musicien. Il n'a guère, par exemple, de ces vers baudelairiens :

Le violon frémit comme un cœur qui s'afflige.

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où l'i chante comme les cordes d'un violon (mais qui a des vers baudelairiens ?). Ce n'est pas qu'il soit sans musique (et comment cela se pourrait-il, puisqu'il est poète ?) mais la sienne est plus extérieure, moins interne pour ainsi dire. Et il s'exprime de manière à enchanter plus encore notre vue intérieure que notre oreille: il traduit en vers paisiblement mélodiques des imaginations inagnifiques. D'ailleurs, peintre même, il n'est pas impressionniste comme nos modernes. Il est coloriste, certes, et remarquable, mais à la façon d'un Tiepolo et d'un Véronèse, non d'un Claude Monet. Il peint somptueusement et d'un pinceau souple, facile et puissant, comme ils l'auraient fait, les personnages de la Commedia l'Ingénue, le Valet, la Danseuse, le Soupirant et les autres; il se divertit à composer de camées ciselés dans des matières précieuses des Colliers pour des Ombres Amphitrite, Bacchus, Léandre, Juliette, Armide ou Manon; il imagine comme les peintres italiens du quattrocento les Allégories de Vénus au ruban de Perles, de la Corbeille de Pomone ou de Proserpine aux grenades; il grave les silhouettes des héroïnes de Théophile Gautier; il transpose en vers l'atmosphère et le contour des paysages et des figures léonardesques; il nous montre en d'aimables tableautins Mlle Thamar Karsavina, la non pareille danseuse, tantôt sultane, tantôt sylphide, tantôt poupée et tantôt nymphe; et voici enfin les deux Albums, celui des Poésies et celui des Rayons croisés, qui nous offrent des sujets divers, croquis légers, vignettes, esquisses rapides, comme ces crayons des Ombres stendhaliennes, dont le second, si juste et spirituel, doit enchanter le StendhalClub:

A Milan aussi je vous vis,
Dans la Scala poudreuse et vide.
Vous dépendiez d'un œil perfide
Qui régnait sur vos favoris.

Est-ce Angela ou bien Métilde,
Dans la loge, en face, qui rit?

Vous songez: « Ayons de l'esprit ! »
Mais votre aplomb n'est pas solide.

Plus amoureux qu'heureux amant, Cher Stendhal, curieux des femmes, Vous trembliez comme un enfant,

Près d'elle, combinant vos irames;
Mais vos détours de sentiment
Dérangeaient les meilleurs programmes.

Qu'on ne juge pas sa manière à ces vers faciles il sont du Vaudoyer improvisateur qui s'amuse à écrir au courant de la plume les épîtres de Suzanne et l'Ita lie Il en est un autre qui sait orner et fleurir de guir landes dignes d'eux les tombeaux de Gautier, de Vinci de Chénier, de Lamartine, de Moréas, et tirer de la grande lyre l'ode d'Apollon triomphant:

L'air est d'argent, la matinée
Ouvre ses roses et ses lis;
De Pégase l'aile enivrée
Evente Pallas et Cypris ;
On voit l'Olympe dans sa fête,
Et, sur les cimes du Taygète,
Bacchus qui presse ses raisins :
- Apollon ! c'est toi qui diriges
Derrière ton vermeil quadrige,

Le sort des Dieux et des humains !

Voilà le Vaudoyer peintre comme Véronèse et décora teur plein de magnificence. Il semble bien que cette poésie d'ornement forme les deux tiers de son œuvre Tant mieux ! N'est-ce pas un des premiers rôles de la Muse qu'enchanter la vie?

