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Les trouveurs de comètes.

Les journaux ont annoncé récemment la mort du professeur Brooks, directeur de l'Observatoire Smith, Genève (Etats-Unis), lequel s'était spécialisé dans la recherche des comètes, et n'en avait pas découvert moins de vingt-sept.

Tous les astronomes ne se passionnent point pour ce genre de sport. On raconte que le professeur Boss, chef de l'Observatoire de Dudley, à New-York, fut assez vivement pris à partie par les administrateurs de son établissement parce que, toujours absorbé par de savants calculs sur le sytème solaire, il n'avait pas encore désouvert une seule comète. Ennuyé d'être dérangé dans ses travaux par de pareils reproches, il répondit enfin qu'il n'avait pas le temps de s'intéresser lui-même à de telles billevesées, mais que, si on voulait bien lui fournir les sommes nécessaires pour s'attacher un aide, l'Observatoire de Dudley aurait bientôt une comète à son actif.

On lui donna donc un assistant. L'assistant mit la main sur une comète inédite. Le professeur Boss put tranquillement vaquer à ses occupations. Et tout le monde fut

content.

C'est que la découverte des comètes fut de tous temps le signe vulgaire de l'activité des astronomes. Et les Russes le savent bien, qui pour nous prouver qu'ils ne sont point ennemis de la science et que la vie reprend chez eux, nous ont annoncé, eux aussi, la découverte d'une comète. Ce n'est peut-être pas là, dira-t-on, ce qui manquait le plus à la Russie, et le moindre grain de mil eût bien mieux fait son affaire...

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Le prix d'une dépêche à Moscou.

La Wolga Rossije vient de publier les tarifs télégraphiques pour les communications entre la Russie des Soviets et l'étranger. Un mot échangé avec l'Allemagne, la Belgique ou la France, coûte 1.400 roubles, 2.400 avec l'Angleterre, et 8.300 avec les Etats-Unis.

La Wolga Rossije ne dit pas si le trafic est intense.

Affaires Extérieures

La situation Orientale

Je voudrais bien que le conseil interallié l'eût observée, sur le terrain, comme je viens d'avoir l'occasion de le faire.

sur son

Les deux maîtres de l'heure, Kémal pacha, Ismet pacha cherchaient pourtant à traiter. Pourquoi ? C'est qu'ils avaient sous les yeux ce que représente la guerre, même pour le vainqueur, lorsqu'elle se joue sol: dévastations, horreurs de toutes sortes, ruines, sacrifices. La moitié de la région fertile entre toutes est saccagée, l'autre moitié subira un sort pareil, même si les Grecs sont encore battus.

Voilà ce que les chefs turcs s'efforcèrent de prévenir. Et puis, cette armée si belle, tous ces hommes jeunes qui vont tomber, cela représente pour eux la force de demain, celle qui permettrait à l'Anatolie de travailler et de prospérer. Sans cette jeunesse, la victoire même devient un désastre et ouvre le pays aux dangers voisins qui attendent leur heure.

Voilà ce que l'Europe interalliée tarde à comprendre. Se figure-t-on ce que va soulever en pays d'Islam l'emploi des gaz toxiques, des obus asphyxiants et autres moyens sur lesquels les Grecs comptent pour remplir leur mandat. Rencontrera-t-on encore beaucoup de balles dum-dum sur le champ de bataille ? Suffira-t-il de nous voiler la face et de dire « nous n'y pouvons rien ». Je ne le crois pas.

Ou bien les troupes de Moustapha Kémal et d'Ismet pacha surprises par des moyens contre lesquels elles sont peut-être mal protégées je n'en suis pas certaine reculeront pour mieux se battre, ou bien elles tiendront. le coup, ce n'est pas impossible. Dans les deux cas, se figurer qu'elles demanderont grâce par la suite suppose un incroyable aveuglement.

L'on parle encore parfois pas souvent, du reste des minorités chrétiennes. Celles que je viens de voir en Anatolie désirent ardemment que tout ne soit pas mis en œuvre pour amener leur disparition totale.

A l'heure présente, les Anglais essaient, à Koniah, pour la seconde fois en six mois, de provoquer un soulèvement qui échouera comme les précédents; mais combien d'Arméniens et de Grecs ottomans seront compromis dans cette aventure ?

L'or anglais cause, en Anatolie, plus de ravages que les armées grecques. Ce ne sont pas les détachements de Mehmed Halil, le Kurde, les agents britanniques cachés à Samsoun ou à Koniah qui détruisent les forces nationales, mais ils contribuent à l'éclosion de cette formidable haine qui monte par tout l'Islam contre l'An

La décision que vient de prendre la Grèce ouvre une phase nouvelle de la crise orientale et cette date du 26 juin 1921 fera époque dans une lutte dont il devient | gleterre et menace de nous confondre avec elle. impossible de prévoir la durée.

