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MONSIEUR,

A propos de votre enquête Les morts vivent-ils ?, permettez-moi de vous apporter ici mon témoignage au sujet des prétendus phénomènes de la Villa Carmen à Alger.

Je puis certifier qu'en ce qui concerne, du moins, l'hiver 1903-1904, les phénomènes obtenus ont été simulés et truqués dans toutes leurs manifestations : le sommeil même était simulé.

Et cela, je le tiens de Marthe Béraud elle-même (1), que Mme la générale Noël nous avait présentée, à ma mère et à moi, comme un médium éprouvé. A la veille d'une grande séance, à laquelle nous devions assister, ma mère et moi, elle nous pria instamment de venir chez elle et, là, elle nous fit l'aveu sincère et détaillé de ses supercheries « familiales », qu'elle s'efforçait de justifier en quelque sorte.

Je ne voudrais pas entrer dans des détails fastidieux, et je me tiens à votre disposition pour plus ample information. Agréez, Monsieur, etc...

Camille COCHET.

2° Mme Portal. Ici, nous avons non seulement un témoin, mais un protagoniste. Et quel protagoniste ! Le médium T... lui-même !

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Mme Portal, charmante comédienne jouant alors au Kursaal d'Alger, sous le nom de Aimée Bex, fut sollicitée par la générale Noël et devint presque à son corps défendant, car cela lui faisait perdre beaucoup de temps une assidue des séances. Or, bientôt, elle prit une part des plus actives, avec Marthe, aux préparatifs et à la réalisation des phénomènes.

On ne cherchait qu'une chose, me dit-elle en résumé, s'amuser (et, de fait, nous nous amusions beaucoup) en donnant satisfaction aux manies maladives de la générale. J'apportais souvent tout ce qu'il fallait pour faire les apparitions. Nous ne nous

(1) Ces multiples aveux de Marthe ne gênent nullement M. le professeur Richet. Car, c'est très simple quand un médium avoue avoir trompé, c'est alors qu'il ment! (Traité, p. 644.)

gênions guère, d'ailleurs. Je me rappelle qu'une fois j'allai jusqu'à cacher un pigeon dans mon pantalon! Quel «apport »>! Ce fut un gros succès. Une autre fois, nous cachâmes de petits oiseaux dans la baignoire, sous un rideau, et nous les fîmes s'échapper en pleine séance encore un «< apport » ! Tout cela était de la pure plaisanterie. Quand je pense que Marthe B... a fait ensuite une carrière de médium, cela me paraît un stupéfiant mystère.

3° M. Portal. C'est le mari de Mme Aimée Bex. Ils étaient ensemble à Alger, et lui se contentait, le plus souvent, faute de temps, d'assister aux séances; mais il y était, toujours prêt à venir en aide aux médiums (?), à éviter les incidents. Il confirme énergiquement, bien entendu, tous les détails donnés par le rapport de Rouby, qu'il n'avait d'ailleurs jamais

vu.

C'était absolument ça, me dit-il; de la pure blague d'un bout à l'autre. Et, d'ailleurs, tout le monde le savait. Je n'ai vu qu'une fois des gens qui parurent convaincus le D' Decréquy et un officier de marine qui l'accompagnait (1): nous n'avons pas osé leur révéler, devant la générale, les mystifications que nous avions exécutées pour eux.

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« Nous opérions alors surtout avec une Algérienne, une ouvreuse, Vincente Garcia. Elle en en avait un toupet, celle-là !... Et les apports! Il fallait absolument des apports! Le pigeon, je l'avais payé m'en souviens dix-huit sous !... Et les bengalis !... Je me rappelle qu'une fois, arrivant très tard, je trouvai, sur la route de Mustapha, un vieux fer à cheval.

