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Si ralenti que fût le train de l'auto, le massif fut tourné, l'allée montante gravie en quelques secondes. Philippe se trouva devant le logis, devant le porche à quatre colonnes, à fronton grec.

On était prévenu, les domestiques avaient des ordres. Le majordome se tenait au bas du perron. Philippe crut le reconnaître, mais c'était peut être une fausse réminiscence. Près de lui se tenait un domestique français.

- Si elle était morte, pensa Philippe, ils me l'auraient déjà dit.

Il reçut presque aussitôt une réponse indirecte à la question qu'il n'avait pas posée. On lui dit qu'on allait faire monter ses bagages dans la chambre qui lui était destinée et qu'il ne pourrait sans doute être admis auprès de mademoiselle qu'à une heure assez tardive : elle demeurait maintenant jour et nuit dans l'atelier et, pour le moment, y reposait. Madame la comtesse, ellemême très fatiguée, ne pouvait descendre: elle faisait la sieste. Elle avait donné ordre avant de s'endormir que l'on préparât pour monsieur une collation qui était servie dans la salle à manger, où il pouvait se rendre d'abord, s'il lui plaisait.

It signe que oui. Il crut entendre, venant du plus lointain, de l'outre-tombe de sa mémoire, la voix grave Je Zosia :

...Le grand couvert est dressé tous les soirs et ous les matins. Ou plutôt, jamais on ne l'enlève, même quand nous sommes absentes : c'est pour les pèlerins, c'est le vieil usage du pays.

Philippe entra dans la salle immense, et si haute! Le couvert, en effet, selon la coutume antique et touchante, était dressé comme il l'avait vu jadis, avec les -lourdes argenteries et les quarante sièges rangés autour

de la table.

... Vous avez raison, nous ne pouvons pas dîner aici tous les deux tout seuls...

bout de la table. Il lui semblait être arrivé le premier Il était encore plus seul... Pourtant, il prit place, au pour un repas funèbre.

Celui

...Aujourd'hui cependant un pèlerin est venu.
que l'on n'attendait pas est venu...

Il avait faim, il se mit à manger, machinalement. Puis, il prit garde qu'afin qu'il ne s'ennuyât point trop, on avait posé près de lui les journaux du jour.

D'ordinaire, quand il était à l'étranger, Lefebvre, peu curieux de n'avoir que des nouvelles de la veille ou de l'avant-veille dans ses journaux de Paris qu'il faisait suivre, prenait la peine de lire chaque matin une feuille locale. Ayant beaucoup voyagé, il était assez polyglotte pour comprendre les dépêches d'agences en n'importe quelle langue; et il savait mieux, en particulier, l'allemand qu'il n'en voulait convenir : il appartenait à cette génération d'après 1870 à qui on avait persuadé qu'il suffisait d'apprendre la langue de nos ennemis pour reconquérir au plus tôt l'Alsace et la Lorraine. Philippe, néanmoins, répugnait à lire l'allemand autant qu'à le parler et, pour la première fois sans doute de sa vie, ne s'était pas tenu au courant des nouvelles

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depuis tantôt trois jours. Il continua de prendre sa collation et de ne point toucher aux journaux allemands. Tout d'un coup il s'avisa qu'une telle puérilité était peu digne de lui: ne fût-ce que pour cette raison, il se serait obligé de lire ; mais il fit réflexion que l'ignorance de ce qui se passait dans les deux mondes, le défaut d'information étaient probablement les seules causes du malaise qu'il ressentait, et qui ne pouvait manquer de se dissiper dès qu'il jetterait les yeux sur une gazette.

Au fait, il était en territoire autrichien, tous les journaux étaient autrichiens, non pas allemands. Cette circonstance diminuait fort le mérite de la mortification qu'il s'était infligée pour sa petitesse d'esprit. Il le regretta, haussa les épaules: il parlait rarement seul, Enfin, il déplia un de ces journaux, le premier venu, mais faisait volontiers des monologues par gestes. au hasard; et il lut en tête, en caractères gras, l'ultimatum de l'Autriche à la Serbie, signifié à cette heure même. Il demeura frappé de stupeur. Puis il reprit connaissance, comme après un évanouissement. Il fut dans un état de lucidité, de certitude, et il murmura au-dedans de lui-même, car ses lèvres ne remuèrent pas : La guerre, la guerre, la guerre...

Il n'avait pas même tressailli. Son visage était impassible, comme pétrifié. Il le savait. Et cependant il brusques et interminables qui souvent annoncent le lui semblait qu'il venait d'avoir un de ces frissons début d'une grande maladie.