1

Le 14 mai 1919, l'occupation de Smyrne par les Grecs, opérée sous les canons de l'amiral Calthorpe, ouvrait officiellement les hostilités entre l'Angleterre et la Turquie des Turcs. En réalité, elles remontaient au lendemain de l'armistice, les Anglais ayant de suite engagé la lutte en Anatolie avec les premiers contingents de Moustapha Kémal.

La prise sensationnelle de Constantinople par l'armée britannique, le 16 mars 1920, l'arrestation arbitraire des députés turcs, en pleine séance du Parlement, la razzia opérée ce même jour sur tous les Turcs de marque, tout cela a groupé autour de Moustapha Kémal les honnêtes gens de son pays.

L'attaque grecque d'il y a un an, effectuée selon le mandat donné par les alliés, avec leur aide matérielle et morale, ouvrit la phrase aiguë de la lutte présente.

4

L'offensive de mars dernier dont j'ai suivi sur place le développement et les conséquences eut ce résultat de galvaniser l'élan militaire de la Turquie, de créer une armée solide, ardemment patriote, ayant en elle ce qui donne la victoire, prête à tout lui sacrifier.

(1) Voir l'Opinion du 25 juin 1921.

En Turquie, le temps des luttes diplomatiques est passé. Chacun assume sa part des responsabilités, la nôtre est grave: nous n'avons pas su protester.

En mai dernier, jusqu'au 26 juin même, l'accord franco-turc pouvait être conclu; c'était le début de la paix orientale; aujourd'hui, par le fait de l'offensive grecque et de la provocation partie d'Athènes, des forces nouvelles entrent en jeu. Bientôt, elles submergeront les hommes pleins de raison et d'énergie que j'ai vus récemment, soit à Eski-Chéir, soit à Angora. D'autres viendront, ceux-là ne voudront pas que la France reprenne en Orient son rôle de premier plan. L'influence française est encore la plus forte; méconnaissant notre propre prestige, nous donnons à nos ennemis l'occasion de redire : « Vous voyez bien, toujours à la remorque. »

La colère contre l'Europe des Alliés qui, depuis deux ans, gronde par tout l'Islam, nous menace en première ligne parce que nous avons profondément déçu tous ceux qui comptaient sur nous.

J'imagine aisément ce qu'à Angora, aujourd'hui, Kemal pacha doit entendre : « Chaque fois que vous essayez de traiter avec l'Europe anglo-franco-grecque, quel est le résultat? Une attaque plus violente que les ques autres, jusqu'à les forcer, mais il lui aurait plu de séduire celles que l'or ne pouvait corrompre ni la mort effrayer.

précédentes. Renoncez donc enfin à la chimère des solutions pacifiques ».

Les partisans de la lutte à outrance ont beau jeu aujourd'hui. Elle est plus facile à conduire que la lutte partielle. Attaquer de toutes parts, ce que soit en Afrique du Nord, en Syrie-Cilicie, aux Indes ou en Irak, c'est plus facile que de dire « oui ici mais non là ».

C'était tout récemment ; à Eski Chéir, je rentrais d'une

Il en était là, qui se laissait dévorer par l'ennui, ou, pour lui échapper, se livrait à, de telles extravagances qu'il en faisait rougir ses grenadiers, lorsque sa jeunesse peut-être ou le prestige du vainqueur émurent dans ses fibres Mlle Dé. Elle l'aima et fut heureuse; tous les phi

longue excursion dans les lignes turques et déjeunais | losophes s'accordent à penser qu'en pareil cas la honte

ouvre au plaisir de vertigineux abîmes. La triste Dalila, qui n'aurait pour un empire coupé les cheveux de son amant, si la victoire y avait été suspendue, bravait en face et sans rougir la colère de la ville. Ou si elle rougissait, c'était par un affreux orgueil, dont le mouvement devait à la fin ressembler à celui de la haine. Et sinon, si le remords la déchirait parfois, personne n'en a rien su. C'est affaire aux dieux, point aux hommes.

avec Ismet pacha, en tout petit comité. Il me disait à propos des Grecs : « Ils feront certainement une troisième offensive, peut-être une quatrième, une cinquième, je ne les crains pas; maintenant, je suis bien tranquilse. Vous avez vu pourquoi; mais que l'on se dise bien ceci en Europe: la note à payer devient considérable et ce n'est pas nous qui la règlerons. Je vous en ai fait donner les chiffres, des fantaisies semblables à celles que nous venons de subir sont un gaspillage hors de saison. Vous savez avec quel soin nous dressons la liste des dommages; encore une fois, nous refuserons d'en supporter la charge. Nous avons l'Islam entier avec

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Lorsque l'empereur de la Chine, derrière ses troupes, les plus nombreuses du monde et les mieux aguerries, s'établit dans les provinces septentrionales des pays d'Occident, il menait avec lui, pour qu'il se couvrît de gloire, l'aîné de ses fils, héritier présumé de sa couronne. Nous disons présumé au lieu de présomptif, non par ignorance, ni pour attraper, au moyen de légères altérations du vocabulaire, une couleur étrange. Les deux mots ont commune la racine, et la différence de leur signification traduit la volonté du destin. Le jeune prince, en effet, devait être banni en même temps que son père par la même révolution qui suivit chez leurs peuples étonnés la retraite d'une armée qu'ils croyaient invin

cible.