(1) Evidemment M. Demadrille. (V. Richet, p. 649).

je

Quelle farce vais-je faire avec ça? pensai-je en le ramassant. Arrivé dans le pavillon, je le jetai tranquillement sur la table, en pleine séance. La générale le prit avec ferveur, comme un apport de son cher Bien-Boâ!... D'ailleurs, le pavillon donnait près de la grille de la rue, et, nous qui connaissions les lieux, nous entrions là comme dans un moulin. Un jour, j'y amenai un de nos figurants, un nommé Gontier, avec sa fausse barbe, son péplum, etc. Il fit BienBoâ. Voilà que la générale le supplie d'approcher, pour lui baiser les mains. I hésitait. Je lui dis : « Allons, vas-y! », je baisse le gaz, il s'avance. Mais Mme Noël le déclara « laid », ce qui le vexa !... Et le phosphore des allumettes-bougies, avec lequel je m'enduisais les mains et le visage Dans l'obscurité, c'était fantastique!... Un jour, je me mis à parler provençal à haute voix: La générale extasiée annonça que Bien-Boâ parlait hindou!... Que de souvenirs, mon Dieu! Je pourrais en raconter ainsi pendant des heures! Comment est-il possible qu'ensuite on ait pris cela au sérieux! »

M. le professeur Richet, à propos de Marthe B..., parlait récemment de la « présomption énorme de fraude » (1). Il est vrai que, depuis, Marthe a fraudé en pleine Sorbonne. M. Richet a peut-être alors réfléchi... rétrospectivement. Si cependant il voulait enquêter sur ces histoires d'Alger (mieux vaut tard que jamais !) M. et Mme Portal sont à son entière disposition pour lui expliquer tout depuis A jusqu'à Z.

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(1) Traité, p. 653.

Ainsi, pensais-je, Marthe B... et Eva ne font qu'un ! Alors, que croire ?

Qu'y avait-il, en effet, à mettre en face de tout cela? Le livre de Mme Bisson consacré à Eva? Mais ne nous laisse-t-il pas lui-même, avec ses déconcertantes photographies, dans la plus terne des incertitudes ? (1)

Sur ces entrefaites, les procès-verbaux des séances données à Londres en 1920 par Eva, à la Society for psychical research, publiés dans les Proceedings de janvier 1922, n'apportaient encore que de fort vagues indications. Rien à démêler. Bien qu'on sentît que ce document insinuait qu'il concluait à une fraude, il ne concluait pas nettement à de la fraude : il ne concluait à rien du tout. Que croire?

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Les témoins des nouvelles expériences d'Eva dans l'atelier de Mme Bisson? Mais si la plupart étaient affirmatifs, certains autres n'étaient guère rassurants! Le 14 mars, je recevais encore la visite d'un homme fort connu (je n'ai aucune raison de le nommer ici) qui me dit : « J'ai assisté; j'ai vu un phénomène, une petite tête d'homme formée avec la substance. Eh bien ! je pense qu'on m'a montré et fait toucher un simple morceau de carton avec du crin collé dessus. >> Comment concilier tout cela?

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Le 16, chez des amis communs, je rencontrai le D' Osty qui, tout à fait convaincu quant aux phénomènes subjectifs, me disait rester dans la plus grande hésitation devant les phénomènes objectifs. Que croire? Que croire?

(1) On ne peut pas ne pas faire cette remarque: sur 60 photographies, il y en a 57 qui nous montrent Eva ayant les mains complètement libres, non contrôlées.

Ah! me disais-je, si cela pouvait être vrai, pourtant! Si j'obtenais enfin cette consécration officielle !

Mais toutes ces pensées, je devais les refouler en moi-même. Je n'avais aucun pouvoir de faire autre chose que ce que j'avais entrepris: mettre le Médium et la Science face à face.

Le 17, je me rendis encore à la Sorbonne pour voir si tout était prêt. J'eus un dernier entretien avec M. le professeur Piéron.

Le 20 mars, à 3 h. 1/2, j'allai prendre, rue Lauriston, Mme Bisson et Mlle Eva Carrière; nous montâmes en voiture.

Et, ce jour-là, à 4 heures, Eva s'asseyait enfin ! dans le fauteuil préparé pour elle dans le froid Laboratoire de Physiologie de la Sorbonne.

Le coeur me battait un peu. J'avais conscience d'avoir, tout de même, fait peut-être quelque chose d'important.

Je redescendis lentement, et je m'en allai, par la rue Saint-Jacques, en évoquant, par la pensée, le chemin parcouru, et en rêvant à l'avenir...

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