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cure de repos et d'air pur sur les sommets du Valais ou de l'Engadine? Sans doute, la raison conseillera de préférer nos montagnes françaises qui sont belles, elles aussi, et accessibles, mais si notre caprice veut décidément nous faire franchir la frontière, pouvons-nous le satisfaire dans des conditions acceptables?

Les questions de change et surtout leurs répercussions sont si fallacieuses et si imprévues, qu'on hésite, d'abord, à répondre d'une façon précise.

On observe, en effet, des contradictions curieuses. D'une part, le prix des hôtels suisses a fort peu augmenté en comparaison de celui d'avant-guerre. Dans certains palais, il est demeuré le même. Dans les moyens et petites maisons, il a grossi d'un quart ou d'un tiers au plus. Multipliez ce chiffre par le coefficient du change et vous vous apercevez avec étonnement que vous arrivez à des prix toujours inférieurs à ceux d'un hôtel français d'ordre correspondant. Or, ce n'est pas faire une injure à notre pays que de constater, pour la millième fois peut-être, hélas! que la plupart de nos hôtels sont déplorablement tenus, que le confort y est à l'état rudimentaire, et qu'à tarif égal, la chambre d'un hôtel suisse vaut dix fois la chambre d'un hôtel français.

Lors donc qu'il ne s'agit que du logement, on peut affirmer avec assurance que la dépréciation de la monnaie française ne constitue aucun obstacle à un voyage de l'autre côté de la frontière helvétique.

La question sera un peu différente s'il s'agit des chemins de fer à utiliser ou de ces innombrables petites dépenses qui assaillent le voyageur, de son lever à son coucher, et qu'on appelle l'argent de poche. Les Suisses ne se gênent pas eux-mêmes pour proclamer excessive l'augmentation des tarifs ferroviaires, et il est bien certain que, aggravée pour nous par le change, une telle hausse devient inquiétante. Cependant, remarquons que des réductions très importantes viennent déjà d'être consenties par la Confédération sur ce chapitre. Une baisse du même ordre est prévue pour l'an prochain, et il est bien certain que l'impossible sera fait pour donner aux touristes ces grandes facilités de communication qu'ils

avaient dans la guerre dans ce pays, somme toute, très petit.

La conclusion assez curieuse de ces constatations que chacun peut faire chez nos voisins à l'heure actuelle, c'est que, malgré le change, un Français amoureux de ses aises, qui aime les hôtels confortables, le service soigné et la propreté merveilleuse des premiers aubergistes du monde, peut fort bien, sans péril pour sa bourse, se permettre cette fantaisie, à condition de s'assurer un lieu fixe de villégiature en Suisse, d'y résider et de ne pas trop se livrer aux pérégrinations par chemin de fer. Cette réserve faite, il faut convenir que nuls hôtels de chez nous ne sont mieux tenus, plus confortables et meilleur marché que les hôtels suisses, nuls ne sont plus honnêtement exploités, nuls ne sont mieux faits pour les voyageurs et rien que pour eux.

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Nos voisins qui subissent actuellement une crise économique effroyable ne se livrent à aucun concert de récriminations. Ils demeurent patients, ingénieux et silencieux, comme ils ont toujours été. L'hôtel suisse de quelque rang qu'il soit — a conservé l'accueil familier et presque amical qu'on lui a toujours connu. Son propriétaire attend, en souriant, des jours meilleurs, et s'il vous fait confidence de ses petits ennuis du moment, c'est par hasard et en s'excusant de la liberté grande. Et personne ne trouve que ce soit aussi ridicule...

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Jules BERTAUT.

Le chapitre des tableaux

L'actualité, qui n'est, en somme, qu'un sempiternel retour des choses d'ici-bas, nous apporte, cette semaine, une histoire de tableaux truqués. Ces toiles, signées de patronymes illustres, étaient tout simplement perpétrées «‹ à la grosse » par d'obscurs rapins montmartrois. Fortement déçus, sans doute, par l'ingratitude contemporaine qui se détourne des hiéroglyphes picturaux, ces peintres

de la dernière école en étaient réduits pour vivre à faire... de l'« ancien ». Plaisante ironic du destin. Faut-il féliciter les acheteurs modernes de leur bon goût? Je ne le crois pas. Les œuvres des grands disparus ont obtenu la consécration et la valeur marchande qui s'y attache, et c'est précisément cela qui attire, à la fois, les collectionneurs et les intermédiaires. Il y a dans tout amateur de tableaux un spéculateur qui sommeille. Tout le monde n'a pas la mentalité de ce gros marchand drapier qui, au dernier Salon du Grand Palais, s'exclama:

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Mon Dieu... Mon Dieu... que de toile... perdue pour les familles nombreuses!