L'on ne peut encore mesurer la sincérité d'une révolte à ce point imprévue que les sages des deux mondes conseillent tous de s'en défier aux politiques responsables

Ceux de son pays, quel être au monde pourraient-Hs hair, sinon elle, qui les a tous trahis ? Quand ils versaient leur sang pour garder leur terre et sur cette terre les femmes de leur race, mères, amantes, filles, sœurs, l'une d'elles s'est librement donnée à l'ennemi. Cette chair de la patrie dont une parcelle avait fourn son corps, elle l'avait livrée à merci. Mais les soldats, ses frères, l'ont lapidée lorsqu'ils ont repris, vainqueurs, le sol envahi? Ou bien, les magistrats l'auront jetée dans une prison, ils l'ont condamnée à perdre la vie?

Les hommes du pays d'Occident ne sont pas si brutaux, encore moins leur législation. Quand les troupes sont parties, en déroute; que l'empereur de la Chine avait lancées, ils n'ont pas tué Mlle Dé. D'autres l'auraient brûlée vive. D'autres du moins l'auraient chassée de toutes parts jusqu'à ce qu'elle rencontrât sa vraie patrie, celle de l'étranger. Tranquille dans sa demeure, elle a pu vivre avec ses souvenirs. Et les jours passant, c'est elle, chose admirable à redire, qui s'est trouvée lésée par le mépris des siens. Alors elle a traîné devant un tribunal un scribe qui l'avait diffamée, M. Duh-Mur, et il a été condamné. Condamné non parce qu'il eût menti, puisqu'on avouait au contraire, et Mlle Dé la première, qu'il avait dit vrai, mais parce que toute vérité n'est pas bonne à dire, ou parce que la lettre de la loi a prononcé. Comme s'il y avait encore des lois pour Mlle Dé, comme s'il devait y avoir pour elle, dans son pays, un foyer, et seulement un lieu ?

Sur les gradins du ciel, le peuple des morts plus nombreux que les vivants, doit se demander si les hommes d'Occident ne sont pas devenus fous.

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Un café qui va disparaitre.

C'est chose résolue: un magasin de nouveautés remplacera demain le café Véron, le vieux café Véron, qui datait de la Restauration, à l'angle du boulevard

de la paix de l'univers. Mais, au moment que les signes Montmartre et de la rue Vivienne. Comme le café Va

dont nous voulons parler se succédaient au ciel, les armes n'avaient pas encore décidé.

Le fils de l'empereur montrait un visage énigmatique. Qui voulait lui plaire y voyait les traces et les lignes qui trahissent la finesse de l'esprit. Les autres découvraient, dans les mêmes marques, la ruse, la violence et la lubricité. Ainsi les rois sont-ils exposés aux jugements contradictoires, aussi bien que le commun des êtres et tout de même qu'ils le sont à mourir. Le prince de la Chine en évitait la chance autant qu'il se pouvait. Il ne visitait pas volontiers les champs de bataille, il préférait à la société des soldats brutaux, celle des filles. Il ne craignait point le scandale, mais de passer.

Or, filles et femmes d'Occident lui marquaient généralement tant d'horreur qu'il en était surpris dans sa vanité. Il en avait acheté quelques-unes, de celles qui étaient déjà vendues au passant, il en avait effrayé quel

chette auquel s'est substituée une société de crédit, le café Véron était un café littéraire, mais il offrait, pour un café littéraire, une surprenante particularité dont il n'y jamais eu, sauf lui, et dont il n'y aura jamais

a

plus d'exemple: je vous le donne en mille; on y travaillait! Au lieu de tenir ces propos contradictoires et définitifs qui attestent l'étourdissement de la jeunesse et de l'alcool, les habitués du café Véron écrivaient leurs articles et feuilletaient leurs bouquins. Plaignons

les journalistes de perdre la quiète douceur de ce décor

du Second Empire où la « copie, leur fut facile et prompte; plaignons aussi les rêveurs, les amoureux du Paris d'autrefois qui venaient chercher là images et

souvenirs.

