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Italiens. Mais au centre de l'Europe, les peuples ne se bornent pas à leur aire géographique, ils débordent les uns sur les autres. Certes les races se détesteront toujours, mais plus encore quand elles sont mélangées. Ici, rien n'est fondu, cohérent. Votre voisin de palier, ou de wagon, ou de restaurant, parle une autre langue que vous, et il médite probablement votre perte. Si encore une pareille inextricabilité n'entraînait que des guerres civiles: un cynique a dit que c'étaient les plus belles. Mais chacune de ces fractions ethniques se réclame d'un plus grand ensemble, situé en dehors des frontières. Nous avons souffert, nous souffrons encore de l'ombre froide du colosse russe...

Et comme je protestais que la Russie me paraissait peu menaçante, aujourd'hui, pour Budapest, ce futur

homme d'Etat s'écria :

Monsieur l'Occidental, craignez la Russie. La profonde volonté organique de ce grand corps a toujours été d'atteindre la mer chaude, tantôt le Pacifique et tantôt la mer Noire ou l'Adriatique. Naguère, nous comptions dans notre empire vingt millions de Slaves prêts à la révolte, excités par Pétersbourg, et voisins de Slaves libres. Nous avons pesé dessus, c'est vrai, mais pour empêcher une terrible explosion. Les Serbes ont allumé la mèche. Tout a sauté. Nous voilà en morceaux. Le malheur de la Hongrie est d'être sur le passage des grandes migrations slave et germanique en route vers les mers du Sud. Placés au carrefour de deux races expansives, nous nous sommes alliés à l'une pour subsister contre l'autre.

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- Et si vous renversiez maintenant votre alliance? -Personne n'accepterait notre amitié, parce que personne n'a encore besoin de nous. L'an dernier, lors de l'avance des bolcheviks sur Varsovie, la France nous manifesta quelque sympathie. Nous étions tout prêts à apporter aux Polonais notre concours militaire. Et vous savez ce que vaut notre soldat. Mais les bolcheviks furent battus sans nous, et la France nous tourna le dos.

Ses yeux s'attristent. C'est vrai que tout le monde tourne le dos à cette nation naguère riche, recherchée, aristocratique et difficile. N'être plus reçue nulle part alors qu'elle était si hautaine, quelle profonde brûlure de plus à l'orgueil. La Hongrie apprend aujourd'hui la différence qu'il y a entre haïr d'en haut, en maître, et hair d'en bas, en condamnée, hair sans que quiconque daigne y faire attention. Au milieu de l'univers, elle est seule. Ses anciens alliés l'ont abandonnée. Personne ne s'intéresse à elle; ses appels à la justice, ses protestations s'élèvent dans le désert. Il n'y a pas de bon Samaritain pour cette misérable, tombée au revers de la route. Un vieux savant illustre me disait : « On ne nous a pas traités en connaissance de cause. Je viens de recevoir une lettre du propre secrétaire de la Société de Géographie de Paris qui m'écrit : à Budapest, Autriche. Les auteurs de la paix savent-ils ce qu'ils ont fait, puisque même les géographes... » Le Hongrois acquiert le sentiment horrible que, délaissé, méconnu, il cesse d'avoir un langage commun avec les autres hommes. Et cette indifférence est peut-être, parmi toutes ses humiliations,

la pire.

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Le Magyar n'a pas été rabroué et meurtri seulement par ses anciens compatriotes slaves, saxons et roumains. Les « nationalités » s'étant évadées, il s'en est révélée une autre qui, elle, ne s'évadera pas le Juif. Celui-ci, on le méprisait plus encore que les autres. Et lui aussi a piétiné la Hongrie, lui aussi a fait claquer le fouet au-dessus de sa tête basse, et l'a forcée d'obéir.