Un antiquaire m'a conté l'aventure de ce richissime Américain entré, un jour, dans son magasin.

- Vous avez, en vitrine, une bien jolie statuette... Je crois bien, c'est une Cérès antique... pièce unique.

Notez que, pour un antiquaire, tout ce qu'il possède est « unique ». Pas pour un Américain, toutefois, car ce client occasionnel haussa les épaules:

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Oh! pas unique, dit-il. Il m'en faut deux comme ça pour orner ma maison de campagne à Philadelphie...

Cette idée de la multiplication volontaire des chefsd'œuvre fit sourire l'honnête marchand.

Je payerai ce qu'il faut, déclara le Yankee péremptoire. Dans quinze jours, je rentre à New-York. Je viendrai, auparavant, prendre livraison des deux statuettes... commandées.

Qu'eussiez-vous fait à ma place? me demanda à brûle-pourpoint l'antiquaire.

Dame, c'est assez délicat...

Eh bien! je fis exécuter, par un jeune sculpteur de mes amis, une réplique adroite de la fameuse Cérès. Tout y était, même cette patine vénérable qui recouvre les objets d'art anciens.

Au jour convenu, mon Américain se présenta et poussa un hourrah de satisfaction en présence du couple de bronze posé devant lui,

Naturellement, je lui expliquai mon procédé, mais il m'interrompit aussitôt :

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Et, tirant une bouffée dédaigneuse de son cigare, il me versa la même somme pour la statuette antique et la moderne.

On voit, par cet exemple, que les payeurs ne sont pas toujours des connaisseurs. Quant aux intermédiaires qui découvrent chez les brocanteurs, entre un plat d'étain et une défroque argentée d'académicien,le Watteau... du dernier bateau, ils se recrutent dans toutes les classes sociales. La profession de courtier en tableaux, quand elle évite d'être en rapport avec le fisc, peut devenir lucrative. Des notions générales suffisent. On trouve toujours une demi-mondaine qui veut vendre un « Corot >> pour acheter un collier de perles, et un noble seigneur décavé qui liquide, secrètement, les 'plus belles pièces de sa collection. C'est du moins ce que vous affirment, dans le creux de l'oreille, les courtiers d'occasion. Il en est malheureusement beaucoup que l'on peut ranger dans la catégorie des marchands de perles fausses. En revanche, on cite le cas de gens habiles qui, en achetant et en revendant une galerie de tableaux, avec une large publicité, ont réalisé une petite fortune.

Le peintre Roybet, lui, était plus philosophe. Chaque fois qu'il croisait, à l'étalage d'une marchande de bricà-brac, un de ses reîtres moustachus, il interrogeait la brocanteuse :

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De qui ce tableau?

Mais c'est un Roybet... et signé encore.

Le peintre contemplait cette forme apocryphe, payait, et emportait « son » œuvre.

Il avait constitué de la sorte une véritable galerie de faux Roybet, et il disait en souriant, comme jadis Le Titien en parlant d'un de ses meilleurs élèves :

Ma parole, je ne m'y reconnais plus moi-même!

Raoul VITERBO.

Marie Lenéru, ou de la Sincérité (1)

Quels sont au juste les droits de la critique littéraire sur la personne des auteurs qui se montrent à vif dans leurs ouvrages? C'est une question si difficile à trancher qu'elle pourrait bien être oiseuse. Mais il en est une bien plus claire : quels sont les droits de la vie privée à empiéter sur la littérature? En d'autres termes, n'est-il pas gênant pour le public, plus encore que pour l'écrivain, de se trouver soudain engagé dans des confidences, dans des mémoires intimes, et de se voir ainsi confisquer, par honneur, le droit de juger, qui est propre au public? A cet égard-là, il est évident que nul n'étant tenu à étaler sa vie privée (innocente, coupable, insignifiante, peu importe) aux yeux des contemporains ni même de la postérité, la rançon de cette impudeur est de mettre à l'aise le lecteur envers la délicatesse.

Mais on sent bien que ce n'est que théorie, et surtout vis-à-vis des morts, j'entends des morts à peine descendus au tombeau. Il est bien malaisé de lire leur journal secret ou leur correspondance comme s'ils étaient Senancour, Montaigne ou Cicéron, Il arrive même que, contrairement à toute une tradition infiniment louable, ils n'aient vraiment pas écrit pour

(1) Marie Lenéru. Saint-Just (Grasset édit.). Journal de Marie Lenéru, 2 vol. (Crès édit.).

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