Et pourquoi ne plaindrions-nous pas également Véron? On lui joue un méchant tour. Son nom ne dispa

raîtra pas puisqu'il y a une rue et une cité Véron, mais

il avait mérité qu'un café du boulevard nous conservât son souvenir. Comment, en effet, évoquer l'ancien boulevard, ses fastes et ses fêtes, comment lui restituer son aspect sans le remuant, le truculent, le spirituel, le gourmet, le haut cravaté Véron? Nulle chance ne lui manqua; toutes les réussites il les obtint. Avec un égal bonheur il vendit des pilules, fonda la Revue de Paris, dirigea l'Opéra, ressuscita le Constitutionnel, aborda la politique, publia romans, recueils et ces Mémoires d'un bourgeois de Paris que les éditeurs se disputèrent, que le public s'arracha, mais qui nous semblent aujourd'hui, à parler franc, assez décolorés. Véron eut des idées multiples, excellentes souvent; il s'occupa d'entreprises très diverses et les mena à bien. Bref, pour un peu, nous serions tentés de le comparer à Beaumarchais. Il n'a été que Véron; ce n'est point déjà si mal.

On répétait ses mots; on guettait ses moindres faits et gestes; on le fêtait et flagornait sans cesse; même on l'aimait. Oui, Véron qui, après sa mort, a réalisé ce tour de force de faire travailler des littérateurs réunis dans un café, a obtenu, vivant, cet autre prodige de n'être point accusé malgré la faveur du sort. Et, ce qui étonne davantage qu'un tel résultat, il n'était point indigne d'une sympathie ordinairement réservée à d'affables fripouilles. Le contentement de soi, cet épanouissement un peu vulgaire que la foule appelle bonhomie, et qui lui permet de tolérer ou de pardonner les succès dont ils naissent, exprimaient chez Véron l'optimisme de sa chance fidèle sans doute, mais aussi la joviale humeur d'un brave homme Ne trouvait-il pas le temps d'être généreux? Il épargna la misère, non sans discrétion, à beaucoup d'artistes; le premier, il favorisa le relèvement des trop modestes salaires du petit personnel des théâtres, des choristes et des musiciens d'orchestre; à la Société des gens de lettres il versa anonymement des sommes importantes destinées à des secours ou à des prix littéraires. Un brave homme, vous dis-je.

Est-ce parce qu'il fut un brave homme qu'il ne manqua même pas à ses triomphes de pouvoir conserver, quarante années durant, l'inimitable cuisinière Sophie? Il convient, au moment où và disparaître le café Véron, d'associer Sophie à la mémoire de son maître. Véron doit à Sophie un peu de sa gloire, beaucoup de ses succès, et donc il lui doit un peu beaucoup son café, sa rue et sa cité. Sophie ne se contentait pas de posséder les plus éminentes qualités du cordon bleu et de régner jalousement sur l'ordonnance de la chambre à coucher, elle s'occupait en outre du département des affaires extérieures et donnait des audiences politiques. Quand, après la révolution de février, le Constitutionnel eut pris une grande importance en soutenant l'élection du prince Louis-Napoléon, la demeure de Véron fut assaillie d'inutiles et d'importuns autant que de personnages considérables. Sophie ouvrait, recevait les visiteurs, et, madrée Normande, avec ce même flair qui rendait sa cuisine sans défaut, devinait la qualité et les intentions des nouveaux venus. En diplomate consommée elle servait auprès des humbles et des magnifiques les intérêts de son maître. Peu de gens, du reste, trouvaient grâce à ses yeux. Elle en voulait surtout à Sainte-Beuve qui avait refusé, sous des prétextes insuffisants selon elle, de faire un article dans le Moniteur sur les Mémoires d'un bourgeois de Paris et qui avait été nommé sénateur lorsque Monsieur ne l'était pas; deux griefs impardonnables! Quelle ire serait la vôtre, Sophie, si vous voyiez démolir le café de Monsieur! A. DE BERSAUCOURT.

L'abondance des matières nous oblige à renvoyer au prochain numéro la fin de l'intéressant article de M. Maurice Spronck: Le Congrès des Cheminots.