Le comte Jules Andrassy, qui m'a raconté comment, est un vieillard faible et las, endormi dans sa barbe blanche, la mine lourde d'amertume. Fils du minis

tre illustre dont la statue équestre s'élève près du Parlement, dont le nom a été donné à une des plus belles rues de la capitale, il a consacré à son tour son existence à la politique. Mais il n'a jamais abouti à un véritable succès. Certes, il a réussi enfin à être ministre des affaires étrangères, mais ce ne fut que pour trois jours. Germanophile et légitimiste, il a assisté à la ruine allemande, à la destruction de l'empire austro-hongrois, à la fuite des Habsbourg. Sa physionomie éteinte ne se réveille qu'à propos des Juifs. « Aucun Etat, m'affirmet-il, n'a été plus libéral à leur égard que le nôtre. Moimême j'ai tout fait pour défendre leurs droits. Aussi sont-ils venus en masse chez nous, déversés par la Galicie. Ils représentent 25 0/0 de la population de Budapest. Ils ont entre leurs mains, la presse, le petit et le grand commerce, l'industrie, la Bourse, les professions libérales. Quand ils se naturalisaient ou se convertissaient, quand ils prenaient des noms magyars, nous pensions qu'ils devenaient de loyaux compatriotes, qu'ils épousaient nos traditions, notre organisation sociale... Ah! Monsieur, quelle terrible erreur, et comme je suis revenu de mon libéralisme! Ce sont les Juifs qui ont déchaîné le bolchevisme chez nous parce qu'ils y ont vu le moyen de tout détruire. Sur vingt-deux commissaires du peuple, il y en avait vingt qui étaient Israélites, et l'on disait que les deux derniers n'avaient été choisis que pour suppléer les autres le jour du sabbat. Cette terreur abominable a duré quatre mois : puis les chefs se sont sauvés; mais de Vienne ou d'ailleurs, ils conspirent encore pour détruire la patrie qui les avaient réchauffés dans son sein. Bela Kun, aujourd'hui en Crimée, martyrise nos malheureux prisonniers de guerre, retenus depuis sept ans par la Russie. Que ces bandits aient régné sur le royaume de Saint-Etienne, quelle ignominie! Je n'étais pas antisémite, répète le comte Andrassy, mais aujourd'hui... (1). »

Et il agite des mains tremblantes. mains tremblantes. L'humiliation magyare n'est pas faite seulement du désastre militaire de 1918, mais des tragédies qui lui ont succédé Mme Cécile de Tormay, une romancière de grand talent (2), nous a décrit leurs horreurs. Et tout d'abord elle a évoqué son cousin Karolyi, bizarre figure d'aristocrate et d'aventurier qui prit le pouvoir dans le désordre de l'armistice, en spéculant sur ses sympathies ententophiles. Les Hongrois, comme d'ailleurs la plupart des belligérants et des neutres, avaient ainsi une équipe de réserve, pour le cas où la victoire tournerait dans un sens auquel on ne s'attendait pas. *Très intelligent mais névrosé, vaniteux jusqu'à la mégalomanie, susceptible et emnteur, Karolyi, poussé par une femme fort belle et fort ambitieuse, rêva de jouer un rôle néronien, même s'il fallait sacrifier sa patrie à sa gloire personnelle. Dédaigneux au point, pendant la guerre, de refuser la main aux officiers blessés lorsqu'ils appartenaient à l'infanterie arme peu chic polite au point de se prétendre plus anglais ou plus français que magyar, ce magnat nihiliste se déclara soudain patriote et démocrate. Il est vrai que son patriotisme ne l'empêcha pas de licencier l'armée, au lieu de la démobiliser, et alors qu'elle pouvait tenir encore. Et il estimait témoigner de simplicité démocratique en venant au conseil des ministres en babouches, et en passant le temps des délibérations à gratter ses pieds nus. Sur sa voiture, il avait fait mettre une inscription: Ici se trouve la fortune de la Hongrie. Pendant ce temps, le pays se décomposait ; les soldats non désar

Cosmo

(1) Le parti des chrétiens-sociaux, l'Association commerciale « Baross », la Ligue chrétienne nationale sont aujourd'hui les adversaires acharnés des Israëlites. Une loi vient d'être votée qui limite le nombre des Juifs à l'Université. (2) Un de ses ouvrages, Parmi les Pierres, a été traduit nar Mme Marcelle Tinayre.