- La guerre, la guerre, la guerre...

Les écrivains sont parfois en butte à de bizarres associations d'idées que leur suggère une forme de phrase. Dieu sait si Lefebvre était en ce moment à cent lieues de la littérature: ce mot, répété trois fois, qu'il l'eût articulé ou pensé, lui en rappela un autre, répété trois fois, et le premier chapitre de la Fille Elisa, parue un peu avant qu'il connût Goncourt:

« La mort! la mort! la mort! cela, dit tout bas, court « les lèvres, et, gagnant de proche en proche, le mur« mure d'effroi, pareil à un écho qui se prolonge indé<< finiment, redit longtemps encore aux extrémités de la <<< salle « la mort! la mort! la mort! >>

Cette fois, il tressaillit; le domestique français venait, sans qu'il l'entendit, de rentrer dans la salle, et disait : Mademoiselle ne repose plus. Si monsieur veut

monter...

On n'eut pas besoin de lui montrer le chemin il le connaissait. Il se dirigea sans hésiter, sans vouloir, et le mécanisme de sa démarche se communiqua, par une réaction ordinaire, à sa conscience. Il imaginait fortement le spectacle qu'il allait tout à l'heure avoir devant. les yeux, soudain, quand la porte de l'atelier s'ouvrira.t. Il savait aussi que son cœur se glacerait instantanément, cesserait de battre, et qu'il aurait beau se roidir, il tomberait en syncope. Mais ce qu'il vit fut si différent de ce qu'il était préparé à voir, qu'il n'éprouva rien de ce qu'il était préparé à sentir.

Le décor même était modifié; quelques transpositions de meubles suffisaient à égarer sa mémoire minutieusement fidèle, mais d'autant plus facile à désorienter. Les statues ébauchées et le grand piano avaient disparu; l'orgue ne semblait avoir été laissé là que parce qu'il était immeuble par destination, et l'on avait tenté de mettre un peu d'ordre parmi les costumes anciens, jetés sur tous les sièges comme autrefois. On avait surtout rangé ou dérangé les choses pour faire de la place au grand lit de repos où Zosia était étendue. Des tables, chargées de fioles, l'entouraient, et cinq ou six chevalets sur lesquels étaient posées ses dernières toiles, inachevées, entre autres un portrait d'elle-même, blanc et gris.

Au plafond très élevé, comme une voûte d'église, les étendards, les bannières, les oriflammes demeuraient comme autrefois suspendus et faisaient un baldaquin de gloire à ce lit bientôt funèbre. Ils étaient splendides, de couleurs violentes bien que passées, et le lit, si blanc qu'il paraissait lumineux; et l'on devinait que ces effets de couleurs et de lumière factice étaient la dernière idée de peintre de celle qui agonisait là. On devinait que c'était à dessein, après mûre réflexion, que pour mourir elle s'était habillée d'un fouillis de dentelle, de peluche, tout cela blanc sur blanc, mais de blancs divers, afin, comme elle le dit plus tard à Philippe, que « l'œil s'en dilatât de plaisir ». Elle-même, parmi ces blancheurs, était presque moins blanche, et en lui voyant si peu le teint d'une mourante, malgré tant d'autres signes qui ne trompaient point, Philippe fut réconforté. Il eut l'espoir, peut-être égoïste, d'un sursis.

Depuis des années il n'avait pas revu Zosia. Que d'hommes ont vécu, et que d'écrivains ont écrit, la scène des amants qui après une longue séparation se retrouvent, marqués par l'âge ou par la mort prochaine! C'était bien cette scène-là que Philippe s'attendait de vivre à son tour, et ce fut pour lui une surprise étrange - il ne se rendit point compte d'abord si elle était plus douce ou plus cruelle une surprise de voir que ni elle ni lui n'avaient la figure qu'il faut pour la jouer. Il avait une conscience physique de sa propre jeunesse privilégiée, et Zosia, diminuée par la maladie, était miraculeusement redevenue la petite fille que jadis il avait rencontrée au grenier d'Auteuil. Il crut que ses larmes. allaient jaillir. Il retrouvait leur double jeunesse en présence de la mort, leur dernière entrevue était comme une réplique de la première; et cela, oh! oui, décidément, cela était bien plus eruct que les visages ravagés et les cheveux gris.