La Littérature

Paul Drouot (1)

C'était une charmant jeune homme, à la figure la plus française; il ressemblait à un mince officier. Il était un peu provincial, réservé, timide même, et comme retranché derrière un sourire aimable qu'il tendait entre les indifférents et lui, non pas ironique le moins du monde, ni froid, ni volontairement distant, mais qui élevait la même barrière qu'on dresse par des phrases de politesse conventionneile. Ses yeux clairs et comme transparents donnaient jour sur son âme, mais la préservaient autant que mille mètres de l'eau la plus pure. Il avait toujours l'air un peu préoccupé et tourné en dedans, vers quelque secret intérieur; ses poèmes nous ont dit pourquoi : il aimait, il souffrait, sa sensibilité était infinie, et il ne s'appliquait pas à la dominer le moins du monde; au contraire, il s'y abandonnait de toute sa volonté et il l'excitait contre lui-même, étant romantique et secrètement persuadé que rien n'est beau comme de souffrir. Je ne l'ai pas assez intimement connu pour me dire son ami, mais sa droiture, sa valeur, sa douceur, sa noblesse d'âme paraissaient dans toutes ses contenances, et c'était un charmant Français. Il avait publié en 1905, à 19 ans, un premier volumes de poèmes, plein de promesses, 'a Chanson d'Eliacin; puis, en 1908, la Grappe de raisin; en 1910, Sous le vocable du chêne; et il semblait vraiment le poète le plus doué de sa généra tion.

Lorsque la guerre éclata, il avait 28 ans. Il fut mobilisé au 152° régiment d'infanterie, je crois. Sa très mauvaise santé lui valut d'être proposé pour le service auxiliaire à la première visite des médecins-majors. Mais Paul Drouot était l'arrière-petit-fils du général Drouot, le « sage de la Grande Armée » : certes, a-t-il dit quelque part,

Certe autrefois dans ma famille,
On fit du pain et du bon pain.
La gueule d'un four qui rutile
A mis sa touffeur dans mon sein

Puis quelqu'un vint, qui fut de taille
A parler victoire au canon !
Depuis on entend la mitraille
Tonner sourdement dans mon nom.

Un Drouot ne pouvait rester à l'arrière quand la France était en danger. Paul demanda d'être versé dans le service armé, et il partit le 8 décembre 1914 pour rejoindre le 3o bataillon de chasseurs à pied. Le 20 décembre, il monta aux tranchées pour la première fois; mais, à peine arrivé, il y fut pris d'une si grave crise de rhumatismes, et accompagnée d'une telle fièvre, qu'on dut l'envoyer à l'hôpital pour quelques jours. Quand il en sortit, encore fiévreux, le commandant Madelin, son chef, le garda près de lui en qualité de secrétaire, et bientôt le sensible Paul Drouot se prit pour ce beau soldat d'une amitié ardente. Il l'accompagnait le jour que le commandant fut tué; c'était le 8 mai 1915, durant l'offensive du bataillon en Artois. Avec deux autres chasseurs, il alla chercher son chef hors de la tranchée et le ramena, et pour cela il fut proposé pour la médaille militaire, que d'ailleurs, on ne lui accorda pas.

Je n'ai pas la médaille, écrivit-il à sa mère. Si vous saviez combien ma citation à l'ordre du corps d'armée me fait plus de plaisir, étant plus juste, plus méritée ! Je n'insiste pas, vous me connaissez. En réalité, on donne tant de médailles

(1) La chanson d'Eliacin, La grappe de raisin (La Phalange), Sous le vocable du chêne (Dorbon aîné), Derniers vers (La belle Edition), Eurydice deux fois perdue (Société littéraire de France). Cf. dans la Revue hebdomadaire des 22 et 29 janvier 1921, une notice signée J.-L. V., et Paul Drouot et la guerre par Paul Régnier.

aux estropiés, qu'on ne peut pour ainsi dire plus en donner d'autres, sauf dans des cas très exceptionnels. Cent fois non,

Pourtant, dans cette parnassienne Grappe de raisin, il ne nous fait pas encore sentir toute la qualité de son je ne vaux pas la médaille. Qu'on la donne aux héros quoti-. talent. Il faut ouvrir Sous le vocable du chêne pour diens, perpétuels. Ma santé, mon tempérament ne me permettent pas cette continuité dans le sublime.

Voilà notre modeste Drouot. Hélas! le 9 juin, un obus tomba sur le poste de commandement où il se trouvait avec son nouveau chef de bataillon, les téléphonistes et les autres secrétaires, et l'éclat qui le frappa en plein cœur a détruit une de nos espérances françaises. Aussi bien ne célébrait-il pas lui-même prophé tiquement la beauté de sa mort, quand il écrivait en 1910 ces vers magnifiques :

Et je sentais en moi renaître, flot suave

De poudre fraîche et de vieux vin, le sang des braves
Dont nous ne portons plus aujourd'hui que le nom
Et qui, sous la mitraille et parmi le canon,
Fusillant, fusillés, repus, gorgés de gloire,
Soupiraient du souci de la seule victoire,
Marchaient jusqu'à leur dernier reste de chaleur,
Et ne tombaient que frappés d'une balle au cœur !

X

Si jamais il y eut un poète, c'est lui. Il paraît qu'on a retrouvé dans ses papiers, outre les vers d'un recueil posthume et les fragments d'Eurydice deux fois perdue, deux nouvelles, puis le début et les notes d'un roman, le Pavillon dans la rivière. On serait curieux de les voir, tant il semble que les idées et les images qui se formaient dans cette jeune tête ont toujours dû être purement lyriques.