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més assaillaient les passants, pillaient; la famine, la misère s'aggravaient; il n'y avait plus de chefs; l'angoisse, le désespoir étaient partout. Alors le sardonique Karolyi appela les bolcheviks et, joueur sinistre, leur passa la main.

Mme de Tormay est belle et émouvante lorsqu'elle évoque l'abîme infernal où roula son pays. Dans la morne stupeur de tous, et puisque les hommes, brisés par la guerre, manquaient d'audace, elle résolut de grouper au moins les femmes. Elle alla de maison en maison, et jusque dans les quartiers les plus pauvres, les exhorter au nom de la patrie. L'association qu'elle a fondée groupe maintenant plus d'un million d'adhérentes à son programme national, familial et religieux. Mais cet hiver 1918-1919, avec ses éternels brouillards jaunes, les coups de feu au coin des rues, les proclamations meurtrières et stupides, les perquisitions, les supplices, les exécutions; cet hiver où l'on voyait, érigés aux carrefours, les bustes monstrueux de Lénine et de Karl Marx, et, sur les édifices, flotter des draperies rouges, cet hiver apporta l'horreur d'une fin du monde. Karolyi avait déclaré : « Je ne crains personne, sauf Cécile de Tormay ». Quand il quitta le pouvoir, il recommanda à Bela Kun de la pendre, avec Teleki, Bethlen, et quelques autres. Prévenue à temps par lat femme d'un commissaire du peuple, elle put s'enfuir, et, tandis que sa mère agonisait à Budapest, disputa au hasard, en province, son existence menacée.

Et ce ne fut pas tout. La Hongrie, qui venait de connaître la défaite, puis une révolution politique, puis une révolution sociale, devait encore connaître l'occupation roumaine. Ici encore, je me borne à rapporter les paroles que j'ai entendues, mais je dois dire que, sur ce point, elles sont unanimes. Tout le monde s'accorde à Budapest pour voir dans la domination de l'armée du général Holban le stade dernier de l'abjection nationale, le fond de la coupe après lequel il ne reste qu'à mourir. Et l'on vous dénonce les déprédations de toutes sortes, les râfles systématiques qui déménageaient les bureaux, les usines, les magasins, les appartements privés au total, pour quatorze milliards. «Ils prenaient tout, jusqu'aux appareils téléphoniques; sans l'intervention du général américain Bandholz, ils auraient pillé même le musée de peinture, et fait sauter le monument de saint Etienne. >> Jusqu'à l'occupation roumaine, la Hongrie était meurtrie, saignante et râlait, mais elle gardait dans sa souffrance un reste de fierté : cette fois ci, on la viola.

X

Au bout de quelques jours de conversations et d'enquête, quand, prenant confiance, vos interlocuteurs, les plus fiers, les plus farouches, dominant leur pudeur et leur amertume, vous révèlent les pensées qui les torturent, on se prend de compassion, en dépit de ses fautes, pour cette race noble, trahie par tous et par les siens, traînée de la douleur au désespoir et à l'infamie. Traînée à la misère aussi. Ce qui lui rend plus sensible le degré ignominieux où elle est tombée, ce sont les nécessités implacables de se nourrir et de se vêtir. Beaucoup de Hongrois dont les terres et les fortunes ont passé sous la loi de leurs ennemis, se sont vus expropriés. Le coût de la vie a augmenté dans des proportions fantastiques: une course en taxi se paie plusieurs centaines de couronnes, un repas plusieurs milliers. Les salaires n'ont pas suivi la même courbe: un professeur d'université reçoit un traitement mensuel qui équivaut à cent francs, et même les ministres touchent environ deux cent cinquante francs par mois. Comment font les employés, les intellectuels, les fonctionnaires, les officiers licenciés, ceux qui ont dés charges, qui doivent élever leurs enfants? On se le demande. Beaucoup ne mangent qu'une fois par jour, vendent pièce par pièce leur mobilier. Impossible de s'expatrier: au cours du change, un

voyage lointain exigerait une fortune. Telles personnes habituées au raffinement du luxe montrent des vêtements presque en loques; tel personnage officiel, dans une cérémonie, laissait voir un linge élimé.