Dès qu'il avait pénétré dans l'atelier, Philippe avait eu le regard attiré par l'apparition lumineuse, Zosia, claire et blanche, lui était apparue dans son cadre; puis, comme si un éblouissement avait rétréci le champ de sa vision pour n'en laisser demeurer que le centre, il n'avait vu que Zosia parmi une clarté blanche que nul contour ne limitait plus. Cela s'était fait en une durée inappréciable. Toutes ses émotions, il les avait aussi ressenties ensemble et dans un seul instant; mais elles étaient si diverses, si nombreuses et si riches, qu'elles lui donnaient l'illusion d'un temps considérable écoulé; et il lui semblait extraordinaire de n'avoir pas trouvé un seul mot à dire en un si long temps. Il n'avait eu cependant le loisir que de parcourir à peine la moitié de la distance qui le séparait de Zosia. Il s'avançait vers le lit, d'un air très naturel, même en souriant. Elle souriait aussi, sans joie trop vive de le voir, sans trop de mélancolie non plus. Elle lui tendait la main, qu'il put enfin atteindre, qu'il prit, qu'il baisa; et comme il se penchait, elle déposa un baiser léger sur ses cheveux. Qu'il lui savait gré d'être si peu effrayante et de ne pas rendre cette suprême entrevue trop pathétique! Elle lui fit signe de s'asseoir près d'elle et lui indiqua d'un mot, << maman », la vieille comtesse qu'il n'avait pas d'abord aperçue.

Philippe ne la reconnut pas. Elle était toute petite elle aussi, au fond d'une grande bergère, « abîmée dans sa douleur », disait en souriant Zosia, qui retrouvait la force de plaisanter dès qu'elle retrouvait celle de parler. Mais heureusement mère-comtesse ne poussait pas ses ordinaires lamentations: elle n'était capable de plaindre que les maux imaginaires, et les siens le réel n'avait aucune action sur sa sensibilité; elle était,

pour le moment, dépouillée de tout son ridicule qui, cette fois, eût été trop odieux. Quand Philippe alla lui baiser la main, elle ne lui fit qu'un signe de tête, soit qu'elle n'eût la force de rien dire, ou que le médecin eût défendu fatiguer Zosia par aucun bruit. Phi

lippe, en effet, après qu'il fut installé, ne parla presque plus. Les paroles, rares, tombaient dans le grave silence, de loin en loin.

Zosia dit à Philippe, en montrant son portrait, et avec une expression de rancune qui lui rappela les jours passés :

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Je ne le finirai pas...

Il se rappela l'autre portrait, le « double portrait »>, et les mots étranges, fatidiques, qu'un jour, tandis qu'il posait devant elle dans l'atelier de Paris, elle avait prononcés :

Banville me disait une fois chez Goncourt : « Comment, mademoiselle Wieliczka, vous avez la prétention de faire le portrait des autres? Mais les peintres ne font jamais que leur propre portrait!» Je regardais en moimême, j'y relisais ma condamnation. Et puis j'ai levé les yeux... et j'ai cru regarder encore en moi... tant vous aviez... ma pauvre figure!... Alors, vite, je me suis remise au travail... pour attraper ça... pour faire, non pas votre portrait le mien.

Et Philippe, les yeux fixés sur cette ébauche, qui ne devait jamais être achevée mais qui était saisissante, qui était vraiment, celle-ci, l'image d'une condamnée, instinctivement y cherchait une ressemblance de sa propre figure et un signe de sa propre condamnation. Il n'y retrouvait plus rien. Tout lien était donc rompu entre lui et Zosia. L'étrangère lui était devenue étrangère, moins par le divorce de la mort que par une raison plus intime et plus mystérieuse : elle avait un autre visage, et lui, il avait toujours le même. Sur cette toile tragique, les deux anciens amants ne se ressemblaient plus.

Seul, le regret de l'œuvre abandonnée, qui se lisait dans les yeux de Zosia, ou que, plus rarement, elle avouait d'une phrase sèche, rompait le sentiment d'une résignation trop facile, trop chrétienne, et mettait ici les ombres de la mort. Autrement, les longs silences mêm n'avaient rien de trop douloureux. Il semblait que plaisir d'être tout près l'un de l'autre, de se voir, su à Zosia et à Philippe, et que nul désir ou nulle conve nance les obligeât de se parler quand ils n'avaient rien d'utile à se dire. Les domestiques allaient et venaient

à

pas sourds. Il vint même une ou deux visites, sans que la conversation s'animât. Un haut fonctionnaire, le comte Zecki, que la comtesse présenta à voix basse, trouva même moyen de séduire Philippe par ses grandes manières et son exquise politesse, presque sans dire un mot.

