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était en droit d'escompter, si son attention n'avait point été désagréablement éveillée par certains commentaires de la presse italienne et de la presse neutre.

Ce n'est pas une plume française mais une plume italienne qui écrit dans l'Idea Nazionale (17 août), confirmant la thèse soutenue, le 16, par le Popolo d'Italia et le Corriere della Sera:

Entre la France et l'Italie, il existe désormais un intérêt commun celui de résister à toute tentative britannique, tendant à réduire les obligations allemandes, tant que ne sera pas résolue radicalement et définitivement la question des dettes interalliées.

Ce n'est pas un journaliste français, mais suisse, M. Maurice Muret, qui dans la Gazette de Lausanne des 15 et 16 août, sous les titres significatifs de La France trahie, mais libre; J. Bull ou le compagnon peu sûr, porte sur la politique anglaise un jugement cinglant. L'Europe est excédée de ces ajournements et de cette stérilité. Elle prend conscience de sa solidarité.

Et l'opinion britannique prend conscience de ses erreurs. Je ne dis pas qu'elle soit unanime. Je ne sais plus quelle feuille traite M. R. Poincaré de « Bourbon ». Garvin l'avait déjà comparé à Bismarck et à Néron. La Pall Mall Gazette et la Saturday Review sont violentes. Le Times lui-même est réservé (2 août) et regrette que le président ait suivi le fameux exemple donné par la politique anglaise et «< cherché la ligne de moindre résistance ».

L'opinion britannique n'en commence pas moins à voir clair. Au nom des radicaux antiministériels,

la Westminster Gazette constate, le 22, que M. R. Poincaré est parvenu à «< renverser la situation ».

M. D. Lloyd George espérait en appeler aux électeurs sur la question de savoir si « l'Angleterre serait le seul pays à payer ». M. Poincaré l'a manoeuvré et la situation est maintenant de savoir si les Alliés ou les Allemands paieront.

Certes, la Westminster Gazette est trop fidèle à la thèse libérale pour ne point accueillir avec hostilité toute perspective d'une contrainte et d'une saisie. Mais l'organe du groupe Asquith, conscient de l'action déplorable qu'a exercée la note Balfour sur l'attitude française et la liquidation européenne, supplie, le 23, M. D. Lloyd George de ne point aggraver et ses responsabilités et la situation, de ne pas rendre impossible tout changement dans l'attitude française, en ripostant à M. R. Poincaré.

Les mêmes tendances apparaissent dans des feuilles qui ont toujours soutenu la politique georgienne.

Peu d'organes lui ont été plus fidèles avant Gênes que le Daily Telegraph. Certes, ses commentaires sur le discours de M. R. Poincaré sont réservés. «<< Les déclarations de M. R. Poincaré sur le gouvernement britannique et la politique anglaise sont, dans certains passages, quelque peu barbelés. » Mais le Daily Telegraph se hâte d'ajouter :

Il y aura une satisfaction générale à constater que rien n'a été dit qui puisse rendre un arrangement éventuel plus difficile.

Il publiait, le 23, sous la signature de son corres

pondant de Paris, un article judicieux et modéré, où D. Loch constatait que M. R. Poincaré avait traduit « la voix de la France » et était approuvé par l'unanimité du pays. Confirinant le leader de la veille, D. Loch indiquait qu'il n'y avait rien dans ce discours qui rendît inévitable un coup de théâtre et impossible la réalisation d'un accord. Quant aux notes courtes et précises dans lesquelles M. Gerotwohl exprime l'opinion du Foreign Office, leur ton témoigne que les spécialistes mesurent à son juste prix la fausse manœuvre de D. Lloyd George. Gerotwolh soupçonne la France de vouloir organiser la coalition des débiteurs et signale que deux déjà se déclarent prêts à respecter leurs signatures. M. Gerotwolh tance M. Schanzer, qui a qualifié d'«< immorales » les dettes interalliées, et constate que cette épithète ne saurait se trouver que sur les lèvres d'un créancier, sinon elle perd sa valeur.