La Grappe de raisin ne comprend que des pièces de deux strophes, et l'originalité du poète y apparaît à peine encore; mais que d'agréments déjà !

D'AVENTURE

Je suis au bord des mers un triste anachorète.
Hier j'ai parlé grec avec un vieux dauphin

Qui remontait vers Chypre. Il craignit la tempête ;
Même rocher nous abrita jusqu'au matin.

Il m'a dit de sa voix argentine et flûtée :
« Salue pour moi le caprijède et l'aegipan,
Car je fais la suprême et double traversée
Sur l'océan des eaux et sur celui des temps ».

Drouot ne sera jamais un très subtil musicien impressionniste : ce sont les mélodies de la poésie du XIX° siècle qu'il nous fait entendre. Même dans ce livre qui est, pour ainsi dire, le plus extérieur, le plus décoratif et le plus parnassien, celui où il se montre le plus virtuose, ce n'est que bien rarement qu'on trouvera des pièces de ce genre :

Je franchirai ta cour mauresque,
Maison de la plume et de l'air,
Où bombillent mille arabesques,
Divins caprices de l'éclair.

Et mon luth formera des stances
Sur tes grâces de jouvencel,
Palais qui fus par le silence
Ciselé dans un arc-en-ciel.

Non, Drouot n'est pas de ces subtils poetae minores. C'est sur la grande lyre qu'il s'est essayé dès son premier jour. Sans doute il abonde dans la Grappe de raisin en vers gracieux, en idées charmantes, comme celle-ci: Va, dit-il à sa Muse en lui avouant son impuissance et sa stérilité poétique d'un soir,

apercevoir quels étaient les trésors de son cœur. Evidemment, l'auteur de ce second recueil a connu des émotions qui l'ont bouleversé et que celui de la Grappe n'avait pas encore éprouvées à ce point: quelque amour malheureux... Mais amour et malheur, pour un Drouot, n'est-ce pas la même chose ?

X

On voit par ses lettres et par les renseignements que nous donne son biographe que Paul Drouot s'était converti en 1914 et qu'il était devenu à la guerre un catholique fervent. Ce n'est pas surprenant, de lui. Qui sait s'il ne se fût point quelque jour consacré au service de Dieu, comme on nous le fait entendre ? Ainsi il eût achevé harmonieusement sa courbe, et (qu'on excuse cette vue littéraire) le jeune abbé Drouot, après l'amant déchiré que nous allons voir, eût fait un héros parfait pour Lamartine ou pour Musset.

Lorsqu'on ouvre Sous le vocable du chêne ou Eurydice, en effet, ce qui étonne d'abord, c'est la force, la fraîcheur et la spontanéité de son romantisme. Dès qu'il s'est découvert et affirmé, l'auteur de la Grappe de raisin a retrouvé sa vraie école, qui est celle de 1830. Il sent, il chante comme elle. S'il ne nous dit pas qu'il est << maudit », c'est que, tout de même, c'est trop passé de mode; mais il ne s'en faut guère; et il se complaît dans sa tristesse, il la savoure, il s'en délecte, et l'on sent qu'il en est fier !

Pardonnez-moi ces mouvements de folie dit-il dans Eurydice. J'ai toujours été un enfant bizarre. Alors que vous tendiez aux miens vos bras gaiement ouverts, déjà je vous fuyais, je me cachais de vous pour satisfaire à l'amertume de mon naturel. Quand je pouvais saisir un instant de bonheur, je le happais si fort qu'il n'en restait dans ma main forcenée que des cris, des tourments, une douleur nouvelle.

=

Surtout, il reprend avec une fraîcheur étonnante l'équation romantique : amour souffrance. Depuis un siècle et plus, elle est devenue pour nous une sorte d'axiome, il faut bien le reconnaître. Pourtant, l'amour, c'est l'inquiétude sans doute, mais la joie n'est pas le repos parfait. On avait pensé durant des siècles qu'aimer, et avec toute la force possible, ce n'est pas exclusivement souffrir, que c'est jouir aussi, et que la passion même est une source de plaisirs autant que de douleurs. J'entends bien que de la littérature entière, s'élève un concert de plaintes et des gémissements: et ce sont les amants qui lamentent. Mais c'est que l'amour-passion en soi est le plus déplorable sujet: rien de moins esthétique; il ne devient intéressant littérairement que pour autant qu'il rencontre des obstacles; c'est son conflit, sa lutte avec le devoir, la jalousie, l'indifférence et des empêchements de toutes sortes qui captivent; satisfait, épanoui sans contraintes, l'amour est comme les peuples heureux: il n'a pas d'histoire. Les classiques l'entendaient ainsi : leurs récits et leurs drames d'amour ont, pour thème, non pas cette passion même, mais ses combats. Pourtant ils sont loin de considérer amour et douleur comme des synonymes. Ce n'est que depuis un peu plus d'un siècle, je pense, qu'on voit un être devenir malheureux du moment qu'il aime, et parce qu'il aime, et même si son sentiment n'est point contrarié, comme si l'amour, par son essence, était douleur, uni