Peu après que ce comte Zecki se fut retiré, Zosia parut s'assoupir. La comtesse Wieliczka fit d'un regard comprendre à Philippe qu'il ferait mieux de se retirer aussi. Quand il s'approcha d'elle pour prendre congé, elle lui dit tout bas qu'il devait être fatigué du voyage, qu'on allait le conduire à sa chambre où on lui servirait le thé, et ce soir le dîner s'il préférait ne pas redescendre. Derrière la porte se tenait un valet de pied, qui l'accompagna jusqu'à l'étage supérieur.

La chambre, située au-dessus de l'atelier, avait, sauf la hauteur, les mêmes dimensions et était meublée, comme plusieurs autres pièces du château, de ces meubles amples et lourds qu'on fabrique à Budapest. Le lit, notamment, avait on ne sait quoi de funèbre à force d'être monumental; mais Lefebvre y prêta peu d'attention. Il alla droit vers la fenêtre, qui était grande ouverte. Il savait bien le paysage qu'il allait voir, et vers lequel, un soir de jadis, il s'était penché, lorsque s'avançant derrière lui, l'enchanteresse étrangère doucement l'avait emprisonné entre ses bras. Ii savait qu'il allait voir, non plus sous les rayons de la lune : aux feux noirs, resplendissant comme un miroir magique et où du soleil déclinant, le grand lac environné de sapins flottaient des cygnes endormis, mais qu'il l'allait voir, cette fois, terriblement seul et libre.

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Comme il admirait, avec plus de curiosité que de tristesse, le paysage romantique, aujourd'hui désenchanté, de son amour ancien, il eut le sentiment que l'une encore de ses existences, à cette heure précise, finissait, c'était plus cette fois-ci qu'un événement de son histoire privée, et que même la mort d'une créature charmante qu'il avait aimée n'avait pas assez d'importance pour dater une telle époque.

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que

Et brusquement, comme ce matin, il crut entendre les mots qui avaient résonné dans le silence de son esprit au moment qu'on l'avait appelé au chevet de Zosia : -La guerre la guerre ! la guerre !

Brusquement il se rappela ce qu'il avait lu dans un journal, avec la stupeur d'avoir pu si totalement l'oublier pendant sa station près du lit.

Un coup léger fut frappé à la porte. Tout prenait pour lui un caractère si singulier, fantastique, qu'il frissonna. Il dut faire sur lui-même un grand effort pour répondre d'une voix naturelle :

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Il eut la surprise de voir paraître le comte Zecki..

Il le salua poliment, mais avec froideur, et un air de méfiance involontaire, parce que le sentiment lui revenait, qui l'avait préoccupé durant tout son voyage, d'être lui-même l'objet d'une injustifiable méfiance. Il ne put prendre sur lui de dire au comte même un mot banal et il assena à ce visiteur imprévu un regard hautainement interrogant qui signifiait de la façon la plus elle claire:

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Le comte Zecki, en revanche, malgré ses allures de grand seigneur, paraissait humblement reconnaître la fausseté de sa situation. Il s'en tira comme les bien gens Ent élevés se tirent des plus mauvais pas et ne se fit point prier donner avec réserve, mais sans aucune préaution oratoire cauteleuse, les explications que Phippe prenait l'air d'être en droit d'exiger de lui.

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Monsieur, dit-il, après avoir accepté le siège qu'on lui indiquait d'un simple geste de la main, je vois que ma visite vous étonne. La démarche que je considère comme un devoir de faire en ce moment auprès de vous test encore infiniment plus délicate que vous ne sauriez ctic'imaginer, vous vous en rendrez compte tout à l'heure,

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Ma conscience était partagée entre deux devoirs. Le pe premier, auquel je cède, est un devoir d'humanité, que preme conseille en outre une estime ancienne pour votre personne et une sympathie, toute récente, mais très vive. Philippe s'inclina, sans trop de cordialité, en attente, dpresque en défense. Le comte poursuivit,:

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L'autre devoir... Je sais que vous êtes fait pour le comprendre, pour apprécier certains... scrupules.... et j'espère que, tout en me désapprouvant peut-être d'avoir trahi pour vous... un peu trop tôt... d'ailleurs sans conséquences possibles... certains secrets... peut-être aussi me saurez-vous gré de l'avoir fait... pour vous.

Je vous demande pardon, dit Philippe d'une voix blanche, je ne comprends pas du tout.

-Monsieur, dit le comte Zecki, si gêné qu'en dépit de son aisance naturelle il baissait les yeux, vous avez lu les journaux ce matin ?

-L'ultimatum? dit Philippe.