Le Manchester Guardian, malgré son orthodoxie radicale, est aussi sensible que le Sunday Times, malgré ses traditions conservatrices, à l'attrait séducteur de David. Ces deux feuilles avaient été, dans une même mesure, impressionnées par la gravité résolue et l'unanime fermeté de l'opinion française, au lendemain du « désaccord public » de Londres. Or, le 23, le Manchester Guardian publiait une note, datée de Londres.

Pas un mot ne sera prononcé en Angleterre qui risque d'aigrir des relations passablement délicates et difficiles. Après les controverses assez rigoureuses de la conférence, la France, si on lui laisse le temps de réfléchir, se retrouvera peut-être plus près de l'Angleterre qu'elle ne l'a jamais été. Le discours de M. R. Poincaré n'est pas d'ailleurs considéré comme entièrement hostile ou inacceptable en lui-même. Les difficultés intérieures de la politique française appellent beau

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coup de tolérance. L'Angleterre a eu les siennes et sait ce que c'est. En outre, les milieux diplomatiques lisent entre les lignes quelque chose qui semble permettre une meilleure

entente.

La signification de cette note est précisée, lorsqu'on voit un journal aussi officieux que le Daily Chronicle, qui, à plusieurs reprises, notamment le 21, avait publié des articles inadmissibles, subitement le 23 résumer le point de vue français avec une précision et une logique telles que cette analyse ne saurait manquer d'éclairer les Britling ministériels.

Cette éducation de l'opinion britannique, il faut la continuer en proscrivant impitoyablement les violences et les grossièretés, qui auraient pour résultat de transformer le désaccord temporaire des deux gouvernements en un désaccord durable des deux peuples, d'aveugler à nouveau le pauvre M. Britling. Cette évolution de l'opinion européenne, qui, en présence du chaos croissant, comprend mieux les dangers d'une politique d'ajournements et de dissociations, la valeur d'une action stable et logique; il faut l'encourager. Comment? par une manoeuvre diplomatique lente et continue ou bien par une manoeuvre violente, improvisée et isolée?

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Un précédent date d'hier. Ses résultats sont significatifs. Et Jacques Boulenger a protesté ici même comme il convenait contre l'expérience répressive tentée en Alsace-Lorraine. En présence de l'intervention des Chambres de Commerce, M. R. Poincaré a dû abroger les sanctions prises contre le non-paiement des indemnités mensuelles aux offices de compensation. La Sûreté n'a même point été capable de profiter de l'occasion pour expulser des Allemands vraiment

dangereux. Et cet essai de la manière forte a eu pour unique conséquence de léser des intérêts français, de discréditer l'administration alsacienne et de resserrer l'unanimité allemande. Von Gerlach lui-même, qui n'a cessé dans le Welt Am Montag de combattre le pangermanisme, condamne cet essai de la manière forte, le 21 août :

C'est l'affreuse théorie des otages, qui a toujours passé pour la spécialité des militaires les plus brutaux... Monsieur Poincaré, prenez garde que la politique française ne jette une ombre sur la joie que nous donne la culture française. Votre politique d'expulsions est inhabile, contraire à la culture et indigne d'un peuple chevaleresque. Vous vous mettez en opposition avec la conscience mondiale. Vous faites un précipice du fossé entre la France et l'Allemagne.

Or, sans la collaboration de certains éléments du peuple allemand, toute politique des justes réparations, la saisie même d'un gage minier, est irréparable.

Les circonstances financières accroissent le péril d'une opération brusquée et solitaire. L'Allemagne est à la veille de la faillite monétaire. En Angleterre comme en France, des experts affirment qu'elle est inévitable. Certes, une faillite monétaire n'est pas une banqueroute financière. Je sais que les firmes allemandes, qui ne vendent plus à l'étranger que contre dépôt de devises étrangères dans des banques sûres, disposent probablement de ressources suffisantes pour couvrir pendant longtemps l'importation de leurs matières premières. J'entends bien qu'il existe des palliatifs à une faillite monétaire généraliser les effets de commerce, relever l'escompte de la Reich Bank, arrêter les planches à assignats, M. André Liesse les

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