D'autres peuples que les Hongrois s'abandonneraient. Ce qui est émouvant, après avoir contemplé sa détresse, c'est de constater sa résolution. Il est à terre, c'est vrai; mais déjà il rassemble ses forces. Cet orgueil, qui l'a perdu naguère, va le faire revivre. J'essaierai de le montrer dans un prochain article.

(A suivre.)

CE QU'ON DIT

De l'eau ! De l'eau !

De ci de là.

Il faut remonter à 1719 pour trouver une sécheresse égale à celle de cette année et aussi longue. Mais le 8 juillet 1793 le thermomètre marqua 44° à l'ombre à Paris. La chaleur exceptionnelle qui avait débuté le 1er juillet dura 51 jours. Le 7 août fut particulièrement pénible; le vent du Nord-Est qui s'était mis à souffler paraissait provenir d'une fournaise. Bien que la tempé rature ne marquât que 32° la chaleur était plus intolé rable, la respiration plus difficile que lors des températures de 39° et 40°. La chaleur fit d'épouvantables ra les vages aussi bien parmi les animaux que parmi

hommes.

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On aurait tort de s'appuyer sur l'échec des très rares expériences faites récemment, dans de mauvaises condi tions, pour créer la pluie, et d'arrêter les frais. Ces expériences ne doivent pas nous faire oublier que lors du siège de Valenciennes, en juillet 1793, la canonnade déclencha une pluie torrentielle. A la bataille de Dresde, le 27 août 1813 les premiers coups de canon attirèrent un amoncellement de nuages qui, en crevant, mirent fin à un longue sécheresse.

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Le même phénomène fut observé au siège d'Alger en 1816 et encore à la bataille de Waterloo, le 17 juin 1815 La canonnade, ce jour là agit sur les nuages, comme une véritable étincelle électrique, et détermina une des plus fortes pluies qu'on ait jamais observées. Enfin, plus près de nous, pendant la grande guerre, on sait que chaque fois qu'un bombardement coïncidait avec un ciels chargé de nuages lourds et bas, le bombardement était accompagné de pluies abondantes.

Ne désespérons donc pas! Essayons encore! L'espoi de sauver nos récoltes, de conserver ce qu'il reste de

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Il y a d'ailleurs dans les récits de l'attentat des détails pleins de saveur. C'est ainsi qu'on se demande pourquoi nul des voyageurs déjà dévalisés n'a tiré le signal d'alarme, après le départ des bandits. Crainte d'un retour offensif ? Sans doute.

Mais il y a surtout M. Morucci.

M. Morucci est député des Bouches-du-Rhône. Il est même député socialiste. Aussi quelle ne fut pas sa stupeur, lorsque, réveillé par un coup sur la tête «‹ à assommer un bœuf » (c'est lui qui le dit), il entendit une voix prononcer sans aménité :

Espèce de sale bourgeois! Ton argent! Rends l'argent!

Contre ce mot de « bourgeois », M. Morucci nous dit qu'il voulut protester. Et aussi, sans doute, contre l'injonction de « rendre » l'argent, son argent.

Moi, un bourgeois! fit-il avec indignation. Hélas! oui...

-Finissons-en! s'écria l'un des bandits. Et il soulagea M. Morucci de son portefeuille (fort bien garni).

Moralité O démagogues, le « grand soir », c'est vous qui passerez les premiers. Et, il faut l'avouer, cela nous fera plaisir de vous voir, en attendant notre tour!...

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chats. >>

Aperçu traînant sur une table d'auberge, également modeste, une lettre portant cette adresse :

«Mademoiselle Nini. Villa Le Nid. Avenue de SaintCucufa Chatou. >>

Longé dans une petite ville de province une rue dite rue Babeuf. Le conseil municipal a pris soin de faire ajouter « homme d'Etat ». Parenthèse indispensable, car, à elle seule, la population eût risqué de ne jamais savoir ce que fut le nommé Babeuf.

Halte dans une rue voisine, anciennement rue d'Austerlitz, aujourd'hui rue du Prolétariat.