Va montrer tes anciens colliers à ton miroir ! Mais ses strophes les plus heureuses, ses plus beaux vers sont larges et rendent les accents de la grande quement, et non douleur et joie. Mais on sait que les

poésie:

Elle bondissent par les champs, les jeunes sources,

Leurs bouches vont s'étreindre et leurs seins se confondre,
Et noblement guidées par un fleuve à l'œil vert,
Leurs cristallines voix se plairont à répondre

Aux appels tout-puissants que se jettent les mers.

romantiques ont dressé des autels à la douleur, comme à l'amour; ils ne les ont pas seulement trouvés beaux, comme on avait toujours fait, ils les ont déclarés dieux et même fétiches; et, ils ont admis que souffrir, comme aimer, marque la noblesse de l'âme. Ne nous étonnons donc pas d'entendre le romantique Drouot chanter la

<< saine >> douleur et le « saint » amour comme deux

1

génies jumeaux. Les adorer et les confondre, comme il fait, c'est devenu une règle pour nous.

X

Sous le vocable du chêne est un recueil touffu, même inégal, et supérieur pourtant à la Grappe de raisin. On y trouve parfois de cette éloquence un peu creuse ou verbeuse, et lucanienne, qui est le défaut de l'école romantique; des jeunesses aussi (les squelettes, p. 42), des préciosités tout à fait « 1816 >> (les pieds nus « qui n'ont d'aucune obscurité chaussé leur neige », p. 50); des rocailles (« à ton sol je ne puis encor rien rattacher », p. 30), etc.; et jusque dans les plus belles pièces (celle des pp. 57-60 ou les pres Souvenirs, p. 99 et siv.) des faiblesses. Mais le lyrisme et la sensibilité y emportent tout.

La valeur des idées poétiques, des trouvailles de Drouot est extrême ; parfois, ce n'est pas tant l'harmonie, le vers même qui sont beaux, que l'inspiration.

C'est mon cœur qui frémit du désir éperdu
De donner à ses battements d'immenses ailes,

dira-t-il. Ou bien ce haï-kaï :

Vous cueillez une rose, et moi, je vois la mer !
Et encore :

Bah ! quun vers soit ou non d'éternelle mémoire
Si la cendre des morts est faite de leur chair !

Sous le vocable du chêne, c'est encore un rude et ardent recueil de jeunesse. Mais Eurydice deux fois perdue, qui est de la même veine, est d'un maître.

Ce devait être une sorte de roman poétique, une suite de poèmes en prose plutôt. M. Henri de Régnier, dans la préface qu'il a donnée à l'ouvrage, l'appelle « admirable ». Il a raison. Depuis longtemps une pareille force élégiaque et lyrique ne s'était manifestée. Si Paul Drouot demeure (et je le crois), ce sera par Eurydice deux fois perdue. Et pourtant nous n'en possédons que des fragments en désordre, à peine assez pour qu'on devine l'affabulation qui devait les grouper. Peut-être Eurydice, terminée, aurait égalé, comme on l'a dit, l'Intermezzo de Heine. Il suffit d'en lire les huit ou dix premières pages sur l'attente de l'amant, qui semblent achevées, pour en tomber d'accord.

Le classement des fragments, tel que « des mains vigilantes et pieuses >> l'ont fait, paraît pourtant bien discutable; et, dans un ordre meilleur, le livre semblerait plus beau encore : de même les Pensées ont gagné, de nos jours, à être mieux ordonnées. Par cette disposition malheureuse des morceaux, le caractère du héros prend quelque bizarrerie inhumaine : il paraît souffrir et faire souffrir avec une sorte de sadisme, dirait-on pour un peu plus. Puis voilà, à la fin de la première partie, quand nous l'entendons crier son amour depuis le début, qu'il découvre qu'il aime ! Voilà... Mais c'est toute une étude critique qu'il faudrait pour restaurer Eurydice deux fois perdue. Laissons-la aux chartistes de l'avenir.