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Et est-ce à dire d'ailleurs que ceux pour qui« monde extérieur existe », pour eux le monde intérie n'existe pas ? Ah! qu'on a mal compris « l'impass lité de Théophile Gautier! C'est le marmorée conte de Lisle qui est « impassible », bien plut lui. Gautier n'est pas seulement le poète d'Ema Camées il est encore celui de la Comédie de la M de Ténèbres, de Mélancholia. De même M. Vaudo est l'auteur de certaines pièces émouvantes du Cour des Saisons et des Rayons croisés, l'auteur, surtout, Flammes mortes, de la Stèle d'un ami, d'Héliade. Sa doute, il n'a pas plus que son maître de ces harmonie et pathétiques cris raciniens, ni les plaintes touchan et comme trempées de larmes d'une Marceline Desbor des-Valmore, ni l'éloquence passionnée d'un Musso M. Vaudoyer emploie l'or et le rubis, l'émail et le jade le velours et la soie, toutes les plus somptueuses cou leurs de l'aurore, du midi, du couchant; mais doit-on dire à cause de cela qu'il n'est pas ému ? Ce serait une étrange conséquence. Il l'est, d'abord, par toutes le beautés du monde sensible. Parce qu'il ne les rend pa en impressionniste, parce qu'il ne cherche pas les cof respondances » presque indicibles dont parle Baude laire, la couleur des voyelles et des consonnes, le parfun des sons, la forme des odeurs, que sais-je? qu'il sent, enfin, comme un homme d'autrefois, dirons nous qu'il est insensible?

par

Le jour sanglote et meurt aux sommets des montagnes
Le soir grandit déjà comme un vaste chagrin,
Et ceux qui marchent seuls en pleurant leurs compagnes
A la coupe des nuits vont boire un triste vin.

D'ailleurs, l'amour (et l'amitié aussi), ses deux lumes en sont pleins. Sans doute, ce n'est pas l'am platonique et intellectuel des bergers de l'Astrée, q célèbre, ni la fatale passion des Nuits avec son apolo romantique de la souffrance, et pas davantage la gr sentimentalité des lakistes qui touchait si fort Saint Beuve (et ce goût pour Cowper fait entendre bien d I choses sur l'auteur de Volupté). L'amour qu'il chan est l'amour sain et sensuel qu'on a goûté durant

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siècles, depuis Ronsard et Du Bellay. Ah! je ne dis pas seulement l'éternel thème anacréontique: « Vivez, m'en croyez, n'attendez à demain... »

La leçon de la rose est perdue à l'automne ;
La leyon de la grappe est perdue au printemps.
Celui qui craint l'orage avant que le ciel tonne

Est-il heureux de temps en temps ?

(...) Regarde ce malin qui prend l'eau à la source,
La femme sur le lit, le bourgogne au cellier :
Il aura tout un monde à la fin de sa course;

Et toi, tes rêves, pour bâiller.

cela certes, mais aussi l'amour qui fait sa juste art au cœur. Il aime d'abord le corps de ce qu'il aime, ais il n'aime pas que cela. Il chante la volupté pure les sens seuls s'intéressent, mais il la distingue de

imour:

Eloigne-toi d'un cœur dont l'écorce sanglante,
Plus dure que la pierre émousse les couteaux;
Abandonne ce fruit à la folle Atalante

Ou laisse-le pourrir sous le poids de ses sceaux. Que t'importe le cœur, puisque le corps se donne, Avec la fleur d'un jour, la perle, le rayon, Avec la volupté qui brille et qui frissonne Plus franche que l'amour, ce mauvais compagnon. Certes, ce sont encore des amours légères, semble-t-il, s amours de page, que célèbre le poète du Cœur et s Saisons. Rêves sensuels, espoirs, grands chagrins ns importance, voluptés non pareilles que d'autres aleront, séparations insupportables qu'on endure pourht, retours charmants, madrigaux tendres... Et que charmantes pièces juvéniles dans tout cela, comme mour et le Plaisir :

L'Amour et son couteau, le Plaisir et ses roses,
Traverseront le pré qui mène à ta maison...