Rue Babeuf n'était pas mal; rue du Prolétariat est mieux. Il faut orner l'esprit des masses.

Le vieux port.

L'harmonie des voiles et des filets bleus, les vieux loups de mer ridés et hâlés, assis sur les bords du quai, les chaînes de femmes et d'enfants, qui portent les sardines à la poissonnerie, quelle joie de revoir tout cela et d'oublier dans ce pays sauvage le marasme des affaires et la lutte des classes!

Ah, bien! oui! Les sardinières n'ont plus que des regards de haine; les pêcheurs ont appris le français pour vous mieux injurier; et les barques bretonnes ne s'appellent plus Yvonne ou Sainte Anne ou Maris Stella, mais la Démocratie, l'Internationale, Société des Nations, Drapeau rouge, Drapeau noir... Ces âmes sim

113 ples en qui la mer n'éveillait autrefois que de belles légendes, n'y bercent plus que les folies de la terre.

Le progrès intellectuel.

Pleurez, gourmands de toute la terre! Une épidémie nouvelle s'est propagée dans le monde des huîtres; elles meurent par milliers. Et ce n'est pas seulement sur les côtes de Bretagne, mais d'Espagne et d'Angleterre! Si cela continue, avant deux ans, l'huître aura disparu de la surface du globe.

Si du moins le fléau s'abattait aussi sur tous ceux qui méritent le surnom de ces pauvres animaux! Mais les huîtres peuvent mourir, et les oies aussi, il y aura toujours des sots.

Les vagabondages de la lune.

La lune est infidèle. Elle est infidèle aux astronomes. Depuis déjà bon nombre d'années, les rapports "nnuels des astronomes donnaient une table fixant «<< l'erreur de la longitude de la lune », c'est-à-dire la différence existant entre, d'une part, la position réelle de la lune dans le ciel telle que la reconnaissaient les observatoires et, d'autre part, l'emplacement qu'elle devrait occuper d'après les calculs des mathématiciens. La table qui vient d'être publiée par les astronomes anglais indique que cette différence va plus que jamais en augmentant et qu'elle s'élève maintenant à plus de 13 secondes d'arc. En 1893, l'erreur était presque négligeable; il s'agissait de moins d'un dixième de seconde; mais, depuis lors, la lune s'est déplacée d'année en année si bien qu'elle se trouve actuellement à une vingtaine de kilomètres du lieu où elle devrait réellement se trouver.

Et les mathématiciens cherchent, par leurs calculs,. à faire rentrer la lune dans le devoir.

Experts.

Les « experis » viennent de se réunir pour étudier, avant le Conseil suprême, la question de Haute-Silésie. Expert! Nul mot peut-être n'a, depuis deux ans, retenti aussi souvent au quai d'Orsay. Il y était naguère inconnu. La délégation américaine l'y importa. Il y a conquis droit de cité et maintenant on ne jure plus que par les experts.

Qu'est-ce qu'un expert? C'est un homme connaissant à fond « sa partie ». Il paraît que la chose est rare. Les experts s'opposent aux gens de la Carrière qui sont «<bons à tout » (et, ajoutent à tort de méchantes langues, « propres à rien »). Il y a des experts de toutes espèces et de toutes envergures. Le maréchal Foch est un expert militaire, mais le calligraphe du Département est aussi un expert. On connaît des experts en réparations et des experts en pétrole, des experts en chemin de fer et des experts en psychologie orientale. La liste en est infinie. Au ministère, une dactylographe est maintenant une « experte en machine à écrire » et un garçon de bureau un « expert en balayage ».

Quel est donc cet homme politique, diplomate d'occasion, dont on dit qu'il est « expert en gaffes » ?

Au Salon de l'Horloge.