Ils se turent tous deux comme par convenance, moins - Cest la guerre, dit le comte encore plus bas. d'une minute, mais ce silence leur parut éternel. Puis, d'un même mouvement, ils relevèrent les yeux, et ils échangèrent un regard plein d'une immense pitié, qui

pouvait encore leur être commune. Philippe fut tenté de lui dire :

"La guerre entre l'Autriche et la Serbie seulement? » Puis il sentit, la vanité de cette question, et ne la posa point. Ses yeux cependant la posèrent, et les yeux

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de son interlocuteur lui donnèrent seuls la réponse dont il ne doutait pas.

Il eut soudain la notion de son immense éloignement, du danger, encore inconcevable il n'y a pas vingt-quatre heures. Il se vit empêché de rentrer en France librement, bloqué en pays ennemi... Et au même instant, il entendit, comme de très loin, le comte lui dire :

Monsieur, je vous parlais tout à l'heure de la sympathie personnelle que vous m'inspirez. J'ai encore le droit... pendant bien peu de temps, hélas!... de vous parler... sans que cela vous soit odieux... de celle que j'éprouve pour votre noble pays. C'est de ce sentiment que je m'autorise pour vous prier, pour vous supplier de partir sans délai. Dieu veuille qu'il vous soit encore possible de traverser l'Allemagne! Permettez-moi de régler moi-même ces détails. Il faut que demain matin à la première heure...

Sur un geste de Philippe, qui signifiait clairement : « Je ne peux pourtant pas partir sans prendre congé... » il dit :

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Vous trouverez demain dans la voiture, dit le comte, un sauf-conduit qui, je l'espère, vous suffira. Il se leva aussitôt, ayant dit ce qui était nécessaire, et ayant horreur des mots superflus Philippe ne jugea point superflu de le remercier et s'inclina, mais mais ne trouva pas d'expressions. Ils. s ne savaient comment se quitter. Le comte Zecki, après une longue hésitation,.

murmura :

Monsieur, nous allons assister à de terribles choses. Et les yeux de cet homme glacé s'emplirent de larmes. Philippe hocha simplement la tête. Ils se tendirent courtoisement la main. Le comte sortit.

Philippe n'éprouvait aucune émotion petite, ni même rien de comparable à ce que les hommes appellent, dans. le train ordinaire de la vie, une émotion. Il était, malgré l'absence de tout témoin, soucieux de garder une attitude convenable au grandiose, à la prodigieuse majesté des événements, où subitement, sans initiation, et ainsi que par une porte qui se fût ouverte devant lui, il en trait comme dans un temple.

Il demeura quelques secondes à la même place, immobile, après que le comte fut sorti, comme s'il eût médité profondément; mais il ne pensait à rien. Puis, après avoir fait une grande aspiration, à pas lents, toujours pensif et ne pensant point, il retourna vers la fenêtre.

Les sentiments les plus fugitifs, qui durant de longues années ne sont pas revenus à la surface de la mémoire et semblent pour jamais abolis, peuvent toujours, sous l'influence d'un événement extraordinaire, ressus citer.

Il se rappela... La première fois qu'il s'était, avec Zosia, approché de cette fenêtre, il avait un moment; par un caprice de sa fantaisie, espéré qu'il allait découvrir de là un de ces beaux jardins à la française bien ordonnés, où jadis, pendant des heures, il regardait jouer Rex enfant.

Et cette fois, le temps d'un éclair, il vit ce décor qu'il avait rêvé, qui effaça le décor réel qu'il avait sous les yeux, les sapins noirs, le lac romantique, les cygnes endormis. Il vit Rex, depuis tant de mois oublié, presque ennemi; et il reconnut le fils de son sang, de son cœur français. Il comprit que le long duel de Rex et de Zosia était fini, et que ce n'était pas seulement parce qu'elle allait mourir que l'étrangère était vaincue. ABEL HERMANT (A suivre.)

LETTRES

Feuillets de la Semaine

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Mecislas Goldberg Personne ne se souvenait plus de celui qu'aux environs de 1900, on voyait errer au quartier coiffé d'une manière de chechia et habillé d'une blouse russe recouverte d'une pélerine. Il allait le corps maigre et tordu, appuyé sur sa canne, hideux de visage et très sale. Son premier livre l'Immortalité de la science date de 1895, c'est-à-dire de l'année même où il eut ce fils voleur dont l'arrestation a remis pour quelques jours l'étrange père à la mode.

Libertaire, poète mêlé au mouvement décadent, grand tapeur et habitué de toutes les tavernes de la rive gauche et de Montmartre, il a écrit une douzaine de volumes: Vers l'Amour, Lazare le Ressuscité, Parmi les Sources, Puvis de Chavannes, Lettres à Alexis, Deux Poètes Régnier et Moréas, Prométhée repentant, Fleurs et Cendres, Impressions d'Italie, De l'esprit dialectique.