Mais dans Flammes mortes, dans Rayons croisés, dans liade surtout, on croit trouver l'écho de sentiments lourds. Notons que ces séries font partie du second terde eil: la vie a passé, et, à mesure que les années couint, le poète est devenu plus profondément sensible. deux dernières contiennent à mon goût les plus les pièces: la meilleure partie de ce que j'ai cité qu'ici, je l'ai tirée des Rayons croisés. Mais je ne crois que M. Vaudoyer ait été jamais plus purement que qu'en écrivant le chant d'enthousiasme, de pléude et de triomphe qu'il intitule Héliade. On verra Variations qu'il a composées sur le Thème dont voici

TER

SO

fin:

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Enquêtes

Les morts vivent-ils ? (1)

Enquête sur l'état présent

des sciences psychiques

II

Considérés dans leur ensemble, les phénomènes sont, en somme, de deux sortes les uns sont perçus par l'intermédiaire de nos sens, les autres sont perçus direcd'ordre dynamique et matériel, les autres d'ordre inteltement par notre intelligence. Les uns, si l'on veut, sont lectuel et psychologique. Une table remue phénomène matériel; mais tout à coup, ces coups signifient quelque matériel; elle frappe des coups encore phénomène chose, forment une phrase: nous entrons dans le domaine de l'intelligence. La télépathie, la lucidité, la prémonition, voilà pour l'intelligence; l'extériorisation de la sensibilité, la matérialisation sous toutes ses formes, voilà pour la matière (2). Les deux ordres de phénomènes étant, bien entendu, constamment mélangés dans la pratique.

Il y a là, il me semble, quelque chose de vraiment yonisiaque. On peut tout espérer d'un poète capable

une telle

inspiration. Qu'il soit très sévère pour luime: son talent et ses dons le lui permettent. Il a

force, la richesse, l'originalité, l'intelligence, le méer enfin, et un cœur qui sènt profondément la beauté. Cest ce qu'il faut pour atteindre un jour à l'immortalité.

JACQUES BOULENGER.

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Puisqu'il est admis aujourd'hui même par les spirites que beaucoup des phénomènes d'ordre intellectuel télépathie, clairvoyance, prémonitions, etc., sont attribuables aux forces psychiques des vivants (3), mais qu'il semble difficile d'expliquer également par des << ondes » certaines manifestations matérielles dont la réalité objective est prouvée (photographies), c'est à cette catégorie de faits que se sont attaqués d'abord les praticiens de la métapsychique.

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Mais il faut commencer par dire ici quelques mots des expériences très originales de Crawford, savant anglais mort l'année dernière.

A la suite d'observations du même genre faites par le docteur Schrenck-Notzing, par Charles Richet, par Mme Bisson, par d'autres peut-être, Crawford s'était demandé si l'on ne pourrait par déterminer dans quelles conditions, exactement, se produit l'action sans contact, autrement dit par quel mécanisme le medium soulève un objet à distance. Il arriva à établir expérimentalement (4) que cette action est conditionnée par l'extériorisation d'une substance et non plus d'une onde qui sort du corps du medium en transe. Cette substance avait déjà été observée, imparfaitement, par les autres expérimentateurs et le professeur Richet l'avait appelée, à tout hasard, ectoplasme (extos, en dehors, plasma, production biologique). Crawford lui conserva ce nom. Et il démontra que c'est bien l'ectoplasme qui,

(1) Voir L'Opinion des 6 et 13 août.

(2) Cette distinction se trouve très bien établie dans les deux citations de M. Léon Denis faites dans une note du précédent article. (V. L'Opinion du 13 août, p. 181.) D'autre part, on verra plus loin que M. le professeur Richet met, lui aussi, .cette distinction à la base de ses études.

(3) Ces phénomènes sont non des communications de pensée (expression à peu près abandonnée), mais des communications mento-mentales, c'est-à-dire d'esprit à esprit, de subconscient à subconscient ou, pour être plus moderne encore, de subli minal à subliminal. Le subliminal est le domaine de cette faculté, que possède l'individu, d'emmagasiner et de conserver une foule de notions, voire même de forces actives, qui demeurent latentes, travaillent à notre insu au fond de nousmêmes et peuvent envahir cependant, sous une influence quelconque, le champ de la conscience. Les spécialistes appellent cryptomnésie cette mémoire cachée, l'ensemble de l'étude de la psychologie du subconscient étant nommé cryptopsychie. (4) Crawford a publié deux volumes, non encore traduits. J'emprunte ces explications à un remarquable exposé de M. Stanley de Brath, publié dans le Bulletin de l'Instit métaphysique (n° 2).

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