Le 26 juillet, sous l'oeil impassible des cariatides dorées qui ornent le Salon de l'Horloge, il a été procédé, selon les rites, au dépôt des ratifications du Traité de Trianon. Cérémonie discrète, de bon ton, un peu terne. M. Jules Cambon, qui la présidait, fut, selon son habitude, parfait de tact et de bonhomie. Le comte Prasnowski et les autres délégués hongrois eurent l'attitude réservée et dolente qui convenait. Toutefois, le deuil de leur patrie étant déjà ancien, leur tristesse semblait

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tempérée de résignation et leur air n'était point exactement d'enterrement »,, mais plutôt « de bout de l'an >>.

jaeger qui fut blessé au front et obtint pour sa valeur la médaille d'or; il rencontre maintenant au Parlement contre lui au Col di des hommes qui ont combattu Lana, en particulier le prince Gaetani, nouvellement élu et qui fit exploser une mine très meurtrière sur ce point il du front.

Les signatures échangées, les diplomates, tels de vulgaires invités des bals de l'Hôtel de Ville, se pressèrent autour du buffet qui avait été préparé. Leur soif faisait fort chaud- étanchée, ils se formèrent par groupes sympathiques et des conversations s'engagèrent. On remarquait le prince Charoon, ministre de Siam, lequel, fort sourd, se sert d'un cornet acoustique long d'un demi-mètre.

Quelqu'un désignant cet appareil murmura:

Voilà, pour la Hongrie, la trompette du jugement dernier.

Pudeur livresque.

ททท

La salle des imprimés à la Bibliothèque nationale n'est pas un endroit de délices. Il y fréquente parfois des dames à cabas et des messieurs à pellicules dont le voisinage est peu délicieux. Et, en ce moment, il y fait chaud, très chaud : c'est un vrai hammam...

Or, l'autre jour, un travailleur naïf usa d'un raisonnement simple et irrésistible. « Puisqu'on étouffe, se dit-il, je vais ôter mon veston ». Et il se mit en bras de chemise (c'était peut-être un Américain?)

Ah! le pauvre homme! A peine avait-il ainsi fait, un gardien se précipitait vers lui et l'admonestait vigoureusement au nom de la pudeur... En bras de chemise, songez donc!

Il dut, mélancoliquement, repasser sa veste. Et la pudeur de la garde qui veille au pied des livres fut satisfaite.

Mais pourquoi, pourquoi est-il choquant de se mettre en bras de chemise à la Bibliothèque nationale?

Bolchevisme municipal.

L'Association des écrivains combattants ne saurait assurément être accusée de politique. Elle compte parmi ses membres des hommes des opinions les plus diverses et des socialistes aussi bien que des monarchites. Or, elle avait pensé organiser des fêtes de bienfaisance à Reims à l'occasion du retour de la statue de Jeanne d'Arc. Il lui semblait que Jeanne d'Arc n'est pas subversive...

Mais Reims a une municipalité anticléricale. Et la municipalité de Reims ne veut pas que Jeanne d'Arc soit charmante et admirable. Aussi interdit-elle les fêtes projetées par les combattants. Bien mieux affiches posées par ceux-ci furent lacérées par ordre des bolcheviks municipaux.

les

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Ces quatre députés ont l'intention d'insister auprès de la Chambre pour obtenir l'autonomie du Tyrol du Sud. Le comte Toggenburg a même annoncé son intention de haranguer la Chambre en langue allemande,

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M. de Valera, le jeune chef de la République irlandaise sera une des plus pittoresques figures de l'histoire contemporaine. Condamné à mort en 1916, c'est à l'intervention d'un groupe de prélats américains qu'il du d'avoir la vie sauve. En 1919, il réussit à passer en Amérique. Pour payer son passage il travailla à bord d'un paquebot en qualité de soutier. En Amérique il eut toutes les peines du monde à faire l'accord entre deux partis irlandais rivaux.

De retour en Irlande, il a réussi à faire mettre bas les armes à ses fanatiques partisans. Et c'est là sa plus belle victoire.

Aujourd'hui, l'ancien condamné à mort, l'ancien <<< felon» de la prison Lincoln, le citoyen new-yorkais, d'origine espagnole, pose ses conditions en qualité de chef de l'Irlande, au maître de l'empire britannique. Et le grand trait d'union entre l'Angleterre et l'Irlande aura été un autre ancien adversaire redoutable de l'Angle terre, le général Smuts, le grand homme d'Etat qui a consacré sa vie à faire l'union dans le sud-africain.