De 1900 à 1904, puis un peu avant sa fin, il publia des Cahiers, des vers et l'exposé de ses théories sociales et artistiques.

En 1907 il corrigeait sur son grabat les dernières épreuves de la Morale des Lignes où il étudie les dessins de Rou veyre, quand il s'éteignit après avoir jurse ta mort qui risquait de l'emPêcher de terminer son ouvrage.

Celui-ci fut luxueusement édité avec de nombreux tirages spéciaux et orné d'un portrait du dessinateur par La Gandara.

Mecislas Goldberg n'intéressait plus que les collectionneurs de livres rares.

:

Les Académies

Paris compte sept grandes Acadé mies les cinq qui forment l'Institut de France, puis l'Académie de médecine et l'Académie d'agriculture.

Ces deux dernières prennent des vacances en août et septembre. A l'Institut, l'autre jour, M. Lépine essaya de suggérer à ses confrères de l'Académie des sciences morales et politiques l'idée de prendre des vacances. Ce fut un beau tapage!...

On sait que chaque Académie de l'Institut de France dispose pour chacune de ses séances d'une somme fixe que l'on répartit entre les membres présents quel qu'en soit le nombre. En été, il y a beaucoup d'absents, et le « jeton » devient intéressant. Faut-il voir là le motif de l'opposition aux vacances qui s'est manifestée jusqu'ici dans les cinq classes de l'Institut ?

Peut-être. En ce cas, il y aurait un moyen de tout arranger. Il suffirait de suivre les errements de l'ancienne Académie française qui jamais, même aux temps où elle prenait des vacances, ne lâcha le jeton.

Le maréchal de Duras, après sa démarche à Versailles, avait écrit à d'Alembert: « J'ai pris le Bon du Roi pour les deux mois de vacances ».

L'Académie ne perdait rien à aller

aux champs. Avant de partir, elle avait décidé qu'attendu les deux mois de vacances de septembre et d'octobre le droit de présence pendant les deux mois de novembre et de décembre sera double, c'est-à-dire 80 jetons par séance, soit deux jetons par séance pour chacun des Quarante.

M. Lépine avait bien pense aux vacances, mais il avait oublié les jetons. Il n'est que de s'entendre.

Monument Alfred Mezière

Un comité s'est constitué pour élever un monument à Longwy à Alfred Mezière qui mourut pendant la guerre, non loin de cette petite ville dans sa maison de Rehon.

MM. Millerand, Poincaré, Paul Deschanel, Léon Bourgeois, Raoul Perret sont les présidents d'honneur de ce Comité dont l'appel est émouvant.

L'histoire de l'art

Du 26 septembre au 5 octobre prochain aura lieu à la Sorbonne, le Congrès de l'Histoire de l'art organisé par la Société de l'Histoire de l'art français. La Belgique, l'Angleterre, les Etats-Unis, le Japon, l'Italie, l'Espagne, la Chine, la Pologne, la Finlande, la Norvège, etc., seront représentés.

Le Congrès s'intéressera à toutes les questions concernant l'histoire de l'art du moyen âge aux temps modernes dans tous les pays.

Guérande et l'abbesse de Guérande

Tout éloignée qu'elle soit du monde par ses vieux remparts et son désert de marais salants, la petite ville de Guérande a fini par connaître le roman de M. Le Goffic. La noblesse guérandaise est tantôt flattée, tantôt piquée d'avoir servi de jouet à l'imagination d'un grand écrivain. On veut qu'il ait édifié le roman sur de vraies histoires : on se montre du doigt, sous les arbres du Mail, la véritable Mme du Metz ou l'authentique Mme de Sonil; les médisances et les jugements téméraires vont leur train. Les revues qu'on joue sur les plages voisines de la Baule et du Pouliguen sont des suites de l'Abbesse de Guérande. Et voici qu'un de ces derniers dimanches, dans la chaire. Saint-Aubin, M. le premier vicaire de Guérande a interdit aux paroissiens la lecture de ce roman. Depuis lors, c'est un vrai délire; après la noblesse, ce sont les petits bourgeois qui veulent connaître leur portrait les jeunes filles du patronage se cachent pour lire le livre défendu et les paludiers, qui ont cette année du sel à revendre, font avec M. Le Goffic leur apprentissage littéraire.

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vous savez bien le roman qui se passe dans ce pays-ci.