D'ailleurs, d'être ainsi, selon toute apparence, mal ordonné, le livre souffre relativement peu, car ce n'est pas l'ouvrage d'un psychologue, mais d'un poète, encore un coup, qui chante, et non d'un romancier qui analyse et conte. Paul Drouot est bien loin de raffiner critiquement sur lui-même, et d'observer ou de narrer ; il ne cherche pas à découvrir, à noter patiemment, comme l'auteur de Volupté, comme celui de Mon amour, des nuances nouvelles, des traits exquis et justes et touchants; son livre est le fruit de toutes les forces obscures qui font un poète ou un musicien, et que l'on nomme l'inspiration; c'est presque un pur cri du cœur, aussi peu que possible un effort de la conscience. Aussi peu que possible seulement, car Paul Drouot, certes, ne s'abandonne par lyriquement, comme

un Guillaume Apollinaire et tant d'autres jeunes « poè

tes >> vagissants d'aujourd'hui : il sait que l'art résulte de la soumission de l'inspiration à une discipline stricte, et d'abord à celle du langage ; il contraint durement ses plaintes et ses cris à se modeler en paroles, et clairement enchaînées; il veut que sa musique intérieure prenne une forme intellectuelle et plastique; il coule son sentiment dans le moule de la raison : c'est ainsi qu'il crée sa statue. Mais eile est toute faite d'émotion et de musique, et elle vibre et frissonne à l'air comme une flamme qu'on aurait sculptée.

Chacun de ces morceaux, ou plutôt chacune de ces notes (car nous n'avons pas le droit de considérer ces pages comme achevées, et nous ignorons si un tel artiste n'aurait su leur donner une beauté supérieure encore) est un poème ; et rien de plus propre à faire sentir comment un poète et un prosateur conçoivent différemment le même objet que ces proses de Paul Drouot. Lui, il est là, comme un saint Sébastien transpercé par les mille flèches de ses impressions, et qui n'explique pas sa passion, qui l'exprime, qui la parle :

Déjà, debout, les yeux collés aux folles vitres d'un rapide, tu as observé les brillants fils télégraphiques. Un cœur calme (le chef de train) ne s'aperçoit de rien, mais Toi ! Tu les as vus haleter, s'éparpiller, transir, bondir comme un archet sur la chanterelle de l'horizon. Ils meurent, tournoient, ressuscitent, touchent le sol, le ciel, battent l'air. Ils fléchissent, s'étalent, sursautent ; et chaque poteau flagellé résiste et tremble. Plus haut, plus bas, plus haut qu'il ne faut, jamais remis de leurs fatigues, dispos ou non ! La danse et le vin les animent, ou ce rythme inventé par moi! Ils crient et nul ne les entend ! Ils saignent, et l'on voit au travers l'herbe, les marronniers, les villages, les meules, la nuit, et le parfait éclat des astres !

Ce n'est pas un virtuose sans pareil, comme Jules Tellier, comme Toulet, qui, sa pensée fixée, en combi ne les mots à froid avec un art merveilleux. Il cloue son

sa

sentiment tout vif, comme un papillon palpitant sur planchette; tout son effort est à puiser dans sa vie affective profondément, et toujours plus profondément, puis à traduire en langage clair ses trouvailles, à no us communiquer ses vibrations, ses concordances mystérieuses. Car toujours il s'arrête au point exact au delà duquel son expression, trop personnelle, deviendrait incompréhensible, et c'est là où il diffère de nos jeunes << poètes >> de l'inconscient. Il n'est que hardi, il n'est pas obscur, quand il dit :

Ah! l'été pour un homme du Nord [...] et le trépignement, la rage, l'insomnie, quand la nuit, dans la saison agissante, tord sur les moissons son corps de juive jusqu'à ce que le coq crie : « L'aurore ! » L'aurore ; et elle s'avance, coiffée de clochettes et de fils de pourpre.

Tel est ce poète. De sa lutte pour rendre mélodie usement et clairement le plus passionné de lui-même résulte la beauté de son œuvre. Eurydice deux fois perlue, ce sont les battements mêmes d'un grand cœur, mais transposés dans notre langue commune. Les fragments que j'ai cités sont des moins touchants; c'est par hasard. Il ne se peut qu'on lise dix pages de ces chants d'amour et de douleur sans être profondément ému. JACQUES BOULENGER.

Post-scriptum. Dans un article paru ici le 28 mai, j'ai rendu compte (assez pauvrement) de l'un des premiers livres de M. Charles Maurras, qu'on vient de réimprimer, le Chemin de Paradis. J'ai dit que « ordinairement la critique néo-classique ne nie pas la beauté de ce qui contredit sa morale » ou plutôt sa politique, car « des esprits aussi fins et cultivés que M. Maurras et M. Lasserre sont incapables de ne pas voir la beauté où elle est »; mais qu'elle paraît fort influencée par des considérations d'utilité, et qu'on en a bien le sentiment quand on lit, par exemple, telle note du Chemin de Paradis où Nietzsche est dédaigné et même ignoré d'une façon surprenante.

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