La curiosité est parfois dangereuse.

Une vieille coutume, qui date du moyen âge, survit dans les îles anglaises de la Manche. Un habitant se croit-il lésé dans ses droits, victime d'une injustice, il n'a qu'à s'agenouiller sur la place du Marché et à s'écrier (en français): « Haro! à l'aide, mon prince, on me fait tort!» et la situation dont se plaint l'indigène doit cesser jusqu'à ce que les magistrats aient rendu un juge

ment.

Lors de la récente visite que fit le roi d'Angleterre à l'île de Jersey un touriste, ayant ouï parler de cette curieuse tradition, voulut voir si elle était toujours en vigueur.

Il s'agenouilla à l'endroit indiqué poussa le cri con

sacré et... fut arrêté.

Le touriste ayant avoué qu'il cherchait uniquement à satisfaire sa curiosité a été jugé et condamné à une forte amende pour «< avoir manqué de respect à la justice!

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L'obstiné condamné.

En 1917 un Américain du Kentucky fut condamné à mort aux Etats-Unis, pour assassinat. Mais les papiers concernant son exécution s'égarèrent et deux ans après il était encore là. Or, plusieurs journalistes vinrent à la prison pour assister à une exécution; cependant, dans une cellule voisine, ils entendirent des cris terribles; c'était notre homme qui, ayant appris leur venue, tenait à attirer leur attention sur son cas; il exigeait, puisque le bourreau s'était déplacé, qu'on en profitât pour l'exécuter sans délai. Il n'obtint d'ailleurs pas satisfaction, car sa punition fut commuée en détention perpétuelle.

On ouvre les archives.

Chez nos ennemis.

La Cour suprême de Berlin a autorisé les éditeurs Cotta à publier dans le troisième volume des Souvenirs de Bismarck, trois lettres importantes qui pour des raisons d'Etat ont jusqu'ici été tenues secrètes : la lettre du ci-devant kaiser à Bismarck, 14 juillet 1889, la fameuse seconde lettre d'affaires d'Etat, la lettre du 17 août 1881 de l'empereur Frederick, et sa lettre du 28 septembre 1886 ayant trait à la création du royaume de Bade.

Guillaume, on le sait, depuis des années, s'efforçait d'empêcher la publication de ces lettres.

Heureux les marchands de bestiaux.

Les marchands de bestiaux bavarois sont constitués

en Syndicat, et celui-ci a la forme d'une société d'ispoen Syndicat, et celui-ci a la forme d'une société d'isposant d'un certain capital distribué en parts entre les adhérents.

L'assemblée générale des actionnaires a été tenue il y a quelque temps. Les parts furent officiellement cotées à 200 marks, et pour chacune d'elles, les propriétaires reçurent 3.000 marks de bénéfice, pas un pfennig de moins.

C'est un beau dividende si l'on réfléchit qu'il représente un bénéfice de 1.500 0/0. Cependant, quelques marchands ne se jugèrent pas satisfaits, et demandèrent que le dividende soit élevé à 2.000 0/0. On s'entendit finalement sur le premier chiffre de 1.500 0/0, mais on ajouta que chaque membre recevrait en plus une prime de 150 marks. Ajoutez à cela que le gouvernement allemand consent certaines primes au Syndicat pour les livraisons effectués à l'Entente.

Les Allemands peuvent payer !

Affaires Intérieures

Réformes des vacances

Les vacances de la Chambre ne sont pas seulement le temps des combinaisons ténébreuses ou, dans la pénombre propice des couloirs, se préparent les intrigues pour la rentrée: elles sont aussi l'époque où des questeurs vigilants et soucieux du bien-être de leur collègues, leur ménagent, pour la rentrée aussi, l'annuelle surprise

sensationnelle

que le bloc national pouvait traiter sans ménagement. Assurément, le prince Murat fume sa pipe dans les couloirs. Mais il fume seul. La fumée des pipes, mise en commun, a quelque chose de révolutionnaire et de démocratique. Des gens qui fument la pipe en choeur sont des partisans du bloc des gauches. On relégua dans un couloir plus lointain leur fumée et leurs conciliabules. Et l'on dota le Palais-Bourbon d'un luxueux service téléphonique.