Non, monsieur, vous répondra t-elle d'un air offusqué nous ne vendons point Balzac, car Balzac est à l'in dex.

N'essayez pas de répliquer, d'allé guer les nouvelles lois de l'Eglise, qui ne condannent plus in odio auctoris ; en vain citerez-vous les écrits de Rome et vous écrierez-vous: Odiosa sunt restringenda !

Madame la libraire vous traitera de païen. Mais, en revanche, elle vous offrira aussitôt l'Abbesse de Guérande. Cette brave femme se souvient des lois anciennes de l'Index pour les livres qu'elle n'a pas en magasin. Mais elle oublie les ordres de M. le vicaire pour ceux qui se vendent bien...

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• New-York, Boston, Chicago et quelques autres villes, disait-il, ont a leurs théâtres et concerts mais partout ailleurs on s'ennuie colossale <ment... Il y a des villes d'un million • d'habitants dont la pauvreté intellectuelle est incontestable. C'est pourquoi les gens sont heureux quand on « leur donne une raison de s'enthousiasmer et ils le font, alors, avec une • monstrueuse intensité.

« Ceci est vrai surtout des femmes « qui dominent littéralement toute la ⚫ vie de l'Amérique. Les hommes ne • s'intéressent absolument à rien. Ils < travaillent comme je n'ai jamais vu ⚫ travailler nulle part. En dehors de cela ils ne sont que les jouets des • femmes qui dépensent tant qu'elles peuvent et s'enveloppent dans un brouillard d'extravagance. Elles font

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tout ce qui est en vogue et maintenant, tout à fait par hasard, elles se sont jetées sur le thème de la relativité à la mode...

Je crois vraiment que c'est le caractère mystérieux de ce qu'elles ne peuvent comprendre qui les tient sous le charme magique...

Mes impressions de la vie scientifique en Amérique ? J'ai rencontré avec grand intérêt plusieurs professeurs extrêmement méritoires; mais comparer la vie scientifique américaine en général à celle de l'Europe est parfaitement ridicule ».

Il est à peine besoin de dire que des opinions si peu flatteuses ne sont pas passées inaperçues aux Etats-Unis.

Les mémoires de Casanova

On sait que le fameux Don Juan du XVIII siècle, écrivit en français ses souvenirs, mais le texte publié jusqu'ici en France est, plus ou moins, une adaptation d'un arrangement allemand du manuscrit.

Le propriétaire de ce dernier, M. Brokaus, l'éditeur de Leipzig bien connu, étant mort récemment, on dit que ses héritiers seraient disposés à laisser publier enfin une édition authentique.

La promotion de l'Instruction publique récemment parue répare des injustices vraiment stupéfiantes.

Croirait-on que M. René Boylesve n'était que chevalier, et que notre collaborateur Henry Bidou ne l'était point, non plus que M. Pierre Lasserre ?

Félicitons-nous d'avoir un ministre mieux au courant des valeurs que la plupart de ses prédécesseurs. Sa promotion est très bien. MM. André Beaunier, Antoine, Lugné Poe sont officiers : c'est parfait. M. Louis Artus l'est aussi, M. Georges Courteline est commandeur, MM. Emile Moreau, Clément Vautel, Raymond Escholier, Louis Sonolet, écrivains, Philippe Gaubert, Florent Smidt, musiciens, sont chevaliers : bravo. On a également décoré Mlle Jeanne Granier, artiste lyrige et dramatique.

Une heureuse innovation La Bibliographie de la France, organe hebdomadaire du Cercle de la Librairie, indiquera désormais pour tous les ouvrages nouveaux la cote qu'ils auront reçue à leur entrée à la Bibliothèque Nationale. Innovation heureuse, que tous les travailleurs apprécieront, mais qui ne les empêchera pas de regretter la déplorable économie budgétaire réalisée par le Parlement en refusant les crédits nécessaires à la continuation de la publication du catalogue de la Bi

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manqué devoir renoncer entièrement à leur art. On n'ignore pas l'énergie du sculpteur Réal del Sarte, amputé d'un bras après avoir été blessé aux Eparges. Le cas du peintre Grassin est resté plus secret, il mérite cependant d'être aussi connu que le précédent.

Alexandre Grassin est le né le 31 juillet 1883 à Courcival, petite commune de la Sarthe, perdue dans les bois. Son père, homme pratique, ne voulut rien entendre quand son fils lui déclara qu'il voulait être peintre; le peit garçon ne savait pas lui-même très exactement ce que c'était au juste.