Cette réforme avait donc un petit côté politique dont certains murmurèrent tout bas. Celle de cette année ne fera que des heureux, car elle est bénigne, urgente, hygiénique. Elle consiste simplement à agrandir le salon de coiffure.

Voici environ vingt ans que, dans un réduit obscur et sans air des lavabos, un homme vint s'installer, quelques heures par jour, qui barbifiait en hâte les parlementaires hirsutes et pressés.

On trouva la chose commode. L'homme vint tous les jours, puis resta toute la journée. Puis il prit un aide, et il fallut le loger dans un local moins sommaire. Les clients devinrent des habitués. Certains se firent tailler la barbe, couper les cheveux, donner des frictions, friser au petit fer. Le Gotha du Palais-Bourbon donna au salon de coiffure une allure de bonne compagnie on y vit le marquis de Pomereu. Et ce salon devint, en quelque sorte, un salon pour causer. Ce fut même celui où l'on causait le mieux, avec le plus d'abandon et d'esprit. Les députés de 1919, qui aiment beaucoup vivre à la Chambre, qui y viennent dès l'aube et ne la quittent qu'au crépuscule, firent queue devant les deux fauteuils du coiffeur. Visiblement, le local devint trop exiguë. Le patron réclama un second aide, y renonça faute de place et faute d'air, et, finalement, expira de surmenage et d'asphyxie. Il était urgent d'aviser. M. Saud'initiative et d'action. M. d'Iriart d'Etchepare, présimande, questeur et client assidu du salon, est un homme dent de la Commission de comptabilité, aimable et fin Béarnais qui s'honore de l'amitié et de la collaboration de Pierre Benoît, n'est fermé à aucune idée de progrès. Dès l'heure des vacances sonnées, les plâtriers et les maçons envahirent le salon de coiffure qui sera, à la rentrée, vaste et luxueux comme le téléphone Mais que diable restera-t-il à faire, en 1922 ?

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Les vacances ont apporté au Palais-Bourbon une autre réforme sensationnelle. Le peuple du personnel subalterne qui dessert cet immense maison se divisait, de temps immémorial, en huissiers et gens de service, huissiers portant la chaîne et l'épée, gens de service plus pittoresquement appelés «< collets rouges ». Au bout de vingt ans, le « collet rouge » est assimilé à l'huissier et a le droit de se vêtir en noir, comme un député du Tiers.

Il n'est pas huissier, à vrai dire, mais il n'a plus son collet rouge.

Eh bien, l'administrateur, tutélaire, vient d'opérer, d'un trait de plume, une réforme qui brise une tradition vieille de plus d'un siècle :

Il n'y a plus de collets rouges !
Cela s'imposait nettement.

Le collet rouge, avec le large galon en forme de V, sur les reins, n'était-ce pas une livrée ? Et que vient faire une livrée dans le Parlement libre d'un pays libre? Anachorisme, en vérité, révoltant, évocateur des heures les plus mauvaises de jadis et des époques abolies d'iné

L'an dernier avait vu le déménagement du fumoir et la réorganisation du service téléphonique. Il fallait agrandir ce service. Avec une Chambre qui siège presque sans relâche, il faut beaucoup téléphoner: il faut faire par téléphone les démarches dans les ministères : il faut téléphoner à sa femme qu'on ne rentrera pas galit et de tyrannie ! diner. Cet agrandissement indispensable impliquait le déménagement du fumoir. Mais le fumoir. dont l'inRuence occulte et mystérieure était grande, aux temps heroiques de Pelletan et de Bourrat, était une institution de gauche, nettement tombée dans le discrédit, et

Cette réforme ne chagrinera que les entêtés égoïstes de pittoresque et de tradition. « On verra, dit fièrement un des délégués du personnel qui a remporté cette victoire, on verra que nous ne sommes plus au temps des Croisades et de l'Inquisition. »

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