On lui fit apprendre la lithographie à Paris, et c'est parmi les rares loisirs de son apprentissage qu'il apprit le dessin et la peinture, travaillant le soir dans les Académies, conseillé par l'un, corrigé par l'autre, et se formant peu à peu devant la nature et par la réflexion. Les peintres qu'il aime sont les primitifs italiens et français. Il a beaucoup goûté Millet; mais, m'écrivait-il a Celui que j'aime de toute mon âme, c'est le simple,le grand régénérateur de la fin ture moderne, Paul Cézanne : je vénère la mémoire de l'homme et son œuvre. D

Cette influence de Cézanne ne lui a pas fait perdre sa personnalité. Ses paysages de la Sarthe et de la Bretagne sont, certes, synthétiques, pour employer un mot à la mode, et résument la réalité dans ses masses et ses granis plans, mais le coloris reste gai et nuancé. Cette synthèse ou ce résumé, comme vous voudrez l'appeler, n'est pas nuclque chose d'ennuyeux ou de scolaire, mais une image claire de la réalité telle que tout le monde la voit.

En 1914, Grassin partit comme tout le monde, il fut grièvement blessé à L'épaule droite, devant la Targette, le 6 octobre 1914; il lui fallut deux ans de soins continus et une force physique remarquable pour parvenir à se rétablir. Grassin a cependant perdu l'usage presque total du bras droit, avec lequel il ne peut plus peindre. Il lui a fallu éduquer sa main gauche : 'amour de son art lui a fait vaincre cette terrible difficulté et il a pu, depuis quatre ans, nous donner des œuvres d'une originalité beaucoup plus prononcée que celle que l'on reconnaissait à ses œuvres d'autrefois.

Grassin a été plus encouragé par l'Amérique que par la France. Deux œuvres de lui sont entrées par le soin de M. Otto Kahn dans deux musées des Etats-Unis, et l'on annonce, de lui, pour l'hiver prochain, à New-York, une exposition de ses œuvres. Il ne serait que juste que Paris lui fit à son tour le succès qu'il mérite.

LOUIS THOMAS.

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recherches pour découvrir l'héritier légal, jusqu'ici inconnu, de cette famille. Ils demandent aussi pourquoi ce tableau est resté à Berlin alors que le reste de la collection est à Posen depuis 1903. Comme Posen appartient maintenant à la République polonaise, la Madone, si on la transportait là, deviendrait ipso facto propriété polonaise.

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Un opéra inconnu de Mozart

Au commencement d'octobre prochain et durant le Festival de musique à Karlsruhe, le Badische Landes Theatre de cette ville donnera pour la première fois une œuvre de jeunesse de Mozart: Die verstellte Einfalt « La finta semplice. Mozart avait alors douze ans et il composa l'opéra à la requête de l'Empereur Joseph II, le livret ayant été rédigé par le poète italien Marco Costellini. Par suite de certaines intrigues, ourdies par des esprits envieux, l'opéra qui aurait dû être joué à l'Opéra de Vienne, ne vit jamais le jour.

Le savant musicographe, Antoine Rudolphe a revisé le texte de Mozart et la représentation constituera certainement un important événement musical.

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Ces pièces de monnaie, légèrement plus grandes que ne l'était notre pièce de 5 fr., servent non seulement comme numéraire mais encore comme poids.

Tous les exemplaires qui ont été vus sont identiques et portent la date de 1780. Sur l'avers figure le buste de Marie-Thérèse, sur le revers est gravé l'aigle à deux têtes autrichien.

Cependant ces pièces sont récentes et leur frappe n'offre pas un fini parfait.

On suppose que vers la fin du XVIII siècle des thalers autrichiens introduits en Arabie excitèrent si fort l'admiration des indigènes, que ceux-ci, après les avoir employés comme ornements, les auraient adoptés comme type de leur monnaie.

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La donation Tuck

M. et Mme Edouard Tuck, citoyens américains, ont multiplié, depuis des années, à notre pays, des marques d'amitié, fort tangibles et dont ils n'ont pas toujours été récompensés.

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Mais l'affection véritable a du mal à se lasser. Après avoir souscrit à nos emprunts pour des sommes formidables, et déplacé pour ce fait d'énormes et sûrs capitaux, après avoir sauvé en somme la Malmaison et les vestiges des séjours royaux de Rueil, voici qu'ils donnent à la Ville de Paris la très riche collection qui garnit leur abbartement de l'avenue des Champs-Elysées. Ils se désaisissent en bonne et due forme. Ils ne veulent garder que l'usufruit des tapisseries, des toiles, des porcelai nes qui la composent. Et encore pas

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